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jeudi 5 juin 2014

Les fondements de l'autorité du mari sur son épouse, selon Robinet, 1782

Un mari et sa femme, par M. J. van Mierevelt, 1609
L'on appelle ainsi l'espèce [=le type] d'autorité qu'on a reconnue de tout temps dans le  [=au] mari à l'égard de la femme.

Il est établi qu'outre l'obéissance générale, la femme en doit une particulière aux volontés du mari ; mais comme il est assujetti lui-même à deux espèces [=types] de lois, les lois divines et les humaines, il ne peut ordonner ce qui leur est contraire, et la femme, soumise à ces mêmes lois, se peut dispenser de l'obéissance conjugale lorsque le mari lui ordonne de les transgresser.

Je parle ici de la femme véritable. Ce n'est pas assez pour lui donner ce nom qu'elle soit liée simplement par les nœuds extérieurs du mariage ; ce n'est pas assez qu'elle ait suivi le mari dans sa maison. Il faut que la liaison la plus intime qui peut unir les deux sexes, ait acquis au mari la supériorité [=autorité] qu'il revendique : la femme alors a passé sous le joug.

Si, cependant, il est lui-même sous la puissance d'autrui, comme le fils de famille ou l'esclave, dans ce cas, les uns et les autres, de même que leurs enfants, dépendent du chef de famille.

Cette dépendance, néanmoins, n'est pas de la même nature : l'autorité du père sur la femme de son fils, du seigneur sur celle de son esclave, ne s'étend qu'aux choses relatives au gouvernement de la maison et [=ainsi qu'à celles] qui sont de bienséance [=caractère convenable, approprié de ce qui se dit, de ce qui se fait, selon les personnes, le sexe, l'âge, le temps, le lieu, etc.] ; elle n'est pas étroite comme celle qui attache la femme aux ordres légitimes du mari ; c'est, pour elle, le devoir le plus sacré. Tout autre lui cède, si l'on excepte, comme je viens de le dire, celui qu'imposent les lois de la religion et une grande partie de celles de l'État.

Tout dicte à la femme l'obéissance qui lui est prescrite. Comme son nom se perd dans celui du mari, sa volonté doit se perdre dans la sienne. Il exerce ses actions ; il jouit de ses biens. Que peut-il lui rester lorsqu'elle s'est livrée elle-même ?

De pareilles lois ne sont pas, comme on pourrait se l'imaginer, injuste, ni l'effet de la seule volonté des hommes. Elles sont puisées dans la nature. Il est conforme à ses lumières que, dans une société établie pour la sûreté [=sécurité] et la tranquillité communes, on ne trouve pas deux volontés actives : elles auraient le droit de se contredire.

Si le bon ordre ne permet qu'une même famille reconnaisse deux maîtres dont le sentiment contraire opérerait d'abord l'inaction et ensuite, le trouble [=dissension] et le dérèglement [=opposition aux règles de la morale], si la nécessité veut qu'une volonté prédomine, il est tout naturel que le plus faible soit soumis au plus fort. C'est la nature qui en a décidé par le partage qu'elle a fait des forces : la femme peut bien lui pardonner cette ombre de supériorité [=autorité] donné à l'homme. Le dédommagement qu'elle en a reçu passe [=surpasse] l'équivalent.

Il dérive encore de cet avantage des forces, un sentiment de justice en faveur de l'autorité de l'homme. Une des premières règles de toute société est de faire la comparaison de ce que chacun y confère [=apporte], pour l'égaliser, autant qu'il est possible. La société conjugale est si étroite, et en même temps si universelle, qu'elle comprend toutes les espèces de sociétés possibles. Les premières que les hommes ont contractés, ont eu pour objet une défense mutuelle : c'est la suite naturelle des premières liaisons. La femme porte [=apporte], à cet égard, beaucoup moins que l'homme dans la société. Le mari est l'appui de sa faiblesse ; les honneurs, les dignités [=charges, offices, emplois considérables], la noblesse du mari rejaillissent sur elle. Il est juste qu'elle récompense ces avantages par l'obéissance à celui qui s'est chargé de la défendre.

Le mari avait, autrefois sur la femme, le droit de vie et de mort : il était juste dans l'origine. Lorsque l'on ne connaissait encore que la loi naturelle, le chef de famille était souverain [=indépendant, possédant l'autorité la plus élevé, jugeant en dernier ressort]­ chez lui ; il était le seul juge. Il avait, par conséquent, le droit de condamner à mort pour les causes qui l'avaient méritée ; mais c'était seulement comme exerçant la justice attachée à la souveraineté : quel autre que lui aurait pu l'exercer ?

Mais après que les corps politiques se furent formés, lorsque les hommes se furent soumis à une autorité fixe et réglée, cet empire du chef de famille aurait dû cesser. Ce fut un abus, quand il conserva, en qualité de mari, un droit qu'il n'avait qu'en qualité de juge souverain.

Cependant, on en trouve partout les vestiges. Par la loi de Romulus, le mari avait sur sa femme un pouvoir, à peu de choses près, sans limites. Il pouvait la faire mourir dans forme judiciaire, dans quatre cas : pour adultère, pour supposition d'enfant [=fait d'attribuer la maternité d'un enfant à une femme qui, en fait, n'en a pas accouché], pour avoir de fausses clés et pour abus de vin. Cette puissance a été commune à la plus grande partie des peuples connus. Les Gaulois, au rapport de César, avaient le pouvoir de vie et de mort sur leurs femmes et leurs enfants. Les Lombards usaient des mêmes lois. Ce droit était en usage par toute la Grèce, dans le cas d'adultère.

Il semble, par ces marques apparentes d'une aussi grande supériorité [=autorité], que les hommes étaient convenus de se révolter contre un ascendant [=autorité, pouvoir ; celui de la femme] dont ils sentaient la force. Ils se flattaient de se déguiser à eux-mêmes leurs maîtres, en lui donnant les dehors d'une dépendance [=subordination] servile [=caractéristique de la condition de l'esclave ou du valet]. Faibles efforts contre un sexe auquel il est donné de régner jusque dans les lieux où il paraît le plus esclave.

L'usage modéra, peu à peu, la rigueur de la loi. La peine d'adultère fut remise à la discrétion des parents de la femme. La répudiation contentera les esprits les plus doux.

Cependant les lois continuaient à retenir les femmes dans une tutelle [charge dévolu à la personne chargée de défendre celui qui, par sa faiblesse, est incapable de se défendre lui-même et de prendre soins de ses affaires] éternelle. Elles passaient de celle du père dans [=à] celle du mari. Si elles sortaient de celle-ci, c'était pour rentrer sous celle d'un frère ou de quelque autre parent. Nous voyons les mêmes lois chez les anciens Germains, avant qu'ils eussent été connus des Romains.

La loi Julia, donné par Auguste [=Caius Octavius Thurinus devenu Imperator Caesar Divi Filius Augustus], ôta aux maris cette autorité sans borne que l'usage avait déjà modérée : il ne laissa le droit de mort qu'au père de la femme, et dans le cas de flagrant délit. Mais, dans la suite, l'impératrice Théodora, maîtresse absolue de l'esprit de l'imbécile Justinien [empereur romain], nourrie de sentiments conformes à la bassesse de sa naissance [fille d'Acacius, dresseur d'ours attaché au cirque de Constantinople, danseuse et courtisane] et respirant l'opprobre [=honte] dans lequel elle ne cessa de croupir, fit faire des lois à l'avantage des femmes, aussi favorables qu'un empereur pouvait les donner sans en rougir. Elle changea la peine de mort encourue par l'adultère en une note d'infamie [=flétrissure imposée à l'honneur et à la réputation d'une personne par la loi et le magistrat] : était-ce une peine d'ôter l'honneur à qui l'avait déjà livré ?

