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lundi 25 mars 2024

Comment envisager et vivre la Messe catholique, selon Louis-Marie Chauvet (vision plutôt réformiste de la Liturgie sacrée)

 

Vous trouverez ci-dessous la retranscription, adaptée à l’écrit, de l’ensemble des interventions successives de M. l’abbé Louis-Marie Chauvet, lors de l'émission Au risque de la foi, animée par Régis Burnet et diffusée sur la chaîne de télévision KTO. M. l'abbé Chauvet est professeur émérite de théologie des Sacrements à l'Institut catholique de Paris et actuel Prêtre coopérateur au service du Groupement paroissial Notre-Dame 95  (paroisses d’Eaubonne, Saint-Prix, Montlignon et Margency), dans le diocèse de Pontoise.

On peut dire de M. l'abbé Chauvet, qu'il a eu beaucoup d'influence, en France, sur la façon, — nouvelle —, d'envisager et de vivre la Liturgie sacrée, façon qui s'est voulue en rupture avec celle qui avait cours avant 1964, année de la première Instruction Inter Œcumenici, publiée par le Conseil pour l’exécution de la Constitution sur la Liturgie, institué par le Pape Paul vi.


M. l'abbé Louis-Marie Chauvet, en septembre 2020

L'importance de l'accueil, c'est évident. Moi, je me réjouis de voir, dans ma paroisse, puis un peu partout aujourd'hui, qu’ il y a des hommes et des femmes qui sont là, qui distribuent une feuille de chants, qui font un sourire, qui, éventuellement, invitent à avancer un peu plus haut. Et, du coup, on a le sentiment qu’on est accueilli par une société de frères, par un groupe de frères et de sœurs, d'une certaine manière : on se sent chez soi. Je veux dire que chacun doit pouvoir se sentir chez lui. Cet accueil est, évidemment, primordial, puisque nous allons célébrer tous ensemble et que la première partie, justement, c'est, vraiment, de constituer l'acteur de la Liturgie, acteur qui va être cette assemblée, ce « nous » que nous allons constituer. Moi je suis très sensible à cela.

Ce besoin, d'un certain nombre, de pouvoir se recueillir, on le comprend tout à fait. Il faut l'honorer. Mais en même temps, on comprend aussi le souci de saluer les autres parce que, finalement, c'est ensemble qu'on va célébrer l’Eucharistie. Et on n’y vient pas de manière simplement individualiste. C’est une chose à laquelle, personnellement, je suis très sensible. Cela dépend des sensibilités. Mais quand des gens arrivent sans saluer qui que ce soit, sous prétexte qu’ils viennent rencontrer « Jésus ! Jésus ! Jésus ! », à mon avis, là, on peut on peut s'interroger. Ils en ont le droit. Mais on peut s'interroger. En revanche, sans faire de l'église un chant de foire — surtout pas — qu'il y ait, d'abord, le souci de rencontrer autrui. Parce que la Messe nous dit, finalement : « Tu rencontres Dieu à travers le visage d'autrui ; tu rencontres le Christ en faisant Église avec les autres. » C'est, évidemment, pour moi, important. Dans le contexte actuel qui est assez marqué — je ne suis pas du tout original en disant cela — par ce qu'on appelle l'individualisme, c'est quelque chose qui n'est pas évident.

Le début de la Messe, pour moi, si je viens aux fondamentaux, par-delà le Kyrie, le Gloria, l’oraison, etc., c'est vraiment de constituer l'acteur de la Liturgie, c'est-à-dire le « nous » : « nous Te célébrons », « nous Te supplions », « nous Te rendons grâce », « nous Te demandons », « nous », ces premières personnes du pluriel...On peut dire que la Liturgie, c’est du théâtre : il y aura une scène, des acteurs, un programme, des objets, etc. Tout est prévu. Donc, il n’y a plus qu'à suivre. À la différence du théâtre, l'acteur principal est dans la nef, dans la salle : c'est le « nous » de l'Assemblée. Si le Prêtre est là, c'est pour présider cette assemblée et pour la rendre « acteur ». Moi j'insiste beaucoup là-dessus. On connaît l'adage : « Un seul préside — au nom de l'ordination — tous célèbrent ». Je la complète en disant : « Un seul préside afin que tous célèbrent ». Quand on commence la Messe, on dit: « Le Seigneur soit avec vous » ou bien: « La grâce de Jésus, notre Seigneur... », c'est à dire qu’on dit : « C'est le Christ qui nous rassemble. » S'il est vrai que c'est le Christ qui nous rassemble, qui, ensuite, va parler à son peuple, comme le dit Vatican II [cf. la Constitution Sacrosanctum Concilium, sur la Liturgie sacrée, n. 7 et 33], qui va faire l’Eucharistie, tous ceux qui sont membres du Christ, tous les Chrétiens, sont acteurs, actifs, par Lui, avec Lui, en Lui. L'Église est à la fois le fruit de la Messe, et en même temps, elle en est la condition. Dès le début, c'est cette Église qui se constitue. Moi, je suis très sensible à cela. D’où l’importance du mot « accueil » : s’accueillir les uns les autres.

Lorsque le chant d'entrée, par exemple, est extrêmement joyeux, comme cela arrive assez souvent, moi, comme Prêtre, accueilli avec les servants et servantes d'autel, je peux enclencher sur lui : ce n’est pas la peine de dire qu'on est dans la joie, puisqu'on vient de le manifester. Le chant est tellement joyeux qu’on est déjà dans la Messe et que l'acteur est déjà constitué, parce que chacun a participé avec le meilleur de lui-même, sa voix qui est belle ou qui n’est pas belle, qu'importe. L'important, c'est de sentir ce mouvement. Moi, je suis très, très sensible à cela.

La prière pénitentielle, c’est le fait de se mettre en disposition. Cela n’est pas très difficile, à mon avis, à accueillir. Je pense que chacun peut vivre ce moment. D'ailleurs, je sens que les gens vivent très bien ce moment où on se recueille humblement devant Dieu. Moi, j'aime bien m'incliner, quand on dit, par exemple, le « Je confesse », à moins qu'il y ait des invocations qui soient enchaînées sur un « Seigneur, prend pitié ». Quant aux « Gloire à Dieu », ils sont maintenant souvent jubilants, etc. Mais l'important, au terme de cela, pour moi, c'est la prière. C'est l'horizon qui vient là : recueillons-nous pour la prière. Cette prière peut être belle et très intense. La difficulté de notre Liturgie romaine est qu'elle est très sobre. Dans ses prières, il n’y a pas de redondance, pas de redit. Du coup, les phrases sont courtes et les mots sont forts. Donc il m'arrive souvent de dire à mes frères et sœurs : « Vous avez entendu ce que je viens de demander en votre nom, ce que nous avons demandé, ce que vous avez demandé à travers moi ? » Parce que c'est « nous », encore une fois : les gens ne font pas que s'unir intérieurement à ce que dit le Prêtre. Bien sûr, c'est cela qu'ils font concrètement. Mais c'est plus que cela qu’ être acteur : cela veut dire que le Prêtre est le porteur de ce que nous prions. Répéter la prière que je viens de dire, éventuellement faire répéter une phrase ou deux de cette prière, cela donne quelque chose !… Ce n’est pas prévu dans les rubriques ! C’est là qu’il faut un minimum de liberté. Je trouve cela très bien.

