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vendredi 17 juin 2011

Comment traiter nos enfants, selon Ashley Montagu, 1971


Extrait n°1 : p. 67-69.

Au XXe siècle, plus de la moitié des enfants mouraient dans leur première année d'une maladie appelée marasmus, terme grec signifiant « dépérissement ». Cette maladie recouvrait également l'atrophie infantile ou la débilité. Jusque vers 1920, le taux de mortalité des enfants de moins d'un an dans tous les orphelinats des États-Unis s'élevait à presque 100 % ! Devant le désert affectif des établissements pour enfants, le docteur Henry Dwight Chapin, éminent pédiatre new-yorkais, inaugura en Amérique le système du placement des bébés à l'extérieur, au lieu de les confier à des institutions. Mais c'est le docteur Fritz Talbot de Boston qui introduisit l'idée de T.L.C. [Tendresse, soins, amour, de l'anglais, Tender Loving Care], non pas dans les mots mais dans la pratique, à son retour d'Allemagne où il était allé avant la Première Guerre mondiale. En Allemagne, le docteur Talbot avait été reçu à la clinique pour enfants de Düsseldorf par son directeur le docteur Arthur Schlossmann, qui lui en avait montré toutes les salles. Les salles étaient très soignées et très propres mais le docteur Talbot s'étonna à la vue d'une vieille femme, plutôt forte, portant sur la hanche un enfant très mal en point. « Qui est-ce ? demanda le docteur Talbot. - Oh ça, c'est la vieille Anna, répondit Schlossmann, si un enfant ne guérit pas après que nous avons tout tenté sur le plan médical, nous le confions à la vieille Anna qui, elle, réussit toujours à faire quelque chose. »
Cependant, l'Amérique subissait toujours l'influence de l'enseignement dogmatique de Emmett Holt Sr, professeur en pédiatrie à la polyclinique de New York et à l'université de Columbia. Holt était l'auteur d'un petit livre, les Soins et l'Alimentation des enfants, publié pour la première fois en 1894 et qui, en 1935, en était à sa quinzième édition. Tant que dura la notoriété de Holt, cet ouvrage fit autorité dans les familles et devint le « Dr. Spock » de son époque. L'auteur y recommandait de supprimer l'utilisation du berceau, et de ne pas prendre l'enfant dans les bras lorsqu'il pleurait, de le nourrir à heures fixes, de ne pas le gâter par trop de caresses et tout en privilégiant l'allaitement au sein, n'en rejetait pas pour autant l'usage du biberon. Dans un tel climat, l'idée de T.L.C. était considérée comme tout à fait « non scientifique » et n'était même pas abordée.

Pourtant, comme nous l'avons vu, elle avait déjà obtenu droit de cité dès le début du XXe siècle en plusieurs endroits, comme à la clinique pour enfants de Düsseldorf. C'est seulement après la Seconde Guerre mondiale, lorsqu'on chercha à découvrir les causes du marasmus, que l'on s'aperçut que le dépérissement sévissait aussi dans les « meilleurs » foyers, hôpitaux et institutions, parmi les enfants qui apparemment étaient le mieux suivis sur le plan physique. Il apparut clairement que certains enfants de foyers très défavorisés surmontaient dans bien des cas les handicaps physiques et s'épanouissaient en dépit de mauvaises conditions d'hygiène, lorsqu'ils avaient une bonne mère. C'était l'amour maternel qui manquait aux autres bébés, dans leur environnement aseptisé et dont bénéficiaient amplement ces enfants pauvres. Cela fut reconnu vers la fin des années vingt et plusieurs pédiatres des hôpitaux décidèrent d'introduire dans leurs services un régime régulier de soins maternels.

Dans son hôpital le docteur J. Brennemann décida que chaque bébé serait porté et pris dans les bras, promené, « materné » plusieurs fois par jour. À New York, l'hôpital Bellevue où ce régime de soins maternels avait été instituée dans le services de pédiatrie, te taux de mortalité infantile des moins d'un un an tomba de 30-35 % à moins de 10 % en 1938.