Pour les fautes domestiques où le public est moins intéressé, on est toujours demeuré d'accord que le mari a le droit de corriger [=tenter de supprimer le défaut d'un subordonné en lui imposant la peine qu'il aura méritée en commettant quelque faute, délit ou crime. Le supérieur corrige l'inférieur ; le chef corrige le subordonné ] la femme avec modération [=vertu qui porte à conserver une certaine mesure en toute chose, sans se laisser aller, en l’occurrence, à la colère ou à l'orgueil]. La femme avait, autrefois, une action [=poursuite en justice] contre la mari, lorsque le traitement qu'elle essuyait était trop rude [=violent, impétueux], trop fréquent, ou sans cause. Depuis Justinien, l'action d'injure [=mépris que l'on signifie à quelqu'un en vue de l'offenser, de porter atteinte à l'estime qu'il a de lui ou à sa réputation] n'est plus permise entre le mari et la femme, si elles ne sont pas assez graves pour mériter la séparation.

Mais si nous considérons le pouvoir marital relativement à l'équité naturelle [=sentiment de la justice avec lequel l'homme naît sans qu'il soit besoin que les lois le lui rappelle], le mari n'a aucun pouvoir sur sa femme. Car cette prétendue supériorité [=autorité] du mari sur sa femme est contraire à l'égalité naturelle [=fait que tous les hommes ont en partage la même raison, les mêmes capacités, le même but, la même ascendance, la même physiologie, la même dépendance aux mêmes lois naturelles, la même fragilité, la même nature mortelle ; d'où il résulte que tous les hommes se doivent, les uns les aux autres, la même estime et le même traitement et espèrent le même bonheur et les mêmes satisfactions tirées de la même vie sociale] que ni la force, ni la majesté [=caractère d'une personne qui attire l'admiration, et suscite le respect et l'obéissance], ni le courage [vertu consistant à entreprendre, repousser ou supporter quelque chose de difficile ou de dangereux] ne peuvent détruire, outre qu'il n'est pas toujours vrai que tous les hommes possèdent ce qualités exclusivement aux femmes. Quant à la raison, je crois bien difficile de prouver que la nature en ait mieux partagé les hommes que les femmes.

Le contrat de mariage que quelques-uns font valoir pour établir le pouvoir marital, n'a pas lieu dans les mariage réguliers [=conforme aux règles, lois et règlements], à moins que, par une loi particulière, une nation ne l'exige, ou que les circonstances particulières des contractants ne demandent nécessairement cette condition. Dans tout autre cas, le contrat du mariage laisse dans une parfaite égalité le mari et la femme, tels qu'ils étaient avant que de se marier.

Référence

M. ROBINET, Dictionnaire universel des sciences morale, économique, politique et diplomatique ou Bibliothèque de l'homme d'État et du citoyen, tome 26, Londres, chez les Libraires Associés, 1782, p. 667-669.

Les insertions entre crochets sont du fait de l'auteur de ce blog et veulent éclaircir le sens qui était celui de certains mots au XVIIIe siècle.

mercredi 14 mai 2014

François II, empereur élu des Romains, devient François Ier, empereur héréditaire d'Autriche, 1804

 
François Ier d'Autriche (par F. von Amerling)

Nous François II par la grâce de Dieu empereur élu des Romains toujours auguste, roi de Hongrie et de Germanie, de Bohème, de Galicie, Lodomérie etc., archiduc d'Autriche, duc de Bourgogne et de Lorraine, grand-duc de Toscane etc. etc.

Quoique nous soyons déjà parvenus par la volonté divine et par le choix des électeurs de l'Empire romain et germanique, à une dignité qui ne nous laisse désirer aucune augmentation de titres et de considération, nous devons cependant, en notre qualité de chef de la maison et de la monarchie autrichienne, veiller au maintien et à la conservation de cette égalité de titre et de dignité héréditaires avec les premiers souverains et puissances de l'Europe, qui convient aux souverains de l'Autriche, tant à cause de l'ancien lustre de leur maison, que sous le rapport de l'étendue et de la population de leurs états, comprenant des royaumes et des principautés indépendantes si considérables, et qui leur a été assurée par une jouissance conforme au droit des gens et par les traités. Pour affermir d'une manière durable cette parfaite égalité de rang, nous nous sommes déterminés et croyons être autorisés, d'après l'exemple qui nous a été donné dans le siècle précédent par la cour impériale de Russie, et d'après celui qui nous est donné maintenant par le nouveau souverain de la France à déférer également à la maison d'Autriche, par rapport à ses états indépendants le titre d'empereur héréditaire. En conséquence, nous avons résolu, après mûre réflexion, de prendre et d'établir solennellement, pour nous, et pour nos successeurs dans la possession inaltérable de nos royaumes et états indépendants, le titre et la dignité d'empereur héréditaire d'Autriche (comme dénomination de notre maison) de manière que tous nos royaumes, principautés et provinces conserveront invariablement les titres, constitutions, prérogatives et rapports, dont ils ont joui jusqu'à présent. D'après cette décision et déclaration suprême, nous arrêtons et statuons :

1. Qu'immédiatement après notre titre d'empereur élu des Romains sera intercalé celui d'empereur héréditaire d'Autriche, après lequel suivront nos autres titres de roi de Germanie, Hongrie, Bohème etc., puis ceux d'archiduc d'Autriche, duc de Styrie etc. etc. et ceux des autres pays héréditaires. Mais comme, depuis notre avènement au trône, il est survenu successivement dans les possessions de notre maison plusieurs changemens, qui ont été confirmés par des traités solennels, Nous faisons en même temps connaître les titres ci-dessous, nouvellement réglés d'après l'état actuel des choses, et notre volonté est, qu'ils soient introduits et employés à l'avenir à la place de ceux qui ont été usités jusqu'à présent.

2. Le titre de prince impérial et princesse impériale sera donné et conféré, avec celui d'archiduc et d'archiduchesse, ainsi que d'altesse royale, tant à nos descendants des deux sexes, qu'à ceux de nos successeurs dans la souveraineté de la maison d'Autriche.

3. De même que tous nos royaumes et autres possessions doivent conserver sans restriction, leurs dénominations et rapports actuels, cela s'entend particulièrement de notre royaume de Hongrie et des pays qui y sont réunis, ainsi que de ceux de nos états héréditaires, qui ont été jusqu'à présent en relation immédiate avec l'empire germanique, qui doivent conserver à l'avenir les mêmes rapports avec lui, conformément aux privilèges accordés à notre maison par les empereurs nos prédécesseurs.

4. Nous nous réservons de déterminer ultérieurement les solennités qui devront avoir lieu pour notre couronnement et celui de nos successeurs, comme empereur héréditaire; cependant ce qui a été pratiqué lors de notre couronnement et celui de nos prédécesseurs, comme roi de Hongrie et de Bohème, continuera à subsister à l'avenir sous aucun changement.

5. Cette déclaration et ordonnance sera publiée et mise à exécution dans tous nos royaumes et états héréditaires, sans délai et dans les formes accoutumées. Nous ne doutons pas, que tous nos états et sujets ne reçoivent avec reconnaissance et un intérêt patriotique cette disposition, qui a pour objet le maintien de la considération de la monarchie autrichienne.

                                                                                                Donné à Vienne, le 11 Août 1804.



Grand titre


Nous François II par la grâce de Dieu, empereur élu des Romains, toujours auguste, empereur héréditaire d'Autriche ; roi de Germanie, de Jérusalem, de Hongrie, de Bohème, Dalmatie, Croatie, Esclavonie, Gallicie, Lodomérie ; archiduc d'Autriche ; duc de Lorraine, de Venise, Salzbourg, Styrie, Carinthie et Carniole, grand-duc de Transylvanie, margrave de Moravie, duc de Würtemberg ; de haute et basse Silésie, de Parme, Plaisance, Guastalla, Auschwitz et Zator, de Teschen, Frioul et Zara, prince de Souabe, d'Eichstadt, Passau, Trente, Brixen, Berchtolsgaden et Lindau, comte princier de Habsbourg, Tyrol, Kybourg, Gorice et Gradiska ; margrave de Burgau, de la haute et basse Lusace ; landgrave du Brisgau, de l'Ortenau et du Nellenbourg ; comte de Montfort et d'Hohenems, de Haut et Bas-Hohenberg, de Bregenz, Sonnenberg et Rothenfels, Blumeneck et Hofen ; seigneur de la marche d'Esclavonie, de Verone, Vicence et Padoue, etc.