La Liturgie, c'est du live ! Donc elle va dépendre beaucoup de la manière de faire. La même Prière Eucharistique, avec les mêmes mots, dites par tel Prêtre ou par tel autre, va être reçue de manière très différente. La question est toujours où situer le curseur : entre du « trop froid » et du « trop chaud ». Le « trop froid », c'est le fait que j'exécute strictement le code rubrical. C'est « l'étiquette de cours », etc. Pourquoi pas ? Le « trop chaud », c'est le fait de l'explosion, de la fête dionysiaque, etc., qu’on invente, etc. Nous sommes dans une culture où, notamment, les jeunes sont très en demande de cela ; ils vivent dans une culture du spectacle, etc. Alors, il ne faut pas trop en rajouter du côté du « trop chaud ». Mais, en même temps, je pense qu'il y a un minimum de liberté à prendre qui est, vraiment, au service de la Liturgie catholique, telle que la souhaite l'Église. Par exemple, pour les lectures, moi, j'aime bien faire une introduction, à condition, évidemment qu’elle ne soit pas plus longue que la lecture et qu'elle ne soit pas un cours de théologie, ni un cours d’exégèse. Mais, par exemple, le jour où on fête le Corps du Christ, par exemple le dimanche, et où il est question du « Pain descendu du Ciel », on va nous lire le livre de l'Exode. On a intérêt à dire aux gens : « Si vous voulez comprendre ce que veut dire Jésus, écoutez bien cette lecture, parce que c'est la clé d'intelligence. » Voilà l'introduction. Quelque chose comme cela. Personnellement, et je ne suis pas le seul —, je fais cela fréquemment. Et les retours sont là. Pour la Prière Eucharistique, par exemple : « Vraiment il est juste et bon, pour Ta gloire et notre salut », moi j'ajoute : « et pour » parce que cela rejoint les deux dimensions de la Messe. Et puis, on détache les choses en les prononçant. Cela devient autre chose. Mais je n’improvise pas une Prière Eucharistique. On a connu cela autrefois. Dans les années 1970, les prières qu'on a appelé, après coup, « sauvages ». C'était l'époque de Vatican II, c'était une autre époque. Je comprends très bien qu'il y ait eu une réaction, ensuite, contre cela. Cela s'était d'ailleurs bien apaisé à la fin des années 1990. Et puis, à nouveau, des querelles ont ressurgi, un peu, à mon avis inutiles. Voilà : c’est comme cela. La Liturgie est un lieu de communion, mais aussi de tension, on le sait bien, parce que il y est question de sensibilité, d'affect, puisque la participation se fait à travers le corps, à travers les sens.

À propos de formation, actuellement, je sens que, par rapport à la période antérieure, on est plutôt en déficit de formation sur la Liturgie et je le regrette. Les gens n'ont plus de repères ; ils ne savent plus où ils en sont. Le livre que j'ai écrit, si j'ai mis : Retour aux fondamentaux, c'est vraiment pour rappeler ces choses les plus fondamentales qui sont trop oubliées, qui sont méconnues. Comme Prêtre — je me mets dedans — on finit par prendre des habitudes qui deviennent de la routine . On ne se rend plus compte qu’on a des attitudes ou des tons de voix qui, finalement, ne conviennent pas. Le problème, c'est que nous, Prêtres, nous risquons toujours d'avoir tellement serré le rapport entre la fonction et la personne que les gens ne peuvent plus se permettre de critiquer la fonction sans que le Prêtre le ressentent comme une atteinte à sa personne. Et c'est dramatique. Le phénomène actuel — que je comprends — de sacralisation ou de sur-sacralisation, peut favorise cela. On n’est pas obligé de tomber dans une sorte de hiérarchie, de hiératisme rigide qui fait que toutes les Messes seraient absolument pareilles. C’est cela, la question du curseur.

Pour moi, ce qui est en jeu, avec le problème de la langue liturgique, c’est l’espace d'audibilité. Même, en français, dans les nouvelles traductions que l’on a faites, je trouve que certaines sont malheureuses — il y a des choses très heureuses ! —, parce que, par exemple, les oraisons d’ouverture qui étaient, la plupart d’entre elles, plus simples dans leur formulation antérieure sont devenues plus complexes parce qu’on a voulu calquer de plus près le latin. Du coup, cela rajoute de la difficulté à cet espace d’audibilité qui fait qu'un certain nombre de personnes — moi, je suis très sensible à cela —, ne s'y retrouvent plus. Leur problème ce n’est pas le latin ou même le français, c'est : « on ne comprend pas ce que cela veut dire parce que c'est un jargon tellement spécialisé. » C'est pour cela que notre rôle de Prêtre, — moi je le comprends beaucoup comme cela —, c'est de pouvoir dire les choses de telle manière que cela facilite l'audibilité de ce qui est dit. J'entends bien célébrer la Messe de l'Église : ce n’est pas ma propriété. Surtout pas. J’ai le Missel sous les yeux. Il est trop gros, d'ailleurs, actuellement, parce que, quand il trône sur un petit autel, on a l'impression qu'on vient de célébrer le Missel. C’est quand même embêtant ! On n'a pas besoin, non plus, d'une immense pierre sacrificielle, il ne faut pas exagérer. Je pense qu’une table bien faite suffit. On a ce qu'il faut dans les églises maintenant. Généralement, c'est pas mal quand même, de ce point de vue-là. Les aménagements qui ont été faits depuis Vatican II ont été généralement plutôt heureux. On en est plus à l'immense autel qui était une sorte de grande pierre sacrificielle.Le problème se situe là aujourd'hui. C’est un problème culturel. Dans mon petit livre, j’ai intitulé l’'introduction : « On n'a pas le choix, ça mute ! », parce qu’on est dans un phénomène qui n’est pas simplement d'évolution mais de mutation. Du coup, comment être en prise par rapport à cela ? Comment nourrir nos frères et sœurs chrétiens dans cette culture postmoderne ?

Je ne sais pas s’il faut instituer des lecteurs comme tel. Pourquoi pas ? Mais, pour moi, ce n’est pas l'urgence. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut former les lecteurs. On ne demande pas à quelqu'un qu'on ne connaît pas, comme cela, de proclamer, — c'est le terme qui convient — la Parole de Dieu. Il y a une formation à faire et le déficit de formation liturgique dont je parlais porte aussi là-dessus. Ceci étant, au cœur de la Messe, il y a deux parties — d'ailleurs c'est ce que dit « le Concile » [=de Vatican II] — et elles forment un seul acte de culte. Moi, j'aime bien citer à ce propos Vatican II, Dei Verbum, n. 21 : l'Église qui prend le Pain de vie sur la table aussi bien de la Parole de Dieu que du Corps du Christ pour l'offrir au fidèle « L'Église a toujours vénéré les Divines Écritures tout comme le Corps lui-même du Seigneur, lorsque, surtout dans la Liturgie sacrée, elle ne cesse de prendre le pain de vie à la table tant de la parole de Dieu que du Corps du Christ, et de l’offrir aux fidèles. ». Déjà, faire réaliser à mes frères et sœurs chrétiens que ce qu'ils vont entendre, c'est une nourriture, c'est le Pain de vie : ce n’est pas moins que cela. Le texte, d'ailleurs, dit que l'Église a toujours vénéré les Écritures comme elle l'a toujours fait pour le Corps Lui-même du Seigneur. On voit bien qu'il y a une gradation avec le « Lui-même ». La locution pronominale insiste là-dessus. Mais au départ, c'est le Pain de vie, et c'est très important. Il va de soi, dans cette perspective, que communier au Corps eucharistique du Christ sans avoir d'abord communié à la Parole, cela frise le non-sens. C'est tout à fait évident. Deuxièmement, on voit bien qu'il y a une gradation qui va du même Pain de vie sous deux formes, la première conduisant à la seconde et jamais l'inverse. Pourquoi je dis cela ? Parce que cela nous dit ce que c'est un Sacrement, ce qu’est l'Eucharistie en l'occurrence. Mais cela vaut pour tout Sacrement : le geste sacramentel est toujours précédé d'une ou plusieurs lectures de la Parole de Dieu. Cela veut dire tout simplement que si j'observe ce que l'Église a fait toujours et dans toutes les traditions, — à savoir : pas de geste sacramentel sans annonce d'abord de la Parole de Dieu —, cela vaut même pour la Confession. Cela veut dire que le Sacrement n'est pas autre chose que le déploiement de de la Parole de Dieu. La Parole de Dieu est en demande de devenir Événement. Elle est, d'ailleurs, du point de vue biblique, d'autant plus Parole qu'elle devient Événement, ce qui permet au Prophète Amos de dire qu'il a vu la Parole de Dieu. Du coup, on comprend pourquoi, quand le Prêtre lève le livre — moi, je lève le livre — en disant : « Acclamons la Parole de Dieu ! », les gens ne répondent pas : « Louange à Toi ! » au beau livre — il est magnifique pourtant ! — mais : « à Toi, Seigneur Jésus ! ». Comment faire comprendre que c'est Lui, la Personne du Seigneur Jésus qui est Parole, parce que la Parole veut devenir Événement. Le Sacrement, c'est cela. J'expliquais cela l'autre jour à des mariés : ce que vous avez choisi comme texte que vous allez entendre lors de votre mariage, cela va se déployer sur vous en Événement avec la remise des alliances. Quand la Parole vient se déployer, dans un Baptême, sur le corps du petit bébé que je baptise, ou bien, plus encore, quand elle vous rentre dans le corps, — parce que la Communion, c'est ruminer la Parole en tant que parole d'Amour sauveur —, c’est indépassable. On comprend pourquoi il y a des Sacrements, c'est-à-dire que l'Écriture elle-même, en tant que Parole de Dieu est en demande de ce que l’on a appelé plus tard les Sacrements.

