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jeudi 7 juin 2012

Le stéréotype masculin, selon W. Holstein, 1997



1. Le rôle traditionnel de l'homme.

La masculinité est habituellement associée au pouvoir, à l'exercice de l'autorité et à la force. Les postulats suivants découlent de ce stéréotype masculin :

  • Les hommes doivent dominer pour prouver leur masculinité.

  • Le pouvoir, l'émulation et l'autorité sont des ingrédients nécessaires à l'affirmation et à la confirmation de l'autorité.

  • Le travail et la carrière sont les principaux critères de la masculinité.

  • Les hommes croient que le travail et la réussite garantissent le bonheur personnel.

  • La vision et le respect de soi dépendent essentiellement des succès remportés et des progrès réalisés.

  • Les émotions et les sentiments sont, chez les hommes, des signes de féminité.

  • La vulnérabilité est une signe de faiblesse (féminine) et devrait en conséquence être évitée.

  • La maîtrise de soi et le contrôle des autres sont indispensables pour que les hommes se sentent en sécurité.

  • Dans l'esprit d'un homme, rechercher aide ou soutien revient à faire preuve de faiblesse et de féminité.

  • L'intimité et l'amitié entre hommes sont dangereux pour des raisons de compétition ; la première peut déboucher sur l'homosexualité.

  • La crainte de la féminité est dominée par des pensées rationnelles.

  • Les hommes subordonnent les femmes par la domination et le pouvoir, voire par la violence.

  • La sexualité est, pour l'homme, un moyen de prouver sa masculinité (voir O'Neil 1982, Zulehner, 1993).


2. Les inconvénients de la masculinité classique.

Il a été prouvé que les principes susmentionnés avaient des effets négatifs sur les hommes. 

O'Neil décrit six problèmes généraux de la masculinité classique :

  • une émotivité restrictive

  • une homophobie

  • des problèmes de domination, de pouvoir et d'émulation en société

  • des comportements sexuels et affectifs restreints

  • l’obsession de la réussite et du succès

  • des problèmes de santé (1982).

« La peur de la féminité contribue à restreindre la sensibilité des hommes et explique les difficultés qu'ils rencontrent pour accepter et exprimer leurs émotions. Ces difficultés sont liées aux valeurs sociales de la mystique masculine. Les hommes répriment leurs émotions, car ils craignent que leurs sentiments soient associés à la féminité, ce qui menacerait leur rôle d'homme. C'est pourquoi ils abordent les gens et la vie en général d'une manière cognitive et rationnelle. » (O'Neil 1982, 24).

La domination , la maîtrise et la compétition constantes ont en réalité un coût élevé. Les hommes qui fréquentent les « centres d'hommes » en Autriche, en Allemagne et en Suisse font part des problèmes suivants :

  • augmentation des problèmes de couple et de relations ; un nombre croissant d'hommes avoue être incapable de rivaliser avec des femmes ;

  • insécurité sur le plan émotionnel ; de plus en plus d'hommes ne peuvent faire face à l'émancipation des femmes et à l'indépendance des femmes modernes ;

  • problèmes sexuels comme l'impuissance, l'éjaculation précoce et l'indifférence, etc.

  • vitalité et joie de vivre réduites, frustration et léthargie accrues, manque d'ambition ; 

  • absence de véritable ami (homme) et de réseaux sociaux, isolation et anxiété ;

  • absence de moyen permettant de faire face aux problèmes émotionnels et aux difficultés de la vie quotidienne, d'où le refuge dans l'alcool et la drogue, l'accroissement des maladies liées au stress, la prise de risques, le vandalisme et la violence (Manuege 1989).

Malgré le point de vue que notre société a des hommes, il est évident que ceux-ci peuvent être les victimes de leur propre rôle masculin.


Référence.

Dr Walter HOLSTEIN, « Les nouveaux rôles masculins et leurs avantages pour les hommes et leurs familles. », in Conseil de l'Europe, Actes du séminaire international Promouvoir l'égalité : un défi commun aux hommes et aux femmes, Strasbourg (France), 17-18 juin 1997, Conseil de l'Europe, juin 1998, p. 33-34.

L'organisation sociale de la masculinité, selon R. W. Connell, 1950


Dans ce chapitre, Connell aborde le fait que la masculinité ne constitue pas un objet cohérent sur lequel on puisse énoncer des généralités. Son objectif est de fournir un cadre dans lequel distinguer les différents types de masculinité et en comprendre les dynamiques de changement.

Définir la masculinité.

Toutes les sociétés ont des représentations culturelles du genre, mais toutes ne possèdent pas le concept de « masculinité ». Le terme moderne suppose que le comportement d'une personne résulte du type de personne qu'elle est. Il suppose de croire en la différence individuelle et la faculté personnelle d'agir. Il repose sur le concept d'individualité développé au début de l'Europe moderne dans le cadre du colonialisme et du capitalisme. Le concept semble être d'une invention assez récente, à peine plus ancienne qu'une centaine d'années. Il est intrinséquement relationnel et se positionne seulement dans le contraste avec la féminité. Cette idée que les hommes et les femmes sont qualitativement différents n'existe pas avant le XIXe siècle et son idéologie bourgeoise de la séparation des sphères. C'est ainsi que nous « constituons le genre » (Cf. West et Zimmermann) en le désignant.

Quatre grandes stratégies ont été mise en œuvre pour caractériser la type de la personne masculine.
  1. Les définitions essentialistes sélectionnent un trait définissant la masculinité (prise de risque, agression, responsabilité, irresponsabilité, etc.) et décrivent les existences masculines en fonction de lui. Le problème de cette approche est que le choix de ce trait essentiel est arbitraire.

  2. Les définitions positivistes définissent la masculinité comme ce que sont les hommes dans la réalité. Elles appliquent l'échelle M/F aux études psychologiques et ethnographiques qui décrivent le modèle des existences masculines et appellent alors cela « modèle de la masculinité ». Ces définitions posent trois problèmes : 
     
    a) Il n'existe aucune description sans point de vue. Ces descriptions « neutres » sont basées sur des affirmations concernant le genre (exemple : le choix des items sur l'échelle M/F) ; 
     
    b) séparer ce que les hommes font de ce que les femmes font nécessite d'avoir déjà distingué les catégories « hommes » et « femmes » ; 
     
    c) définir la masculinité comme ce que sont les hommes dans la réalité, empêche l'usage de termes dans lesquels certaines femmes sont décrites comme masculines et certains hommes comme féminins, etc. En fait, les termes « masculin » et « féminin » s'étendent au-delà des différences entre les hommes et les femmes, et décrivent des différences à l'intérieur de chaque sexe selon une problématique de genre (certaines femmes sont plus féminines, etc.)

  3. Les définitions normatives offre le critère de ce à quoi devraient ressembler les hommes (le critère John Wayne). Le problème est que nous ne pouvons définir la masculinité selon un critère auquel de nombreux hommes ne correspondent, dans la réalité, qu'à peine une minute, si ce n'est jamais.

  4. Les approches sémiotiques définissent la masculinité au travers d'un système de différence symbolique entre la masculinité et la féminité. La masculinité est définie comme ce qui n'est pas féminin. Cette définition pose la masculinité comme le signifiant principal, le lieu de l'autorité symbolique, la féminité étant définie comme manque. Cette définition a beaucoup servi à l'analyse culturelle, mais elle est limitée dans sa portée car elle se focalise sur le discours. 
     
    Connell affirme que nous devons être capables de parler d'autres relations. Ce qui l'intéresse, en cela, est la principe de mise en rapport [connexion]. La masculinité n'existe que dans le cadre d'un système de relations de genre.
L'argument de Connell est le suivant : plutôt que de tenter de définir la masculinité, nous devrions nous concentrer sur « les processus et les relations par desquels les hommes et les femmes mènent leurs existences genrées. La « masculinité », si jamais le terme peut être brièvement défini, est à la fois une position au sein des relations de genre, l'ensemble des pratiques par lesquelles les hommes et les femmes prennent ce positionnement dans le genre, et les effets de ces pratiques sur l'expérience corporelle, la personnalité et la culture » (p. 71).