On découvrit que pour s'épanouir, l'enfant a besoin d'être touché, pris dans les bras, caressé, cajolé; il a besoin qu'on lui parle, même s'il n'est pas nourri au sein. Nous voulons insister ici sur l'importance du toucher, des caresses, des étreintes, car même si bien d'autres choses lui manquent, il semble que ce soient là les sensations sécurisantes dont il a besoin fondamentalement pour survivre et avoir un minimum de santé. On peut survivre à des privations sensorielles extrêmes dans d'autres domaines, comme par exemple à l'absence de lumière et de bruit si les stimulations sensorielles de la peau subsistent.

[L'auteur évoque ensuite les cas de Laura Bridgman et Helen Keller.]


Extrait n°2 :  p. 76.

Comme nous l'avons déjà vu, le développement correct de l'appareil respiratoire est subordonné dans une certaine mesure au nombre et à la qualité des stimulations cutanées vécues par le bébé. Les personnes qui ont manqué de stimulations cutanées dans leur enfance risquent plus d'avoir le souffle court, sont plus fragiles des voies respiratoires supérieures et plus sujettes aux troubles pulmonaires, que celles qui ont reçu suffisamment de stimulations cutanées. Il y a toute raison de croire que certaines formes d'asthme sont dues, pour le moins en partie, au manque de stimulation tactile précoce.  La fréquence de de l'asthme chez les personnes séparées tôt de leur mère est très élevée. Et prendre dans les bras une personne qui a une crise d'asthme peut soulager, voire interrompre sa crise. 

Margaret Ribble a mis l'accent sur l'importance.des sensations tactiles dans le processus de la respiration. Elle écrit : 

La respiration d'un nouveau né est très légère, instable et insuffisante dans les semaines qui suivent la naissance. Or; elle est stimulée automatiquement et de façon définitive par la succion et le contact physique de la mère. Les bébés qui ne tètent pas vigoureusement ne respireront pas profondément, et ceux que l'on ne prend pas suffisamment dans les bras, en particulier s'ils sont nourris au biberon, présentent souvent des troubles respiratoires et des troubles gastro-intestinaux. Ils finissent par avaler de l'air et souffrent de ce qu'on appelle communément des coliques. Ils ont des troubles d'élimination et il leur arrive de vomir. Apparemment le bon fonctionnement des voies gastro-intestinales, à ce premier âge, dépend en quelque sorte des stimulations-réflexes de la peau. Ainsi, le toucher de la mère a une incidence biologique très forte sur le développement harmonieux des fonctions respiratoires et nutritives de l'enfant. » 


Extrait n°3 : p. 99.

Après avoir passé toute sa vie antérieure douillettement blotti dans la matrice maternelle, le bébé se sentirait certainement mieux, confortablement enveloppé sous les couvertures de son berceau, qu'abandonné  au creux d'un grand lit au fond duquel il repose sur le ventre ou sur le dos, face à la surface blanche, plate, triste et inintéressante du drap ou du plafond avec pour seul dérivatif à ce paysage unidimensionnel et froid les barreaux latéraux de son lit qui l'emprisonnent.

Comme l'a dit  Sylvester : 

« Les petits bébés élevés dans des lits trop grands pour eux deviennent souvent des bébés inquiets, car ils sont bien trop éloignés des surfaces protectrices. Fréquemment par la suite, ils manquent  d'audace dans leurs explorations et ne tentent que peu d'expériences. Les bébés perturbés par des situations nouvelles, ou par le prodome (symptôme prémonitoire d'une maladie physique) cherchent généralement refuge en des lieux protesteurs (les bras de la mère, les bords du lit), exprimant ainsi dans l'espace leur besoin de resserer les limites autour de leur pré-moi, afin de se protéger. » 

(E. SYLVESTER, "Discussion," in M. J. E. Senn (ed.), Problems of Infancy (New York: Josiah Macy, Jr., Foundation, 1953), p. 29.)


Extrait n°4 :  p. 100-102.

