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dimanche 22 octobre 2017

Le Missel de Paul VI n'est pas responsable des aberrations et de l'anarchie liturgiques, selon Dom G. Oury, 1975

Le Pape François célèbre la messe de Paul VI ad orientem



[O]n fait grief au Missel de Paul VI des aberrations liturgiques que l'on constate aujourd'hui en maintes paroisses, accompagnées souvent d'aberrations doctrinales.

En fait, cet état de choses est bien antérieur à la publication de l'Ordo Missæ, même si, depuis, l'anarchie a fait tâche d'huile ; c'est dans la mesure où l'on s'écarte indûment des normes définies par cet Ordo que les aberrations se produisent ; il est d'expérience que les prêtres qui font preuve d'une créativité intempestive considèrent assez volontiers les lois liturgiques comme inexistantes et certaines points essentiels du Credo comme les croyances agonisantes d'un âge révolu.

L'Église a maintes fois affirmé qu'elle entendait conserver la pleine initiative des formules destinées à porter la prière publique du peuple chrétien ; on ne peut mettre au compte de la liturgie de Paul VI ce que lui-même a positivement désavoué ; il n'est que se reporter à la IIIe Instruction sur l'application correcte de la Constitution conciliaire de liturgie (1), publiée par la Congrégation pour le culte divin :

[On aura garde d'oublier ensuite que la reconstitution personnelle des rites sacrés blesse la dignité des fidèles et ouvre la voie aux formes individuelles et privées dans la célébration des actions liturgiques, qui relève directement de toute l'Église.

Puisque le ministère du prêtre est celui de toute l'Église, il ne peut être exercé que dans l'obéissance et la communion à la hiérarchie, et dans le zèle au service de Dieu et des frères. Il est clair que ce caractère hiérarchique de la Liturgie, sa valeur sacramentelle et le respect dû à la communauté des fidèles, exigent que le prêtre remplisse sa fonction cultuelle comme un serviteur fidèle, un « intendant des mystères de Dieu » (2), n'introduisant aucun rite qui ne soit établi et approuvé dans les livres liturgiques.]

(…) Les textes liturgiques composés par l’Église doivent [eux aussi] être traités avec le plus grand respect ; il n’est permis à personne d’y apporter de son propre chef quelque changement, substitution, suppression ou addition (3).

« Certaines Prières eucharistiques composées à titre de schémas de discussion entre les experts, ajoutait le commentaire officieux de l’Instruction, ont été abusivement mises en service dans les actions liturgiques. D’autres manquent parfois tellement de précision et de contenu doctrinal qu’on peut douter de la validité des célébrations eucharistiques où l’on en fait usage (6). »

Les documents romains ne cessent de rappeler que la réglementation des actions liturgiques ne regarde pas les personnes privées – pas plus les prêtres que les autres – ; c’est une prérogative de l’Église comme telle dont le célébrant est le ministre et le serviteur ; le prêtre est au service de la liturgie et des membres de l’Église.

Le pape a sans doute été profondément déçu de constater que la promulgation des livres liturgiques rénovés n’avait pas suffi à faire cesser, dans l’Église, les initiatives anarchiques de réforme ; en aucun cas, cependant, celles-ci ne doivent être considérées comme la conséquence normale du nouvel Ordo Missæ :

[Cette] réforme, disait Paul VI, met fin aux incertitudes, aux discussions, aux initiatives arbitraires et abusives. De nouveau, elle requiert de nous cette uniformité de rites et de sentiments qui est propre à l’Église catholique, héritière et continuatrice de la première communauté chrétienne, [laquelle ne faisait « qu'un cœur et qu'une âme » (Actes, 4, 32).] L'unanimité de la prière dans l’Église est l'un des signes et l'une des forces de son unité et de sa catholicité. [Le prochain changement ne doit ni rompre ni troubler cette unanimité. Il doit, au contraire, la confirmer, l'affirmer avec un esprit nouveau et jeune (5).]

La réforme, avait-il affirmé peu auparavant, présente des dangers, en particulier celui de l’arbitraire et donc de la désagrégation de l’unité spirituelle de la société ecclésiale, de la qualité de la prière et de la dignité de la liturgie. Les multiples changements introduits dans la prière traditionnelle et commune ont pu donner prétexte à cet arbitraire. Il serait cependant très regrettable que la sollicitude dont a fait preuve l’Église conduise à penser qu’il n’y a plus de règles communes, fixe et obligatoire dans la prière de l’Église et que chacun peut prétendre l’organiser ou la désorganiser à sa guise. Dans ce cas on ne devrait plus parler de pluralisme dans le domaine de ce qui est permis, mais de divergences, parfois non seulement liturgiques mais substantielles. Ce désordre que malheureusement on doit constater çà et là porte un préjudice grave à l’Église : il fait obstacle à la réforme disciplinées et qualifiée que celle-ci autorise (6).

Il est tout à fait injuste d’attribuer au nouvel Ordo Missæ les effets désastreux pour la foi que l’on ne peut que constater chez ceux qui en font bon marché et s’en affranchissent avec une légèreté qui n’a d’égale que leur inconscience. Si tous consentaient à revenir à la véritable liturgie de l’Église romaine, leur foi retrouverait son expression normale, son soutien, sa garantie.