Le genre comme structure de pratique sociale.

Le genre est une façon d'ordonner la pratique sociale. Il s'agit d'une pratique sociale qui se réfère constamment aux corps et à ce qu'ils font, mais ne réduit pas la pratique sociale au corps. Connell affirme que « dans les processus du genre, la conduite quotidienne de la vie s'organise en relation avec l'arène reproductive, définie par les structures corporelles et les processus de reproduction humaine »(p. 71). Ce lien peut n'avoir rien de commun avec la reproduction biologique. Le genre existe par le fait que la biologie ne détermine pas le domaine social. Les relations de genre constituent l'une des structures majeures de toutes les sociétés.

Lorsque nous nous réfèrons à la masculinité et à la féminité, nous désignons les configurations de la pratique du genre, ou mieux, les processus configurant la pratique. La masculinité et la féminité constituent les programmes du genre qui sont « des processus configurant la pratique à travers le temps, et qui transforment leurs points de départ en structure de genre » (p.72). Nous pouvons considérer ces programmes à quelque niveau d'analyse de notre étude de la société :
  1. au niveau du parcours de vie individuel, de la personnalité ou du caractère ;

  2. au niveau du discours, de l'idéologie ou de la culture ; 
     
  3. au niveau des institutions telles que l'État, l'école ou le lieu de travail.

Connell décrit un modèle de structure du genre à trois niveaux :
  1. les relations de pouvoir : dans la société occidentale, la subordination des femmes et la domination des hommes, que l'on désigne souvent sous le terme de patriarcat. Ce dernier persiste malgré les résistances.

  2. les relations de production : la division genrée du travail et ses conséquences, le bénéfice que les hommes retirent du partage inégale de la richesse produite, le caractère genré du capital, etc.

  3. la cathexis : le caractère genré du désir sexuel, ainsi que les pratiques qui façonnent le désir et qui sont un des aspects de l'ordre de genre. Par exemple : la relation entre l'hétérosexualité et la position de domination des hommes.
Connell note que le genre, en tant que façon de structurer la pratique sociale, est connecté, de façon inévitable, aux autres structures sociales, comme la race et la classe sociale. Le genre influence et recoupe la race et la classe sociale. Par exemple, les masculinités blanches s'établissent en relation avec les hommes noirs tout autant qu'avec les femmes blanches. La masculinité blanche est unie au pouvoir institutionnel. En outre, les masculinités sociales, par exemple les masculinités ouvrières, dépendent de la classe sociale tout autant qu'elles font les relations de genre. L'idée qui se cache derrière cela est que, pour comprendre le genre, nous devons constamment le dépasser.

Nous ne devons pas seulement reconnaître des masculinités diverses, mais nous devons étudier les relations qu'elles établissent entre elles, les relations de genre parmi les hommes, dans le but d'éviter une simple typologie de caractères.

L'hégémonie.

L' hégémonie (concept repris de Gramsci), est la dynamique culturelle par laquelle un groupe prend et maintient une position de leadership dans la vie social. « La masculinité hégémonique peut être définie comme la configuration de la pratique du genre qui incarne la réponse actuellemnt reçue au problème de la légitimité du patriarcat, et qui garantit (ou est pris comme garant de) la position dominante des hommes et la subordination des femmes » (p.77).

La subordination.

À l'intérieur du cadre général, il existe les relations spécifiquement de genre que sont les relations de domination et de subordination entre les différents groupes d'hommes : celles de l'hétérosexuel sur l'homosexuel sont les plus significatives.

La complicité.

Très peu d'hommes s'engagent activement pour maintenir l'hégémonie, mais la majorité d'entre eux en tire profit par le biais de l'avantage général que procure la subordination des femmes. « Les masculinités construites de telle façon qu'elles reçoivent le dividende patriarcal, sans endurer les tensions et les risques menaçant les troupes de première ligne du patriarcat, en ce sens, sont complices » (p. 79).

La marginalisation.

Elle concerne les relations qu'entretiennent les masculinités des classes sociales et des groupes ethniques dominants et subordonnés. Elle est toujours liée à l'autorisation accordée par la masculinité du groupe dominant.

Nous avons donc deux types de relations : l'hégémonie, la domination/subordination et la complicité ; et la marginalisation/autorisation. Ces deux types donnent un cadre à la compréhension des masculinités particulières.

Les dynamiques historiques, la violence et la propension à la crise.

Nous devons reconnaître au genre la qualité, à la fois, de produit et de producteur de l'histoire. Les structures des relations de genre changent avec le temps, en réaction à des sources parfois extérieures, parfois intérieures. Avec le mouvement féministe, le conflit d'interêts incorporé aux relations de genre est devenu évident. La structure inégale met les hommes dans une position défensive et les femmes dans une position offensive, car elles recherchent le changement.

Un tel combat est difficilement imaginable sans violence ; c'est généralement le genre dominant qui a accès et use des moyens de la violence. Deux schémas de la violence ont émergé :
  1. les membres du groupe privilégié use de la violence dans le but de maintenir leur position (violence domestique, harcèlement sexuel, viol, meurtre) ;
  2. la violence devient un thème politique important parmi les hommes. Elle devient une façon d'affirmer la masculinité (guerre, révolution, etc.).
La violence fait partie du système de domination, mais, en même temps, constitue la mesure de son imperfection. Si la hiérarchie était réellement légitime, la violence ne serait pas nécessaire à son maintien.

La crise présuppose un système cohérent, donc nous ne pouvons parler d'une crise de la masculinité, mais nous pouvons évoquer la crise d'un ordre du genre, en tant que tout. Le cadre à trois niveau décrit ci-dessus nous permet de dresser la carte de la propension à la crise de l'ordre du genre.
  • Niveau des relations de pouvoir : « effondrement historique de la légitimité du pouvoir patriarcal et mouvement global en faveur de l'émancipation des femmes » (p. 84), alimentés par la contradiction entre l'inégalité de genre et les logiques universalisantes des structures de l'État moderne et des relations de marché.

  • Niveau des relations de production : après-guerre, immense augmentation de la participation à la force de travail des femmes mariées.

  • Niveau des relations de cathexis : acceptation croissante de la sexualité gay et lesbienne en tant qu'alternative publique à l'hétérosexualité et revendication élargie des femmes au plaisir sexuel et au contrôle de leurs corps.

Finalement, Connell fait remarquer que les changements concernant la masculinité s'étendent au-delà des images du rôle sexuel masculin. « L'économie, l'État et les relations internationales [global] sont impliquées tout autant que les ménages et les relations personnelles » (p.86).

Référence.

Fiche de lecture [en anglais] du chapitre III de R. W. CONNELL, Masculinities, University of California Press, 1995. La version française est le fait de l'auteur de ce blog.

lundi 4 juin 2012

La domination de l'aristocratie financière, selon K. Marx, 1850.


Le texte suivant, cité par Jean-Claude Michéa, dans sa conférence du 9 décembre 2011 à La Fabrique de Philosophie de Montpellier (France), montre bien que la situatione économique actuelle, c'est-à-dire la prédominance de l'économie financière (aujourd'hui globalisée) sur l'économie productive, est dans la logique même du développement capitaliste et qu'elle s'est déjà manifestée en France, en plein milieu du XIXe siècle, à l'échelle nationale... Le déficit actuel des multiples États occidentaux n'est pas une défaillance interne de ces États mais semble être le résultat voulu de la politique libérale mis en place, à partir du début des années 1980, aux États-Unis, par Ronald Reagan, en Grande-Bretagne, par Margaret Thatcher, en France par François Mitterrand et ses successeurs tant de gauche que de droite, en Nouvelle-Zélande par David Lange et Roger Douglas : déréglementation de la finance, affaiblissement du droit du travail, démantèlement progressif des systèmes collectifs de protection sociale, baisse des impôts et des revenus productifs de l'État (privatisations du secteur public), ouverture des frontières c'est-à-dire mise en concurrence des populations actives de ces États occidentaux avec la main d’œuvre véritablement prolétaire et exploitée des pays en voie de développement économique et des populations immigrées et clandestines présentes sur les territoires nationaux ...