Moyen titre

Nous François II par la grâce de Dieu, empereur élu des Romains, toujours auguste, empereur héréditaire d'Autriche, roi de Germanie, Hongrie, de Bohème, Dalmatie, Croatie, Esclavonie, Gallicie, Lodomérie et Jérusalem ; archiduc d'Autriche, duc de Lorraine, Venise et Salzbourg, grand duc de Transylvanie, duc de Styrie, Carinthie et Carniole, Wurtemberg, haute et basse Silésie ; comte princier de Habsbourg, du Tyrol etc.

Petit titre

François II par la grâce de Dieu, empereur élu des Romains, toujours auguste, empereur héréditaire d'Autriche, roi de Germanie, de Hongrie, Bohème etc., archiduc d'Autriche, duc de Lorraine, Venise et Salzbourg etc.

Grand titre Latin
 

Nos Franciscus II divina favente clementia, electus Romanorum imperator, semper augustus, hereditarius Austriæ imperator : Germaniæ, Hierosolymæ, Hungariæ, Bohemiæ, Dalmatiæ, Croatiæ et Lodomiriæ Rex : archidux Austriæ, dux Lotharingiæ, Venetiarum, Salisburgi, Styriæ, Carinthiæ et Carniolæ, magnus princeps Transylvaniæ, marchio Moraviæ ; dux Würtembergæ, superioris et inferioris Silesiæ, Parmæ, Placentiæ, Guastallæ, Osveciniæ et Zatoriæ, Teschinæ, Forojulii et Jaderæ : princeps Sueviæ, Quercopolis, Passaviæ, Tridenti et Brixinæ, Berchtolsgadenæ et Lindaugiæ : Comes Habsburgi, Tirolis, Kyburgi, Goritiæ et Gradiscæ, Burgaviæ, superioris et inferioris Lusatiæ ; Landgravius Brisgoviæ, Ortenaviæ et Nellenburgi ; comes a Monte-forte et Alta-Amisia ; superioris et inferioris Hohenbergæ, Brigantii, Sonnenbergæ, Rothenfelsii, Blumeneckii et Hovenæ ; dominus Marchiæ Sclavonicæ, Patavii, Veronæ, Vicentiæ etc.


Référence

Patente de S. M. l'Empereur romain au sujet de l'adoption du titre d'empereur héréditaire d'Autriche, du 11 Août 1804  [Martens, Recueil des traités, t. VIII, p. 225.] in Léopold Neumann, Recueil des traités et conventions conclus par l'Autriche avec les puissances étrangères, depuis 1763 jusqu'à nos jours, tome II, F. A. Brockhaus, Leipzig, 1856, p. 104-107.

mercredi 9 avril 2014

La propagation et la transmigration des âmes dans l'Antiquité, selon Beausobre, 1739



Le prophète Mani
J'ai montré dans le livre précédent que l'ancienne Église ne fut point unanime sur la question de l'origine de l'âme ; les uns crurent qu'elle est une émanation de la nature divine, les autres que Dieu l'a tirée du néant, ce qui fut le sentiment le plus général. Ceux qui en admirent le création supposèrent, les uns, que toutes les âmes furent créées à la fois au commencement du monde ; d'autres, que Dieu les crée incessamment, à mesure qu'il faut animer des corps humains ; d'autres, qu'il les forme d'une substance spirituelle qu'il créa en même temps que la matière de l'univers ; et d'autres, enfin, que les âmes produisent les âmes, comme la chair produit la chair. Il semble que ce dernier sentiment ait été celui de Manichée . « Comme les âmes, dit-il, engendrent les âmes, les corps engendrent de même la nature du corps. C'est ainsi que ce qui naît de la chair est chair, et que ce qui naît de l'esprit est esprit. Or, par l'esprit, il faut entendre l'âme. L'âme naît de l'âme, et la chair de la chair (1). » Je suis néanmoins en doute, si Manichée a donné proprement aux âmes la vertu de se multiplier à l'infini, opinion que l'on attribue aux kabbalistes. Comme ils croient que aussi (cf. Johann Franz Budde, Introductio ad historiam philosophiæ Ebræorum, p.327) qu'elle a la vertu de se multiplier à l'infini, parce que toute partie de la divinité est infinie. D'où ils ont conclu, premièrement, que toutes les âmes humaines étaient contenues dans celle d'Adam, comme dans leur semence. Et secondement qu'elles ont toutes (id., p.357.) péché dans Adam, puisqu'elles étaient toutes en lui.

Je ne crois pas que Manichée ait pensé sur ce sujet comme les kabbalistes ; mais il s'est imaginé que toutes les âmes ayant été mêlées dès le commencement avec la matière, elles ne font que passer par la génération dans des corps humains. Cette idée est confirmée par ce que j'ai rapporté dans le chapitre précédent. On y a vu que les âmes, dispersées dans les corps liquides et solides, entrent dans les hommes avec les aliments et qu'ils les lient ensuite par la génération à des corps organisés. Ainsi, comme les particules de matière qui sont dans les aliments, s'unissent avec la chair et s'en détachent dans les pères et dans les mères, pour former la chair ; de même les particules de la substance céleste qui sont autant d'âmes, s'unissent à l'âme des pères, s'en détachent dans la génération et font les âmes des enfants. Du reste, nous ne connaissons le système des manichéens que fort imparfaitement.

II. De la propagation de l'âme s'ensuivait naturellement celui du péché que notre hérésiarque faisait consister principalement dans la concupiscence ; il la regardait comme la racine de tous les maux. Selon lui le péché passe du père au fils, et par l'âme et par le corps. Car, comment une âme qui brûle du feu de la concupiscence, pourrait-elle produire dans ce monde une âme qui fût exempte de cette passion ? Ou si celle-ci ne fait que se détacher de la première, elle reçoit toute l'impression dont celle-là est agitée. D'ailleurs comme elle est unie avec un corps, qui est la production de la concupiscence, il n'est pas possible qu'elle ne participe à sa corruption, tout de même qu'une liqueur qu'on met dans un vase infecté d'une mauvaise qualité ou d'une mauvaise odeur, prend cette mauvaise odeur ou cette mauvaise qualité. C'est la comparaison dont les Manichéens se servaient pour expliquer comment le péché se communique à l'âme (2).

III. Julien a reproché à S. Augustin d'avoir pris du manichéisme l'article de la propagation des âmes et de croire, après notre hérésiarque (3), qu' Adam est le père de toutes les âmes aussi bien que de tous les corps humains. Effectivement, S. Augustin avait dit qu' « Adam a été tout le genre humain » (4), mais il nia d'avoir pris cette opinion de Manichée, protestant qu'il n'avait jamais vu la lettre où elle était contenue et que Julien avait trouvée à Constantinople. Du reste, ce Père dit qu'il ne saurait décider la question « si Adam n'est le père que de nos corps ou s'il ne l'est point, et de nos corps et de nos âmes (5). » Une des raisons sur lesquelles il fonde ce sentiment, c'est que Dieu ne souffla pas un nouvel esprit de vie dans le corps d'Ève, lorsqu'il l'eût formé d'une côte d'Adam (6) ; il faut donc que l'âme d'Ève fût une particule ou une émanation de celle d'Adam ; d'où il s'ensuit qu'une âme peut engendrer une autre âme, sans aucune diminution de sa substance.