Quel est le cœur de la Messe ? Le cœur, c'est le récit de l'Institution : « La veille de sa Passion, Jésus prit le pain... », en tant qu'il est encadré par deux prières qui sont des prières d'épiclèse, de demande de l'Esprit Saint. Quel est le sommet ? Je dirais la Messe, c’est d'abord un mémorial, donc on pourrait dire que c’est : « Faisant mémoire... ». Mais le sommet, moi j'aime bien le voir dans la doxologie finale, quand le Prêtre lève le Pain et la Coupe et chante : « Par Lui, avec Lui, et en Lui... », et que l'Assemblée répond par un « Amen ! », pas « en petite culotte courte », mais un vrai, qui se déploie vraiment. C’est fantastique, ce moment-là, quand toute l’Assemblée fait vibrer les voûtes de l'église. L'Église, elle est là ! La prière eucharistique est une prière d'acclamation bien avant d'être une prière d'adoration : on acclame le Christ vivant et on en est témoins en faveur du monde et au milieu de ce monde. Être les témoins de cela et autant que possible, la vivante mémoire de Lui, de ce pourquoi Dieu, en Lui, a donné sa vie, quelle chose magnifique ! C'est le sommet.

Puis la finalité, c'est la communion. Donc je distinguerais ce qui est au cœur : le récit de l’Institution et les épiclèses ; le sommet, ce serait plutôt la doxologie ; mais la finalité, c’est la Communion, évidemment. La finalité, en effet, cela n’est pas rien.

La doxologie, c’est quand même quelque chose. J'ai été très frustré dans une Messe, récemment, où il y avait des jeunes, des orchestres, etc., des chants « Glorious », c'était super ! Et alors, on a eu droit à une toute petite doxologie de trois fois rien. Cela m'a frustré. L’intelligence de la Liturgie… La Liturgie ne s'adresse pas d'abord à l'intellect — on en est d'accord. Mais cela doit manifester que c'est objectivement intelligent et subjectivement intelligible. L'intelligence de la Liturgie, c'est quand même de manifester cela : il y a des moments qui sont particulièrement importants. La Prière Eucharistique aboutit à cet acclamation et elle dit ce qu'est l’Eucharistie, action de grâce et acclamation du Christ toujours vivant.

Je reviens à l'importance de la formation à la Liturgie. De ce point de vue-là, Desiderio desideravi du Pape est une chose absolument capitale, actuellement. En plus, dans sa finale, il le dit très bien — moi, je suis presque jaloux de ne pas avoir inventé la formule —, il s'agit de former à la Liturgie afin de pouvoir être formé par la Liturgie. Cela, c'est l’objectif.

C’est un paradoxe formidable : la Messe commence quand cela se termine ! La missa, c’était l’envoi, comme les missi dominici — j’ai appris cela à l’école primaire — les envoyés de Charlemagne. Mittere, la missa, l’envoi, il s’agissait de l’envoi des catéchumènes et des énergumènes, comme aurait ajouté Brassens… C’était cela, effectivement : ceux qui ne pouvaient pas participer, qui ne pouvait pas communier. Du coup, on les envoyait et l’Eucharistie commençait après. C’est-à-dire que la Messe commence au moment de l’envoi de certains. Il y a un paradoxe. C’est d’ailleurs, très étonnant, parce qu’il y a eu une époque où il y avait tant de gens qui ne communiaient pas qu’ils partaient après l’homélie de l’Évêque. Je vois que les Pères de l’Église ont dû se fâcher un peu. C’est allé très vite pour que les gens ne communient plus. Ambroise de Milan, qui a baptisé Augustin, dit à ses nouveaux baptisés : « Ne faites pas comme là-bas en Orient où personne ne communie, si ce n'est une fois par an. » Effectivement, les gens avaient pris l'habitude de partir. Donc il a fallu se réapproprier la Communion. Je n'oublie pas que, dans mon enfance, beaucoup de gens communiaient peu. Le sentiment que l'on était pécheur — et on en a peut-être trop rajouté de ce que de ce point de vue là — était tellement fort que, du coup, les gens se sentaient indignes de communier. Il y a un vieux fonds janséniste, mais pas seulement.

Maintenant, on a mieux que le « Allez dans la paix du Christ ! » Dans la nouvelle traduction en français du Missel romain, il y a cette possibilité qui est magnifique : « Allez en paix et glorifiez Dieu par votre vie ! » Cela, c'est capital. Je dis cela maintenant presque tout le temps parce que je trouve que c'est essentiel : c'est vraiment « l'envoi ». Ce n’est pas un rite de conclusion. Le mot « conclusion » est fonctionnel. Il s'agit, bien sûr, fonctionnellement de conclure, mais il s'agit d'un envoi parce que cela permet de rappeler à nos frères et sœurs chrétiens que, s'ils sont venus à la Messe, c'est bien — il faut qu'il continuent — mais c'est en vue d'autre chose. La Messe n'a pas sa finalité en elle-même. « Laus Dei, ipse cantator ». Je me permets de citer cette formule d'Augustin : c'est ta vie qui va être la louange de Dieu ; c'est le chanteur qui est la louange de Dieu. Ma grand-mère aurait ajouté — elle n’avait pas lu saint Paul en grec ou en latin — : c'est ta vie qui doit devenir sacrifice spirituel (Rm12, 1) « pour la gloire de Dieu et pour le salut du monde » ; et tout se joue là.


Référence : « La Messe », chaîne Youtube KTO TV, émission Au risque de la foi, 24 septembre 2023, disponible sur <https://www.youtube.com/watch?v=sleW7hSIp7Y>.

Bibliographie : Chauvet Louis-Marie, La Messe autrement dit : retour aux fondamentaux, Salvator, 2023.

jeudi 26 janvier 2023

Sur la situation de la rénovation liturgique, par Joseph Ratzinger, prêtre et professeur, en 1966

 

Ce texte est un extrait, consacré  à la liturgie, du discours prononcé par l'abbé Joseph Ratzinger le 14 juillet 1966, à Bamberg, en Allemagne, à l'occasion du Katholikentag ou « Jour des Catholiques ». On y discerne déjà certaines des inflexions qui orienteront, dans les décennies suivantes, sa réflexion sur la nature de la liturgie, et sa situation post-conciliaire.

 

L'abbé J. Ratzinger, lors de ce discours

Le résultat du Concile le plus frappant pour le regard, est le renouveau liturgique. Mais celui-là même dont on désira si ardemment qu’il se produisît et qui fut si joyeusement salué, est largement devenu un signe de contradiction. Assurément, celui qui s'engage sérieusement dans la réalité du culte divin chrétien ne peut douter que, là, se soit produit quelque chose d'important et de grand. Il devra rejeter, comme étant superficielles et inappropriées, les deux objections que l’on entend encore et encore contre deux éléments fondamentaux du renouveau liturgique. Contre le virage en direction de la langue vernaculaire, on dit qu’il conviendrait au Mystère (Mysterium) d’être caché au peuple dans sa propre langue, comme l’ont reconnu toutes les religions, dans lesquelles le Sacré se dissimule toujours de cette façon sous le voile du Mystère (Geheimnis, = secret), — en outre, [on dit] que cette langue [latine] serait la langue unificatrice de toute l’Église, le lien qui unirait les continents et qui, pour nous, témoignerait visiblement, à travers toute la terre, du fait que nous sommes membres de l’unité catholique et nous ferait vivre l’expérience linguistique de cette unité. Mais [elle serait] également le fil qui nous relierait, en arrière, à la prière chrétienne de toutes les époques, et nous placerait au cœur de la multitude immense de ceux qui, avant et après nous, louent Dieu de la même façon et d’une même voix.