Ce n'est pas la bourgeoisie française qui régnait sous Louis-Philippe, mais une fraction de celle-ci : banquiers, rois de la Bourse, rois des chemins de fer, propriétaires de mines de charbon et de fer, propriétaires de forêts et la partie de la propriété foncière ralliée à eux, ce que l'on appelle l'aristocratie financière. (...)

La pénurie financière mit, dès le début, la monarchie de Juillet sous la dépendance de la haute bourgeoisie et cette dépendance devint la source inépuisable d'une gêne financière croissante. Impossible de subordonner la gestion de l'État à l'intérêt de la production nationale sans établir l'équilibre du budget, c'est-à-dire l'équilibre entre les dépenses et les recettes de l'État. Et comment établir cet équilibre sans réduire le train de l'État, c'est-à-dire sans léser des intérêts qui étaient autant de soutiens du système dominant, et sans réorganiser l'assiette des impôts, c'est-à-dire sans rejeter une notable partie du fardeau fiscal sur les épaules de la grande bourgeoisie elle-même ?

L'endettement de l'État était, bien au contraire, d'un intérêt direct pour la fraction de la bourgeoisie qui gouvernait et légiférait au moyen des Chambres. C'était précisément le déficit de l'État, qui était l'objet même de ses spéculations et le poste principal de son enrichissement. 

À la fin de chaque année, nouveau déficit. Au bout de quatre ou cinq ans, nouvel emprunt. 

Or, chaque nouvel emprunt fournissait à l'aristocratie une nouvelle occasion de rançonner l'État, qui, maintenu artificiellement au bord de la banqueroute, était obligé de traiter avec les banquiers dans les conditions les plus défavorables. Chaque nouvel emprunt était une nouvelle occasion, de dévaliser le public qui place ses capitaux en rentes sur l'État, au moyen d'opérations de Bourse, au secret desquelles gouvernement et majorité de la Chambre étaient initiés. En général, l'instabilité du crédit public et la connaissance des secrets d'État permettaient aux banquiers, ainsi qu'à leurs affiliés dans les Chambres et sur le trône, de provoquer dans le cours des valeurs publiques des fluctuations insolites et brusques dont le résultat constant ne pouvait être que la ruine d'une masse de petits capitalistes et l'enrichissement fabuleusement rapide des grands spéculateurs. (...)

Le commerce, l'industrie, l'agriculture, la navigation, les intérêts de la bourgeoisie industrielle ne pouvaient être que menacés et lésés sans cesse par ce système. (...)

Pendant que l'aristocratie financière dictait les lois, dirigeait la gestion de l'État, disposait de tous les pouvoirs publics constitués, dominait l'opinion publique par la force des faits et par la presse, dans toutes les sphères, depuis la cour jusqu'au café borgne se reproduisait la même prostitution, la même tromperie éhontée, la même soif de s'enrichir, non point par la production, mais par l'escamotage de la richesse d'autrui déjà existante. C'est notamment aux sommets de la société bourgeoise que l'assouvissement des convoitises les plus malsaines et les plus déréglées se déchaînait, et entrait à chaque instant en conflit avec les lois bourgeoises elles-mêmes, car c'est là où la jouissance devient crapuleuse, là où l'or, la boue et le sang s'entremêlent que tout naturellement la richesse provenant du jeu cherche sa satisfaction. L'aristocratie financière, dans son mode de gain comme dans ses jouissances, n'est pas autre chose que la résurrection du lumpenprolétariat dans les sommets de la société bourgeoise. (...)


Référence.

Karl Marx, Les luttes de classes en France in Karl Marx, Les luttes de classes en France. Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, J. J. Pauvert, 1965, p. 60.

mercredi 23 mai 2012

Faut-il châtier corporellement les élèves à l'école ?, Augsbourg, 1862.


Monsieur le Directeur,

Permettez-moi de compléter aujourd'hui ce que je vous disais dans ma dernière lettre au sujet des congrès sans nombre qu'a vus éclore en Allemagne le mois de septembre. J'en ai omis un des plus curieux, et ce serait vraiment dommage de priver les lecteurs de la Revue Britannique des belles choses qui se sont dites à Augsbourg dans le Congrès des philologues, maîtres d'école, orientalistes et germanistes allemands. Cette savante assemblée de pédagogues a discuté avec une passion, une véhémence dignes d'une Chambre des députés français, la question de savoir : 

1° s'il était convenable d'infliger aux enfants des châtiments corporels ; 

2° de quel genre devaient être ces châtiments. 

Le soufflet, le bâton, les lanières et les verges ont trouvé des partisans convaincus et, disons-le aussi, d'intraitables adversaires. M. Dietsch, qui prit le premier la parole, déclara que l'assemblée devait d'autant moins se prononcer en faveur des châtiments corporels, que le gouvernement russe lui-même les avait interdits dans toutes les écoles de l'empire par motif d'humanité. 

À quoi M. Eckstein répondit qu'il était hors de propos d'invoquer l'exemple de la Russie, puisque dans tous les États allemands on avait pour principe d'éviter l'emploi des châtiments corporels, et qu'il s'agissait uniquement de savoir dans quels cas on pourrait donner un soufflet

Le conseiller de régence Firnhaber fit observer qu'un soufflet n'était pas un châtiment corporel ; qu'on ne désignait sous ce nom que ceux qui sont infligés avec un bâton ou quelque autre instrument semblable. « L'ordonnance de 1817, encore en vigueur dans le duché de Nassau, prescrit, dit l'orateur, comme instrument légal une courroie large de deux pouces et épaisse de trois. Mais j'ai trouvé les dimensions de cette courroie si variables, selon le caractère de chaque instituteur, qu'en vérité je ne saurais admettre l'emploi de cet affreux instrument ; je vote donc pour le bâton. » Ce bon M. Firnhaber !
Le professeur Schmitz, prenant la parole à son tour, s'exprime en ces termes : « Il faut établir l'éducation sur des bases chrétiennes. Or, il est dit dans la Bible : « Que celui qui aime son enfant le tienne sous la verge ! » En conséquence, je vote pour l'emploi des verges. » Cet excellent M. Schmitz!

Un autre membre du congrès eut beau lui faire observer que ce n'était là qu'une expression figurée pour dire qu'on doit être sévère envers l'enfant qu'on aime, il n'en voulut pas démordre. La Bible ne peut avoir tort, et, pour ne pas se perdre dans les interprétations, il est plus sage, selon lui, de la prendre au pied de la lettre. Des verges donc, des verges au nom du Christ et de la Bible !

Cependant le docteur Wiegand s'étant prononcé énergiquement contre l'emploi de tous ces moyens, y compris le soufflet, par cette raison assez péremptoire que « l'instituteur doit former la tête de l'enfant, et non la déformer en la frappant, » la docte et clémente assemblée finit par décider que le maître pourrait, en certains cas, et sous sa responsabilité personnelle, appliquer, non pas un soufflet, mais une calotte, comme disent les écoliers. Ce délicat euphémisme eut un succès complet, et la calotte fut votée d'enthousiasme.

Pourquoi donc ces messieurs, afin de prononcer en connaissance de cause, n'ont-ils pas essayé sur eux-mêmes chacun des moyens en discussion ? Pourquoi aussi les élèves n'étaient-ils pas représentés dans une réunion où s'agitaient des questions qui les touchent de si près ? Assurément leur avis n'eût pas été sans quelque valeur, et tous ces calotteurs à qui la main démange eussent trouvé à qui parler. L'enfant a, plus qu'on ne pense, le sentiment de sa dignité; il aime et respecte ceux qui l'instruisent, mais il ne tarde pas à prendre en haine et à mépriser ceux qui le frappent. Le maître qui se laisse aller à la colère s'amoindrit aux yeux de son élève à qui rien n'échappe, et auquel les châtiments corporels n'ont jamais appris qu'une seule chose : faire le mal sans hésiter dès qu'il ne craint plus les verges ou le bâton du maître.