Je ne crois pas que S. Augustin ait pris de Manichée la propagation des âmes. Car outre qu'il l'a nié formellement, on sait que cette opinion eut autant la vogue parmi les Occidentaux (7) qu'elle l'eut parmi les Orientaux où elle fut généralement regardée, non seulement comme très dangereuse, mais comme « indigne de toute créance (8) ». Il faut convenir aussi que S. Augustin ne l'affirme pas dans ses livre De l'âme et de son origine ; mais il est aisé de juger qu'il la préférait à l'opinion de la création des âmes contre laquelle il propose toutes les difficultés qu'il peut imaginer et les pousse de toute sa force. La vérité est que la propagation des âmes avait, selon lui, deux grands avantages. Le premier, qu'elle semblait mettre la justice et la sainteté de Dieu a couvert des objections auxquelles elles sont exposées si Dieu place des âmes innocentes dans des corps auxquels elles ne sont pas plutôt unies qu'elles deviennent nécessairement criminelles et sujettes à toutes les suites du péché ; le second, qu'il expliquait aisément, par cette hypothèse, la propagation du péché originel, et ce mot de S. Paul (Épître aux Romains 5, 12) : « dans lequel (savoir Adam) tous les hommes ont péché (9). « S'il est vrai, dit S. Augustin, que l'homme engendre l'homme tout entier, c'est-à-dire qu'il engendre le corps, l'âme et l'esprit, alors ces paroles de S. Paul : ''dans lequel tous les hommes ont péché'', sont dites dans le sens propre. »

Je ne m'arrêterai point à examiner une sentiment qui se soutient encore dans une communion protestante. Je n'écris pas un ouvrage de controverse ; mais je ne saurais m'empêcher de reprendre à cette occasion une méthode de disputer qui m'a toujours paru aussi vicieuse et aussi injuste qu'elle est commune. Trouve-t-on de la conformité entre l'opinion d'un adversaire et une opinion reçue dans une société hérétique, on ne manque pas d'en profiter. On est presque sûr de la victoire quand on peut dire : « Cela est pélagien, cela est manichéen », etc. Un argument, si peu solide dans le fond, est le plus décisif dans l'esprit de la multitude, trop paresseuse pour entrer dans la discussion des raisons, mais toujours prête à prononcer avec autant de hardiesse que d'ignorance. Que le lecteur se souvienne, s'il lui plaît, qu'en vertu d'un tel argument, S. augustin demeurerait noté de la tâche éternelle de manichéisme, que Julien lui reprocha. Ce Père se déclara, ou du moins il inclina toujours pour la propagation des des âmes qui fut certainement un sentiment de Manichée, de quelque manière que l'on explique cette propagation.

IV. L'hérésiarque croyait aussi la transmigration des âmes (Acta disputationis Sancti Archelai Cascharorum cum Manete Hæresiarcha, p. 15). Tyrbon le dit dans sa relation à Archélaus, et Socrate le confirme (10). Manichée étant persan, il garda plusieurs opinions des mages, et en particulier, la métempsychose qui comme Porphyre le témoigne (11) , fut un dogme des mages. Il est vrai que M. Hyde assure « que les mages remettaient les âmes des morts dans le Ciel où elles demeuraient entre les mains des anges jusqu'à la résurrection (12). » Mais je crois qu'il ne s'agit que des âmes qui ont consommé leur purification.

Je ne suis point surpris qu'un philosophe qui faisait profession du christianisme, ait donné dans une erreur dont il croyait peut-être voir des traces dans l'Évangile même. En effet, il paraît, que les disciples de notre Seigneur croyaient la préexistence des âmes, et, vraisemblablement, leurs transmigrations en plusieurs corps, puisqu'ils demandèrent à J. Christ (Évangile selon S. Jean 9, 2.) si un homme qui était venu au monde aveugle, en s'était pas attiré cette punition par quelque péché qu'il eût commis avant que de naître. Ce qui confirme cette pensée, c'est qu'on  attribue la même erreur aux Pharisiens (Jacques Basnage de Beauval, Histoire des Juifs, depuis Jesus-Christ jusqu'à présent, tome 2, partie 2, p. 19. ; Johann Franz Budde, Introductio ad historiam philosophiæ Ebræorum,, p. 49.). Cependant, Josèphe témoigne qu'ils n'accordaient la métempsychose qu'aux âmes des justes, celles des méchants passant aussitôt après la mort dans des supplices éternels (13). Cela me ferait soupçonner qu'il n'a voulu parler que de la résurrection des justes, et non de la métempsychose. Quoiqu'il en soit, jamais doctrine ne fut plus générale que celle-ci (14). Elle régna dans l'Orient et dans l'Occident, chez les nations polies et chez les nations barbares, et elle est d'ailleurs si ancienne qu'on n'en saurait marquer l'origine, ce qui a fait dire ingénieusement au célèbre Thomas Burnet « qu'on dirait qu'elle est descendue du Ciel », tant elle paraît être « sans père, sans mère, et sans généalogie ». Il est constant que le kabbalistes gardent encore cette ancienne erreur. « Le rabbin Élie, dit un savant moderne, témoigne que la métempsychose est un sentiment reçu et approuvé par les maîtres. Ils ne doutent point que les âmes humaines ne passent d'un corps dans un autre au moins trois fois. Ils assurent que l'âme d'Adam passa dans David et qu'elle doit animer un jour le corps du Messie (Voyez « Animadversiones » in Pirkê de Rabbi Eliezer, p. 162). La preuve kabbalistique de ce mystère est dans le nom d'Adam : l'A désignant Adam, le D, David, et l'M, le Messie. Les kabbalistes ajoutent qu l'âme d'un adultère est envoyée dans le corps d'un chameau, que celle de David aurait subi cette peine s'il n'avait obtenu sa grâce par sa pénitence, et que c'est là que le prophète a dit dans le psaume 13 : ''Je louerai le Seigneur, à cause des biens qu'il m'a faits, et qu'il a délivré mon âme du chameau.'' (15) » Oserais-je mettre ici l'horrible blasphème que les Juifs profanes avancent contre le Sauveur. Ils disent que l'âme de Jésus était celle d'Esaü et que le Seigneur avait la maladie que l'on nomme bellerophonteus morbus, ce qui l'obligeait à fuir la société. Le lecteur peut voir au bas de la page ce que c'est que cette maladie (16).

V. Que les Juifs qui portent encore un bandeau sur les yeux, et un voile sur le cœur qu'ils ne méritent que trop par leur incrédulité, croient la métempsychose, cela ne me surprend point. Mais je l'étonne que cette erreur en ait imposé à des docteurs chrétiens, vénérables par leurs vertus et par leur savoir. Car il est certain qu'Origène (Voyez Pierre Daniel Huet, Origeniana, livre 2 ; question 6, n°17, p. 102) a cru que les âmes animent divers corps successivement et que ces transmigrations sont réglées à proportion de leurs mérites ou de leurs démérites. Si nous en croyons l'anonyme dont Photius nous a donné l'extrait, le savant Origène doit avoir dit « que l'âme du Sauveur est la même que celle d'Adam (17) ». Il avait apparemment pris cette pensée des Juifs. Quoiqu'il en soit, il n'y a nul doute qu'il n'ait admis la transmigration des âmes. La question est seulement de savoir s'il a cru que les âmes raisonnables puissent être avilies jusqu'au point de passer dans les corps des bêtes. S. Jérôme (Epistola LVI ad Avitum, p. m. 440.) qui l'en a accusé témoigne que cette erreur se trouvait dans son premier Livre des Principes, où elle ne se trouve pas à présent dans la version qui nous en reste ; ce qui fait voir que c'est un des endroits que Ruffin, son traducteur, retrancha. S. Jérôme mérite d'être cru. Origène qui philosophe beaucoup dans ses ouvrages, a supposé qu'il était possible que les âmes des grands pécheurs fussent envoyées dans des corps de bêtes pour y expier leurs crimes. Je dis qu'il a cru cela possible, car ce n'est pas un dogme qu'il affirme, ce n'est que conjecture probable comme S. Jérome en convient (18). Et tout ce que l'on peut dire, c'est qu'Origène n'a pas cru que cette opinion blessât en aucune sorte les fondements de la foi. 

