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jeudi 14 juillet 2011

Le syndrome d'abandon, selon Germaine Guex (5).

 
Agressivité réactionnelle dans l'angoisse d'abandon.

Nous rencontrons dans l'analyse des états ou des manifestations soudaines d'agressivité qui paraissent ne pas faire corps avec la nature même du malade et qui souvent même tranchent carrément avec l'ensemble du tableau caractérologique que nous pouvons nous faire de lui par ailleurs. C'est ce que nous sommes convenus de considérer comme des manifestations secondaires, chronologiquement, par rapport à des événements ou des états traumatisants à l'égard desquels le patient a réagi dans le sens de l'opposition et de la haine. Cette agressivité réactionnelle, qu'il est parfois difficile au premier abord de distinguer d'une agressivité d'origine constitutionnelle, — nous savons du reste que cette distinction n'a rien d'absolu, — prend tout son caractère de symptôme névrotique à l'épreuve du traitement.

On sait combien sont divers et nombreux les facteurs externes et internes pouvant donner lieu à des réactions d'agressivité. Je voudrais apporter ici quelques observations, cliniques se rapportant à l'un de ces facteurs dont l'importance me paraît devoir être soulignée: je veux parler de l'insécurité affective ayant son point de départ dans une frustration d'amour durant l'enfance, et de l'angoisse d'abandon qu'elle engendre (Fear of loss of love).

La fréquence et l'intensité de cette forme d'angoisse chez les malades qui recourent à l'analyse m'a particulièrement frappée durant ces dernières années. Cette constatation a été le point de départ d'une étude clinique du syndrome et de la structure psychique, à mon avis particulière, que présentent les angoissés de l'abandon que pour plus de commodité et faute d'un meilleur terme, j'appellerai les abandonniques (2). Il m'est impossible de résumer ici cette étude ; je voudrais simplement situer très sommairement les manifestations agressives de l'abandonnique par rapport à l'ensemble de sa symptomatologie.

L'angoissé de l'abandon est un névrosé de type primitif demeuré fixé au stade de dépendance à l'égard de la mère qui caractérise les premières années de l'enfance. Chez lui toute la force instinctuelle et affective semble drainée dans un seul sens, être dirigée par une seule nécessité : s'assurer l'amour et par là maintenir la sécurité.

De là, la primauté de l'image maternelle ou de l'image paternelle « maternisée », si l'on peut dire, chez les individus des deux sexes. L'évolution affective liée au développement normal de l'instinct sexuel, tel que Freud l'a décrite, ne peut se produire : pas d’œdipe ou tendance œdipienne sporadique et mal caractérisée, toujours prête à s' « infantiliser ». Partant, pas de surmoi au sens freudien. Par contre, on constate chez un grand nombre de ces malades des systèmes d'interdictions extrêmement rigides et sévères, toujours liés à l'être ou aux êtres ayant joué un rôle maléfique (j'emploie à dessein ce terme qui suscite d'emblée l'idée de magie) dans la petite enfance du patient. Pour le petit enfant l'abandon est le maléfice par excellence, c'est donc à l'objet frustrant que sont liés ces systèmes d'interdictions. Ne pouvant introjecter son amour, l'enfant introjecte sa sévérité et ses exigences.

Chez l'abandonnique c'est le moi et non le surmoi qui s'oppose à l’œdipe, un moi faible et primitif pour qui la relation œdipienne est inconcevable, car elle constitue déjà une menace quant à la sécurité. Qui dit relation, au sens affectif et sexuel, dit distinction de deux êtres, comme l'a montré Freud : le sujet et l'objet. Deux êtres qui se cherchent, s'affrontent, ou dont l'un cherche à conquérir l'autre. Tout cela implique trop de risques pour le névrosé de l'abandon. C'est pourquoi le problème de l’œdipe ne se pose pas ou se pose à peine. L'abandonnique aspire au sentiment de fusion à un autre être (mère) et non au sentiment de relation qu'il ne conçoit même pas. Et c'est la preuve d'une évolution considérable, d'une transformation profonde de lui-même, d'autrui, et de sa capacité d'aimer, quand, vers la fin de son analyse et souvent peu avant la recherche d'un objet actuel, on le voit faire une franche poussée œdipienne. On peut dire­goisse de l'abandon m'apparaît toujours davantage comme méritant d'être isolé et comme caractérisant une forme de névrose d'angoisse bien définie, dont la symptomatologie ne peut être rattachée adéquatement à aucune des névroses classiques. Cela avant tout parce qu'elle relève d'un stade antérieur du développement de l'individu.

La névrose d'abandon se manifeste par des réactions affectives variées qui marquent le caractère et le comportement du sujet dès son jeune âge, mais qui s'affirment avec une violence particulière toutes les fois qu'une circonstance de la vie réactive le sentiment de frustration et d'abandon. Si elles diffèrent d'individu à individu, ces manifestations ont cependant toujours en commun deux caractères : l'angoisse et l'agressivité, et se rattachent toutes à un état psychologique initial caractérisé par l'absence d'un juste sentiment du moi et de sa valeur propre.

C'est sur ce trépied de l'angoisse qu'éveille tout abandon, de l'agressivité qu'il fait naître, et de la non-valorisation de soi-même qui en découle, que s'édifie toute la symptomatologie de cette névrose.

Seules nous intéressent ici les manifestations agressives. On n'oubliera pas cependant que chez l'abandonnique l'agressivité est nourrie par l'angoisse, qu'à son tour elle contribue à amplifier. Les deux facteurs sont étroitement liés.

Le facteur agressif est présent dans la plupart des actes, des pensées, des sentiments de l'abandonnique, à moins toutefois que celui-ci n'ait été pleinement rassuré par un être qui l'aime. Encore n'est-ce alors le plus souvent qu'une trêve à l'angoisse, donc aux manifestations agressives ; l'avidité de l'abandonnique est si totale et ses craintes de perdre l'objet si intenses, que tout est prétexte à revendications, que tout devient menace de frustration, de perte. Aussi ne quitte-t-il les positions d'attaque que pour prendre celle de la défense. Jamais il ne désarme complètement. Le danger serait trop grand.

La manière la plus directe de manifester son agressivité et d'assouvir ses rancunes consiste à venger le passé. Faire subir à d'autres ce dont il a souffert lui-même, menacer, frustrer, abandonner à son tour est l'expression de son besoin de revanche. Mais l'abandonnique fait payer à autrui ses souffrances passées de mille façons plus subtiles :

1° par les exigences sans limites de son besoin d'amour. L'abandonnique, par définition, ne peut aimer de façon oblative, il tyrannise, exige, revendique sans cesse, le compte ouvert de son enfance ne se bouclant jamais. Frustré et n'ayant jamais pu accepter cette frustration, il a droit à toutes les réparations.

