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jeudi 16 juin 2011

Les enfants aux États-Unis en 1859

C'étaient les enfants qui étaient les plus insupportables : ils criaient à tue-tête et faisaient un tapage infernal quand les parents ne passaient pas par tous leurs caprices et ne se prêtaient pas à toutes leurs fantaisies. Je ne trouve rien de plus mauvais que de commencer par refuser aux enfants ce qu'ils désirent, et de finir par le leur accorder quand ils le demandent en pleurant et en criant. Une fois qu'on a dit à un enfant oui ou bien non, il faut s'en tenir là ; l'enfant ne sera pas longtemps à comprendre que ses cris et ses méchancetés ne lui servent à rien.

Un autre défaut de l'éducation américaine est d'inculquer de trop bonne heure aux enfants les manières et les habitudes des grandes personnes. Dans beaucoup de pays de l'Europe, les enfants restent trop longtemps enfants, ce qui ne vaut rien non plus, mais ce qui vaut cependant mieux que de les priver tout à fait de l'âge heureux de l'enfance. En Amérique, une petite fille de huit ans veut déjà faire la dame, un garçon de dix ans affecte le genre et les manières d'un jeune homme. Dans les États du Sud, une fille se marie dans sa douzième année, et un garçon qui a le même âge entre dans les affaires ; il y a même des États du Sud où la loi permet de marier les filles de douze ans qui se sont échappées de la maison paternelle ; l'enfant n'a qu'à dire ou affirmer par serment qu'elle a douze ans, pour que le prêtre la marie aussitôt. Ces mariages, qui sont assez fréquents, sont appelés run away matches. Une conséquence naturelle de cette émancipation précoce des enfants est que, non-seulement l'éducation et l'instruction de la jeunesse se trouvent négligées, mais les jeunes filles perdent trop tôt la candeur et l'ingénuité de leur âge ; et, quand elles sont devenues femmes, il leur manque ordinairement la modestie et la réserve, qui sont le plus bel ornement de notre sexe. (…) Je fus d'abord très-surprise de ce savoir superficiel, surtout quand les parents m'assurèrent qu'il y avait déjà quatre ans que leurs enfants allaient à l'école. Plus tard, je me rendis bien compte de cet état de choses. La plupart des parents, n'étant pas eux-mêmes instruits, croient avoir assez fait pour l'éducation de leurs enfants quand ils les envoient à l'école. Les mères appartenant à la classe aisée de la société ont peu de goût pour les soins de la maison et de la famille ; elles passent la plus grande partie de la journée à se balancer dans le rocking-chair (chaise à balançoire), à lire une nouvelle ou bien à faire une promenade, et à visiter les magasins, où elles restent des heures entières à contempler les belles choses étalées devant elles. Elles n'ont ni le temps ni l'envie de s'occuper de l'éducation des enfants et de veiller à leurs études et à leurs progrès. A l'école, les enfants ne sont pas non plus bien stimulés et bien poussés au travail : car, quand l'élève se plaint à ses parents de l'école ou de son maître, c'est toujours l'enfant qui a raison, et, quand il demande à changer d'école, on fait sa volonté. En considération de cette conduite des parents, les maîtres sont forcés de ne pas user de trop de sévérité envers les enfants et de les traiter non comme des élèves, mais comme de grandes personnes, qu'il est de leur intérêt de ménager : s'ils ne le faisaient pas, leurs écoles seraient bientôt désertes.

Quand j'eus vu et observé tout cela, je ne fus plus étonnée de l'instruction superficielle des enfants ; au contraire, je fus surprise de voir qu'ils en savaient encore autant.

Ida Pfeiffer, Mon second voyage autour du monde, L. Hachette, Paris, 1859, p. 521-523.

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