Ce congrès de pédagogues frappeurs, vraiment instructif pour les jeunes élèves, — juvenes alumni ! — ne l'est pas moins pour leurs papas. N'est-ce pas ainsi que souvent les régents des peuples discutent entre eux sur la manière de les châtier sans les faire crier trop fort ? Il y a toutefois cette différence entre les enfants et les hommes, que les enfants repoussent énergiquement et sans discussion tout châtiment brutal, tandis que, depuis des siècles, leurs pères sont assez sots pour faire comme les anguilles et les grenouilles de Bruscambille qui disputent contre les cuisiniers, prétendant être écorchées les unes par la queue, les autres parla tête. O Menschen ! (ô hommes!) s'écriait souvent Weisshaupt, le fondateur de l'illuminisme. O Menschen ! répéterai-je après lui, vous serez donc toujours plus enfants que vos enfants !
Référence.
Abraham Rolland, « Correspondance d'Allemagne », Revue britannique, tome 5,  Paris, 1862, p. 213-215.

mardi 22 mai 2012

Les tares de l'instruction secondaire, selon P. Lorain, 1871.


 On trouvera dans le texte suivant, daté de 1871, des critiques qui rappellent celles que l'on entend aujourd'hui vis-à-vis du système scolaire français. L'auteur y dénonce, en outre, le ridicule de l'organisation presque militaire et bien trop cloîtrée, le nombre trop important d'élèves par classes, l'éloignement maîtres-élèves, le faux système des récompenses, une formation trop littéraire, coupée des réalités sociales. On y trouvera également la critique de méthodes envisagées à l'heure actuelle (notamment l'internat) et qui ont déjà fait valoir, dans le passé, leurs limites, voire leurs nuisances. On y envisage, enfin, certaines réformes qui ne seront appliquées que bien plus tard, telles que la décentralisation, ou pas du tout, comme la vie au grand air, dans les jardins, à la campagne, la meilleure prise en charge de l'étudiant, dans le cadre des facultés ou l'adaptation du cursus scolaire aux capacités de l'élèves.  À bon entendeur...


Nous le savons bien, nous, qui voyons aboutir tous les ans aux écoles de médecine tant de jeunes gens ignorants et mal élevés, qui sont bacheliers. Quelqu'un prétendra-t-il que les bacheliers savent bien le français, qu'ils savent le grec, le latin, l'histoire naturelle, la chimie, la physique, les mathématiques, les langues vivantes, la géographie, la géologie, la mécanique ?

Cependant, un bachelier est censé un homme instruit ; il a fini ses études générales, terminé son éducation. Là, il s'arrête ; si c'est un homme du monde, il ferme ses livres classiques et ne les rouvre plus. Le droit et la médecine ne complètent guère cette éducation. L'instruction professionnelle ne touche pas au développement esthétique de l'individu, elle lui apprend les notions pratiques; son éducation devient technique, elle n'agrandit pas ses facultés morales.

Et encore, ces étudiants en médecine et en droit sont forcés à l'étude, ils retrouvent l'occasion d'appliquer les principes de leur éducation collégiale ; mais les autres, les gens du monde, non.

Sans prendre la question de si haut, on peut regretter que l'instruction élémentaire, en ce qui concerne les notions prochainement applicables, soit si mal donnée dans les collèges. On n'y apprend convenablement aux élèves ni l'histoire naturelle ni la physique ; on ne leur donne point de suffisantes notions de physiologie ni de chimie. Ils sont tous, sauf ceux que l'on prépare aux écoles spéciales du gouvernement, élevés littérairement.

Il faut que nous, médecins, nous professions pour nos étudiants la botanique, la physique, la chimie, l'histoire naturelle. Est-ce que nos élèves ne devraient pas être instruits de ces choses avant de frapper à la porte de l'École de médecine ?

Savent-ils du moins le français ? Certains d'entre eux nous remettent des copies remplies de fautes d'orthographe, de fautes de français, de fautes contre le goût. A qui imputerons nous ces tristes résultats, si ce n'est à l'Université qui les a si mal préparés ?

Et les langues vivantes ? Il n'y a pas aujourd'hui sur trois mille étudiants en médecine cinquante jeunes gens qui sachent la langue allemande, ni même la langue anglaise, sans la connaissance desquelles il n'est pas possible de suivre les progrès de la médecine. Est-ce à nous à leur apprendre ces langues ?

On nous livre donc un trop grand nombre de sujets dont l'éducation première est manquée, et nous n'en pouvons faire que des étudiants médiocres, ou, s'ils se réforment parmi nous, ce sera au moyen de sacrifices énormes, de temps perdu, et d'une dépense d'énergie qui serait mieux employée à d'autres travaux.

Que fait donc l'Université ? Elle prend les enfants à sept ou huit ans, elle les garde dix ans au collège, elle est censée leur tout apprendre, et l'on sait de combien il s'en faut. Si du moins elle en faisait des gens exercés de corps, vigoureux ! Si elle leur donnait le goût des exercices gymnastiques, si elle leur apprenait quelque peu de beaux-arts, le dessin, la musique, et le goût pour l'étude. Mais on sait que ce n'est pas par là qu'elle brille, et que, pour beaucoup d'enfants, le collège est une prison détestée, où l'on est mené militairement, mécaniquement, uniformément, où beaucoup perdent le goût du travail qu'ils considèrent comme une punition. Les parents, débarrassés de leurs enfants, les placent là à huit ans, les reprennent à dix-neuf ou vingt, sans s'être donné la peine de contribuer à leur instruction ni à leur éducation, système égoïste et dangereux.

Eh bien, en dix ans on ne parvient pas à faire une moyenne très faible d'instruction. C'est trop de temps perdu, il faut scinder les éludes, mieux employer le temps ; cela est possible. Au lieu de classes de soixante élèves, où le professeur fait expliquer, réciter, lire, écrire sous sa dictée, sans pouvoir se rendre compte de l'état intellectuel de cette masses, il faut plus de professeurs et moins d'élèves. Faites comme en Allemagne, supprimez ces tristes internats, établissez des gymnases plus nombreux en province, et que les professeurs soient payés suivant leur mérite par les parents. Établissez le contact entre le professeur et les élèves ; que ceux-ci vivent dans une famille, dans la sienne au besoin, près de ses enfants ; qu'ils soient pénétrés, compris par lui, qu'il les connaisse et les dirige suivant leurs aptitudes. Il leur apprendra familièrement ce qu'il sait et se passionnera pour les bons élèves, les suivant d'une classe à l'autre, et leur faisant parcourir une grande partie du chemin. Pourquoi couper en deux un épisode de Virgile, et renvoyer l'élève à l'année suivante ? Pourquoi le faire changer de professeur tous les ans ? Pourquoi un programme uniforme ? Pourquoi expliquer Tite-Live en cinquième, Homère en quatrième, Tacite en troisième, pourquoi et de quel droit ? Qui a dit cela, qui a fait ces programmes et formulé ainsi les règles de progression de l'esprit des élèves? Il n'y a personne qui se déclare responsable de cela, si ce n'est l'être anonyme qui s'appelle l'État enseignant, gouverné par des ministres qui souvent ne sont pas des savants, aidés d'inspecteurs et autres fonctionnaires de l'ordre administratif, qui ne représentent parfois ni l'instruction ni le goût. 

On fait parcourir à tous les enfants, à tous les jeunes gens, invariablement tous les échelons de l'instruction universitaire ; il faut qu'ils aient fait la huitième, la septième, la sixième, la cinquième, la quatrième, la seconde, la rhétorique. Quelles vieilleries et quelle singulière classification ! Pourquoi cela et non autre chose? Si l'enfant est intelligent et précoce, s'il est lourd, sot, c'est donc tout un, et il faudra qu'il passe par cette monotone série ! Il y a pourtant des jeunes gens qui pourraient faire ces études-là en cinq ans facilement. D'autres y sont impropres, et pourquoi les y maintenir ?

Il y a bien d'autres erreurs dans l'instruction universitaire. Soit, on n'y apprend ni les langues vivantes, ni la grammaire comparée, ni l'histoire naturelle, ni les éléments des beaux-arts. On y apprendra le grec, le latin et l'histoire, et, en effet, il y a des élèves sortant des collèges qui sont lettrés.