La deuxième objection s’élève contre le virage en direction de la communauté : elle évoque le silence sacré qui conviendrait, à son tour, au Mystère (Geheimnis) plus que la voix haute ; elle évoque le calme dans lequel Dieu parle de manière audible, qui permet à l'individu d’entrer vraiment dans la rencontre de son Seigneur, à qui ne laisse plus de temps la réglementation ininterrompue d'une célébration de la Messe en communauté avec des chants et des prières, le fait de se lever, de s'asseoir et s'agenouiller : [ainsi] la liturgie commencerait à s'épuiser dans une activité autosuffisante, et la performance extérieure prendrait la place de la chose véritable : la rencontre avec le Seigneur.

À cela se rattache facilement, de façon plus marginale, une troisième objection, celle des considérations théologiques proprement dites : la réglementation du culte divin commun signifierait simultanément une sorte d’iconoclasme au détriment de la richesse artistique par laquelle le passé a donné à la louange de Dieu, dans la Messe, les formes d’une beauté indépassable, qui seraient désormais remplacées par de massives déclamations dont l'indignité esthétique ne conviendrait pas à l’importance de la chose et ne permettrait pas d’en dégager l'accès aux personnes, mais plutôt à le leur fermer.

Celui qui n’a pas souscrit au fanatisme d'un programme irrévocable, mais qui est disposé à s’interroger sur ce qu'il en est réellement, se rendra très vite compte que, dans les objections en discussion, se mêlent des arguments d’ordres très différents, et que, précisément dans cet entrelacement, s'exprime le dilemme de notre situation actuelle.

Tout d'abord, il n'est pas difficile de montrer que l'argument du Mystère (Mysterium) ne compte pas, voire que, tout comme celui du retrait dans le calme de la piété individuelle qui ne veut pas être dérangée par la communauté, il repose sur une méconnaissance fondamentale de ce qu’est, par essence, le culte divin chrétien. Le comparer aux catégories de l'histoire des religions, vouloir retrouver et assurer ici, en correspondance, leurs manières de sentir, c'est précisément passer à côté de l'essentiel.

Le culte divin chrétien est, en son essence, la proclamation de la bonne nouvelle de Dieu à la communauté présente ; l’accueil par la communauté, en réponse à cette proclamation ; le discours, tenu en commun, de l'Église vis-à-vis de Dieu et qui va, d'ailleurs, de pair avec la proclamation. La proclamation de ce que le Christ a fait pour nous au Cénacle, est, en même temps, louange de Dieu qui a voulu agir ainsi avec nous à travers le Christ. Elle est mémoire des actes de salut de Dieu, à travers laquelle nous nous plaçons, en le commémorant, dans ce qui s'est passé. Mais, en tant que mémoire que nous célébrons, elle est en même temps un appel à Dieu pour qu'il accomplisse ce qui a été commencé autrefois et le mène à son terme : confession de foi et d’espérance, remerciement et demande, proclamation et prière, tout en un. C’est pourquoi la Liturgie, purement en termes de structure linguistique, est construite dans l'être-ensemble du « je » et du « vous », qui fusionne toujours de nouveau dans le « nous » commun de toute l'Église, qui, à travers le Christ, se présente devant la face de Dieu. Dans une Liturgie ainsi conçue, la langue n'a pas le sens du Caché, mais le sens du Révélé, pas le sens du Silence dans le calme de la prière individuelle isolée, mais celui de conduire ensemble au « Nous » uni des enfants de Dieu, qui disent ensemble : « Notre Père ».

Ce fut donc un pas d'une décisive importance que la réforme liturgique dé-ritualise à nouveau la Parole et lui restitue sa signification en tant que parole. Aujourd'hui, nous ne reprenons conscience que progressivement de la perte de sens qu’a pourtant été, en fin de compte, le fait que, lorsque le prêtre prononçait les paroles, avant l'Évangile, demandant à Dieu de bien vouloir purifier son cœur et ses lèvres, tout comme il a purifié les lèvres du prophète Isaïe avec des charbons ardents, afin qu'il puisse proclamer dignement et convenablement la Parole de Dieu, bien qu'il sût très bien qu'il chuchoterait ensuite pour lui-même cette Parole de Dieu tout comme cette prière elle-même, il ne pensait pas à la proclamer. Ou quand il disait Dominus vobiscum, bien que ce « vous » auquel s'adressait sa salutation n'existait pas du tout. La Parole s'était évidée dans un rite, et la réforme liturgique n'a fait ici rien d’autre que de remettre en valeur l’exigence de la Parole et ainsi, naturellement, l’exigence du culte divin adressé par l'Église, qui y est contenu.

Quand Friedrich Heer disait récemment que la Liturgie latine doit être conservée et que le catholique devrait pouvoir la retrouver partout, que ce soit sur Mars ou sur la Lune, tout comme il veut retrouver partout son Sénèque et son Homère, cela veut dire ranger la Liturgie dans le musée du passé, la reléguant dans la neutralisation esthétique et supposer d'emblée qu'elle ne peut plus être comprise aujourd'hui dans sa signification originelle. En ce sens, le caractère scandaleux de la réforme liturgique repose sur le fait qu'elle est assez naïve pour encore comprendre la Liturgie comme elle a été réellement pensée : la prendre effectivement au sérieux pour ce qu'elle est. À cet égard, on peut affirmer que personne aujourd'hui ne prouve la nécessité et le caractère justifié de la réforme liturgique de manière plus convaincante que ses opposants, car ce qu'ils défendent est une mécompréhension de la Liturgie, et ce qu'ils prouvent est, par conséquent, le fait que la forme antérieure de la Liturgie a couru le risque de faire apparaître sa mécompréhension comme la chose véritable. Celui qui saisira cela admettra en même temps que la réforme liturgique implique, jusqu’à un certain point, scandale, mécompréhension et malaise. Il reconnaîtra que la réforme liturgique ne se mesure pas à l'augmentation du nombre des fidèles, mais uniquement à sa correspondance avec l'essence fondamentale du culte chrétien en tant que tel.

Nous dirons donc : le sens de la Liturgie n'est pas de nous remplir, tremblants et inquiets, du sentiment du Sacré, mais de nous confronter avec l'épée tranchante de la Parole de Dieu. Son sens n’est pas de nous fournir le beau cadre solennel d'une calme contemplation et réflexion, mais de nous insérer dans le « nous » des enfants de Dieu et donc aussi dans la kénose de Dieu, qui est descendu dans l'ordinaire, de sorte que même Paul a dû dire à la communauté de Corinthe : « Considérez votre vocation, frères : il n'y a pas beaucoup de sages parmi vous selon la mesure humaine, peu de puissants et peu de nobles » (1 Cor. 1, 26). Et dans la même lettre, contre les extatiques qui faisaient de la glossolalie et parlaient, ravis, dans la langue du Mystère (Geheimnis), Paul observait avec une sobriété implacable : « Dans la célébration liturgique, je préfère dire cinq paroles compréhensibles, donnant instruction aux autres, que dix mille paroles mystérieuses incompréhensibles » (1 Cor. 14,19).