Extrait du journal d'une jeune analysée au début de son traitement : « Je n'ai jamais pardonné à ma mère. À moi l'avenir, l'amour et le plaisir pour qu'ils comblent les vides ; et vous tous qui m'aimez, aimez-moi beaucoup, encore, encore, vous ne m'aimerez jamais assez pour guérir le mal de mon enfance. »

Les exigences de l'abandonnique en matière de sentiments relèvent directement de sa mentalité particulière, c'est-à-dire du stade de développement intellectuel, moral et affectif de la période à laquelle se sont produits les traumatismes de frustration qui ont arrêté son évolution affective. Les remarquables travaux de Piaget sur la pensée du petit enfant et sur sa pseudo-moralité ont jeté une vive lumière sur les lois particulières qui régissent l'esprit enfantin. Comme l'enfant, l'abandonnique fait fréquemment appel à la pensée magique, il méconnaît l'intention pour s'en tenir à l'apparence des faits, il ne peut intérioriser une relation affective et par là sa sécurité demeure tout extérieure, donc constamment menacée

De plus l'abandonnique, comme l'enfant, se meut dans l'absolu et lui rapporte toutes choses.
Cette mentalité prélogique donne aux exigences de l'abandonnique un caractère particulièrement violent et redoutable. Si l'abandonnique, consciemment et rationnellement, ne croit pas à la lecture de pensée, il agit cependant comme si c'était là pour lui un fait évident. La plus grande preuve d'amour qu'il réclame de l'objet est non seulement d'être compris, mais d'être deviné. Il ne s'extériorise pas, n'exprime clairement ni ses désirs ni ses peines, dans l'espoir secret que l'être aimé prouvera son intérêt et son. attachement par la toute-science de ses besoins. S'il y manque, c'est alors le reproche virulent de ce qu'il ait prouvé par là son manque d'amour.

C'est là ce que j'appelle familièrement dans mes analyses le mécanisme de « la mise à l'épreuve pour faire la preuve ». Cette mise à l'épreuve consiste à dire le faux pour être contredit, à faire montre de fausse-indifférence, à opter pour de faux choix, à opposer de faux refus, etc., pour s'assurer du don divinatoire de l'objet et par là de son intérêt et de sa compréhension.

Mlle J., 20 ans, s'est trouvée lésée affectivement et profondément dévalorisée par une attitude inhibée et froide de la part de sa mère, et surtout par l'existence d'une sœur aînée au caractère particulièrement facile et bien douée intellectuellement. Mlle J. doute de tout ce qui lui est témoigné et oscille constamment de la dépression à la révolte. Sa vie est entièrement dominée par le mécanisme de la mise à l'épreuve des sentiments qu'elle suscite chez autrui. Son chef de bureau, la voyant fatiguée, lui offre un congé : elle refuse peu aimablement, espérant, dit-elle, qu'il insistera. Elle fait la connaissance d'un jeune homme. Sympathie réciproque. Le jeune homme désire l'emmener au cinéma. Elle l'envoie promener pour le même motif. Pas plus que le chef de bureau, le jeune homme ne saisit le sens caché de ce désagréable refus, il abandonne le projet, d'où vive déception chez la jeune fille. Cependant il revient à la charge et l'invite cette fois-ci à danser. Même attitude chez Mlle J., mêmes conséquences. Apprenant quelques semaines plus tard qu'il est allé au bal avec une de ses camarades, elle entre dans une violente colère et imagine une ultime mise à l'épreuve. Elle va trouver le directeur des cours du soir où elle a l'occasion de rencontrer le jeune homme et lui demande à être changée de classe. Durant tous les jours qui suivent elle attend avec une émotion intense. Car ce qu'elle escompte, c'est que cette fois-ci le jeune homme s'étonnera, s’inquiétera, s'excusera de ses incompréhensions et lui fera un grand aveu d'amour contrit. Dix fois, vingt fois, elle se représente la scène, mais rien ne se passe, évidemment. La vie entière de Mlle J. est une longue suite d'échecs analogues dus aux mêmes motifs.

Si de telles exigences sont fondées sur la pensée magique elles n'en sont pas moins subtilement agressives. La prélogique de tels malades leur permet d'exercer une tyrannie sans mesure.

D'autres mises à l'épreuve contiennent et révèlent une agressivité plus directe. Je pense ici aux attitudes de durcissement, de raidissement, à l'indifférence feinte, aux mots et aux gestes blessants que l'abandonnique oppose fréquemment aux efforts de l'objet pour le conquérir ou le rendre heureux.

Notons que les névrosés de l'abandon du type le plus agressif et fortement dévalorisés sont des analysés extrêmement pénibles du fait de ce mécanisme. Les premiers temps de l'analyse ne sont guère qu'une mise à l'épreuve en règle de l'analyste. Si ce dernier se laisse prendre au piège et considère menaces, ruptures, mots agressifs, lettres désagréables comme des manifestations d'agressivité pure et non comme l'expression d'un intense besoin de compréhension et de sécurité, ou si plus simplement il perd patience, l'analyse est perdue elle aussi. S'il réussit le test elle est en bonne voie ; un transfert fortement positif fondé sur une expérience vécue toute nouvelle permettra un travail fécond. Le malade aura réalisé son rêve : il aura trouvé son magicien ! Il restera à l'analyste de lui en faire perdre le goût !

L'abandonnique, avons-nous dit, se meut dans l'absolu. Ses exigences totales lui semblent absolument légitimes. Il attend des êtres qui l'aiment la ponctualité, l'exactitude, la régularité, bref qu'il ne lui soit jamais fait faux-bond d'aucune manière ; les empêchements, les difficultés physiques ou psychiques auxquelles peuvent se heurter la bonne volonté et le désir de l'objet, tout cela n'existe pas pour lui. Le sens du réel, du possible et des contingences lui fait entièrement défaut, d'où ses revendications incessantes et démesurées.

Pas plus qu'il n'admet les contingences du réel, l'abandonnique ne peut supporter toute autre forme de relatif. Son mal d'amour participe de l'infini et donc seuls des remèdes absolus peuvent l'en guérir. Du moins est-ce ainsi qu'il ressent les choses et qu'il les exprime. Pas de limites, pas de mesures, pas de restriction. L'abandonnique aspire à tout partager avec l'être qu'il aime, à tout savoir, à tout connaître de lui (ce qui lui constitue en même temps une mesure de sécurité contre les infidélités possibles), à tout faire avec lui. De même veut-il être aimé totalement, absolument et pour toujours. L'attachement abandonnique est exclusif, il n'admet ni l'absence, ni le partage. C'est le tout ou rien qui fait loi.

On mesure aisément la part du facteur agressivité dans de telles exigences. Tyranniques en elles-mêmes, leur satisfaction implique de constantes revendications, leur insatisfaction donne lieu à des scènes renouvelées, toujours cruelles, parfois sadiques. La crise de revendication liée à l'angoisse d'abandon est une des formes les plus fréquente de querelle conjugale.

