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lundi 29 août 2011

Les sentiments nés de jugements favorables et défavorables, selon N.-V. de Latena, 1844.



SECTION III.


SENTIMENTS NÉS DE JUGEMENTS FAVORABLES.

Estime, bonne opinion d'autrui, fondée sur le caractère, la conduite et les talents.

L'estime s'attache bien plus aux qualités solides qu'aux qualités brillantes. Elle sent avec délicatesse, se forme avec réflexion, se défie des passions et fuit le désordre, entouré même de l'éclat du génie, pour suivre paisiblement l'honnêteté qu'accompagne un mérite modeste.

L’estime apprécie le bien ou la conformité à la règle commune ; mais elle a besoin de s'échauffer un peu, pour s'élever jusqu'au sentiment du beau.

Nous donnons une grande preuve d'estime au dépositaire de nos secrets ou de nos intérêts, quand nous le traitons comme si nous n'avions rien à craindre de de lui.

Confiance (1), foi entière en la probité, la justice, la discrétion et la bonté d'autrui.

La confiance naît ordinairement de longues relations et d'un jugement éclairé. Mais quelquefois le cœur l'éprouve d'instinct et par une impression soudaine. Alors le tact, d'un côté, et la loyauté, de l'autre, la mûrissent sans le secours du temps.

Se confier, avec prudence, se défier, avec mesure, deux règles essentielles dans les rapports sociaux.

Considération. L’estime est, comme nous l'avons expliqué, la conviction des bonnes qualités d'autrui ; et la considération est un jugement favorable sur le mérite, le crédit, la dignité extérieure, enfin sur l'attitude sociale d'une personne avec qui l'on n'a pas eu des rapports bien étroits. L'estime s'adresse aux sentiments; la considération, à la position. La confiance, qui suit hardiment l'estime, est plus circonspecte avec la considération; mais dès que les faits l'encouragent, elle donne à celle-ci le caractère de l'autre.

Respect, hommage rendu à la vertu, au mérite éminent, à l'âge, au pouvoir, au rang, et trop souvent à la seule fortune. Une âme timide respecte tout ce qui lui impose ; une âme droite et ferme, tout ce qui lui semble bien. Mais il y a toujours, dans le respect, un peu de crainte de le témoigner trop ou trop peu.

On donne encore le nom de respect à un autre sentiment qui lui ressemble par les effets, mais qui découle d'une source contraire : c'est celui qu'une âme généreuse accorde aux êtres faibles. Sa soumission n'est que de la condescendance, et ses égards couvrent une délicate protection. Tels sont les caractères de notre respect pour les femmes, pour la vieillesse et pour l'enfance.

Vénération. Après l'adoration qui n'appartient qu'à Dieu, la vénération est le plus profond sentiment de respect que l'homme puisse éprouver. C'est un pieux hommage à la perfection morale. Il s'adresse surtout aux qualités et aux vertus pratiques. La vénération s'accroît avec l'âge de la personne qui en est l'objet; mais elle ne tient aucun compte du pouvoir ni de la fortune, si ce n'est pour le bon emploi qu'on en fait. Elle est humble sans abaissement, et chaleureuse sans exagération. Pure comme la vertu qui l'inspire, elle s'affaiblit, au moindre doute, et ne tolère pas la plus légère tâche. Ce scrupule de la vénération prépare celui qui est capable de la ressentir à la mériter à son tour.

Soumission. L'homme qui accepte pour règle la volonté d'un autre, fait preuve de soumission. Il la puise dans le sentiment de son infériorité, dans une modestie sincère, ou dans le désir d'accomplir un devoir.

Une âme sage se soumet, avec résignation, à la force injuste qu'elle ne peut vaincre ; avec respect, à l'autorité régulièrement établie ; avec empressement, à une supériorité incontestable, et avec joie, aux conseils d'une raison bienveillante.

Une âme humble et tendre trouve une douceur infinie dans sa soumission aux personnes qu'elle aime.

Une âme fière se cabre contre la force, et trouve du plaisir à se soumettre à la faiblesse.

Une âme vaine ne comprend pas combien de calme, de véritable dignité, et même de bonheur on peut trouver dans la soumission. Jamais elle ne s'y résigne que par impuissance, par crainte, ou pour attendre l'heure de la révolte.

Admiration, vive satisfaction de l'âme, à la vue de certaines actions, ou de certaines qualités dont la sublimité l'étonne (3). Notre admiration est d'autant plus grande, que la personne qui l'excite s'approche plus de notre idéal, et probablement aussi de nos goûts, de nos sentiments, de notre caractère. On n'admire franchement que ce qu'on voudrait posséder, ou avoir fait.

L'admiration est le prix du génie et des vertus sociales, le lien des siècles, et la plus noble ambition de l'homme, après le désir du bien et de la perfection.

(3) C'est l'admiration que l'homme perçoit surtout par le cœur ; nous avons parlé, à la page 243, de celle qu'il perçoit surtout par l'esprit.


SECTION IV.

SENTIMENTS NÉS DE JUGEMENTS DÉFAVORABLES.

Défiance, attitude défensive d'une âme qui craint d'être trompée. On peut être défiant à l'égard d'une personne, ou dans une circonstance, sans l'être par caractère: La défiance n'est quelquefois que de la prudence, et qu'une preuve de pénétration. Mais les gens expérimentés, et surtout les vieillards, qui ont pu voir toutes les ruses de l'intérêt, portent souvent la défiance jusqu'à l'excès, et en font un défaut.

La défiance veut en vain se cacher : on la reconnaît à sa vigilance, tantôt réservée, tantôt agressive. Le fripon habile devine sa marche, et sait où lui tendre ses pièges. L'homme le plus défiant est bien forcé de se confier à quelqu'un, et il ne manque guère de s'adresser d'abord au plus rusé.

La défiance met une barrière de glace entre celui qui soupçonne et celui qui se voit soupçonné. Un tort connu laisse plus de chances à un rapprochement que le soupçon. Le premier montre tout ce qu'on doit pardonner, et le second exagère ce qu'on doit craindre.

Dédain, hautaine et fastueuse indifférence, conviction du peu de valeur des autres, et déclaration implicite de l'estime de soi.

On laisse à peine tomber un regard distrait sur la personne que l'on dédaigne.

L'homme supérieur se fait remarquer par sa réserve et le sot, par son dédain.

Il est toutefois un dédain majestueux qui peut devenir la plus noble vengeance des injures imméritées ; mais c'est l'arme des forts, et ne s'en sert pas qui veut.

Mépris. C'est l'opposé de l'estime; c'est le profond dégoût que les vices, les sentiments bas, et les actions ignobles font éprouver à une âme délicate. L'aspect d'un homme méprisable lui cause la même répugnance que l'aspect d'un animal immonde.

Le mépris est ordinairement silencieux, et se manifeste par un froid accueil, par un sourire amer, par un geste répulsif; mais quand il passe dans le langage, il devient presque toujours une insulte sanglante.

Le mépris frappe d'autant plus rudement, qu'il tombe de plus haut.

Note.
(1) Nous avons défini, à la page 303, la confiance comme une disposition de celui qui l'éprouve, comme une qualité du cœur : nous la définissons ici comme un jugement fondé sur les qualités de celui qui en est l'objet, comme un sentiment qu'elles inspirent.
 
Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 462-467.

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