Mais quelle est l'éducation morale qu'on y donne ? Tout y est fondé sur la discipline militaire et la hiérarchie du mérite.
La morale civique y est représentée par les exemples des grands hommes de l'antiquité, les héros, les Régulus, les Épaminondas, les Brutus, beaux exemples, mais qui ne peuvent pas remplacer les exemples et les exhortations des parents, les enseignements de la vie de famille, les souffrances et les joies partagées avec les frères et sœurs, le malheur, le sentiment de la responsabilité et celui de la solidarité.

Le collège ne peut donner que ce qu'il a, et la faute est aux parents qui abandonnent leurs enfants ainsi.

La hiérarchie du mérite est représentée au collège par les places de composition ; et de bonne heure, dit-on, l'enfant est habitué à reconnaître les supériorités, tant de nature que résultant du travail, c'est l'image de la vie en petit. Soit. Mais est-elle bien sincère et bien choisie cette distribution des mérites à l'enfance ?

Les beaux modèles que les forts en thème ! Et comme il y lieu de s'extasier devant une belle ponctuation du thème grec ! Un élève qui a de la mémoire sera premier à tout coup en récitation, en histoire. Tel autre saura faire un thème latin. Pourquoi pour si peu de chose tant de couronnes, tant de musique, et ces perpétuelles compositions, où les élèves sont classés en forts, en médiocres et en faibles ? Savez-vous ce qu'ils seront plus tard ? Savez-vous quelle est l'intelligence, quelles sont les aptitudes de ces enfants ? Qui cause avec eux, qui cherche leur spécialité, qui se donne la peine de les étudier et de développer leur intelligence par le côté où elle pointe ? — On ne le peut, les élèves sont trop nombreux, le professeur n'est pas payé pour cela. Voilà des enfants qui sont faibles en huitième, et pendant dix ans de collège ils vont se traîner de banc en banc, sans goût, sans ardeur. Ils sont cotés faibles... ils sont les derniers. Je voudrais bien savoir ce que sont devenus tous les beaux sujets qui étaient forts dans mon temps de collège. J'en ai perdu de vue un grand nombre. Il y en a de sots que je n'ai pas perdus de vue, d'autres, qui ont toujours de la facilité, mais qui n'ont ni profondeur, ni jugement, ni ardeur pour le bien et le beau, ni spontanéité. Ces couronnes, ces distributions, ces concours, sont un moyen d'émulation théâtral et faux ; la déclamation tient trop de place dans l'Université.

Mais en France on croit tout parfait de ce qu'on fait, on ne comprend pas une nation sans collèges, sans concours, sans internes ! Eh bien, passez la frontière et regardez. Ceux qui nous gouvernent ne voyagent pas assez.

Aujourd'hui, il n'y a point en Europe de personnes, s'occupant d'éducation, pour lesquelles ce ne soit point une vérité incontestable que les internats sont une détestable institution. Comment se fait-il qu'en France on n'ait pas l'air de se douter de ce fait universellement reconnu ?

Ces critiques ne s'adressent point aux professeurs de l'Université. Ils sont eux-mêmes victimes d'un système faux et cruel. Administrés autocratiquement, fonctionnaires sans liberté, placés, déplacés, censurés ou avancés par une autorité discrétionnaire, ils sont tenus dans un état de servage dont aucune autre administration n'offre d'exemple. Il n'y a point pour eux de droits, pas de rêves d'avenir, ils ne peuvent jamais espérer de faire une petite fortune, et ils sont moins bien traités que les employés de commerce. Ceux d'entre eux qui ont du mérite pourraient, s'ils étaient libres, se créer une situation très enviable ; l'État confond tout, les médiocres et les distingués, ne distribue pas les dividendes suivant le mérite, et tous en sont réduits à attendre comme un bienfait la faible retraite qui est promise à leurs soixante ans d'âge.

L’Université renferme un nombre proportionnellement très supérieur d'hommes instruits et de bons citoyens ; ce corps est un de ceux dont notre pays peut encore s'honorer. La science, l'amour du bien, la bonne volonté, y dominent, et ce n'est point la faute des professeurs si l'institution ne donne pus de meilleurs résultats. La vérité est qu'ils ne sont pas consultés. Cette machine universitaire, pour nous servir de l'expression appliquée a un objet plus restreint par M. Duruy, est comme la vieille machine de Marly, elle donne 95 pour 100 de perte ; il faudrait la mettre en état de donner le plus de rendement possible, et pour cela il faut l'enlever au gouvernement.

Nous admettons comme un fait certain que la jeunesse française est mal élevée, et que l'État, qui s'est fait entrepreneur de l'instruction publique, est responsable de cet état de choses. S'il n'y avait pour les jeunes gens que perte de temps, le mal ne serait pas bien grand ; mais il y a mauvaise direction intellectuelle. Les étudiants, au sortir du collège, ne prolongent pas leur instruction classique, ils l'oublient, et la plupart se ruent violemment vers des plaisirs grossiers où ils altèrent leur santé et faussent leurs facultés morales. On ne les voit point, en général, s'éprendre de la littérature, ni des beaux-arts, ni des sciences philosophiques, ni entretenir leur énergie intellectuelle par des travaux, des discussions se rapportant aux anciens objets de leurs études classiques. Ils passent du collège aux hôpitaux ou à l'étude de l'avoué sans s'arrêter dans une université.

(...)

Cette ténacité des maîtres et des parents qui maintiennent les enfants dans la filière va bien plus loin que nous n'avons dit encore. Non seulement on les contraint à monter lentement ce long escalier aboutissant au baccalauréat, qui est un but stérile, mais on leur fait souvent redoubler et tripler une classe, sans pitié. Cela se comprend à la rigueur pour un enfant rebelle, mais intelligent, auquel on veut à tout prix apprendre les éléments de l'instruction secondaire, ou pour un futur professeur, auquel la perfection de certaines études classiques est nécessaire, mais ce sont là de très rares exceptions, et il ne sert de rien de faire redoubler des classes à des enfants inintelligents et paresseux. Ce n'est qu'un moyen de les hébéter davantage.

Tous les hommes qui se sont occupés de l'éducation en France savent à quel degré de scandale est parvenu parmi les pensionnats libres menant des élèves aux collèges, et parmi quelques collèges dirigés par des proviseurs peu scrupuleux, l'exploitation des élèves à concours.

La plupart du temps c'étaient des boursiers, des enfants pauvres dont on surexcitait les facultés spéciales, au risque de stériliser leur intelligence dans l'avenir. On en exprimait tout ce qu'elle pouvait rendre à la pression sous forme de prix de thème, version, histoire, vers ou discours, et l'heureux propriétaire de ces enfants-prodiges chantait victoire ; c'était un moyen de réclame pour l'institution, un moyen d'avancement pour les maîtres, une gloriole. Ces enfants, amenés quelquefois de province, achetés, on peut le dire, étaient maintenus un an, deux ans, trois ans, s'il le fallait, en une même classe, tant qu'ils ne dépassaient pas l'âge réglementaire. C'était une barbarie. 

Le concours général avec ses oripeaux, sa musique militaire, ses discours solennels aux fausses élégances, formait une ridicule exhibition, où l'on voyait de petits enfants chargés de lauriers de papier doré et gonflés d'orgueil, parader déjà comme si la société était à eux. Beaucoup sont devenus ces folliculaires cyniques et féroces qui insultent à tout ce qui est honnête et éternel, et préparent les révolutions populaires.

Grisés par cette éducation théâtrale, ignorants de toute science vraie et frottés seulement de littérature, ces enfants pauvres et mal élevés se croient appelés à étonner le monde ; abandonnés par ceux qui les ont exploités, au moment où ils entrent dans le monde réel, ils sont la proie des agents de publicité qui leur donnent un peu d'argent et de la notoriété en échange de leur rhétorique.

Quant à moi, je déclare que mes enfants seront élevés dans le respect du devoir et l'amour du beau, mais non dans l'idée d'une sotte émulation. Il ne faut pas viser au mieux, mais au bien. Il en est des élèves comme de la chasse, où le gibier règle son pas sur celui de la meute. Le premier limier ne va pas toujours vite. Le premier de la classe peut n'être qu'un très faible personnage et qui ne mérite pas de servir de type. 