Dans un lit, les couvertures bordées autour et au pied du lit pèsent sur le bébé et le laissent partiellement entouré d'air. En fait, ce dont le bébé a besoin et ce qu'il veut, c'est le contact rassurant d'un environnement douillet et réconfortant, qui lui procure un sentiment de sécurité et l'assurance qu'il est toujours en contact avec le monde et non suspendu dans les airs. Le bébé s'assure que tout va bien, en grande partie par les messages qu'il reçoit de la peau. Le soutien que lui apporte l'environnement enveloppant du berceau le rassure, en lui procurant une sensation de continuité, de prolongement de la vie qu'il a menée si longtemps dans la matrice, et cela est bon et réconfortant. Lorsque te bébé ne se sent pas bien ou qu'il a peur, il lui arrive de pleurnicher et si sa mère ou quelqu'un d'autre le berce alors, cela l'apaisera. Bercer un bébé le rassure, car dans la matrice il était continuellement bercé par les mouvements naturels du corps de la mère. Le confort pour un bébé, c'est d'être choyé, et ce confort émane principalement des signaux que sa peau lui fait parvenir. Le plus grand de tous les bien-être est d'être bercé dans les bras de sa mère, pris sur les genoux ou porté sur le dos. Il n'y a pas, selon Peiper, « de meilleur sédatif ». Peiper dit également : 

« Lorsqu'un bébé en bonne santé est sur le point de pleurer, essayez donc de le bercer une seule fois, que ce soit dans les bras, dans un berceau ou dans une voiture d'enfant... Il se calme immédiatement, mais recommence à pleurer dès que le mouvement s'arête. Cela n'arrivera sûrement pas si vous le bercez correctement. » 

(A. PEIPER, Cerebral Function in Infancy and Childhood (New York: Consultants' Bureau, 1963), p. 606.)

Il est absurde d'insinuer que le berceau est nocif parce que le bébé prend l'habitude d'être bercé pour s'endormir. Effectivement, bercer crée des habitudes, au même titre que l'allaitement au sein ou au biberon crée des habitudes. De nos jours, on sèvre les bébés, qu'ils aient été allaités au sein ou au biberon, sans aucune difficulté sérieuse et sans laisser de séquelles. Bien sûr, il ne faut pas le faire trop brusquement. Des milliers de bébés ont été bercés avant de s'endormir, sans pour autant en avoir besoin une fois adultes. Les bébés délaissent leur berceau, de même qu'ils quittent leurs habits de bébé. (...)

En fait, il est très recommandé aux adultes, et spécialement aux personnes âgées d'utiliser des fauteuils à bascule, pour les mêmes raisons qu'on conseille le berceau pour les enfants. Chez les adultes, comme chez les bébés, le balancement augmente le rythme cardiaque, il favorise la respiration et diminue le risque de congestion pulmonaire; il stimule les sensations musculaires; et ce n(est pas le moins important, il entretient le sentiment d'une relation étroite au monde. Lorsqu'il est bercé, un bébé sait qu'il n'est pas tout seul. Bercer provoque une stimulation cellulaire et viscérale générale. Pour les bébés surtout, le balancement facilite le fonctionnement des voies gastro-intestinales. L'intestin est rattaché de manière lâche à la paroi arrière de la cavité abdominale par des replis du péritoine. Le balancement assiste l'intestin dans ses mouvements, comme un pendule, et sert ainsi à améliorer sa tonicité. L'intestin contient toujours du chyle liquide et des gaz. Le balancement répand le chyle d'avant en arrière, partout sur la muqueuse intestinale. Le bonne diffusion du chyle dans tout l'intestin aide évidemment la digestion et problablement aussi l'assimilation. En 1934, Zahovsky écrivait :
 
« Les petits bébés que l'on berce systématiquement après le repas ont moins de coliques, moins d'entérospasmes (contraction spasmodique douloureuse de l'intestin) et sont des bébés plus heureux que ceux qui sont couchés sans être bercés. En fait, je me suis moi-même servi de cette thérapie physiologique ces dernières années pour guérir des jeunes bébes dyspeptiques... Je suis intimement convaincu que l'usage du berceau complète les soins maternels. » 

(ZAHOVSKY, "Discard of the Cradle", Journal of Pediatrics, pp. 660-670; voir aussi Ashley Montagu, "What Ever Happened to the Cradle ? ", Family Weekly (New York), 14 May 1967.)


Extrait n°5 : p. 122-123.

Une perturbation dans le processus normal des soins maternels -- qu'elle ait lieu avant ou après que le bébé se soit identifié à la mère -- peut avoir des conséquences graves,sur la capacité de l'individu à s'endormir ou à bien dormir; les soins de la petite enfance surtout, être tenu, porté, serré tendrement, bercé, jouent un rôle important dans le développement du sommeil, dont les schémas de fonctionnement peuvent durer toute la vie.