2° L'abandonnique extériorise encore son agressivité de façon négative par sa passivité envers les êtres qui l'aiment et la force d'inertie qu'il leur oppose.

M. T., homme intelligent et actif dans sa profession, est, par ailleurs un grand névrosé par angoisse d'abandon, incapable de se tirer d'affaire dans sa vie privée. Comme un enfant il doit être accompagné par sa femme-mère pour tout achat vestimentaire. D'interminables discussions précèdent le choix. Elles s'enveniment facilement, M. T. projetant sur sa femme sa propre opinion de lui-même, persuadé qu'elle le considère « comme un rien du tout », et que, comme sa propre mère, elle ne veut tenir aucun compte de ses goûts ni de ses besoins.

Quand M. V. part en voyage, tout son plaisir s'évanouit s'il est obligé de s'occuper lui-même des préparatifs. Malgré lui, et bien qu'il se critique sur ce point, il ressent alors un profond sentiment d'injustice. Aussi attend-il de sa femme qu'elle prévoie tout, organise tout ; alors seulement, son billet et son passeport dans sa poche, calé dans le compartiment où on l'a installé et bien pourvu de provisions de voyage, il, peut affronter l'épreuve de l'éloignement.

L'abandonnique a souvent un fort sentiment de son incapacité à être actif, ce qui de fait va de pair avec un manque objectif d'expérience. Mais ces lacunes, souvent réelles, sont exploitées par l'abandonnique dans le sens de sa névrose, d'une part pour prolonger la jouissance d'un état infantile d'irresponsabilité, d'autre part pour avoir barre sur autrui en l'asservissant à ses besoins, déplacement sur les objets actuels des fautes commises par les parents. L'incapacité à se tirer d'affaire et sa peur des responsabilités sont très souvent considérées par le malade lui-même comme une des conséquences directes du fait qu'il a été insuffisamment aimé. Dans bien des cas il éprouve une évidente satisfaction de ce que la faute parentale soit ainsi prouvée de façon manifeste. Si les parents vivent encore il en tire vengeance, de façon directe en étant à leur charge, de façon indirecte en leur faisant honte. Si les parents ne peuvent être mis en cause, c'est l'objet actuel qui les remplace.

3° On ne peut considérer le problème de l'agressivité chez le névrosé dé l'abandon sans faire une part importante à la composante agressive qui entre dans ses interprétations, fantaisies et comportements masochiques.

Il peut paraître paradoxal de considérer des manifestations masochiques connues agressives en elle-mêmes, et non pas seulement, suivant la conception freudienne, comme un retournement d'un sadisme refoulé. Nous y sommes amenés par le fait que la névrose d'abandon nous met en face de manifestations masochiques d'un caractère particulier que l'on ne peut faire rentrer dans le cadre des descriptions classiques. Comme le Dr Odier l'a montré dans son dernier ouvrage L'angoisse et la pensée magique, on est fondé à distinguer deux sortes de masochismes : le masochisme moral tel que Freud l'a décrit, à base de culpabilité, et le masochisme affectif des abandonniques, à base d'agressivité contre autrui et contre soi-même et de dévalorisation. Ce dernier est primaire, partiellement donné dans la constitution même de l'individu et renforcé par l'abandon. Ses mécanismes élaborés par le moi sont conscients ou préconscients et semblent jouer à deux fins : d'une part renforcer et justifier le sentiment de non-valeur de soi-même, d'autre part, et c'est sur cet aspect qu'il faut insister ici, alimenter la rancune initiale et l'empêcher de s'étendre.

Signalons seulement ici le rôle de premier plan que jouent les manifestations masochiques parmi les symptômes de la névrose d'abandon, tant par, leur fréquence et leur intensité que par la somme d'énergie psychique qu'elles utilisent. Sous la forme d'interprétations, de fantasmes, de rêves, comme aussi de troubles du comportement, le masochisme affectif est une des caractéristiques les plus frappante de cette névrose.

La structure du masochisme affectif est complexe et difficile à saisir. Un lien étroit l'apparente au mécanisme de la mise à l'épreuve et comme lui il s'appuie sur la pensée magique. Mais ce qui me fait insister ici sur ce symptôme, c'est sa composante agressive. En s'en prenant à soi-même, en niant sa propre valeur, en s'abaissant, en s'avilissant, en se détruisant psychiquement, le sujet sait bien qu'il atteint l'objet, et à travers lui, parfois aussi directement, la mère ou le père coupable du manque d'amour.

On peut observer dans la névrose d'abandon trois groupes de manifestations masochiques, dont les composantes psychiques diffèrent et dans lesquelles le facteur dévalorisation et le facteur agressivité sont inversement proportionnels et d'intensité variable.

1° Les manifestations masochiques liées au besoin de mettre à l'épreuve pour faire la preuve.

Ici le sujet fait naturellement les frais du test qu'il fait passer à autrui. Ses fausses attitudes, ses faux choix, ses faux refus... etc., le privent sans cesse de ce qu'il souhaite, de ce vers quoi il aspire. Ils accentuent sa situation d'infériorité, son état de dépendance, et, comme nous l'avons vu, aboutissent invariablement à l'échec. Le masochisme est ici pour une part le résultat d'une technique mauvaise. C'est un « raté », avec ce que cela comporte de désir conscient de réussite et de besoin inconscient d'échec. En fait le sujet aspire encore fortement au bonheur. Grâce à ses croyances magiques il est généralement inconscient des souffrances qu'il inflige autour de lui.

2° Les manifestations masochiques explosives.

J'entends par là les scènes de désespoir, les crises de dévalorisation dirigées contre l'objet, les accès d'angoisse plus ou moins spectaculaires. Dans toutes ces explosions affectives se mêle au sentiment de dévalorisation et d'impuissance une très violente agressivité. Bien qu'il n'y paraisse pas toujours, c'est en fait le facteur agressif qui domine. Plus qu'à se faire consoler et rassurer, le sujet vise à blesser l'objet, à le désemparer, à prendre barre sur lui par la culpabilité qu'il lui infuse, disons mieux qu'il lui assène. Car le propre de ces crises est de mettre en évidence l'irresponsabilité du sujet-victime et la totale responsabilité de l'objet-bourreau.

3° Les manifestations masochiques secrètes.

Il s'agit ici des abondants fantasmes et rêveries masochiques de caractère affectif, non sexuel, qui accompagnent toute névrose d'abandon. Ce sont en général les symptômes d'une tendance auto-destructrice profonde liée au sentiment de non-valeur. Mais le facteur agressif n'y est pas étranger non plus. Dans les histoires que l'abandonnique se raconte, dans ses déformations et interprétations de la réalité, s'expriment sans réserves non seulement sa défiance envers lui-même, mais sa méfiance envers autrui, envers l'objet en tout premier lieu. Dans les fantasmes l'objet devient capable de tout, c'est-à-dire du pire : tromperies, infidélités, abandon. À entendre ces récits on se demande à juste titre quelle part de sentiments positifs peut encore animer le sujet. En fait son insécurité intérieure l'oblige le plus souvent à nourrir sa méfiance afin d'éviter un don de lui-même qui, pense-t-il, serait nécessairement suivi d'un abandon. Ne pas s'attacher pour ne pas perdre, ne pas aimer pour ne pas être trahi. C'est l'idée du risque à éviter, de ce risque d'abandon et de solitude qui le hante et contre lequel il doit à tout prix se prémunir, qui pour une part pousse l'abandonnique aux fantasmes. Ceux-ci sont un raccourci de ses désespoirs et de ses rancunes.