Le comble du ridicule dans les récompenses chez les enfants est de faire faire leur buste en plâtre ou en bronze, d'inscrire leur nom sur des monument intérieurs, et, au besoin, de décorer pour huit jours des enfants de cinq ou six ans, comme cela se fait dans les petites écoles. Tels sont les enfants, tels seront les hommes !

Sans doute, il faut des récompenses ; mais il les faut rares et sérieuses.

En temps ordinaire un enfant est mis au collège à huit ans et en sort à dix-huit ou dix-neuf ans, soit dix années de collège. Je dis que huit suffiraient. En huit années bien employées que de choses on peut apprendre à un enfant ! Les premières et les plus importantes notions sont celles qui concernent le devoir, la moralité, le respect des parents, une tenue décente, toutes choses qu'on n'apprend pas au collège, et à cause de cela je maintiendrais les enfants au voisinage de la famille jusqu'à onze ou douze ans, leur faisant donner, en même temps que l'éducation, qui semble tout à fait oubliée en France, l'instruction primaire sérieuse qui comprendrait non pas seulement la grammaire et l'étude des langues vivantes, mais les éléments des sciences qui entrent par les yeux, comme le dessin, la géographie, l'histoire naturelle, une partie de la géométrie.

Il ne faut pas que les parents égoïstes et frivoles continuent à se débarrasser de leurs enfants dès l'âge de huit ans.

La vie de famille est bonne pour les enfants et pour les parents ; elle maintient tout le monde dans le devoir. Les femmes méritent le blâme dans notre pays pour la facilité avec laquelle elles se séparent de leurs enfants, pour suivre plus librement les usages et les plaisirs du monde. Elles ont leur part grande de responsabilité dans nos malheurs publics. Il n'est pas nécessaire que l'enfant soit élevé dans sa propre famille ; il y a des cas nombreux où cela n'est pas possible ; il faut, en tous cas, qu'il soit élevé dans une famille, ainsi que cela se pratique en Allemagne pour presque tous les enfants qui suivent les gymnases, et en Angleterre pour les enfants qui font des études complètes, et, à la vérité, assez dispendieuses.

L'économie de temps est possible, l'économie d'argent en est-elle le corollaire ? C'est une question pratique qu'il faudrait mettre à l'étude.

Si un enfant était mis au collège et y passait dix ans à raison d'une pension de 1500 francs par an, son éducation au collège aurait coûté 15 000 francs. Pourrait-on, pour le même prix, lui donner la môme quantité d'instruction, tout en le faisant bénéficier de l'éducation de famille? Je le crois. Cela sera possible surtout si l'on cherche la décentralisation, si l'on éloigne de Paris les enfants et les jeunes gens de la province, si l'on forme de grandes et sérieuses universités provinciales, comme cela devrait être. Le jour où l'on rendra la vie honorable et fructueuse aux professeurs, où il leur sera permis de vivre dans de grands centres d'instruction, en province, ils ne désireront plus une chaire à Paris comme un avancement. Il faut aussi que les enfants soient élevés au grand air, à la campagne, dans des jardins, qu'ils se livrent aux exercices du corps, qu'ils prennent goût au développement physique en même temps qu'au développement intellectuel. Il faut aux professeurs un milieu tranquille, une vie simple, une rémunération honorable.

Mais, me répondra-t-on, vous ne ferez pas de bacheliers à seize ans. À cela je réponds que je ne vois pas la nécessité de faire des bacheliers. Il n'y a de bacheliers qu'en France, et je ne pense pas que la France en soit mieux élevée ni plus florissante. Je ne pense pas que les classes moyennes lettrées y aient agrandi et même conservé leur influence. Cette race-ci est bien douée et mal dirigée, on peut lui faire produire plus et mieux, et pour cela il faut réformer nos moyens d'éducation publique. Quant à la garantie des études, certificat final ou examens successifs, c'est une question technique dont il faut abandonner la solution à des hommes spéciaux. On trouvera facilement mieux que le baccalauréat.

Je suppose l'écolier sortant du collège à seize ou dix-sept ans. C'est trop tôt, dira-t-on, le livrer à la liberté. Sans doute, s'il a été mal élevé, il fera un mauvais usage de sa liberté. S'il a été renfermé, comprimé, séparé des réalités du monde dans le cloître universitaire ou clérical, il en pourra être ainsi ; mais non, s'il a été de bonne heure habitué à la vie réelle, à la responsabilité de ses actes, s'il a vécu dans un milieu respectable, s'il a appris à respecter ses parents, ses sœurs, ou la famille de son maître.

D'ailleurs, il ne peut être question de continuer ce système dangereux qui consiste à tirer un jeune homme du collège pour le jeter dans une grande ville et le livrer à toutes les séductions, à tous les dangers. Ce système est faux et donne de détestables résultats. Ce jeune homme ne doit point être inscrit aussitôt à une école de droit ou de médecine ; son éducation n'est pas terminée, il la faut compléter par la vie d'université. L'université se placera entre le collège et les écoles d'enseignement professionnel. C'est là le vrai complément de l'éducation. On y enseignera la haute littérature, l'histoire naturelle, les sciences physiques, chimiques et mathématiques, les principes du droit, l'histoire, c'est-à-dire les matières disséminées aujourd'hui dans ces institutions sans élèves qui sont le Muséum d'histoire naturelle, le Collège de France et les Facultés des lettres et des sciences. Ainsi on fera vivre et fructifier un enseignement supérieur qui n'existe que de nom dans notre pays. Les jeunes gens y trouveront l'application de leurs études secondaires qui ne sont qu'une préparation pour une science plus élevée ; ils y trouveront le perfectionnement d'éducation qui fait défaut à la jeunesse française, et tous, médecins futurs, futurs avocats ou juges, futurs fonctionnaires de l'État, théologiens, artistes, professeurs, y puiseront en commun des connaissances également indispensables à tous. C'est là, après deux, trois ou quatre années d'études, que les écoles professionnelles de médecine et de droit prendront leurs élèves pour les appliquer à des études pratiques tout à fait spéciales.

Ce que nous demandons n'est pas nouveau, c'est tout simplement le retour à l'ancien système, à la tradition des vieilles universités.

Il ne faut pas croire que le séjour à l'université est une une perte de temps et recule le moment où l'étudiant entrera en possession d'une profession. Les plus vieux étudiants ne sont point ceux dont les études préparatoires ont été les plus complètes et qui se sont attardés à la culture des lettres ou des sciences ; ce sont ceux qui, sortis des collèges comme d'une prison, s'émancipent brusquement et font profession de ne plus travailler. Il en est qui, bacheliers à dix-huit ou dix-neuf ans, ne sont pas encore docteurs en médecine à trente ans ; ils prolongent cette vie d'étudiant sans direction, sans discipline, où le rôle de l'Université est de s'effacer et d'ouvrir des cours et de percevoir des frais d'études sans se soucier de savoir si les cours sont suivis ou non. Un étudiant français est un homme libre, un citoyen, un électeur, il a la liberté du bien et du mal, il paye l'instruction comme toute denrée et en use ou n'en use pas, à son gré. Où donc est l'alma mater, l'université?

Si cet état de choses est irrémédiable, du moins devons-nous demander qu'on ne livre les étudiants à ces hasards de la vie libre et sans direction, qu'après les avoir élevés, bien préparés dans les universités, où ils pourront avoir toujours accès comme dans leur famille, et venir se retremper. Ce doivent être là, pour les gens élevés, les cercles de l'avenir.


(...)

Référence.

P. Lorain (professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris), « L'instruction secondaire en France. Nécessité de changer la forme de notre enseignement secondaire. », La revue scientifique de la France et de l'étranger, 2e série, 1ère année, 1er trimestre, juillet-décembre 1871, Librairie Germer Baillère, Paris, 1871, p. 482 sq.

lundi 21 mai 2012

Les enfants sont mal élevés, selon le Dr Dally, 1869


Rien ne va plus, Mesdames, Messieurs ! Ah, les enfants, ma bonne dame, les enfants d'aujourd'hui... Ce genre de réflexions étaient vraisemblablement en cours en 1869, ainsi que la certitude de déjà tout savoir sur les enfants et la manière de les élever correctement.