 Le bébé éprouve un grand désarroi si son besoin tactile n'est pas satisfait. Il en est de même pour tout autre besoin. Il signale sa détresse par des par des pleurs et attire ainsi l'attention sur ses besoins. Aldrich et ses collaborateurs (ont relevé, parmi les causes de détresse les plus négligées, le besoin de tendresse et celui de mouvement rythmique. Ces chercheurs ont démontré l'existence d'une relation constante entre l'intensité et la fréquence des pleurs et le nombre et la fréquence des soins maternels. Plus on s'occupe du bébé, moins il pleure. Certains bébés continuent de pleurer même lorsqu'ils s'aperçoivent que l'on s'approche d'eux ou même si leur mère les appelle. Ces mêmes bébés cesseront de pleurer si on les lève et les câline. Le besoin d'une stimulation tactile tendre est un besoin primaire qui doit être satisfait pour que le bébé se développe et devienne un être humain sain et équilibré.

A. ALDRICH, CHIEH SUNG, and C. KNOP, "The Crying of Newly Born Babies," Journal ofPediatrics, vol. 27 (1945), p. 95.


Extrait n° 6 : p. 130-131.

Dans chaque drame humain, en dernière analyse, il s'agit toujours d'un problème de communication. De même l'enfant qui n'a pas reçu son content de stimulations cutanées souffre de difficultés d'intégration : il a de la peine à prendre conscience de lui-même comme être humain et comme être aimé. En étant caressé, cajolé, porté, embrassé, bercé, en étant aimé, il apprend à caresser, cajoler, embrasser, bercer, il apprend à aimer les autres. (...) Tout cela se communique à l'enfant pas la peau, dans les premiers mois de sa vie, et se renforce progressivement, à mesure que l'enfant grandit, par la nourriture, les contacts visuels et sonores. L'importance capitale chez le nouveau-né des toutes premières perceptions de la réalité par l'intermédiaire de la peau n'est plus à démontrer. Les messages qu'il reçoit sur sa peau doivent être rassurants, sécurisants et agréables si on veut que l'enfant s'épanouisse. Même lorsqu'il mange, l'enfant a besoin d'être rassuré. Comme Brody l'a montré dans son excellente étude sur les soins maternels :

« Aucun enfant, quelle que soit sa faim, ne prendre plaisir à manger, s'il n'est pas, physiquement, dans des conditions de confort et de sécurité satisfaisantes. »

(S. BRODY, Patterns of Mothering (New York: International Universities Press, 1956), p. 340.)

(...) La frustration des sensations tactiles précoces peut amener chez l'enfant des comportements de substitution comme toute sorte d'auto-manipulations, la masturbation, mais aussi le geste de sucer son pouce, son doigt ou son orteil, de se tirer les oreilles ou les cheveux, de se mettre les doigts dans le nez.


Extrait n°7 :  p. 158-159.

Bowlby a émis l'hypothèse que certaines réactions du bébé servent à tisser un lien entre la mère et l'enfant. Par exemple, lorsqu'il tète, il s'agrippe à sa mère ou la suit, ou encore lorsqu'il pleure ou sourit. Le bébé a l'initiative des premiers trois premiers gestes. Les deux autres sont plutôt des appels à la mère pour qu'elle lui réponde. D'après les observations de Bowlby, le développement de l'enfant est meilleur si la mère le laisse s'aggriper à elle et la suivre, même si elle ne l'allaite pas. Alors que si elle refuse, elle a beau l'allaiter, cela n'empêchera pas des perturbations émotionnelles. Bien plus, Bowlby a l'impression que les enfants sont autant exposés aux troubles psychologiques même graves, pendant la seconde année, lorsqu'ils ont la manie de s'agripper et de suivre leur mère, que pendant les premiers mois où leurs demandes sont beaucoup plus rudimentaires. Nous pensons donc que l'enfant qui bénéficie de l'acquis d'une relation d'amour primaire satisfaisante parce qu'il a été, suffisamment stimulé tactilement n'aura pas besoin de s'agripper, de se coller à la mère et prendra plaisir à se trouver en hauteur, à frissonner, à se balancer. Alors que l'enfant qui n'a pas été comblé dans ses besoins de contacts, surtout pendant la période réflexe de son développement préverbal, réagira à cette expérience traumatisante par un besoin excessif d'être pris dans les bras, d'être bercé, avec l'angoisse permanente de l'instabilité, craignant que son support ne s'effondre. 