Ce n'est pas seulement dans les fantasmes qu'apparaissent les mesures de protection à l'égard de l'abandon. Tout au long de l'analyse on observe des réactions de défense qui peuvent atteindre une rare violence. C'est que l'analyste cristallise généralement dès les premiers entretiens toute l'attente anxieuse et avide de l'abandonnique, avec tout ce qu'elle comporte d'espoir mais aussi avec les tendances interprétatives à sens unique alimentant l'agressivité, et le masochisme affectif qui l'accompagne nécessairement.

Mlle I., 23 ans, fait un bon début d'analyse et amorce un transfert nettement positif. Il s'agit d'une jeune fille présentant les symptômes classiques d'une névrose d'abandon et dont l'enfance, vécue sous la menace d'une grand’mère sadiste, justifie pleinement la profonde insécurité affective. Après cinq semaines de traitement, un accident de ski interrompt les séances. Au premier abord, Mlle I. en manifeste un vif regret, puis devient chaque jour plus sombre, plus agressive envers son entourage, mais surtout, en paroles, à mon égard. Plus le temps passe, plus Mlle I., toujours immobilisée, déblatère contre analyse et analyste, jusqu'à devenir carrément menaçante, assurant vouloir me faire un mauvais coup dès sa guérison. L'entourage s'émeut et me prévient. Connaissant le cas, je présume une très violente crise d'angoisse d'abandon. Effectivement, il suffit d'une demi-heure de séance assise pour que la malade, arrivée tendue et violemment agressive, s'effondre dans une crise de sanglots, suppliant que je ne l'abandonne pas.

Ne s'octroie pas qui veut de pareilles réactions d'agressivité ! Il est bien évident que chez cette malade l'élément constitutionnel jouait un rôle important, se manifestant par des interprétations frisant la rigidité paranoïaque et par une agressivité primaire avoisinant le sadisme de la grand’mère. Cependant la suite du traitement et ses résultats positifs ont prouvé que la névrose empirait fortement l'action du facteur constitutionnel. Il s'est avéré que la malade se protégeait fréquemment contre une forte angoisse d'abandon par des réactions désespérées de défense comme celle que l'interruption accidentelle du traitement me permit d'observer.

J'ai prononcé le mot de paranoïa. Je voudrais en terminant indiquer le danger de confusion possible, en particulier lorsqu'il s'agit d'adolescents, entre les interprétations abandonniques et les interprétations paranoïaques. L'abandonnique de 14 à 20-22 ans présente parfois des manifestations d'avidité anxieuse et agressive tellement paroxystiques qu'on peut hésiter devant le diagnostic à poser. Plus souvent qu'il ne semble au premier abord il s'agit seulement de névrose, chez des êtres en pleine instabilité et dont la libido explose sans retenue. Dans ce cas le traitement met assez rapidement en évidence une mobilité et une souplesse des interprétations qui exclut l'hypothèse d'une psychose.

Notes.

(1) Communication faite à la XIe conférence des psychanalystes de langue française, tenue à Bruxelles, à la Pentecôte 1948.
(2) Nous ne laissons passer qu'à contre-coeur ce déplorable néologisme, qui dépare le beau travail de Mlle GUEX. Les névrosés ainsi désignés n'ont pas toujours été des abandonnés, il s'en faut de beaucoup ; mais les choses se passent comme si. Pourquoi ne pas les appeler tout simplement des « abandonnés » — entre guillemets (n.d.l.r.) ?
 
Source.

Germaine Guex, « Agressivité réactionnelle dans l’angoisse d’abandon », Revue française de psychanalyse, tome 12, n° 2, avril-juin 1948, p. 251-261.

Le syndrome d'abandon, selon Germaine Guex (6).


 (...)

Ce sont ces phénomènes d'ordre affectif, obstacles puissants à l’œdipe, que je voudrais maintenant serrer de plus près à l'aide de mes observations cliniques sur la névrose d'angoisse de l'abandon.

Je ne peux entrer ici dans un exposé détaillé de la névrose d'angoisse de l'abandon dont j'ai tenté par ailleurs un essai d'étude clinique (1). S'il m'a paru opportun de réunir en une entité nosographique particulière le syndrome qui accompagne le sentiment profond d'insécurité affective et l'angoisse de l'abandon, c'est en raison de la structure psychique particulière que présentent, selon mes observations, tous les malades atteints de cette forme de névrose. Nous nous trouvons ici en face d'individus demeurés à un stade primitif toute la force instinctuelle et affective semble drainée dans un seul sens, dominée par une seule nécessité : s'assurer l'amour et, par là, maintenir la sécurité. De là, la primauté de l'image maternelle ou de l'image paternelle « maternisée », si l'on peut dire, chez les individus des deux sexes. L'évolution affective, liée au développement normal de l'instinct sexuel, telle que Freud l'a décrite, ne peut se produire. En conséquence, et c'est en cela que cette névrose nous intéresse ici, le malade ne présente pas d’œdipe caractérisé, tout au plus une tendance œdipienne sporadique et de faible intensité, toujours prête à régresser vers une forme d'aimance plus primitive.

Chez le névrosé de l'abandon, que j'ai appelé pour plus de commodité et faute d'un meilleur terme l'abandonnique, lorsque l'on a affaire au type le plus évolué de ces malades, c'est-à-dire à ceux chez qui a eu lieu un attachement œdipien rudimentaire, on constate qu’œdipe et abandon jouent simultanément leur rôle dans la structuration de la névrose. Et l'analyste a la surprise de constater que, soit dans l'histoire du malade, soit dans l'analyse elle-même la névrose se déroule et se manifeste suivant deux séries causales distinctes, le sujet passant de l'une à l'autre suivant ses phases intérieures. Dans les périodes où le sujet manque totalement de sécurité, l'élément abandonnique domine, si son moi se stabilise et s'affermit, le matériel œdipien réapparaît. Souvent, les deux facteurs s'intriquent, donnant lieu à des comportements, des rêves, des fantasmes fort complexes et dont le sens ne peut être défini sans une connaissance approfondie du sujet et de ce qu'il vit dans l'actuel.