Quelques autres philosophes chrétiens que l'on n'a pas traité avec autant de rigueur qu'Origène, se laissèrent séduire aussi bien que lui à l'erreur de la transmigration des âmes (19). Nicéphore Grégoras a eu raison de l'attribuer au célèbre Synésius. On la trouve dans plusieurs endroits de ses ouvrages, mais en particulier dans cette prière qu'il adresse à Dieu : « Ô Père, accordez-moi que mon âme, réunie à la Lumière, ne soit plus replongée dans les ordures de la Terre (20). » Joignons à Synésius un autre philosophe chrétien, mais plus ancien que lui, et qui se déclare hautement dans la même erreur : « Les âmes qui ont négligé de s'attacher à Dieu, dit ce philosophe, sont obligées, par la loi du Destin, de commencer un nouveau genre de vie, tout contraire au précédent, jusqu'à ce qu'elles se repentent de leurs péchés (21). » J'aurais cru que « ce nouveau genre de vie, tout contraire au premier », veut dire que les âmes vicieuses passent dans des corps d'animaux ; mais ce ne peut être la pensée de Chalcidius. Car j'ai remarqué qu'il tâche de tourner en allégorie ce que Platon a dit sur ce sujet afin de le décharger d'un sentiment qui paraît trop absurde (22). Ainsi, ce ne furent pas seulement les simoniens, les basilidiens, les valentiniens, les marcionites et, en général, ceux que l'on nomme gnostiques qui donnèrent dans l'erreur de la métempsychose ; ce furent des philosophes chrétiens d'un grand mérite et d'une haute vertu, l'erreur étant très séduisante à cause de son ancienneté, de son universalité et des principes dont on croyait qu'elle était une conséquence.

VI. Ces principes n'avaient, au fond, rien de fort déraisonnable. Envisageons toujours les erreurs par le côté qui a pu séduire la raison ; l'équité le veut. La métempsychose tira son origine des opinions suivantes. Savoir : 1°, de la préexistence des âmes ;2°, de leur immortalité ; 3°, de la nécessité de leur purification pour être admises dans le Ciel d'où elles étaient descendues ; 4°, d'un ordre de la justice divine, tempérée par la miséricorde, en vertu duquel Dieu ne livre les âmes aux démons qu'après plusieurs répits, pour ainsi dire, et plusieurs châtiments. 

1. La préexistence des âmes, établie au long par Platon dans le 10e livre Des Lois, était le premier fondement de la métempsychose, comme M. Pierre Daniel Huet, dans ses Origeniana (livre 2, question 6, p. 102.). Or, nous avons montré dans le livre précédent que cette opinion fut très générale parmi les philosophes et qu'elle a été très commune parmi les Pères grecs (23). Elle leur a paru nécessaire pour maintenir l'immortalité de l'âme. 

2. Ce sentiment qui est une suite du premier, parut aussi suffisamment lié avec la métempsychose. De là vient que les Égyptiens qui, si l'on en croit Hérodote, furent les premiers qui « immortalisèrent les âmes » , en établirent en même temps les transmigrations (24).

3. La nécessité de la purification des âmes, avant que d'être reçues dans le Ciel, est un sentiment qui ne fait point de déshonneur à la raison, qui a paru conforme à l'Écriture, qui a été embrassé par plusieurs Pères et qui a fourni à la superstition le prétexte d'inventer le Purgatoire. Platon est formel sur cet article  : « Les âmes, disait ce philosophe, ne verront point la fin de leur maux que les révolutions du monde ne les aient ramenées à leur état primitif et ne les aient purifiées des tâches qu'elles ont contractées par la contagion du feu, de l'eau, de la terre, et de l'air (25). »

4. Enfin, les philosophes jugèrent que la justice et l'équité de Dieu ne lui permettant pas de livrer aux démons les âmes vicieuses, à la fin d'une seule vie et d'une seule épreuve, crurent que la Providence les renvoyait, après la mort, en d'autres corps, comme dans de nouvelles écoles, pour y être châtiées selon leurs mérites et purifiées par le châtiment. Les Juifs bornaient ces transmigrations à trois, imagination qu'ils semblent avoir prise de Platon qui ne permettait l'entrée du Ciel qu'aux âmes qui s'étaient signalées dans la pratique de la vertu, pendant trois incorporations (26). Les manichéens, plus indulgents, en accordaient cinq (27). 

Tels étaient les fondements de la métempsychose philosophique. C'était le purgatoire que les sages païens avaient imaginé et que je ne sais comment un catholique qui a de la pudeur et de l'équité, pourrait traiter avec mépris une opinion qui l'emporte infiniment sur la sienne, et du côté de la raison, et par l'ancienneté, et par le nombre des suffrages. N'est-il pas du moins aussi raisonnable d'envoyer une âme d'un corps organisé dans un autre corps organisé que sa nature appelle à gouverner pour y être châtiée et purifiée que de la mettre tantôt dans une lac glacé où elle gèle froid, tantôt dans un feu qui la brûle, que de lui faire prendre la forme d'un valet qui sert dans les bains ou, enfin, de la condamner à je ne sais combien d'autres métempsychoses et d'autres peines bizarres. Le lecteur qui aura le loisir et la curiosité de voir bien des fables sur cette matière, n'a qu'à lire les Dialogues du pape Grégoire Ier que l'on a surnommé le Grand. Le purgatoire philosophique vaut mieux à tous égards que le purgatoire catholique, sans compter que le philosophe désintéressé et fidèle à la vertu, n'a jamais imaginé les indignes moyens que l'avarice des évêques et des prêtres catholiques a inventés pour s’enrichir aux dépens de la crédulité des peuples. Qu'ils aillent apprendre dans Platon qu'on ne fléchit point les dieux par des présents et qu'ils ne se laissent apaiser que par la vertu. 

VII. Manichée ne se contenta pas d'établir sa transmigration des âmes d'un corps humain dans un autre ; il prétendit que celles des grands pécheurs étaient envoyées dans des corps d'animaux, plus ou moins vils, plus ou moins misérables à proportion de leurs vices et de leurs crimes. Il trouva cette doctrine établie parmi les philosophes d'Orient. «  Les Grecs, dit M. Hyde, les Kurdes, les Indiens, les Chinois envoient les âmes dans des corps de bêtes, croyant qu'elles subissent diverses transmigrations et divers degrés de peines ordonnées pour leur purification, et qu'enfin, elles parviennent au Ciel (28). » C'est apparemment des philosophes orientaux que Pythagore et ensuite Platon prirent leurs idées là-dessus. Car, enfin, laissant des allégories au moins très incertaines, Platon a enseigné que les âmes des méchants passent, après la mort, dans le corps de certains animaux dont ils ont eu les vices pendant leur vie (29). Les âmes voluptueuses ou gourmandes sont exilées dans des corps d'ânes ou d'autres animaux lascifs ou voraces ; celles des tyrans, en des corps de loups ou de vautours. On attribue le même sentiment au kabbalistes. Tout cela était pris dans la philosophie orientale.

Tyrbon entre dans un grand détail de la métempsychose manichéenne. Je ne m'arrêterai qu'à éclaircir quelques endroits obscurs. Il dit que, selon Manichée, l'âme d'un meurtrier passe « dans le corps d'un céléphe (30) ». Cornarius a traduit « asini », « d'un âne ». Je ne sais pourquoi. Le P. Pétau a conservé le mot grec et a mis « celephorum », mais l'ancienne version latine paraît avoir fort bien exprimé l'original par ces mots : « in elephanticorum corpora ». L'éléphansiasis est une maladie du sang qui couvre la peau de tâches et de boutons (31). S. Épiphane fait mention, dans l'hérésie 55, d'une sorte de rat de campagne qu'il nomme « μυογαλλίδιον », dont la morsure cause une maladie mortelle mais lente, qui consume insensiblement le corps et qu'il appelle le celephia. Le muogallidion est la musaraigne, sorte de petit rat dont la morsure est venimeuse, comme le P. [Denis] Pétau (Animadversiones ad Epiphanium, p. 223) l'a remarqué.