J. BOWLBY, "The Nature of the Child's Tie to His Mother," International Journal of Psychoanalysis, vol. 39 (1958), pp. 364-365; J. Bowlby, Attachment and Loss. vol. 1, Attachment (New York: Basic Books, 1969).


Extrait n°8 : p. 191-192.

Pour Anna Freud, 

« s'endormir au contact de la chaleur d'un autre corps est un besoin fondamental de l'enfant. Mais cela irait à l'encontre de toutes les règles d'hygiène qui exigent que les enfants dorment seuls et ne partagent pas le lit parental ».

Elle poursuit en disant :

« Le bébé a un besoin biologique de la présence constante et protectrice de l'adulte. On fait peu de cas de ce besoin dans la culture occidentale. On soumet les enfants à de longues heures de solitude en vertu de la conception fausse qu'il est bon pour un enfant d'être seul quand il dort, quand il se repose et plus tard quand il joue. Les premières ruptures dans le déroulement harmonieux du mécanisme des besoins et des satisfactions viennent de cette conception contraire aux besoins naturels. Ensuite, les mères viennent se plaindre que leur bébé a de la peine à s'endormir ou qu'il ne dort pas la nuit, même s'il est fatigué. »

(A. FREUD, Normality and Pathology in Childhood (New York: International Universities Press, 1965), p. 155. Ibid., p. 156.)

Dans le monde occidental, on rencontre constamment des enfants suppliant leur mère de s'étendre à côté d'eux, ou au moins de rester avec eux jusqu'à ce qu'ils soient endormis. Souvent les mères essaient de décourager ce désir. De son lit, l'enfant ne cesse d'appeler pour que sa mère reste près de lui, laisse la porte ouverte ou la lumière, lui raconte une histoire, lui apporte un verre d'eau, le borde, etc. Autant de symptômes du besoin de l'enfant pour cet objet fondamental, sa mère, avec qui il peut se sentir en sécurité. L'enfant dispose d'un certain nombre de moyens pour faciliter la transition de l'état de veille au sommeil : un animal familier qu'on peut prendre dans son lit, par exemple, ou un jouet en peluche, ou du tissu doux, ou encore diverses activités auto-érotiques comme sucer son pouce, se bercer ou se masturber. Mais lorsqu'on lui retire ces objets, on peut craindre une nouvelle vague de difficultés à s'endormir.

C'est dans sa deuxième année que l'enfant ressent le besoin d'un contact étroit pour s'endormir. On doit le lui offrir. Une mère motivée par le bien-être de son enfant ne devrait pas éprouver de difficultés insurmontables, même dans le monde moderne, à s'allonger un moment près de son enfant, à l'heure de le coucher. Normalement, cela n'est nécessaire que pendant la deuxième année. Il suffit que la mère reste le temps que l'enfant s'endorme.


Extrait n°9 : p. 211-212.

Comme le dit Clay : 

« Lorsque l'enfant grandit, au cours de son processus de socialisation, sa distance de comportement s'accroît. Dans son étude, Clay ayait constaté que les tout-petits, ceux qui ne marchaient pas encore, passaient plus de temps que les autres en contact avec leur mère. C'était la période où l'attachement affectif des enfants à leur mère était à son apogée. Dès que l'enfant sait marcher, il multiplie ses incursions dans le monde extérieur loin de sa mère. Cependant, son indépendance est encore incertaine, car il doit maintenir un contact visuel avec sa mère, ou au moins savoir où elle est, pour se sentir en securité. Clay avait constaté que l'enfant qui n'avait pas de contact tactile satisfaisant avec sa mère n'avait aucun élan tactile vers elle. Elle présentait deux exemples de ce comportement, tous deux dans la phase où l'enfant marche à quatre pattes. Ces enfants restaient loin de leur mère dans la période où, normalement, l'attachement affectif est le plus fort. Cependant, les enfants qui ont une relation tactile tout à fait satisfaisante avec leur mère ne s'accrochent pas plus à leur mère pour autant. Finalement, ce sont les enfants très anxieux qui ont les besoins tactiles les plus forts, ce qui montre bien la fonction physique de la mère comme havre de sécurité. L'un de ces enfants avait souffert d'un manque d'attentions maternelles à son égard et les deux autres subissaient le contrecoup des difficultés conjugales entre leurs parents. « Ces trois enfants s'accrochaient à leur mère comme des petits singes et étaient incapables de quitter le giron maternel, d'explorer leur environnement et de jouer, sauf pour de très brèves sorties. »