Le fait même que le sujet présente une névrose d'abandon peut faire douter de son œdipe. En effet, toute la mentalité abandonnique s'oppose à l’œdipe, et cette mentalité ne date pas, bien entendu, du traumatisme de l'abandon. L'abandon ne devient traumatique que s'il rencontre un terrain particulier, nettement intolérant à l'égard de la frustration affective et prédisposé à l'angoisse. Or il semble que, par l’œdipe, l'enfant s'essaie à se différencier du parent de sexe contraire, commençant ainsi à affirmer ses propres caractères féminins ou masculins, mais tout en craignant constamment dans son for intérieur que cette différenciation ne lui fasse perdre l'objet et l'isole. C'est dire que lorsqu'un enfant enclin à tomber dans la névrose, si les circonstances de sa vie familiale le frustrent d'amour et de sécurité, fait une poussée œdipienne, cette poussée n'a jamais ni la netteté ni l'ampleur qu'elle revêt chez un individu normalement évolué au point de vue affectif. L'élément amoureux affectif domine toujours l'élément amoureux sexuel, ce dernier n'étant souvent même pas manifeste.
Les analystes d'enfant peuvent observer parfois directement ce conflit puissant entre, d'une part, l'élan amoureux de la fillette pour son père ou du petit garçon pour sa mère qui pousse l'un et l'autre à développer une attitude affective et un comportement nouveau impliqué par la différenciation qui s'opère et, d'autre part le besoin de sécurité primaire qui les rejette vers l'identification. Ils passent ainsi d'une ébauche de relation affective entre deux sujets distincts, telle que plus tard l'adulte la vivra, à l'attitude primaire et instinctive de fusion avec l'objet aimé. Il est instructif d'observer ces oscillations et l'angoisse qui précède la régression.

En voici un exemple. Un de mes analysés, dont la petite fille de cinq ans, privée de sécurité par la névrose de ses parents, fait une poussée œdipienne, me rapporte le fait suivant : Il est accueilli, au retour de son bureau, par la petite, costumée, parée et qui lui fait la cour. Le père entre dans le jeu, la félicite, l'embrasse, lui disant entre autres qu'elle est une très jolie petite dame et il lui fait gaiement la révérence. Mais la petite se rembrunit, sa frimousse devient inquiète et, arrachant ses atours, elle se précipite dans les bras de son père où elle se niche en répétant : « Je suis ton petit bébé, je suis ton petit bébé».

Beaucoup de souvenirs d'adultes abandonniques du type mixte (abandon et œdipe fruste) témoignent de ces revirements, accompagnés souvent d'angoisse, d'une attitude à l'autre. Je ne pense pas pour ma part, étant donné le contexte de ces faits (insécurité et désir régressif prouvés, peur de toute autonomie confondue avec la solitude, affectivité dominée par la recherche de l'unité et de la fusion) que ces revirements puissent être imputes à une culpabilité inconsciente provenant de l’œdipe naissant. Tout me porte à penser qu'il s'agit bien plutôt d'un refus du moi de s'aventurer plus avant dans la voie des différenciations, des prises de conscience personnelles, d'une ébauche d'autonomie, tous ces processus évolutifs éveillant le spectre de l'isolement et de la perte de l'amour.

C'est pourquoi l'on peut poser, me semble-t-il, que dans de tels cas, ce n'est pas le surmoi, à peine ébauché et dont la formation est rendue moins nécessaire du fait du caractère peu sexuel de l’œdipe, mais le moi lui-même qui s'oppose à l’œdipe.


Le fait de porter son attachement sur un objet différent de soi-même et parce que tel, implique que l'enfant accepte de sortir de l'indifférenciation première. Or cette indifférenciation est pour lui infiniment précieuse en tant que source de sécurité. C'est elle qui rend possible et protège l'idéal de fusion à un autre être, la recherche de l'unité à deux, de la participation magique à l'objet sécurisant. Or toutes ces conditions de sécurité sur lesquelles l'enfant a compté jusqu'alors doivent être sacrifiées en faveur de la notion nouvelle de relation, notion qui bouleverse de fond en comble la position et l'économie du moi. Ce moi qui n'aspirait qu'à se perdre dans l'identique pour y être à l'abri de toute atteinte, doit se camper seul, en face du dissemblable à conquérir. Quelle aventure et, pour beaucoup, quelle panique ! Sacrifier sa passivité pour devenir actif, car il ne s'agit plus de se laisser aimer mais bien de s'efforcer de comprendre un autrui inconnu, pour plaire ou conquérir. Sacrifier l'égocentrisme de son avidité première pour tenir compte de cet autrui différent de soi qui a aussi ses besoins et ses goûts propres. De la réceptivité totale, passer à une ébauche d'oblativité.

Ce sont là des renoncements d'autant plus difficiles à opérer qu'ils sont tous liés à la conception première de la sécurité, et que les valeurs à conquérir : échange, réciprocité, valorisation de soi-même en tant qu'objet distinct, dépendent d'une certaine autonomie du moi. Or l'étude des névrosés préœdipiens, des angoissés de l'abandon en particulier, montre clairement que, pour eux, l'autonomie est confondue avec l'isolement, avec la solitude. Pour ces malades, devenir autonome, c'est renoncer à l'état de dépendance synonyme de sécurité, pour passer à l'indépendance solitaire, source d'angoisse. Or cette confusion que nous rencontrons quotidiennement chez nos malades, n'est que la survivance exaspérée d'un stade par lequel passent un très grand nombre d'enfants, au moment où l’œdipe, en tant qu'il implique une relation à un objet distinct, menace leur forme de sécurité première.

(...).

Note.

(1) À paraître aux Presses Universitaires — Paris

Source. 

Germaine Guex, « Les conditions intellectuelles et affectives de l’œdipe », Revue française de psychanalyse, tome 13, n°3, 1949, p. 265-269.

Le syndrome d'abandon, selon Germaine Guex (2).


Les conséquences traumatiques et objectives de l’abandon ont été étudiées d’une façon rigoureuse et quasi-expérimentale par de nombreux observateurs (R. Spitz, J. Bowlby, J. Aubry). D’autre part, les psychanalystes Germaine Guex et Charles Odier ont décrit un syndrome d’abandon qui affecte certains sujets dont la vie psychique est dominée par le problème de la sécurité affective (frustration libidinale aboutissant à une appétence affective ambivalente intarissable) et le sentiment ou la crainte d’abandon.

Dans cette affection pathologique, l’abandon est soit réel (privation et séparation d’avec l’environnement de soins maternalisants) ; soit virtuel dans le cas de l’ « abandonnique » (1), dont la constitution plutôt que les événements explique le désordre psychoaffectif. Le syndrome d’abandon, cette entité clinique, paraît discutable théoriquement et cliniquement. Elle serait composée par une association d’angoisse, d’agressivité réactionnelle (exigences, mise à l’épreuve de l’autre pour faire la preuve de son intérêt, attitudes sadomasochistes) et non-estime de soi (« non aimé parce que non aimable »), se complétant par une « mentalité de catastrophe ». Loin d’être spécifique, cette différente symptomatologie existe dans de nombreux états névrotiques principalement de figure anxieuse. Ici, en effet, domine l’angoisse d’abandon qui trouve sa source dans les distorsions de la relation primaire qui relie l’enfant à son objet d’amour et de protection.