Le même Tyrbon fait dire ensuite à Manichée (Acta, op. cit., Epiphan., p. 645.) « que si quelqu'un plante l'arbre persea, son âme passera de corps en corps jusqu'à ce que l'arbre qu'il aura planté soit mort. S. Épiphane ajoute au persea, dans un autre endroit (ib., p. 626.), « le figuier, l'olivier, le sycomore et la vigne ». Je n'ai rien à dire sur les deux derniers, mais, pour le figuier et l'olivier, assurément, S. Épiphane se trompe. Car les élus des manichéens (S. Augustin, De moribus manichæorum , chapitre 16) mangeaient des figues et disaient que l'huile est pleine de parties de la substance céleste ; de sorte qu'ils n'avaient garde de condamner comme un crime la plantation du figuier et de l'olivier. Quant au persea, il faut que cet arbre eût des qualités bien malfaisantes pour condamner à une peine si rigoureuse celui qui l'avait planté. Le P. Pétau l'a pris pour le pécher, (Voyez la version de S. Épiphane, Panarion adversus omnes haereses, hérésie 56, n° 9, 28) persica, mais il s'est trompé. C'est un autre arbre. Cependant, comme des auteurs habiles les confondent, cette version pourrait avoir quelques fondements, s'il était vrai que les pêches fussent un poison en Perse. Mais le P. Ange de S. Joseph (Gazophylacium linguæ Persarum, p. 285.) assure qu'elles y sont admirablement bonnes et que, mangées vertes, aussi bien que les autres fruits, elles en font aucun mal. Il ajoute que la province de Ghengia produit, « à ce que l'on dit », des pêches qui causent des fièvres mortelles. Mais la vérité est que le persea n'est point le pêcher.

L'auteur d'une dissertation qui est dans l'Histoire de l'Académie des inscriptions et des belles-lettres, témoigne que le (Voyez le t. 2, p. 286.) « persea est un arbre qui croît aux environs du grand Caire et que les botanistes modernes, quoique différents en quelque chose des anciens, semblent mieux s'accorder sur son caractère. Sans entrer, poursuit l'auteur, dans l'étymologie du nom de persea, que Nicander tire de celui de Persée qu'il suppose avoir porté cet arbre en Égypte tous conviennent que ses feuilles sont très semblables au laurier et que son fruit est de la figure d'une poire qui renferme une espèce d'amande ou ce noyau qui a le goût d'une châtaigne. La beauté de cet arbre qui est toujours vert, l'odeur aromatique de ses feuilles, leur ressemblance à une langue et celle de son noyau à un cœur, sont la source des mystères que les Égyptiens y avaient attaché, puisqu'ils l'avaient consacré à Isis et qu'ils plaçaient son fruit sur la tête de leurs idoles, quelquefois entier et d'autres fois ouvert, pour faire paraître l'amande. »

Je crois que cette description convient fort bien au persea d'Égypte ; mais je ne sais qui a tort, ou de l'auteur, ou de Plutarque ; car Plutarque dit du fruit ce que l'auteur dit du noyau. « Le fruit du persea, dit Plutarque, ressemble à un cœur et sa feuille à une langue (32). » Le lecteur qui voudra voir beaucoup d'érudition entassée sur les différentes espèces du persea ou perseia n'a qu'à consulter [Claude] Saumaise (Exercitationes plinianæ., p. 606 et suivantes) sur Solin. Pour moi, voyant que Manichée avait une si grande aversion pour cet arbre et pour son fruit, ce qui ne conviendrait ni au pêcher, ni au persea d'Égypte, je m'en tiens au témoignage de Pline. Après avoir dit qu'il est faux que le fruit du pêcher soit une espèce de poison, Pline ajoute «  que cela convient au fruit du persea lequel ressemble à une sorte de prune rouge (33) nommée myxa (34). Cet arbre, poursuit-il, ne croît point hors de l'Orient. » Il faut que notre hérésiarque eût bien de l'aversion pour les richesses, puisqu'au rapport du même Tyrbon, il condamnait les âmes des riches à passer leur mort dans des corps de pauvres pour y mendier toute leur vie et qu'outre cette pénitence, elles devaient subir un châtiment éternel (35). Si cela est vrai, on ne dit l'entendre que des mauvais riches ou des élus qui possédaient des richesses contre le vœu de pauvreté qu'ils avaient fait. Tyrbon fait souvent cette faute. Il étend à tous les manichéens les préceptes qui étaient propres à leurs élus.

VIII. Déterminons, à présent, la doctrine des manichéens sur la transmigration des âmes. Elle se réduisait à ces articles.

1° Que les âmes des méchants passent dans des corps vils ou misérables et attaqués de maladies douloureuses afin de les châtier et de les corriger.

2° Que celles qui ne se convertissent pas après un certain nombre de révolutions, sont livrées au démon pour en être tourmentées et domptées. Après quoi, elles sont renvoyées dans ce monde, comme dans une nouvelle école, et obligées de fournir une nouvelle carrière.

3° Que les âmes des auditeurs qui cultivaient la terre, se mariaient, négociaient, etc. et qui, du reste, vivaient en gens de bien, n'étant pas néanmoins assez pures pour entrer dans le Ciel au sortir du corps, passent dans (36) des melons, dans des courges, etc., afin que ces fruits étant mangés par les élus qui ne se marient point, elles ne soient plus liées avec la chair, et qu'elles achèvent leur purification dans le élus.

4° Qu'entre ces âmes, il y en a qui sont renvoyés dans des corps mortels pour vivre de la vie des élus et consommer ainsi leur purification et leur salut.

Car le privilège des âmes des élus était de retourner dans le Ciel, dès qu'elles sont séparées du corps parce qu'elles sont parvenues à la perfection requise pour cela. « Vous ne promettez pas la résurrection à vos auditeurs, dit S. Augustin aux manichéens, mais un retour dans un corps mortel, afin que, naissant de nouveau, ils vivent de la vie des élus (37) . » C'était la le système des nos hérétiques. Agapius l'avait expliqué dans un livre que nous n'avons pas, mais dont Photius nous a laissé un extrait. Ce manichéen disait «  que les âmes qui sont parvenues à la perfection de la vertu, retournent vers Dieu ; que celles qui ont porté la méchanceté jusqu'au comble, sont livrées au feu et aux ténèbres ; mais que celles qui ont eu des mœurs moyennes entres ces deux extrémités, passent en d'autres corps, pour y achever leur pénitence et leur purification (38). » Tout bien considéré, la métempsychose manichéenne était à peu près la même que celle des kabbalistes, telle qu'elle est représentée par le célèbre rabbin Menasseh ben Israël. Il dit «  que Dieu ne perd point entièrement les âmes et ne les anéantit jamais, qu'il n'a point résolu de les bannir absolument et pour toujours de sa présence, mais seulement pour un temps, jusqu'à ce qu'elles soient purifiées de leurs péchés. Après quoi, il les renvoie sans le monde, par le moyen de la métempsychose (39). »

IX. S. Augustin parle d'une secte qu'il appelle les métangismonites (40). C'est comme qui dirait les « transvaseurs ». Ces gens-là disait, au rapport de S. Augustin «  que le fils est dans le père comme un vase plus petit est contenu dans un plus grand (41). » Je ne sais d'où S. Augustin avait pris ce fait, mais j'ai un grand soupçon que les métangismonites sont les manichéens. On lit dans la formule d'abjuration que les Grecs prescrivaient à ces hérétiques : «  J'anathématise ceux qui enseignent la métempsychose, que les manichéens nomment la transmigration des âmes (42). » C'est aussi le terme dont Hégémonius s'est servi dans les Actes d'Archelaüs et que S. Épiphane a conservé en parlant de la métempsychose manichéenne. « Après que les âmes, disait Manichée, ont été châtiées par les démons, Dieu les transvase en d'autres corps... (43) » Les métangismonites sont les métempsychosiens. 

Notes 

(1) « Nam sicut animæ gignuntur animabus, ita sigmentum corporis a corporis natura digeretur... Anima de anima, caro de carne » (Manichée, « Epistula ad Menoch », in S. Augustin Opus imperfectum contra Julianum, livre 3, § 172).