(...)

Qu'on le sache bien, l'éducation morale commence, pour ainsi dire, avec la vie ; il n'y a sur ce point aucun doute, et les auteurs des travaux que nous avons examinés le reconnaissent unanimement. Les impressions si vives d'un enfant grandissent avec lui, et si, dès les premiers mois, vous n'avez pas dirigé vos enfants dans la voie de l'obéissance, du respect, de la régularité ; si vous avez cédé à tous leurs caprices, obéi à leurs cris, flatté leur gourmandise, vous avez encouragé leurs premiers pas dans la voie du mal.

Il y a là dans la société actuelle une plaie affligeante. Le nombre des enfants mal élevés, ou comme le dit si bien l'expression familière, des enfants gâtés, croît chaque jour ; ceux que l'on me permettra d'appeler nos anciens dans la vie en font souvent la remarque ; or, c'est dès la première enfance que se dessine, et chez les parents et chez les enfants, cette déplorable tendance. Rien n'est plus curieux à observer que l'étonnante disposition que montrent les plus petits enfants à connaître les faiblesses de ceux qui les entourent et à se rendre maîtres de la situation, en les exploitant; peu à peu ces tyrans instinctifs s'emparent de votre raison et finissent par vous gouverner par la pitié ou l'obsession qu'ils déterminent. On rejette sur leur jeune âge les fautes incessantes qu'ils commettent, et quand on veut réagir, il est trop tard, le mauvais pli est pris. « L'habitude où l'on est de se mal comporter en de petites choses qui reviennent souvent, dit Platon dans son traité de l'Éducation, fait qu'on en vient ensuite à violer les lois écrites. » (Lois, liv. VII.) Paroles mémorables dignes de servir de précepte à toute l'éducation morale.

Qui n'a présents à l'esprit de nombreux exemples de ces jeunes indisciplinés qui sont l'objet d'une admiration constante, dont on excuse toutes les fautes, et qui, bruyants, insolents, inhospitaliers, vaniteux, sont élevés dans des idées de supériorité de caste et de fortune, alors même que les préjugés de la naissance ou les réalités de la fortune n'ont aucune raison plausible !

En vérité, je ne sais à quoi attribuer le relâchement si fréquent des liens naturels de la famille et des devoirs réciproques de ses membres, mais je n'hésite pas à croire qu'il en résulte une augmentation notable de la perversité humaine et de la criminalité. Un enfant qui n'est pas élevé avec l'idée permanente qu'il n'a que des devoirs, emporte avec lui, dans le voyage de la vie, le germe d'une maladie morale.

La question qui maintenant se présente est de savoir si l'hygiène physique et morale de l'enfance est assez scientifique, assez positive pour lutter avantageusement contre l'ignorance, la superstition, les préjugés et surtout contre l'indifférence du public. Je n'hésite pas à répondre par l'affirmative. Tous les éléments sur lesquels repose l'art d'élever les enfants sont empruntés aux parties les plus rigoureuses des sciences biologiques. Nous savons comment un enfant naît, croit se développe ; nous connaissons exactement ses besoins et ses ressources ; nous évaluons, ligne par ligne, les phases de ses diverses évolutions ; nous savons ce qui l'attend, ce qui le menace, et de chaque chose ce qu'en peut espérer, ce qu'on doit craindre.

Référence.

Dr Dally, Observations sur le mémoire : L'éducation physique et morale de l'enfant, depuis la naissance jusqu'à l'achèvement de la première dentition, rapportées,  par fragment, dans : Louis-Auguste Martin, Annuaire philosophique, examen critique des travaux de physiologie, de métaphysique et de morale accomplis dans l'année, tome 6, Librairie Ernest Lachaud, Paris, 1869, p. 247-248.

dimanche 20 mai 2012

Les dangers du châtiment corporel excessif et nuisible, selon L. Cobb, 1847.



Le texte suivant présente les objections majeures, selon l'auteur, qui s'opposent au fait, pour un parent ou un maître, de punir un enfant corporellement. L'auteur évoque ici le bâton ou le martinet. Mais les objections seraient sans doute les mêmes concernant l'emploi encore actuel de la fessée par la main, qui présente les mêmes inconvénients et peut occasionner les mêmes douleurs...



Objections to the use of the rod. 
Objections à l'utilisation du bâton.


Objection I. — No parent or teacher knows, when he commences, how long or how severely he must punish a boy, before he will yield.

Objection I. – Aucun parent ou maître ne sait, lorsqu'il commence, combien de temps et avec quelle sévérité, il doit punir un garçon, avant que celui-ci ne cède.

Objection II.— When a boy does not readily yield to the flogging inflicted on him, the parent or teacher generally becomes angry.

Objection II. – Lorsqu'un garçon ne cède pas facilement à la correction qui lui est infligée, le parent ou le maître se met généralement en colère.

Objection III. — Because few, very few children ever do wrong for the sake of doing wrong, as such.

Objection III. – Parce que peu, très peu d'enfants font toujours le mal pour le plaisir de le faire en tant que tel.

Objection IV. — Because parents and teachers, when impatient or in anger very often punish their children or pupils for a trifling matter.

Objection IV. – Parce que les parents et les maîtres, lorsqu'ils sont impatients ou en colère,  punissent très souvent leurs enfants pour une bagatelle.

Objection V. — Because parents and teachers very often whip their children or pupils in anger or under excitement, when the anger or excitement has not been product by the crime or offence.

Objection V. – Parce que les parents ou les maîtres fustigent souvent leurs enfants ou leurs élèves sous l'effet de la colère ou de l'excitation, alors que la colère ou l'excitation n'a pas été provoquée par le crime ou le délit.

Objection VI. — Because parents and teachers who are in the constant habit of whipping their children or pupils, are very apt to be equally severe for unintentional as for intentional wrongs.

Objection VI. Parce que les parents et les maîtres qui ont l'habitude continuelle de fustiger leurs enfants ou leurs élèves, sont tout à fait capables de se montrer pareillement sévères pour les fautes non-intentionnelles comme pour les fautes intentionnelles.

Objection VII. — Because it very frequently, if not always, produces physical injury to the child on whom it is inflicted.

Objection VII. – Parce que cela cause très fréquemment, si ce n'est systématiquement, une lésion physique à l'enfant auquel il est infligé.

Objection VIII — Because there is so great a difference of opinion among parents and teachers about the proper age to commence or to leave off whipping.

Objection VIII. – Parce qu'il existe une si grande variété d'opinions, parmi les parents et les maîtres, lorsqu'il s'agit de déterminer l'âge approprié auquel commencer ou cesser la fustigation.

Objection IX. — It is one of the very greater causes of trouble in the domestic circle, particularly between the FATHER and MOTHER.

Objection IX. – Cela constitue l'une des plus grandes causes de problème au sein du cercle familial, particulièrement entre le PÈRE et la MÈRE.

Objection X. — Because all parents are opposed to having their children whipped by OTHERS, whatever their own practice may be.

Objection X. – Parce que tous les parents sont opposés au fait que leurs enfants soient fustigés par d'autres qu'eux, quelque puisse être leur propre façon de faire.

Objection XI. — It is an indirect system of giving a PREMIUM for LYING, particularly when the anticipated whipping has been preceded by THREATENING.

Objection XI. – Cela constitue un système indirect de PRIME au MENSONGE, particulièrement lorsque la fustigation anticipée a été précédée de MENACE.

Objection XII. — Because it is very often inflicted in consequence of the representations of others ; or, by the system of informers.

Objection XII. – Parce que cela est souvent infligé suite aux rapports d'autres personnes ; ou dans le cadre du système de dénonciation.

Objection XIII. — Because it is often practised by indiscreet teachers as AN EXAMPLE only.

Objection XIII. – Parce que cela est souvent utilisé, par des maîtres empressés, seulement pour l'exemple.

Objection XIV. — Because it DESTROYS OR PREVENTS the greater part of the enjoyment and pleasure which should exist between parents and children, and between teachers and pupils.