Note.

(1) « Abandonnique » est un terme emprunté à Charles Odier (1947), L’angoisse et la pensée magique, Lausanne, Delachaux et Niestlé.

Source.

Houari Maïdi, Les souffrances de l'adolescence : Trauma et figurations du traumatique, Presses Universitaires de Franche-Comté, Coll. Psychologie, 2008, p. 171-172.

Le syndrome d'abandon, selon Germaine Guex (3).


En 1950, les psychanalystes Charles Odier et Germaine Guex décrivent sous le terme de « névrose d’abandon » un syndrome associant l’angoisse, l’agressivité et la dévalorisation de soi. Très contestée sur le plan structurel et clinique, la névrose d’abandon n’est pas considérée comme une névrose au sens classique du terme (c’est à dire au sens freudien). Il s’agirait plutôt d’une position face à l’existence propre à certaines personnalités généralement classées dans le champ des « états limites » (borderline).
Les références à la psychopathie et aux personnalités antisociales sont fréquentes lorsqu’on évoque le terme de névrose d’abandon.

Source. 

Christophe Niewiadomski, « Violences et alcoolisme. Approche biographique en alcoologie et herméneutique du sujet », Pulsional, Revista de Psichanalise, année 16, n°172, août 2003, p. 63, note 8.

Le syndrome d'abandon, selon Germaine Guex (1).


Sauf à souffrir d’autisme avancé, nous sommes tous mus par le besoin, plus ou moins impérieux, d’obtenir des marques d’affection de la part de nos proches, amis et famille. Dans cette quête obligée de l’affection d’autrui, les individus empruntent des stratégies diamétralement opposées dont l’observation met en évidence deux grands types comportementaux. Chacun de ces types, soumis à une logique spécifique, a été superbement mis en pleine lumière par la psychanalyste suisse Germaine Guex dans son ouvrage, déjà ancien et toujours actuel, La névrose d’abandon (1). Elle y décrit sans concession deux types d’individu :

« (…) Le sujet en qui domine la rancune de ne pas avoir été aimé, que j’appellerais le type négatif/agressif, et celui qui, avant tout, recherche l’amour (activement) (2) que je nommerais le type positif/aimant. (…) Entre ces deux types extrêmes existent tous les dosages de ces deux éléments ».

Autrement dit, face au ressenti d’un déficit affectif et au besoin de comblement qu’il entraîne, le positif/aimant s’active et met tout en œuvre pour obtenir et mériter l’affection recherchée. Le négatif/agressif dans les mêmes circonstances, poursuivant le même dessein affectif, agit quant à lui négativement, avec violence, mais non sans quelque perfide ingéniosité. Alors que le premier avance, l’autre fait mine de reculer.

Les comportements négatifs/agressifs.

Les comportements négatifs/agressifs sont fréquemment objectivables chez certains enfants au travers de leur façon de solliciter l’attention familiale. Plutôt que d’emprunter une démarche de séduction pour obtenir de leurs parents les marques d’amour qu’ils souhaitent, ceux-ci font le choix de la colère, des pleurs ou de la fugue. Ainsi soumettent-ils leur entourage à toutes sortes d’épreuves qui visent à quérir des preuves d’attachement. Ils optent pour une stratégie de rupture afin de soumettre leur entourage à un test d’amour, argue Germaine Guex. La preuve par l’épreuve, en quelque sorte.

« Toutefois, poursuit-elle, il ne faut pas perdre de vue que cette agressivité, si forte et si tenace soit-elle, n’a pas son but en elle (…). Le mobile central de tels comportements consiste avant tout à une mise à l’épreuve. Il s’agit de savoir si l’objet (celui dont ils espèrent un témoignage d’affection (3)) tiendra bon. S’il aimera malgré tout le sujet, tel qu’il est, si désagréable qu’il puisse se montrer. La mesure de son endurance donne la mesure de son amour. »

Il y a bien peu d’autres explications aux réponses alcooliques de certains pères à la naissance de leur premier enfant. L’alcoolisme est pour eux moins un refuge qu’un pathétique appel. Il n’en va pas différemment des hommes qui molestent leur compagne. Si je frappe plus fort, se disent-ils inconsciemment, m’aimera-t-elle encore suffisamment pour me garder une place dans son cœur (4) . La perte de l’être cher par la rupture ou le fatal accident (issues quasi inéluctables) n’est hélas en rien salutaire pour le négatif/agressif. Ses nouvelles relations resteront inexorablement marquées du sceau de l’éternelle provocation : mettre les autres à l’épreuve pour s’assurer de leur amour.

Les comportements positifs/aimants.

Les comportements des positifs/aimants sont plus simples et moins pervers. On l’a compris le positif/aimant exprime les choses. Il demande ce qu’il souhaite et souhaite ce qu’il demande.

« Parviendra-t-il à se faire aimer, sera-t-il capable de maintenir le lien, réussira-t-il à écarter le spectre de la solitude et de l’abandon ? C’est sous cette forme, nous dit Germaine Guex, que le problème se pose à lui. »

Le positif/aimant possède un certain sentiment de valeur personnelle que ne ressent pas le négatif/agressif. Il bénéficie d’une bonne opinion de lui-même et se sent digne d’amour. Ce sentiment lui permet de créer des liens propres à lui assurer ce dont il a le plus besoin : sa sécurité affective. Son besoin de preuve d’amour est aussi vital et inextinguible que celui exigé par le négatif/agressif. À une différence près. Sa pathologie le rend oblatif et généreux envers les autres. Il est capable de réel dévouement et trouve ainsi ne retour le climat affectif nécessaire à son épanouissement. En bref, sa demande affective est impérieuse, il l’exprime clairement et ainsi la voit satisfaite. À l’opposé, le négatif/agressif, malgré son désir d’amour d’autrui tout aussi impérieux, lui, ne l’exprime pas. Il croit aux vertus d’une pensée magique qui comme par enchantement conduirait l’autre à deviner, voire anticiper son manque d’affection, sans avoir à le solliciter d’aucune manière. Il obtient moins que la dose nécessaire à étancher ses besoins affectifs. En résumé, contrairement au négatif/agressif qui pour obtenir des bisous multiplie fugues et colères, le positif/aimant, lui, fait choix de les demander sans détour : bisous maman, bisous...


Notes.

(1) La Névrose d’abandon, Germaine Guex, Presses Universitaires de France, Paris, 1950.
(2) Note de l’auteur.
(3) Note de l’auteur.
(4) Si cette observation ne les excuse pas, l’explication contribue à déchiffrer ce détestable comportement et d’y trouver peut-être le remède.

Source.