À Rome, au IVe siècle, sur la base de ces textes, la liturgie grecque, devenue incompréhensible, fut traduite en latin, c’est-à-dire rendue accessible à nouveau en langue vernaculaire. Le célèbre historien de la liturgie Th. Klauser dit à ce sujet :

Au quatrième siècle, dans la sobre Rome, on ne savait plus que les sons étranges produits fréquemment par les liturges charismatiques de Corinthe étaient des expressions de leur état extatique. Quand Paul a exprimé des objections contre le « parler en langues » des liturges charismatiques, il devait bien, selon les liturgistes romains de l'époque, faire référence à leur parler dans une langue étrangère incompréhensible. Vraisemblablement, saint Paul ne se serait également en aucun cas opposé à une telle interprétation de ses propos. Qu'il s'agisse de parler en langues ou de langue étrangère, l'un ne correspondait pas plus à son idée de la liturgie que l'autre. » (Kleine abendländische Liturgiegeschichte [ Petite histoire occidentale de la Liturgie] [1965] 27).

Si, de cette manière, la réforme liturgique du Concile semble non seulement justifiée mais nécessaire, cela ne signifie certainement pas, et de loin, que toutes les réalisations pratiques se valent. Quand on voit, à quel point le renouveau liturgique s'opère sans heurt dans les pays qui n'ont pas à se retourner pour considérer la glorieuse préhistoire d'un long mouvement liturgique, on ne soupçonnera probablement pas à tort le fait que, dans la double racine du mouvement liturgique dont le Concile fut le fruit, se cache aussi, pourtant, certains des problèmes qui nous font difficulté aujourd’hui.

Chez nous [en Allemagne], le mouvement liturgique est, d'une part, le fruit du mouvement des jeunes, d'autre part — étroitement lié à lui — celui du renouveau théologique. Mais des deux côtés, il existe aussi certains déséquilibres. Du côté théologique, on rencontre un certain archaïsme dont le but est de restituer la forme classique de la Liturgie romaine qui existait avant la prolifération médiévale et carolingienne. Comme critère du renouveau liturgique ce n’est pas la question : « Comment cela doit-il être », qui joue un rôle, mais plutôt celle-ci : « Comment était-ce à l’époque ? » À cet égard il faut pourtant dire ceci : bien que ce qui existait à l’époque nous fournisse des outils essentiels pour gérer ce qui est aujourd’hui, cela ne constitue pourtant pas le critère simple sur lequel fonder la réforme. Il est précieux de savoir comment Grégoire le Grand a fait, néanmoins ce n'est pas une raison impérieuse pour qu'il en soit ainsi encore aujourd'hui. Mais cet archaïsme, cependant, nous avait fréquemment dissimulé le sens de ce qui est légitime et qui réside également dans les développements ultérieurs, et nous avait fait dogmatiser le goût d'une époque, qui est vénérable, mais pas plus incontestable que n’importe quel autre goût.

 

La Messe solennelle

Ce sont des petites choses, mais pourtant d’un tel caractère symptomatique [= en 1966] : quand on continue aussi de dire en murmurant l'Orate fratres aux servants d’autel, parce quil n’est pas une composante fondamentale de l'ancienne liturgie et, que, déjà lors de son introduction, il était adressé seulement aux servants d’autel ; quand on continue de dire les prières aux bas de l’autel à voix basse et en latin, parce que, de même, elles sont apparues seulement à une époque où la Messe s'était déjà retirée dans le cercle des clercs et des ministres. Comme si une liturgie pénitentielle communautaire sur le seuil du sanctuaire n'avait pas de sens, et certainement du sens pour toute la communauté !

Parfois, bien sûr, de cette façon, l’inverse peut se produire, et cela nous amène à l'autre racine du mouvement liturgique. Celui qui se souvient de l'effort et de l'acharnement avec lesquels le choral, il y a quelques années à peine, a été dogmatisé comme étant la seule forme légitime de musique d'église, ainsi que de l'indignation avec laquelle toute musique orchestrale s'est vu refuser une place dans le sanctuaire (après tout, elle ne vient que de l'époque baroque, et à cet égard, il est déjà assez grave que quelque chose soit carolingien au lieu d'être romain !), et celui qui constate désormais la façon dont, par un soudain engouement pour le jazz, des orchestres complètement différents de ceux d’avant, font leur entrée dans l'église, trouvera difficile de prendre pareillement au sérieux et comme d’une égale importance, tout ce qui lui est présenté, avec la plus grande exigence, comme étant une expression du mouvement liturgique.

Le simple archaïsme n'aide pas, et la simple modernisation encore moins.

À celui qui est d’avis que le culte divin est adressé avant tout à Dieu, paraîtra quelque peu suspect le rôle que le mot « forme structurelle (Gestalt) » a pris entre-temps dans les milieux liturgiques. Qui pourrait bien s’imaginer les Apôtres célébrant des cultes divins expérimentaux pour découvrir quelle forme sera la plus efficace pour la Liturgie et pour la Mission ? Malheureusement, il n’est pas rare d’avoir le sentiment que l'attention des concepteurs [liturgiques] est beaucoup plus tournée vers la forme liturgique que vers celui à qui elle s’adresse. On se rend compte ensuite de l'intention et on est mécontent. Moins de conscientisation serait un plus pour le culte divin. Et qui pourrait contester que, de cette façon, nous sommes déjà en pleine formation d'un nouveau ritualisme de formes structurelles inventives, qui, alors qu’elles sont souvent à peine perçus comme des rites, occultent la chose elle-même à nouveau et presque plus que les rites habituels ?

De plus, qui pourrait nier qu'il existe des exagérations et des déséquilibres ennuyeux et inappropriés ? Est-ce que chaque messe doit vraiment être célébrée versus populum [en direction du peuple] ? Est-il vraiment si important de pouvoir regarder le prêtre en face ou n'est-il pas souvent vraiment bénéfique de considérer qu'il est un frère chrétien avec les autres et qu'il a donc toutes les raisons de se tourner vers Dieu avec eux et ainsi, de dire avec tout le monde, « Notre Père » ? Le tabernacle est éloigné des maîtres-autels — il y a de bonnes raisons à cela —, mais un malaise peut nous envahir lorsque l’on voit que le siège du prêtre prend désormais sa place, et qu’avec lui, émerge, dans la liturgie, un cléricalisme qui peut être plus grave que celui du passé. Ce développement, qui supprimait le siège central du prêtre et faisait du Seigneur dans le tabernacle le Président de la Liturgie, n'était-il pas pourtant aussi justifié, comme nous ne commençons que peu à peu à le redécouvrir aujourd'hui ? La suppression du siège du Prêtre et la construction du tabernacle n'étaient-ils pas pourtant aussi un signe de la compréhension croissante selon laquelle la Maison de Dieu chrétienne est polarisée autour du Christ et que la Liturgie chrétienne ne connaît que le seul Président qu’Il est Lui-même ?

Il ne s'agit pas de nier ces idées qui ont mis en évidence, avec des raisons bibliques claires, la priorité de la célébration liturgique active sur l’adoration, mais il faut signaler un danger de notre forme [rituelle] qui me semble évident. En outre, qu'il existe aujourd'hui un appel radical à la simplicité, souhaitant mettre de côté toute splendeur esthétique pour faire à nouveau l’expérience de la puissance originelle de la Parole et de la Réalité qui, ici, vont à notre rencontre, cela est justifié, et même, nécessaire : l'Église doit revenir ici, encore et encore, à la simplicité des origines pour expérimenter et transmettre l'essentiel qui se cache derrière toutes les formes. Mais en même temps, nous ne pouvons pas oublier que prendre la Cène du Seigneur signifie, en son essence, célébrer une fête et que la beauté festive en fait aussi partie : Le praeclarus calix remonte jusqu’à l'heure de la Cène du Seigneur, et lorsque toute la Liturgie s'efforce d'être un praeclarus calix, une coupe précieuse et éclatante, dans laquelle la splendeur de l'Éternel devient, pour nous, visible et éminente, elle n'a pas besoin d’être gênée par aucun purisme ou archaïsme. Peut-être une telle beauté peut-elle constituer un culte plus désintéressé que la joie créative qui se délecte d'idées liturgiques toujours nouvelles.