(2) « Συμπαθεὶν τῇ ῦλῃ την ψυχὴν ἐις. μετουσίαν κακίας » (Alexander Lycopolitanus, Contra Manichaei opiniones disputatio, p. 4).

(3) « Adam animarum esse traducem sicut est etiam corporum tradux » (Julien in S. Augustin Opus imperfectum contra Julianum, livre 3, § 188).

(4) « Omnes homines ille unus fuit » (S. Augustin, De peccatorum meritis et remissione, livre 1, chapitre 10).

(5) « Utrum secundum solum corpus, sive secundum utramque partem hominis » (S. Augustin, Opus imperfectum contra Julianum, op. cit.)

(6) On peut voir cette raison en plus d'un endroit des œuvres de S. Augustin. Voyez en particulier De anima et origine ejus, livre 1, chapitre 18.

(7) « Et maxima pars Occidentalium autumant », dit S. Jérôme en parlant de la propagation des âmes (S. Jérôme, Epistola XXVIII, [ad Marcellinum et Anapsychiam], p. m. 612).

(8) C'est ainsi qu'en a jugé Méthodius : « Ὀυ μεν ἤδη καί τῆς ψυχῆς τὴν αθάνατον ὶσίαν μετὰ τοῦ θνὴτου σκειρεσθαι διδάσκωυ πιστεύθησεται σώματοι » (Méthode d'Olympe, Symposium decem virginum, p. 75).

(9) « Si autem illud est verum quod totius homo ex toto homine propagatur, id est corpus, anima et spiritus, ibi proprie dictum est, in quo omnes homines peccaverunt » (S. Augustin, De anima et origine ejus, livre 1, chapitre 17.)

(10) Μετενσωμάτωσιν δογματίζει, à savoir Manichée (Socrate de Constantinople, Historia ecclesiastica, livre 1, chapitre 22. M. de Valois a traduit : « Corpora ex aliis in alia transmutari afferit. » Je suis surpris de cette faute d'un si habile homme. Non seulement cette traduction ne présente aucun sens raisonnable, mais elle n'exprime pas la signification du mot grec μετασωμάτοσις qui ne veut pas dire la « transformation d'un corps dans un autre corps », mais le passage d'un corps dans une autre : μετασωμάτοσιv τῆς ψυχῆς (S. Clément d'Alexandrie, Stromates, livre 6, p. m. 633.). Platon s'est servi dans le même sens du mot μετασωμάτοσις comme on le voit dans les glossaires. Je ne fais pas cette remarqe pour diminuer en aucune manière le mérite du savant Valois, mais pour avertir ceux qui ne lisent que les versions.

(11) « Καὶ γάρ δόγμα πάντων (Magorum) ἰστὶ τῶυ πρώτων τὴν ἐπεμψύχουσιν εἶυαι » (Porphyre de Tyr, De abstinentia, livre 4, chapitre 16, p. m. 165).

(12) « Constat quod Magi reponant animas defunctorum in cœlo, in manibus angelorum usque ad resurrectionem » (Thomas Hyde, De religione veterum persarum, p. 47 in Arg., chapitre 32).

(13) « Μεταβαίνειν δὲ (ψυχεἱν) ἐις ἕτερον σῶμα, τὴὶν τάι αγάθων μονην » (Flavius Josèphe, De bello judaico, livre 2, chapitre 7).

(14) Voyez James Windet, De vita functorum statu, p. 77 ; John Marsham, Chronicus canon, ægyptiacus, ebraicus, græcus, p. 258 ; Homère, Odyssée, livre 13, verset 109. Sur L'Antre des Nymphes, avec l'explication que Porphyre en a donnée, voilà les paroles de Thomas Burnet, Archæologia philosophica , livre 1, chapitre 14, p. 447 : « Doctrina pervetusta et universalis, si quæ alia, cum non tantum per Orientem ubique, sed etiam in Occidente, et apud Druidas et Pythagoreos obtineret. Hæc, inquam, doctrina, quasi cœlo demissa, ὰπάτωρ, ὰμήτωρ, ἀγευεαλόγητος, totum terrarum orbem pervagata est.

(15) Christopher Sandius, De origine animæ, in Addit., à la p. 108. Il cite le rabbin Elias Levita, in Thisbi, au mot « Gilgale ».

(16) La maladie de Bellerophon est la mélancolie, comme on le voit dans ces vers du poète païen Rutilius Claudius Namatianus, parlant des moines (Itinerarium, livre 1, verset 439 et suivants) :
 
Processu Pelagi jam se Capraria tollit.
Squalet lucifugis insula plena viris.
Ipsi se monachos graio cognomine dicunt,
Quod soli nullo vivere teste nolunt.
Munera fortunæ metuunt, dum damna verentur
Quisquam sponte miser, ne miser esse queat ?
Quænam perversi rabies tam stulta cerebri ?
Dum mala formides nec bona posse pati ?
Sive suas repetunt ex fato ergastula pœnas ;
Tristia seu nigro viscera felle tument
Sic nimiæ bilis morbum assignavit Homerus
Bellerophontæis sollicitudinibus.

[Traduction par M. E. Despois, in Itinéraire de Cl. Rutiilius Numatianus. Poème sur son retour à Rome, C. L. F. Panckoucke, Paris, 1843, p. 37 :

« Plus loin, dans la mer, s'élève Capraria ;
C'est une île sauvage, pleine d'espèce d'hommes qui fuient la lumière.
Eux-même se donnent le nom grec de moines,
Parce qu'ils veulent vivre seuls et sans témoins.
Ils fuient les faveurs de la fortune, parce qu'ils en redoutent les disgrâces :
C'est se faire malheureux par crainte du malheur !
N'est-ce pas le délire d'un cerveau renversé,
Que de ne pouvoir supporter le bien, par peur du mal ?
Peut-être est-ce le destin de ces vils esclaves, de s'infliger ainsi le châtiment qu'ils méritent ;
Peut-être un fiel noir gonfle-t-il leur cœur.
C'est ainsi qu'Homère attribue à une excès de bile
La morne tristesse de Bellérophon. »]

Le lecteur peut voir les Poetæ latini minores, de M. Pieter Burman, Lugduni Batavororum, 1731, tome 2, p. 133. Il y trouvera les remarques des savants sur ces mots : « Bellorophontæais sollicitudinibus ». Ne mettons ici que ces vers d'Ausone, Épître 25 à Paulin : 
(…) Ceu dicitur olim
Mentis inops cœtus hominum,et vestigia vitans
Avia perlustrasse vagus loca Bellerphontes.
 
[Traduction de David Amherdt in Ausone et Paulin de Nole : correspondance, Peter Lang, coll. « Sapheneia », Berne (Suisse), 2004, p. 115-116 :

« (…) Comme on dit qu'autrefois,
Privé de la raison, évitant le contact avec les hommes et même leurs traces,
Bellérophon parcourut dans son errance des lieux écartés. » ]
 
(17) « Ὅτι τοῦ σωτῆζου ψυχὴ ἡ τοῦ Αδαμ ἧν » (Photius, Codices, 117).

(18) « Hæc, inquit Origenes, juxta nostram sententiam non sint dogmata, sed quæsita tantum atque projecta, ne penitus intractata viderentur » (S. Jérôme, ib., col. 2)

(19) Voyez les notes de Nicéphore Gregoras sur le traité Des songes, par Synésius, p. 381. Sur ces mots, « τὴς γὴς ωδύεται », qui sont à la p. 140 et sur ceux de la p. 141. « Έις του πρῶτον βιον. Πρῶτον βίον φησὶ (dit Grégoras) ὰντιδιασέλλων πρὸς τοῦς δευτέροῦς, και τρίτους, ὡς φυσὶν Ἕλλενες γίυεσθαι διὰ τὰς μετεμπψυχώσεις (Nicéphore Grégoras in Schol., p. 386).

(20)                                                            Νεῦσον δὲ Πατὲρ
                                                                    Φῶτι μεγεῖσαν
Μηκέτι δῦναι
Ες χθονος ἁταν.