V. S. CLAY, "The Effect of Culture on Mother-Child Tactile Communication" (Ph.D. diss., Teachers College, Columbia University, 1966), pp. 281-282.

(...) Les Harlow ont fait remarquer que 

« toutes les interactions qui se nouent entre la mère et l'enfant dans la relation d'allaitement, dans le contact corporel et dans les pratiques imitatives contribuent au sentiment de sécurité de l'enfant. Mais il est établi pour le singe rhésus que c'est le bien-être du contact corporel qui est la variable déterminante ». 

Cela semble vrai aussi du bébé humain. 

H. F. HARLOW and M. K. HARLOW, "Learning to Love," American Scientist, vol. 54 (1966), p. 250. 


Référence 

Ashley Montagu, La peau et le toucher. Un premier langage, Paris, Seuil, 1979. Traduction de Touching : The Human Significance of The Skin, Columbia University Press, 1971. 


Pour information :

1) Montague Francis Ashley Montagu (né Israël Ehrenberg le 28 juin 1905 à Londres, en Grande-Bretagne - mort le 26 novembre 1999, à Princeton, dans le New Jersey, aux États-Unis) était un anthropologue et humaniste anglais. Son oeuvre comprend une soixantaine d'ouvrages dont The Natural Superiority of Women (1957) et Man's Most Dangerous Myth : Fallacy of Race où il s'attaqua à l'idée de la supériorité biologique des races.

Largement méconnues dans le monde francophone et encore trop peu connues dans le monde anglophone, l’œuvre et la pensée d'Ashley Montagu furent entièrement tournées vers la découverte des clés du développement et de l'épanouissement du potentiel humain.

L' Ashley Montagu Institute, mis sur pied en 1997, vise à continuer de faire rayonner les idées du penseur sur l'importance de l'amour dans le développement des êtres humains à travers de la recherche, des interventions communautaires et des activités d'éducation.

Montagu a travaillé à partir de l'hypothèse d'une néoténie humaine [La néoténie décrit, en biologie du développement, la conservation de caractéristiques juvéniles chez les adultes d'une espèce, ou le fait d'atteindre la maturité sexuelle par un organisme encore au stade larvaire.]. Son livre Growing young, qui y est consacré, a été grandement salué par Stephen Jay Gould [Stephen Jay Gould (10 septembre 1941 - 20 mai 2002) est un paléontologue américain, professeur de géologie et d'histoire des sciences à l'Université Harvard, qui a beaucoup œuvré à la vulgarisation de la théorie de l'évolution en biologie et à l'histoire des sciences depuis Darwin].

Montagu était activement opposé aux modifications et mutilations génitales des enfants. En 1994, James Prescott, Ph.D., rédigea la Résolution Ashley Montagu destinée à mettre fin à la mutilation génitale des enfants dans le monde : pétition déposée à la court de justice internationale de La Haye. En 1995, l' American Humanist Association le nomma Humaniste de l'Année.
http://fr.wikipedia.org/wiki/N%C3%A9ot%C3%A9nie 


2) Benjamin McLane Spock (1903-1998) est un athlète et un pédiatre américain qui publia en 1946 le livre The Common Sense Book of Baby and Child Care (traduit en 1952 sous le titre Comment soigner et éduquer son enfant), qui devint un best-seller mondial (en 1998 plus de 50 millions d'exemplaires traduits en 39 langues).