Objection XIV. – Parce que cela DÉTRUIT ou ENTRAVE, en grande partie, la gaieté et le plaisir qui devraient exister entre parents et enfants, ainsi qu'entre maîtres et élèves.

Objection XV. — Because both parents and teachers are apt, very often, to PUNISH HASTILY.

Objection XV. – Parce que les parents et les maîtres sont capables, très souvent, de PUNIR AVEC PRÉCIPITATION.

Objection XVI. — Because many indiscreet parents and teachers flog their children or pupils for "playing truant," or to compel them to go to school.

Objection XVI. – Parce que beaucoup de parents et de maîtres empressés administrent une correction à leurs enfants ou élèves pour avoir fait l'« école buissonnière », ou pour les contraindre à fréquenter l'école.

Objection XVII. — Because often, very often, it becomes the will of the parent or teacher — the matter of might or brute force merely.

Objection XVII. – Parce que, souvent, très souvent même, cela se résume à la volonté du parent ou du maître – c'est-à-dire à une simple question de puissance ou de force brutale.

Objection XVIII. — Because, nine times in ten, the least guilty are detected and punished for the violation of school regulations or other improper or mischievous conducts.

Objection XVIII. – Parce que, neuf fois sur dix, ce sont les enfants les moins coupables qui se font prendre et punir pour la violation de règles scolaires ou d'autres comportements inappropriés ou polissons.

Objection XIX. — Because parents and teachers often whip their children or pupils for deficiencies in their lessons.

Objection XIX. – Parce que les parents et les maîtres fustigent souvent leurs enfants ou leurs  élèves en raison d'insuffisances en matière de leçons.

Objection XX. — Because often, verv often, parents and teachers very indiscreetly and unjustly too, whip their children or pupils after they really regret having done the wrong act, are heartily sorry, and sincerely repent.

Objection XX. – Parce que, souvent, très souvent même, les parents et les maîtres fustigent, de façon très empressée et aussi, très injuste, leurs enfants ou élèves après qu'ils ont vraiment regretté avoir mal fait, qu'ils sont chaudement désolés et sincèrement repentants.

Objection XXI. — Because when children or pupils leave their home or school, they are to be REASONED with : not whipped or BEATEN.

Objection XXI. – Parce que, lorsque les enfants ou les élèves quittent leur maison ou leur école, ils doivent ÊTRE PERSUADÉS PAR LA RAISON, et non pas FUSTIGÉS ou BATTUS.

Objection XXII. — Because many teachers, who practise flogging, have the rods or ferulas on their desks, or carry them in their hands, by which they are led to inflict blows when they would not, if the rod or ferula were not on their desks or in their hands.

Objection XXII. – Parce que de nombreux maîtres, qui pratiquent la correction, ont sur leurs bureaux les baguettes ou les férules, ou les portent à la main, ce qui les conduit à infliger des coups, alors qu'ils ne le feraient pas, si cela n'était pas le cas. 

Objection XXIII. — Because it almost always produces revengeful feelings on the part of the child or pupil towards the parent or teacher. 

Objection XXIII. – Parce qu'il suscite presque toujours des désirs de vengeance du côté de l'enfant ou de l'élève à l'égard du parent ou du maître.

Objection XXIV. — Because the system of incessant flogging debases and hardens the mind and feelings of those parents and teachers who practise it, and causes them to become intolerant, dogmatical, and irritable, particularly the teacher ; who, usually, by the constant use of the whip or ferula, is levelled to the scale of mere tyrannical PEDAGOGUE, instead of being elevated to that of a noble dignified, and intelligent teacher. 
Objection XXIV. – Parce que le système de la fustigation incessante avilit et endurcit l'esprit et la sensibilité des parents et des maîtres qui l'utilisent, et les amène à devenir intolérants, dogmatiques, et irritables, et tout particulièrement le maître ; lui qui, normalement, par l'usage habituel du fouet ou de la férule, est mis au rang du simple pédagogue tyrannique, au lieu de s’élever à celui du maître noble, digne et intelligent.

Objection XXV. Because, in the hands of ill-disposed or evil-minded teacher, it is, and ever will be, the method by which they exhibit their spleen, malice or partiality, or wreak their vengeance on those pupils who may have, in some unguarded moment or from a sense of duty, spoken their opinion of their bad management in teaching or governing their school, or of their inability to teach some subjects in which they profess to instruct their pupils.

Objection XXV. – Parce que, dans les mains d'un maître mal-disposé ou mal-intentionné, c'est, et ce sera toujours, la méthode par laquelle ils manifestent leur mauvaise humeur, leur méchanceté ou leur partialité, ou assouvissent leur vengeance sur des élèves qui ont pu, en l'absence de surveillance ou par sens du devoir, exprimer leur opinion concernant leur  façon mauvaise d'enseigner ou de diriger l'école, ou leur incapacité d'enseigner certains sujets dans lesquels ils prétendent instruire leurs élèves.

Objection XXVI. – Because it is a well known, and generally believed fact, that, in those schools in which there is the greatest amount of whipping and other corporal punishhment
there is usually the very worst government and the very poorest order.

Objection XXVI. – Parce qu'il est bien connu, et généralement considéré comme un fait, que dans les écoles, en lesquelles est distribué le plus grand nombre de fustigations et autres châtiments corporels, il existe généralement la pire des directions et l'ordre le plus fragile.

(...) 

Objection XXVIII. – Because, nine times in ten, the practice of flogging has a degrading and debasing influence on those children or pupils who are flogged ; particularly, if it be done in the presence of fhe family or school.

Objection XXVIII. – Parce que, neuf fois sur dix, l'utilisation de la correction a une influence dégradante et avilissante sur les élèves qui sont ainsi corrigés ; particulièrement si cela est fait en présence de la famille ou de l'école toute entière.

Objection XXIX. – Because there is a greater amount of fighting and quarrelling, and less harmony in those families and schools in which flogging is thoroughly and constanly practised, than in those in which it is only occasionably or never practised ; or, where all are constrained to do what they should, by the influence of love, coupled with a conscientious sense of duty.

Objection XXIX. – Parce qu'il se trouve beaucoup plus de disputes et de querelles, et moins d'harmonie dans les familles et les écoles en lesquelles la correction est minutieusement et habituellement utilisée, que dans celles en lesquelles elle est utilisée seulement à l'occasion ou pas du tout ; ou bien dans lesquelles, où tous sont contraints de faire ce qu'ils doivent, sous l'influence de l'amour couplé à un sens conscientieux du devoir.

Objection XXX. – Because the practice of constant and daily whipping children or pupils, has an almost certain tendency to HARDEN the minds and feelings of those who are thus FLOGGED ; particularly, if it be done in the presence of the family or school. NO CHILD OR PUPIL SHOULD EVER, under any circumstances, BE PUNISHED in THE PRESENCE OF THE FAMILY or SCHOOL !

Objection XXX. – Parce que le fait habituel et quotidien de corriger les enfants ou les élèves suscite une tendance presque certaine à l'ENDURCISSEMENT de l'esprit et de la sensibilité de ceux qui sont ainsi CORRIGÉS ; particulièrement si cela est fait en présence de la famille ou de l'école tout entière. AUCUN ENFANT OU ÉLÈVE NE DOIT, en aucune circonstance, ÊTRE PUNI en PRÉSENCE DE LA FAMILLE OU DE L'ÉCOLE toute entière !

Référence. 

Lyman COBB (1800-1864), The Evil Tendencies of Corporal Punishment as a Mean of Moral Discipline in Families and Schools, Examined and Discussed, Mark H. Newman and Co., New York, 1847, p. 13, 54, 58, 64, 65, 68, 74 et 75.

Remarque.

1) Il est possible de traduire rod par « baguette », « bâton » ou « verge ».

2) « Correction » et « administrer une correction » traduisent ici flogging et flog; « Fustigation » et « fustiger » traduisent, quant à eux, whipping et whip.

3) « Fustiger » est employé ici au sens premier et vieilli de « frapper à coups de bâton, de verges, de fouet », et « corriger » au sens de « infliger un châtiment physique », selon l'édition du Dictionnaire de l'Académie Française de 1986.