Et enfin : la langue de la liturgie doit être compréhensible, c'est irrévocablement vrai et fondamentalement une loi de la liturgie. Mais en quittant sa mère patrie sémitique, l'Église a emporté, avec elle, quelques expressions qui appartiennent, depuis, à tous les chrétiens : l'Amen, l'Alléluia, l'Hosanna et d'abord le Maranatha. Quand Rome a abandonné la langue grecque, elle a fait la même chose : le Kyrie eleison, l’Hagios ho Theos ont été conservés, et, dans la Messe papale solennelle, l’Évangile a continué d’être lu (et est encore lu aujourd'hui) en latin et en grec. Ne doit-on pas avoir un peu mal au cœur quand le Kyrie, le fil ténu qui nous reliait aux Églises d'Orient pendant des siècles de séparation, est désormais supprimé ? Et du reste, si nous considérons sans réserve que la décision de Rome, passée de la Liturgie grecque à la Liturgie latine, est juste, nous ne pourrons pourtant pas négliger le fait que cette décision a marqué le début de la séparation entre l'Orient et l'Occident, qui fut en grande partie un problème linguistique et liturgique. La langue a beaucoup plus de poids qu'on ne le pense habituellement. Cela signifie qu'à l'heure où l'Église s'engage encore une fois dans une nouvelle étape de son cheminement à travers l'histoire, la traduction de la Liturgie est une exigence, mais ne peut dégénérer en iconoclasme. Il existe une loi de continuité qui ne peut être impunément transgressée.

Et tout cela signifie que la réforme liturgique exige un degré élevé de tolérance intra-ecclésiale, qui représente le sobre nom de l'amour chrétien en ce domaine. Le fait qu’on en manque souvent beaucoup est probablement la véritable crise du renouveau liturgique dans notre pays [=l’Allemagne]. La patience mutuelle dont parle Paul, l'espace d'amour dont parle Augustin — eux seuls sont capables de créer l'espace dans lequel le culte divin chrétien puisse mûrir en un véritable renouveau. Car la forme de culte divin la plus vraie pour les chrétiens est l'amour.


Référence

Le discours complet est paru dans Auf Dein Wort hin — Dokumentation zum Deutschen Katholikentag 1966 in Bamberg, publiée par le Comité central des Catholiques allemands, Paderborn 1966, p. 245-264. La partie reproduite ici se trouve aux p 248-254. Sont reprises également les photos de ce volume.

Le discours est également paru dans Das neue Volk Gottes: Entwürfe zur Ekklesiologie, 1969, Patmos, Düsseldorf (Allemagne), p. 305-312 (1. Zur Situation der liturgischen Erneurerung)

Source du texte allemand et des photographies : http://www.summorum-pontificum.de/texte/ratzinger_bamberg.shtml

La traduction française du texte original allemand, est le fait de l’auteur de ce blogue.

lundi 12 décembre 2022

Liturgie : rester fidèles et obéissants, par Andrew Bartel, juillet 2022

 

La transcription (améliorée pour l’écrit) et la version française de ce texte est le fait de l’auteur de ce blogue.


Andrew Bartel en juillet 2022.

Michael Lofton : Que diriez-vous aux groupes de Messes latines qui sont supprimés et essaient de mettre en place des manières souterraines de célébrer la forme extraordinaire. Il ne s’agit pas nécessairement de ceux qui sont F.S.S.P.X. mais seulement de personnes participant régulièrement au rite latin, en pleine communion. Cependant ils commencent à dire des Messes sans la permission de leur Évêque, etc. Que dites-vous de cela ?

Andrew Bartel : C'est comme ça que ça a commencé; c'est ainsi que la trajectoire schismatique de la F.S.S.P.X. [Fraternité Sacerdotale Saint Pie X] a commencé, quand ils se sont mis à célébrer des Messes contre la volonté du Saint-Père. Lorsque vous continuez à vous livrer à des actes répétés de désobéissance envers l'Église, même à quelque chose que vous croyez être juste, vous ne valez pas mieux que les libéraux, les progressistes, les modernistes, ces gens qui pensent qu'ils peuvent ordonner des femmes et célébrer des Messes homosexuelles. Les deux constituent un rejet de l'autorité de Pierre et ce n'est pas parce que l'un a l'air plus convenable et plus fidèle que l'autre qu'ils ne déplaisent pas tous les deux à Dieu et qu'ils ne sont pas tous les deux une forme d’abus. Ainsi, même si l' Église devait supprimer la pratique du Missel de 1962, si elle désirait supprimer le droit [de pratiquer le Vetus Ordo] et faire que la forme ordinaire [du rite] soit la seule pratiquée par les Catholiques romains, [le Pape] serait tout à fait dans l'exercice de son autorité pour le faire. Cela pourrait être une grande difficulté, un grand défi, une grande croix, mais à l'instar de saints, en particulier Padre Pio, qui ont été persécutés à tort par l'Église, nous devrions l’accepter et prier pour être délivrés si cela est vraiment mauvais et si cela est vraiment un abus de pouvoir. Nous pouvons nous attendre à ce que Dieu vienne à notre secours, mais nous devons être fidèles. On ne vainc pas le mal par le mal. Vous n'obtiendrez pas ce que vous voulez en faisant quelque chose de mal. N’est-ce pas ? Vous n'atteindrez pas une bonne fin en faisant quelque chose de mal pour y parvenir. Vous n'accomplirez ce que Dieu veut pour vous que si vous le faites avec les moyens qu'Il vous a donnés sur terre, avec les structures normales qu'Il vous a données sur terre. Vous pouvez voir cela tout au long de l'histoire du salut. Il a mise de côté même de bonnes choses. Regardez Abraham : Dieu était même prêt à lui faire sacrifier son propre fils, et à lui faire subir cette épreuve pour voir s'il serait obéissant. Très souvent, Dieu nous demande de renoncer même aux bonnes choses parce que ce qu'il veut n'est pas le sacrifice sur l'autel, mais le sacrifice dans nos cœurs. Et c'est pourquoi les Écritures disent encore et encore que l'obéissance est plus plaisante et plus d’odeur agréable à Dieu que le sacrifice. En tant que Catholiques traditionnels, nous devons garder cela à l'esprit, d'autant plus que nous traversons une période éprouvante et difficile comme celle-ci.


Version originale

Michael Lofton : What would you say to the Latin Mass groups that are being suppressed and are trying to form underground ways of celebrating the extraordinary form. This is not necessarily those who are S.S.P.X. but just regular Latin rite attendees for people who are in full communion. However they're starting to say Masses without the permission of their Bishop and stuff like that. What do you say about that that?

Andrew Bartel : That's how it began; that's how the schismatic trajectory of the S.S.P.X. began as they began celebrating Masses against the will of the Holy Father. And as you continue to engage in repeated acts of disobedience toward the Church and something you believe is right, you're no better than the liberals, the progressives, the modernists, those people who think that they can ordain women and that they can celebrate gay Masses. Both are a rejection of the authority of Peter and just because one looks cleaner and more faithful than the other doesn't mean that they aren't both displeasing to God and that they aren't both an abuse. So even if the Church was to take away the 1962 practice of the Missal, if [the Pope] desired to suppress the right and have the current form be the only one practiced by Roman Catholics, he's completely within the exercise of his authority to do so. That might be a great difficulty, a great challenge, a great cross, but similar to the example of the Saints especially Padre Pio who were wrongly persecuted by the Church, we should embrace that and pray to be delivered if it is truly wrong and if it is truly an abuse of authority. We can expect God to come to our aid but we have to be faithful. You don't defeat evil with evil. You will not get what you want by doing something wrong. Right? You will not achieve a good end by doing something wrong to achieve it. You will only achieve what God's will is for you, if you do it within the means that He has given you on earth, within the normal structures that He has given you on earth. You can see this all through salvation history. He has taken away even good things. Look at Abraham: He was even willing to make Him sacrifice his own son, and to put him through that test to see if he would be obedient. So often God asks us to give up even good things because what he wants is not sacrifice on the altar, but the sacrifice in our hearts. And that's why the Scriptures say again and again, that obedience is more pleasing and more fragrant to God than sacrifice. We have to, as traditional Catholics, keep that in the forefront of our minds, especially as we're going through a challenging and difficult time such as this.