Son message révolutionnaire pour les mères était : « Vous en savez bien plus que vous ne croyez ». Il a été le premier pédiatre à étudier la psychanalyse pour essayer de comprendre les besoins des enfants et la dynamique familiale. Ses conseils d'éducation ont conduit plusieurs générations de parents à être plus souples et plus affectueux avec leurs enfants, en les considérant comme des personnes, à une époque où l'on pensait que l'éducation des enfants devait surtout porter sur l'apprentissage de la discipline, comme par exemple ne pas prendre dans ses bras un enfant qui pleure, pour éviter de le gâter.

Spock défendait des idées qui n'étaient pas courantes : avec le temps, ses livres contribuèrent à changer voire à retourner les opinions de ceux qui étaient les spécialistes de l'époque. Auparavant les experts enseignait aux parents que les bébés avaient besoin d'apprendre à dormir à des horaires réguliers, et que les prendre dans les bras à chaque fois qu'ils pleuraient ne ferait que leur apprendre à pleurer encore plus et à ne pas dormir de la nuit (conception béhavioriste). On avait enseigné qu'il fallait nourrir les enfants à horaires réguliers, ne pas les prendre dans les bras, ni les embrasser ou les bercer, parce que cela ne les préparerait pas à devenir plus tard des individus forts et indépendants dans un monde difficile.

Spock encourageait les parents à considérer chaque enfant comme une personne à part entière, un individu différent et non à appliquer des recettes toutes faites. Dans la 6e édition (1985), il écrivait à propos de la circoncision des enfants bien portants : « Il n' y a aucune justification pour cette opération, si ce n'est celle d'un rite religieux. C'est pourquoi je recommande fortement de ne pas toucher au prépuce. Les parents devraient trouver des raisons convaincantes pour la circoncision, et je n'en connais aucune ! » 

Plus tard il écrivit Dr Spock on Vietnam et une autobiographie Spock on Spock, dans laquelle il développe son regard vis à vis de la vieillesse : Delay and deny (retarder et nier).
On accusa Spock d'être le chef de file de l'éducation permissive, et d'être responsable de ses soi-disant conséquences négatives. Norman Vincent Peale [Norman Vincent Peale (1898 – 1993) était un pasteur et un auteur américain spécialisé dans les questions psychologiques. Il est l'un des inventeurs de la pensée positive. Il a écrit de nombreux livres dont le plus célèbre est La puissance de la puissance de la pensée positive paru en 1952 et vendu à plusieurs millions d'exemplaires] écrivit que « dans les années 1960, les États-Unis ont payé le prix de deux générations de parents qui ont suivi les conseils éducatifs du Dr Spock, en satisfaisant immédiatement les besoins des enfants ». Spiro Agnew [Spiro Theodore Agnew, (né Theodore Spiro Anagnostopoulos, le 9 novembre 1918 à Baltimore dans le Maryland et décédé le 17 septembre 1996 à Berlin dans le Maryland), a été gouverneur du Maryland et le 39e vice-président des États-Unis d'Amérique, de 1969 à 1973, durant le premier mandat présidentiel de Richard Nixon et une partie du second mandat] le désigna comme le « père de la permissivité » et rendait ses principes responsables du développement du manque de respect de la loi chez les jeunes des années 1960.

Les partisans de Spock pensent que ces critiques révèlent une méconnaissance de ce qu'il a vraiment écrit. Lui même dans son autobiographie, signale qu'il n'a jamais été l'avocat de la permissivité, et il remarque que ces accusations ne sont apparues qu'à partir du moment où il s'est publiquement opposé à la guerre du Viêt-Nam. Il considérait ces accusations comme des attaques personnelles, dont la nature et la motivation politique ne faisaient aucun doute.

Spock défendait la thèse que les bébés devaient dormir sur le ventre, dans son édition de 1958 : « ainsi s'il vomit, il ne pourra pas être étouffé par ses vomissures ». Cet avis a assez unanimement influencé ceux qui étaient chargés de donner des conseils d'éducation dans les années 1990. Plus tard des études empiriques ont démontré que cette position augmentait au contraire les risques du syndrome de mort subite du nourrisson. Les défenseurs de la médecine fondée sur les faits ont pris cet exemple pour démontrer l'importance d'appuyer les conseils de santé sur des résultats statistiques. Un chercheur a même estimé que près de 50 000 morts subites de nourrissons en Europe, Australie et États-Unis auraient pu être évitées si on avait modifié ces conseils dans les années 1970, alors que de telles statistiques étaient disponibles.

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