Pour finir, on ne l’en voudra pas de risquer une hypothèse. Dans un article véhément et spirituel paru dans le Figaro du 24 janvier 1975, le Père Bruckberger s’indignait :

Alors que les initiatives liturgiques les plus anarchiques, les plus profanes, pour ne pas dire les plus profanatrices, se multiplient un peu partout dans nos églises et jusque dans nos vénérables cathédrales avec l’assentiment et parfois la participation de certains évêques, il se trouve qu’aux yeux des évêques français un seul rit, une seule liturgie, une seule manière de dire la Messe se trouvent formellement interdits et pratiquement excommuniés, c’est la Messe traditionnelle dite de saint Pie V (7).

Pourquoi cela ? Pourquoi n’a-t-on pas admis la coexistence de deux rits dans l’Église et cette forme particulière de pluralisme qui en vaut bien un autre ?

La réponse n’est pas difficile à trouve : si les requêtes en faveur de la Messe de saint Pie V n’avaient pas, dès l’origine, revêtu la forme d’une condamnation doctrinale sans appel du nouvel Ordo Missæ, la situation aurait été tout autre, le climat de la discussion transformé.

Dès lors que les demandes – pour ne pas dire les mises en demeure – étaient liées de par la volonté de leurs auteurs à une mise en question de l’orthodoxie de la liturgie rénovée de l’Église romaine, rien ne pouvait aboutir ; les tenants de la Messe de saint Pie V se sont placés dans une position intenable ; ils ont, en quelque sorte, scié la branche sur laquelle ils prenaient appui.

S’il refusent l’Ordo Missæ, affirment-ils, ce n’est pas « pour des motifs de convenances ou de préférences personnelles, mais pour des motifs de foi (8) ». Autrement dit, ils réclament la Messe de saint Pie V en récusant le magistère de l’Église tel qu’il s’exprime aujourd’hui par l’organe de Paul VI. Comment dans ces conditions faire droit à leur requête ? (9)


Notes
 
(1) En date du 5 septembre 1970.
(2) Cf. 1 Corinthiens 4, 1.
(3) Cf. Concile Vatican II, Constitution sur la Liturgie, Sacrosanctum Concilium, n. 22, 3 : «  Quapropter nemo omnino alius, etiamsi sit sacerdos, quidquam proprio marte in Liturgia addat, demat, aut mutet (C’est pourquoi absolument personne d’autre, même prêtre, ne peut, de son propre chef, ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie). » Cf. Acta Apostolicæ Sedis 56 , 1964, p. 106.
(4) Sacrée Congrégation pour le Culte divin, Notitiæ, tome VIII, Cité du Vatican, 1971, p. 17.
(5) Acta Apostolicæ Sedis 61, 1969, p. 778-779 ; Documentation catholique, n°66, 1969, p. 1056.
(6) Documentation catholique, n°66, 1969, p. 804.
(7) P. Bruckberger, « Ite missa est », in Le Figaro, Événements et idées, 24 janvier 1975.
(8) Georges Vinson, La nouvelle Messe et la conscience catholique, 1971, p. 4.
(9) Jusqu’en 1984, la célébration de la messe, selon les livres liturgiques promulgués le 23 juin 1962 durant le pontificat de S. Jean XXIII, sans avoir été formellement interdite, ne sera plus permise. Le 3 octobre 1984, la lettre circulaire Quattuor abhinc annos de la Congrégation pour le culte divin autorisera chaque évêque diocésain à permettre aux prêtres et aux fidèles qui lui en feront demande de célébrer la messe en utilisant l'édition 1962 du Missel romain. Elle stipulera notamment que les célébrations devront avoir lieu « dans les églises et les chapelles que l’évêque du diocèse indiquera (et pas dans les églises paroissiales, à moins que l’évêque ne le permette pour des cas extraordinaires) ». Quatre ans plus tard, le 2 juillet 1988, après l’ordination par Mgr Marcel Lefebvre de quatre évêques, Jean Paul II établira la commission Ecclesia Dei, par le Motu proprio Ecclesia Dei adflicta, afin de « faciliter la communion ecclésiale » à « tous les fidèles catholiques qui se sentent attachés à certaines formes liturgiques et disciplinaires antérieures de la tradition latine », « grâce à des mesures nécessaires pour garantir le respect de leurs aspirations ». Toutefois, la célébration de la messe de S. Jean XXIII sera toujours soumise à l’autorisation de l’ordinaire du lieu, donc de l’évêque. Enfin, le 7 juillet 2007, le pape Benoît XVI publiera le Motu Proprio Summorum Pontificum, libéralisant la célébration de la messe de S. Jean XXIII, envisagée alors comme « une forme extraordinaire de l’unique rite romain ». Ce Motu proprio qui concerne également les sacrements du baptême, du mariage, de la confirmation et de l’onction des malades, ainsi que la célébration des funérailles, met fin à l’exigence de requérir une dispense de l’évêque diocésain en vue de pouvoir célébrer la messe selon le rite de 1962. Tout groupe stable de fidèles peut ainsi s’adresser directement au curé de paroisse. Dautre part, tout prêtre de rite latin peut célébrer la messe « en l'absence de peuple » et réciter l’Office divin selon les livres liturgiques de 1962, sans qu'aucun indult ne soit plus nécessaire.

Référence

Dom Guy Ory (moine de Solesmes), La Messe de S. Pie V à Paul VI, Solesmes, 1975, p. 46-49.
 
Les notes ont été refondues par rapport au texte original. D'autres part, certaines citations ont été complétées (texte ajouté entre crochets).

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