(Synésius de Cyrène, Hymni, III, verset 725.)

(21) « Quæ Dei comitatum animæ neglexerint, alio quodam contrarioque genere, secundum Fatum, vitam exigunt, donec pœniteat eas delictorum suorum » (Chalcidius, in Commentarius in Platonis Timaeum, §. 187.)

(22) Voyez Platon, in Timæus, n° 28, p. 252, in Commentarius in Platonis Timaeum de Chalcidius. Et conférez ce que dit le même Chalcidius, n° 196.

(23) Le livre de Sandius, De origine animæ, en contient la preuve.

(24) « Tοῦ σώματος δὲ καταφθίνοντος ἐς ἄλλο ζῷον αἰεὶ γινόμενον ἐισδύειν, nempe ψυχής » (Hérodote, Histoire, livre 2, § 123 : [« Cérès et Bacchus ont, selon les Égyptiens, la puissance souveraine dans les enfers. Ces peuples sont aussi les premiers qui aient avancé que l'âme de l'homme est immortelle ; que, lorsque le corps vient à périr, elle entre toujours dans celui de quelque animal ; et qu'après avoir passé ainsi successivement dans toutes les espèces d'animaux terrestres, aquatiques, volatiles, elle rentre dans un corps d'homme qui naît alors ; et que ces différentes transmigrations se font dans l'espace de trois mille ans. Je sais que quelques Grecs ont adopté cette opinion, les uns plus tôt, les autres plus tard, et qu'ils en ont fait usage comme si elle leur appartenait. Leurs noms ne me sont point inconnus, mais je les passe sous silence. »]). Voyez ce que dit là-dessus M. [Pierre Daniel] Huet in Origeniana, livre 2, question 6, § dernier.

(25) Voyez Platon in Timæus, § 28, p. 252. Le grec de Platon est obscur. La traduction de Cicéron ne l'est guère moins. Voyez celle de Chalcidius, ib., p. 250. Le sens que j'ai donné aux paroles de Platon n'est pas tout à fait le même que le sien.

(26) « Quasdam vero animas quæ vitam eximie per trinam incorporationem egerint virtutis merito, aëreis vel athereis plagis consecrari putat Plato, a necessitate incorporationis immunes » (Chalcidius, in Commentarius in Platonis Timaeum, chapitre 7, § 135). Joignons à ce passage de Chalcidius celui de Pindare : 

Ὅσοι δ᾽ἐτόλμασαν ἐσ τρὶς
Ἑκατέρωθι μείναντες
Ἀπὸ πάμπαν ἀδίκων ἔχειν
Ψυχάν, ἔτειλαν Διὸς
Ὁδὸν παρὰ Κρόνου
Τύρσιν· ἔνθα μακάρων
Nᾶσος ὠκεανίδες
Ἆυραι περιπνέοισιν

(Pindare, Olympiques, versets 122-130). 
Le sens est en un mot, « que les âmes qui pendant trois transmigrations, se seront abstenues de toute injustice, arriveront au séjour des Bienheureux ». Cela fait voir que cette opinion, à savoir que les âmes ne parviennent à la souveraine félicité qu'après avoir vécu saintement pendant trois incorporations, était reçue chez les Grecs plus de cent ans avant Platon ; Pindare étant né 520 ans avant Notre Seigneur et Platon, 430 ans. Voyez Johann Albert Fabricius, Bibliotheca græca, tome 1, p. 551 et tome 2, p. 3).

(27) On lit dans la version latine des Actes d'Archélaûs : « In alia quæque corpora ». Il faut lire : « In alia quinque corpora », « εἰς πέντε σώματα », comme on lit dans S. Épiphane.

(28) « Græci et Curdii et Indii et Serres eas (animas) reponunt in bestiis, credentes animas varias subire transmigrationes, pœnæ gradus, ad deparationem, easque tandem ad Cœlum, etc. » (Thomas Hyde, op. cit., p. 47). Dans le style des Orientaux, les Chinois sont les Tartares en général.

(29) « Ενδοῦνται δὲ ἅσπιρ ἐικος ἐις τὰ τοῖαυτα ἤθη, ἱποῖα ἄν καὶ μεμέλετηκυῖαι τύχωσιν ἐν τᾤ βίῳ, etc. » (Platon, in Phædo, p. m. 386). Conférez Chalcidius, in Commentarius in Platonis Timaeum, chapitre 8, § 135. Thomas Stanley, in Pythagoras, p. 776.

(30) « Ἐις κολίφαν σῶμα » (S. Épiphane, Panarion adversus omnes haereses, p. 644).

(31) Voyez la note de M. [Johann Albert] Fabricius sur cet endroit de la version latine des Actes d'Archelaüs dont il a donné un édition avec les œuvres d'Hippolyte. Quelques-uns croient que l'elephantiasis est la lèpre, mais Vossius le nie.

(32) « Ὅτι καρδίᾳ μὲν ὁ κάρπος ὰυτῆς, γλάττῃ τὸ φύλλον ἕοικεν » (Plutarque, Isis et Osiris, p. 378).

(33) « Falsum est venenata... Id enim de Persea diligentiores tradunt quæ in totum alia est (a persica) mixis rubentibus similis, nec extra Orientem nasci voluit » (Pline, Historia naturalis, livre 15, chapitre 13).

(34) « Myxa » : quelques glossaires disent que c'est la sebeste dont on peut voir la description sans Prosper Alpinus, De platis Ægypti, p. 29 et suivantes.

(35) « Ἐις κώλασιν ἀιώυιον » (S. Épiphane, op. cit., p. 645.)

(36) « Melones, cucumeres » (S. Augustin, contra Faust., livre 5, chapitre 10). « Cucurbitas » (livre 6, chapitre 4).

(37) « Eis (auditoribus) non resurrectionem (notez en quel sens les manichéens prenaient le mot de résurrection) sed revolutionem ad istam mortalitatem, promistis, ut rursus nascantur et vita electorum vivant » (S. Augustin, op. cit., livre 5, chapitre 10).

(38) « Είς ακρον ἀρέτης ἰληλυκότας εὶς Θεὸν ἀναλύων : εἰς ἄκρον κακίας πυρὶ διδοῦς καὶ σκώτῳ : τοῦς δἐ μέσως πολιτευασαμεθροῦς πάλιν εὶς σώματα κατάγων », à savoir Agapius, dans Photius, codex 179, col. 405. L’interprète de Photius a traduit ces mots : « ἐις Θεὸν ἀυαλύων » par « in Deum resolvendo » fort mal. « ἀυαλύειν ἐις Θεὸν », c'est : « reverti ad Deum ».

(39) « Deum non omnino perdere animam atque annihilare... Deum constituisse eam non penitus et plane e se depellere atque rejicere sed ad tempus donec tantum sese a vitiis peccatisque purgaverit : tum vero deinde eam velle reducere et remittere altera vice in mundum per metempsychosin seu animarum transmigrationem, ut cabalistæ opinatur » (Menessah ben Israël, Problemata, 17, De creatione, p. 74.

(40) Metangismonitæ (S. Augustin, De hæresibus, chap. 58).

(41) Ita ut filius intret in patrem, tanquam vas minus in vas majus (S. Augustin, ibid.)

(42) « Formul. Renunc. Manich. » in Toll. Inf. It. Ital., p. 138 : μεταγγισμὸν ψυχῶν.

(43) S. Épiphane, op. cit., § 29 : Μεταγγιζεται ἐις σώματα. 

Référence 

Isaac de Beausobre, Histoire critique de Manichée et du manichéisme, tome 2, Frédéric Bernard, Amsterdam, 1739, p. 487-500. 

Remarques 

1) L'orthographe et la ponctuation ont été modernisées par l'auteur de ce blog. 

2) L'auteur de ce blog a tenté de reproduire l'intitulé exact des ouvrages auquel il est fait référence dans la version originale du texte (cf. Gallica). Veuillez l'excuser pour les éventuelles erreurs et les références non retrouvées.

3) Manichée désigne ici le fondateur du manichéisme : Mani ou Manès.