Pascal Py, Les commerciaux descendent de Cupidon et leurs clients de Vénus : la Vente Séduction en 20 leçons !, Maxima - Laurent Dumesnil Éditeur, Paris, 2008, p. 37-40

samedi 6 octobre 2012

Les carences affectives d'origine maternelle, 2006


Ce sont les séparations durables survenues pendant les trois premières années et notamment du sixième au quinzième mois qui sont les plus graves.

De trois à cinq ans, les enfants, ne vivant plus exclusivement dans le présent, n'ont plus cette impression d'abandon total et peuvent imaginer vaguement un temps où leur mère reviendra. Le développement du langage élémentaire leur permet aussi de meilleurs contacts sociaux.

Après l'âge de cinq ans, les troubles du développement deviennent rares et moins graves.

En revanche, les conséquences fâcheuses d'une carence maternelle se manifestent sur le plan de l'évolution affective.

Les enfants ayant dépassé l'âge de cinq supportent d'autant mieux la séparation que leurs relations antérieures avec leur mère a été meilleures. Un enfant qui a acquis une sécurité de base suffisante n’interprétera pas l'éloignement du milieu familial comme une punition et un abandon. Il adhérera plus aisément aux raisons qui lui sont fournies.

Les manifestations tardives, chez l'adolescent ou chez l'adulte, de la carence affective infantile durable revêtent des formes différentes de celles présentées chez les jeune enfant. Elles n'en sont pas moins la traduction du caractère indélébile de la souffrance affective subie par l'enfant.

Ce qui les caractérise avant tout, c'est un trouble profond de l'affectivité et, partant, l'inaptitude des individus à établir des relations sociales normales.

Par ailleurs, on a pu remarquer chez les sujets qui ont souffert de ce type de carence affective :
- la présence fréquente d'une difficulté à soutenir l'attention, 
- l'instabilité, 
- le manque d'esprit critique, 
- le manque de sens des réalités objectives 
- et l'inaptitude à l'abstraction pure ou au raisonnement logique.

On peut aussi se demander si cette carence affective infantile durable n'engendrerait pas certaines formes de schizophrénies juvénile, qui sont avant tout caractérisées par :
- des troubles de l'affectivité, 
- un contact défectueux sur le plan individuel 
- et une mauvaise adaptation sociale. 

Certains enfants qui en ont souffert n'ont pu, devant les exigences accrues de l'adolescence, maintenir les compensations qu'ils avaient pu créer et qui avaient été jusqu'alors suffisantes.

Les troubles des relations sociales sont très fréquentes chez les adolescents qui ont souffert d'une carence affective à la suite d'une séparation avec leur mère ou d'une relation perturbée avec elle.

La délinquance étant le témoignage le plus évident d'une mauvaise adaptation sociale, on ne s'étonnera pas de la rencontrer fréquemment chez les jeunes carencés sur le plan affectif. Les principales manifestations de cette délinquance juvénile sont la prostitution, le vol et la fugue.

Un certain nombre d'études ont mis en évidence la fréquence de la carence affective et du mauvais exemple maternel chez les jeunes prostituées.

Certains vols, dit de « compensation affective », se rencontrent chez des enfants ou des adolescents qui souffrent d'un manque d'affection, notoire ou méconnu. Ces vols ont des caractères bien spécifiques : ils portent le plus souvent sur des friandises ou sur de l'argent qui permet de s'en procurer, mais cet argent n'est jamais mêlé à celui que l'enfant peut par ailleurs posséder légitimement. C'est un vol « généreux », dans la mesure ou l'enfant en distribue volontiers le produit à ses camarades. Tout se passe comme si le produit matériel du vol ou les satisfactions procurées ainsi aux autres pouvaient combler symboliquement le vide affectif béant du cœur du jeune voleur.

Les fugues, enfin, ne sont pas rares chez les jeunes souffrant de carences affectives ou chez ceux qui croient en souffrir. Le « vagabondage-test » est le plus souvent le fait d'un jeune qui, se croyant mal aimé, par à l'aventure avec, au fond du cœur, l'impatience de connaître la réaction de ses parents, car c'est d'après l'anxiété que ceux-ci manifesteront alors à son égard qu'il jugera de la réalité et de la profondeur de leur affection.

Référence

Marie-Noël Tardy-Ganry et Thérèse Durandeau, Les troubles de la personnalité chez l'adolescent. Comment réagir en tant que parent ?, coll. Éclairages, Studyparents, 2006, p. 86-88.

mercredi 21 novembre 2012

Le rabat ecclésiastique


1) Le rabat ecclésiastique était autrefois le col de la chemise retombant sur l'encolure de la
L'abbé LEDIEU, par J. Galliot
soutane. 

Par quelles transformations est-il devenu ce petit rectangle noir de soie ou d'étamine, que borde un petit liseré blanc de toile ou de perles de verre ?

On s'en rendra compte en examinant la suite des portraits des supérieurs de la compagnie de St-Sulpice qui orne les corridors des séminaires dirigés par les membres de cette respectable société ; on y verra comment le ci-devant col de linge a pris progressivement la forme actuelle et, en particulier, comment il a passé du blanc au bleuâtre, puis au noir, sans doute parce que le blanc était trop salissant. On peut aussi examiner la série parallèle des supérieurs des Prêtres de la Mission, depuis Saint-Vincent de Paul, jusqu'à ce jour, qui est conservé à la maison des Lazaristes de la rue de Sèvres à Paris.

Les Frères des Écoles Chrétiennes, dont la simplicité s'est moins laissée influencer par les caprices de la mode, ont toujours le rabat blanc.

À Naples, on portait, il n'y a pas encore bien longtemps, et on porte peut-être encore aujourd'hui [1923], un col pareil à celui du clergé de France au XVIIIe siècle ; il est droit, mais en deux pièces, avec une solution de continuité sous le menton.

Un frère des Écoles chrétiennes
Les Rédemptoristes, dont le fondateur, Saint Alphonse de Liguori, était napolitain, ont encore le col entr'ouvert, par devant.

Le clergé de quelques provinces belges et celui du diocèse d'Aoste en Piémont, usaient et usent, je crois, toujours d'un rabat presque pareil à celui de France.

Les chanoines de Turin, quand ils prennent le costume de chœur, ont aussi un rabat, mais qui est entièrement blanc et pas beaucoup plus large qu'une carte à jouer.

On sait avec quelle ténacité les Alsaciens sont restés fidèles au rabat, emblème de la Patrie perdue, dans l'intervalle des deux guerres ; y renoncer eût été, à leurs yeux, afficher leur adhésion au régime boche.

L'abandon du rabat français n'est pas général ; dans plusieurs diocèses, on le conserve jalousement ; la substitution n'a été que progressive. Il y a une cinquantaine d'années [vers 1873], il fut imposé au clergé de Moulins par un évêque, Monseigneur de Dreuz-Brézé, connu pour son ultramontanisme militant. Peu après, Langres suivit l'exemple de Moulins.