 

Source :

Entretien de Michael Lofton avec Andrew Bartel : "Why I Left the S.S.P.X.", in Reason & Theology, Youtube, 29 juillet 2022, 1:19:28-1:22:44. Disponible sur <https://www.youtube.com/watch?v=T_YA-mJj9Ks>.

Andrew Bartel est un tertiaire laïc dominicain de la Province du Très Saint Nom de Jésus. Il vit avec sa femme et leurs trois enfants dans le Montana, où il travaille comme vitrier. Il poursuit également des études d'anglais et de philosophie. Andrew a, une partie de sa vie, fréquenté la Société Sacerdotale Saint-Pie X jusqu'en 2013. Il a également fréquenté le Foyer Saint Thomas d'Aquin d’Avrillé, en France, un établissement scolaire pour garçons dirigée par la Communauté dominicaine établie par Mgr Marcel Lefebvre. (Cf. https://reasonandtheology.com/2022/07/30/why-i-left-the-sspx-with-andrew-bartel/)

samedi 28 décembre 2019

L' « esprit du Concile » en matière de langue liturgique, selon Mgr Annibale Bugnini, 1974


Mgr Annibale Bugnini


Pour se faire une idée des présupposés qui ont guidé le travail des réformateurs de la liturgie catholique latine, après le 2d Concile du Vatican, on peut se pencher sur un article de Mgr Annibale Begnini, paru en  1974, « Restaurare la linea “authentica” del Concilio ? » [« Restaurer la ligne “authentique” du Concile »], paru in Sacrée Congragation pour le Culte divin, Notitiæ, n°93-94, mai-juin 1974 (vol. 10, n°5-6), p. 217-221.
 

Mgr Benigni y répondait à ceux qui, critiquant négativement la réforme liturgique, affirmaient que le Concilium (voir plus loin) avait outrepassé les principes définis par le Concile concernant l’usage des langues vivantes dans la liturgie. 

Auparavant, il est bon de préciser qu'Annibale Bugnini (1912-1982) est un prêtre religieux lazariste, ordonné le 26 juillet 1936 et sacré évêque titulaire du diocèse de Diocletiana, le 6 janvier 1972.

À partir de 1946 il fut rédacteur en chef de la revue liturgique Ephemerides liturgicæ et commença à intervenir dans le domaine des études liturgiques spécialisées.

En 1948, le Vénérable Pie XII le nomma Secrétaire de la « Commission pour la Réforme Liturgique », instaurée le 28 juin 1948.

De 1959 à 1962, en vue du 2d Concile du Vatican, le P. Bugnini fut secrétaire de la Commission Préparatoire pour la Liturgie, présidée par le Cardinal Cicogagni. Après l’adoption du schéma préparatoire par le vote du 13 janvier 1962, quelques semaines plus tard, S. Jean XXIII suspendit le P. Bugnini de ses fonctions de Secrétaire de la Commission Préparatoire, sans le reconduire à la Commission conciliaire équivalente. Le Saint Pape lui retira également sa chaire à l’Université du Latran.

Mais le 1er octobre 1963, ouvrant la seconde session du Concile, S. Paul VI, après en avoir fait son théologien personnel, nomma le P. Bugnini à la présidence de la Commission Spéciale pour la Réforme de la Liturgie.

Le P. Bugnini devint ensuite le secrétaire du Consilium ad exsequendam Constitutionem de sacra Liturgia (Conseil pour l'application de la constitution sur la Liturgie sacrée) mis en place par S. Paul VI le 26 février 1964 et présidé, en premier lieu, par le cardinal Lercaro. Ce Conseil était chargé de mettre en œuvre les principes de la réforme liturgique définis par le Concile.

De 1969 jusqu'à 1975, le P. Bugnini fut Secrétaire de la Sacrée Congrégation pour le Culte Divin, dans laquelle le Consilium fut intégré comme « Commission spéciale pour l’application de la réforme liturgique », jusqu'à ce que la Sacrée Congrégation fût réunie, en 1975, à la Congrégation des Sacrements. Le 6 janvier 1972, le P. Bugnini fut nommé évêque titulaire de Diocletiana.

Après 1975, Mgr Bugnini se retira au couvent de San Silvestro. Le 4 janvier 1976, il fut nommé pro-nonce apostolique en Iran. Rentré en Italie pour une opération bénigne, il mourut à l'hôpital, à Rome, le 3 juillet 1982. 
 


Mgr Benigni cite, dans l'article en question, et dans un premier temps, l’article 54 de la Constitution sur la Sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium qui est le suivant :

54. Linguae vernaculae in Missis cum populo celebratis congruus locus tribui possit, praesertim in lectionibus et “oratione communi”, ac, pro condicione locorum, etiam in partibus quae ad populum spectant, ad normam art. 36 huius Constitutionis.
 
Provideatur tamen ut christifideles etiam lingua latina partes Ordinarii Missae quae ad ipsos spectant possint simul dicere vel cantare.
 
Sicubi tamen amplior usus linguae vernaculae in Missa opportunus esse videatur, servetur praescriptum art. 40 huius Constitutionis. 


54. Une place convenable pourra être accordée à la langue vernaculaire dans les Messes célébrées avec le concours du peuple, surtout dans les lectures et la « prière commune », et, selon les conditions locales, aussi dans les parties qui concernent le peuple, conformément à l’article 36 de la présente Constitution.
 
Cependant, on veillera à ce que les fidèles chrétiens puissent dire ou chanter ensemble, également en langue latine, les parties de l’Ordinaire de la Messe qui concernent le peuple. 
 
Toutefois, si, quelque part, l’usage plus large de la langue vernaculaire dans la Messe semble opportun, on observera ce qui est prescrit à l’article 40 de la présente Constitution.



L’article se réfère aux autres articles suivants :

36. §1. Linguae latinae usus, salvo particulari iure, in Ritibus latinis servetur.
 
§2. Cum tamen, sive in Missa, sive in Sacramentorum administratione, sive in aliis Liturgiae partibus, haud raro linguae vernaculae usurpatio valde utilis apud populum exsistere possit, amplior locus ipsi tribui valeat, imprimis autem in lectionibus et admonitionibus, in nonnullis orationibus et cantibus, iuxta normas quae de hac re in sequentibus capitibus singillatim statuuntur.
 
§3. Huiusmodi normis servatis, est competentis auctoritatis ecclesiasticae territorialis, de qua in art. 22 § 2, etiam, si casus ferat, consilio habito cum Episcopis finitimarum regionum eiusdem linguae, de usu et modo linguae vernaculae statuere, actis ab Apostolica Sede probatis seu confirmatis.
 
§4. Conversio textus latini in linguam vernaculam in Liturgia adhibenda, a competenti auctoritate ecclesiastica territoriali, de qua supra, approbari debet. 


36. §1. L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les Rites latins.
 
§2. Cependant, étant donné que, soit dans la Messe, soit dans l’administration des Sacrements, soit dans les autres parties de la Liturgie, l’emploi de la langue vernaculaire peut se montrer souvent grandement utile pour le peuple, une place plus large pourra lui être accorder, surtout dans les lectures et les monitions, dans quelques prières et chants, conformément aux normes qui sont établies à ce sujet dans les chapitres suivants, pour chaque cas.
 
§3. Ces normes étant observées, il revient à l’autorité ecclésiastique territoriale compétente, mentionnée à l’article 22, même, le cas échéant, après avoir délibéré avec les Évêques des régions limitrophes de même langue, de statuer au sujet de l’usage de la langue vernaculaire et de son étendue, en faisant agréer ou confirmer ses actes par le Siège Apostolique.
 
§4. La traduction du texte latin dans la langue vernaculaire, devant être employée dans la Liturgie, doit être approuvée par l’autorité ecclésiastique territoriale compétente dont il est question ci-dessus. 
 
 
40. Cum tamen variis in locis et adiunctis, profundior Liturgiae aptatio urgeat, et ideo difficilior evadat :
 
1) A competenti auctoritate ecclesiastica territoriali, de qua in art. 22 § 2, sedulo et prudenter consideretur quid, hoc in negotio, ex traditionibus ingenioque singulorum populorum opportune in cultum divinum admitti possit. Aptationes, quae utiles vel necessariae existimantur, Apostolicae Sedi proponantur, de ipsius consensu introducendae.
 
2) Ut autem aptatio cum necessaria circumspectione fiat, eidem auctoritati ecclesiasticae territoriali ab Apostolica Sede facultas tribuetur, si casus ferat, ut in quibusdam coetibus ad id aptis et per determinatum tempus necessaria praevia experimenta permittat et dirigat.
 
3) Quia leges liturgicae difficultates speciales, quoad aptationem, praesertim in Missionibus, secum ferre solent, in illis condendis praesto sint viri, in re de qua agitur, periti. 
 
 
40. Cependant, étant donné que, en différents lieux et circonstances, une adaptation plus profonde de la Liturgie est pressante, et que, par conséquent, cela conduit à plus de difficulté :
 
1) L’autorité ecclésiastique territoriale compétente, mentionnée à l’article 22 §2, considérera avec application et prudence ce qui, en ce domaine, peut être à propos d’admettre des traditions et du génie de chaque peuple dans le culte divin. Les adaptations jugées utiles ou nécessaires seront proposées au Siège Apostolique pour être introduites avec son consentement.
 
2) Mais pour que l’adaptation se fasse avec la circonspection nécessaire, faculté sera accordée par le Siège Apostolique à cette autorité ecclésiastique territoriale de permettre et de diriger, le cas échéant, les expériences préalables nécessaires dans certaines assemblées leur étant appropriées et pendant un temps déterminés.
 
3) Parce que les lois liturgiques présentent ordinairement des difficultés spéciales en matière d’adaptation, surtout dans les Missions, on devra, pour les établir, avoir à sa disposition des hommes experts en ce domaine.
 
 
Or, Mgr Benigni affirme : 

Sulla filigrana dello spirito del Concilio più che sulla lettera dell’articolo 54, lavorarono un anno dopo i Padri del « Consilium », per determinare in concreto le parti della Messa che potevano dirsi in volgare. 


C’est sur le filigrane de l’esprit du Concile plus que sur la lettre de l’article 54 que les Pères du « Consilium », ont travaillé un an plus tard, pour déterminer concrètement les parties de la Messe qui pourraient être dites en langue vulgaire.


Il précise, par la suite, ce qu’est, selon lui, cet « esprit du Concile » en matière liturgique :

Aprire i tesori della mensa della parola e della mensa eucaristica al popolo di Dio. Ma che cosa non appartiene nell’azione liturgica al popolo di Dio ? Tutto gli appartiene. Da nulla, infatti, è esclusa la sua attenzione e la sua partecipazione. Nei canti deve partecipare con l’intelligenza e con la voce ; nelle letture con l’ascolto e la comprensione, perché chi parla prima di tutto vuole essere capito ; nelle orazioni e nella preghiera eucaristica deve comprendere, perché ha da ratificare con l’ « Amen » quanto il sacerdote ha compiuto a nome dell’assemblea, ed ha chiesto a Dio. Se perciò il principio della lingua volgare nella liturgia è stato quello di mettere l’assemblea nella condizione di parteciparvi coscientemente, attivamente e fruttuosamente (« scienter, actuose et fructuose », Cost. n. 11), nessuna parte dell’azione sacra si giustifica in una lingua non compresa dal popolo. 


Ouvrir les trésors de la table de la parole et de la table eucharistique au peuple de Dieu. Mais qu'est-ce qui, dans l'action liturgique, n'appartient pas au peuple de Dieu ? Tout lui appartient. En effet, son attention et sa participation ne sont exclues de rien. Dans les chants, il doit participer avec l’intelligence et la voix ; dans les lectures, avec l’écoute et la compréhension, car celui qui parle veut avant tout être compris ; dans les prières et dans la prière eucharistique, il doit comprendre, car il doit ratifier avec l’ « Amen » ce que le prêtre a fait au nom de l'assemblée, et ce qu’il a demandé à Dieu. Si donc le principe de la langue vulgaire dans la liturgie était de mettre l'assemblée en situation de participer consciemment, activement et fructueusement (« scienter, actuose et fructuose », Const. n. 11), aucune partie de l'action sacrée n'est justifiée dans une langue non comprise par le peuple.


Dans la conclusion de l’article, Mgr Bugnini complète d’ailleurs cette description de l’ « esprit du Concile » ou de la « ligne “authentique” du Concile » en matière liturgique :

La liturgia non è più soltanto rubriche o ceremonie : è pastorale, è arte, è teologia, è vita. Non è solo per l’élite, ma per la moltitudine dei fedelo ; non è per appagare l’esteta, ma per alimentare la vita spirituale del popolo di Dio ; non è tanto per il godimento intelletuale di pochi, quanto per edificare nei « piccoli » e negli umili il regno di Dio. Questa sembra l’ »autentica » linea del Concilio. 


La liturgie, [ce n’est] n'est plus seulement des rubriques ou des cérémonies : c’est de la pastorale, c’est de l’art, c’est de la théologie, c’est la vie. Ce n'est pas seulement pour l'élite, mais pour la multitude des fidèles ; ce n'est pas pour satisfaire l'esthète, mais pour nourrir la vie spirituelle du peuple de Dieu ; ce n'est pas tant pour la jouissance intellectuelle de quelques-uns que pour construire le royaume de Dieu chez les « petits » et chez les humbles. [C’est] cela [qui] semble être la ligne « authentique » du Concile.

 
On voit bien que la conservation de l'usage de la langue latine dans les Messes célébrées avec le concours du peuple n’était plus du tout envisagée par les réformateurs de la liturgie latine. Contrairement à la lettre de la Constitution sur la sainte Liturgie, il s’agissait d’étendre l’usage de la langue vernaculaire à toutes les parties de la Messe. Car il fallait absolument que le peuple comprenne tout ce qui se déroule dans l’action sacrée, ce qui semblait impossible aux réformateurs si l’on conservait quelque peu l’usage du latin. Or la Constitution précisait bien que l’on devait veiller « à ce que les fidèles chrétiens puissent dire ou chanter ensemble, également en langue latine, les parties de l’Ordinaire de la Messe qui concernent le peuple. » 

Enfin, concernant le chant grégorien, après avoir souligné que « la Constitution liturgique soutient et défend le chant grégorien », il ajoute :

Bisogna per di riconoscere che quest’azione di conservazione non può né deve impedire la creazione di nuove melodie, di altra musica sul testo volgare. La nota della « universalità », enumerata da S. Pio X tra le carattristiche della musica sacra, acquista in questo caso altre proporzioni e viene posta su basi diverse da quando il latino era unica lingua della liturgia. Se ogni popolo ha la propria lingua, ogni popolo non può non avere la propria musica. La lingua esprime l’anima di un popolo in suoni alfabetici ; la musica lo fa in note. 


Il faut reconnaître que cette action de conservation ne peut et ne doit pas empêcher la création de nouvelles mélodies, d'autres musiques [composées] sur le texte [en langue] vulgaire. La note d’ « universalité », énumérée par saint Pie X parmi les caractéristiques de la musique sacrée, acquiert, dans ce cas, une autre dimension et se place sur des bases différentes puisque le latin était la seule langue de la liturgie. Si chaque peuple a sa propre langue, chaque peuple ne peut manquer d'avoir sa propre musique. La langue exprime l'âme d'un peuple avec des sons alphabétiques ; la musique le fait avec les notes.


On pourra considérer, à tout le moins, que Mgr Benigni n’avait pas pressenti l’immense uniformisation de la culture mondiale qui commençait déjà à poindre dans les années 1960-1970 et qui rendrait sans effet ce souhait que chaque peuple invente une musique sacrée qui convienne à son génie culturel.

De plus, il n'envisageait pas, non plus, la possibilité qu'une autre langue telle que l'anglais, devienne, peu à peu, la langue universelle, et s'apprête à submerger à Dieu ne plaise toutes les langues nationales... L'anglais deviendra-t-elle alors, suivant le principe d'adaptation,  la langue sacrée ?

Remarque: la version française des textes originaux latins et italiens a été revue ou faite par l'auteur de ce blogue.