Mgr de Dreuz-Brézé
En réalité, le petit appendice que le vent agitait désagréablement n'avait rien de très commode ; il se fripait très vite et ceux qui tenaient à la propreté de leur toilette devaient en changer souvent, ce qui finissait par occasionner une dépense appréciable pour ceux qui ne se permettent guère les dépenses d'agrément... et de quel agrément !

Le col romain a été d'abord la caractéristique des clercs qui étaient décorés d'une prélature romaine, mais ne signifiait pas que celui qui le portait fut même camérier du Pape ; je ne pense pas que beaucoup se soient fait cette illusion qu'ils copiaient la tenue des « Monsignori ».

Il en est du rabat comme du chapeau à haute forme que jadis de vieux prêtres français arboraient à l'étonnement des plus jeunes générations. Le rabat aussi a passé de mode, mais ceux qui l'ont quitté n'acceptent pas qu'on dise qu'il symbolisait une méfiance gallicane à l'endroit de l'église romaine, sentiment qu'ils n'ont jamais éprouvé et qu'il serait injurieux de leur attribuer gratuitement. (…)

PARIENSIS. 

Référence 

L’intermédiaire des chercheurs et curieux, dirigé par M. Carle de Rash, B. Duprat, Paris, 10 février 1923, n°1574, vol. LXXXVI, col. 130-131.


2) (...) Quant au rabat, il fut toujours essentiellement une mode, un ornement de la mode la mode : de rabattre au dessus du col de la soutane, le col de la chemise d'où son nom de rabat.
Le cardinal Donnet

Sur les portraits des prélats d'autrefois on peut constater sa naissance et suivre son évolution. D'abord col blanc de la chemise rabattu autour du col du vêtement ; puis les deux angles antérieurs s'allongent en pointe aiguë (comme nos cols mous). puis la pointe s'élargit et le rabat s'avance en forme de deux languettes réunies par la base et divergeant vers l'extrémité. Les deux limbes sont détachés l'un de l'autre et bordés d'un galon. Ils sont en étoffe de laine ou de soie, même en gaz transparente chez les prélats de cour et aussi chez quelques autres. Au XIXe siècle, la forme du rabat est plus austère et se compose d'une bavette d'étoffe noire, bordée d'un double rang de perles blanches.

Le rabat étant un pur ornement, un luxe, il ne faut pas s'étonner que les Jésuites qui sont des religieux, ne l'aient pas adopté. Les papes n'avaient pas à intervenir a cet égard, et il va sans dire qu'ils ne sont jamais intervenus pour un si minime objet.

Seuls les prêtres français portaient le rabat en vertu d'une ancienne coutume. Comme cet appendice s'use vite et se coupe au contact de la barbe ; comme, de ce fait, il revient assez cher ; comme, sous l'effet du vent, la bordure de perles vient cingler douloureusement la figure de celui qui le porte, le rabat, sans élégance et sans utilité, ne présentait que des inconvénients ; il a disparu sans laisser de regrets. Il a passé de mode comme les boucles de souliers, la poudre et la traine (ou queue), qu'on voit encore cependant en Belgique et un peu dans le nord.

Rome n'a rien fulminé, et on n'a pas eu a «  l'arracher du col de notre clergé ». Celui-ci l'a laissé tomber comme les perruques, un siècle plus tôt. (…)

COOLEN. 

Référence 

L’intermédiaire des chercheurs et curieux, dirigé par M. Carle de Rash, B. Duprat, Paris, 15 avril 1935, n°1830, vol. XCVIII, col. 309-310.


3) (…) Le rabat paraît avoir été abandonné par la plupart des dignitaires cardinaux, évêques et prélats divers dès le début de ce siècle [XXe siècle], sinon même auparavant. Le clergé noir, par contre, lui était en général resté fidèle jusqu'il y a une dizaine d'années [vers 1925]. 

Une très intéressante étude sur cette question a paru récemment dans La Semaine catholique du diocèse d'Agen, sous la signature de Léonce de Villevenard. D'après l'auteur, le port du rabat n'est plus strictement obligatoire que dans une quinzaine de diocèses, et bien en théorie ; il est facultatif dans la plupart, déconseillé dans plusieurs, et même tout à fait défendu dans quelques-uns. (Le diocèse de Séez pour ne donner qu'un exemple) ...

D'où vint ce mouvement de proscription ? De la mode uniquement... Cependant, on peut le dire, il n'est sans doute pas un seul diocèse de France où le rabat n'ait conservé de fidèles et de chauds partisans. D'ailleurs porté aujourd'hui par la minorité des prêtres, le rabat est toujours préféré et regretté par la majorité des fidèles, comme notre petite enquête, bien modeste mais sérieusement menée .. nous a permis de l'établir... En somme, on a brisé une unité pour aboutir chez nous a la diversité entre diocèses parfois limitrophes .. entre les prêtres d'un même diocèse, entre curés et vicaires fréquemment, à l'intérieur de la même paroisse, diversité qui .. étonne pour le moins nos bons fidèles. 

Comme tout cela est juste et bien dit. (…).

J. B. 

Référence 

L’intermédiaire des chercheurs et curieux, dirigé par M. Carle de Rash, B. Duprat, Paris, 30 juin 1935, n°1835, vol. XCVIII, col. 548-549.


4) Le rabat créé par la mode, a subi les fluctuations de la mode et a disparu avec elle, de même que d'autres parties du vêtement ecclésiastique.

Il y a trente ou quarante ans [1895-1905], les prêtres français portaient presque tous le chapeau à longs poils dit castor, les boucles d'argent aux souliers, le rabat et la ceinture aux longues franges de soie.

Le cardinal Boyer
Aujourd'hui [1935], le rabat a presque partout disparu, le chapeau est en feutre ras et souvent dur (chapeau dit parisien), la ceinture est moins souple et plus étroite (ruban romain) et les souliers ne se distinguent plus guère de ceux des laïques.

Le Pape n'a pas eu à intervenir ; dans quelques cas, les évêques ont légiféré, comme c'était leur droit ; la plupart du temps, les prêtres ont profité du régime de la porte ouverte, de la permission, expresse ou tacite, de se vêtir d'une manière moins dispendieuse et plus commode.

Il n'y a donc pas lieu de faire intervenir ici un Gallicanisme ni un Ultramontanisme vestimentaires.

Ce n'est pas une thèse que j'attaque ou que je défends, mais un point d'histoire que je veux fixer. Si je n'ai pas parlé du rabat de quelques congrégations de Frères, c'est qu'il s'agissait avant tout du rabat des prêtres séculiers. [Les religieux sont régis par des constitutions spéciales et des traditions particutteres]. La plupart n'en portent, du reste, pas, comme les
Lazaristes, les Eudistes, les Rédemptoristes, etc. (…)


COOLEN. 

Référence 

L’intermédiaire des chercheurs et curieux, dirigé par M. Carle de Rash, B. Duprat, Paris, 15 novembre 1935, n°1841, vol. XCVIII, col. 844-845.