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mercredi 26 septembre 2012

Éduquer les enfants, selon John B. Watson (1928)

 
Présentation du texte
 
John Broadus Watson (1878-1958) est un psychologue américain, fondateur du béhaviorisme. Selon lui, la psychologie devait se limiter à l'observation et à la mesure rigoureuse des comportements humains, sans prendre en compte introspection ni conscience. L'apprentissage constituait, pour Watson, un objet central d'étude du comportement en tant qu'il est une adaptation à des stimuli récurrents issus de l'environnement. Watson démontra les applications possibles de cette doctrine à l'éducation, par le biais de l'expérience du petit Albert. Il réussit, en effet, à conditionner un bébé à avoir peur d'un rat blanc, sans qu'il y ait, chez l'enfant, de crainte préalable.
John Broadus Watson

Dans les années 1920, Watson s'éloigna de l'université et de la fréquentation des autres scientifiques. À partir de 1922, il se tourna vers la presse populaire pour faire connaître ses idées béhavioristes. En 1928, il publia Psychological Care of Infant & Child, où il faisait part de ses convictions concernant l'éducation des jeunes enfants. Cette publication lança l'ère éducative behavioriste en Amérique. Selon Watson, la pratique éducative devait être rendue plus efficace en affranchissant les parents de l'inutile sentimentalité qu'ils manifestaient dans leurs rapports aux enfants. L'expression de l'affection était, selon Watson, infantilisante et empêchait l'enfant d'accéder à une véritable autonomie, valeur centrale de la culture américaine.

L'ouvrage de Watson devint un best-seller car les parents étaient impressionnés par son apparente autorité scientifique, bien que cet ouvrage ne se référât qu'aux premiers travaux de Watson sur le conditionnement des émotions. Le conditionnement de la peur chez le petit Albert conduisit, à travers la travail de Mary Cover Jones (1896-1987), au développement du premier essai d'intervention thérapeutique par renversement de la peur conditionnée. Cela anticipa la futur psychothérapie par modification du comportement.

La lecture des extraits suivants paraît, au début du XXIe siècle, relever d'une méthode d'éducation particulièrement cruelle, surtout lorsqu'elle s'applique aux tous jeunes enfants. Elle caractérise, cependant, la priorité, poussée à l'extrême, donnée à l'autonomisation précoce des petits, destinés à évoluer dans une société difficile et compétitive où il faut savoir régler, par soi-même, tous les problèmes. Watson associe d'ailleurs le caractère anti-social des individus et leur trop grande dépendance, voire leur faiblesse. Sa grande crainte, typiquement américaine, semble être celle de l'inadaptation.

Plus tard, en 1936, John B. Watson manifesta des regrets concernant l'écriture de cet ouvrage :

« Psychological Care of Infant and Child was another book I feel sorry about – not because of its sketchy form, but because I did not know enough to write the book I wanted to write. I feel that I had a right to publish this, sketchy as it is, since I planned never to go back into academic work. » (John B. Watson, 1936, p. 280)

Psychological Care of Infant and Child fut un autre livre pour lequel je suis désolé – non à cause de sa forme imprécise, mais parce que je n'en savais pas assez pour écrire le livre que je voulais écrire. J'avais le sentiment que j'avais le droit de publier cela, aussi imprécis que cela soit, puisque j'avais prévu de ne jamais refaire d'œuvre universitaire. »)

La question qui nous est aujourd'hui posée est la suivante :

- la société doit-elle se transformer pour rester vivable humainement (ce qui suppose l'acceptation de la notion d'une certaine nature et dignité humaines et le maintien d'une orientation politique commune)  ?

- Ou bien l'individu, enfant ou adulte, doit-il s'adapter de plus en plus à une société toujours en mouvement, régie par le seul principe de concurrence, c'est-à-dire la compétition permanente de tous contre tous  (ce qui suppose la plasticité illimitée de l'individu et la transformation progressive de l'humanité par sélections des meilleurs, c'est-à-dire des plus adaptés) ?


Version française

Une fois, à la fin d'une conférence tenue devant des parents, un chère vieille dame se leva et dit : « Dieu merci, mes enfants sont élevés – et j'ai eu la chance de profiter d'eux avant de vous rencontrer. »

N'exprime-t-elle pas là la faiblesse qui caractérise notre manière moderne d'élever les enfants ? Nous avons des enfants pour profiter d'eux. Nous avons besoin d'exprimer notre amour en quelque manière. La lune de miel ne durent pas toujours pour tous les époux et toutes les épouses, et nous la complétons d'une façon dont nous pensons qu'elle est inoffensive, en aimant, à mort, nos enfants. N'est-ce pas spécialement vrai de la mère actuelle ? Peu importe combien elle aime son mari, il est tous les jours absent ; son cœur est rempli d'un amour qu'elle doit exprimer en quelque manière. Elle l'exprime en couvrant d'amour et de baisers ses enfants – et elle pense que le monde devrait la louer pour cela. Et c'est ce qu'il fait. (…)

Il est vrai que les parents ont cessé de bercer leurs enfants pour qu'ils dorment. Vous trouvez le berceau et ses bascules posées sur lui, désormais, seulement dans les expositions de mobilier américain ancien. Vous vous direz que, sous ce rapport, nous avons, de toute façon, progressé. Cela est vrai. Le livre du Dr Holt sur les soins du nourrisson peut s'attribuer le mérite de cette évolution. Mais il est douteux que les mères eussent abandonné cette pratique si l'économie domestique ne l'eut exigé. Les mères ont estimé que, si elle commençaient à entraîner leur nourrisson dès la naissance, il apprendrait à s'endormir sans être bercé. Cela donna à la mère du temps pour les tâches ménagères, les commérages, le bridge et les boutiques. Le Dr Holt le suggéra ; la valeur économique de ce système était facilement reconnaissable.

Mais cela ne prend pas beaucoup de temps de caresser et d'embrasser le bébé. On peut le faire en le prenant de son petit lit, après la sieste, ou quand on le met au lit, et particulièrement après son bain. Quoi de plus plaisant pour la mère que d'embrasser son bébé potelé des pieds à la tête après le bain ! Et cela prend si peu de temps !

Revenons à la mécanique de l'amour et de l'affection. Les amours grandissent chez les enfants tout comme les peurs. Les amours sont construits et intégrés à la maison. Autrement dit, les amours sont conditionnés. L'on a chaque jour tout ce qu'il faut entre les mains pour mettre en place des réponses d'amour conditionnées. (…).

Nous devons coller à nos emplois, dans la vie commerciale et professionnelle, sans égard pour les maux de tête, de dents, l'indigestion et les autres petites maladies. Il n'y a personne pour nous materner. Si nous ne pouvons supporter ce traitement, nous devons rentrer chez nous, là où l'amour et l'affection peuvent de nouveau être réquisitionnés. Si, à la maison, nous ne pouvons obtenir assez de dorlotement, par des moyens ordinaires, nous nous mettons dans nos fauteuils, ou même dans nos lits. Là, alors, nous sommes dans une position sécurisante pour réclamer un dorlotement constant.

L'on peut voir le handicap en train de se construire dans la majorité des foyers américains. Voici l'image d'un amour de l'enfant conditionné à l'excès. L'enfant est seul, en train d'associer ses cubes, faisant quelque chose de ses mains et apprenant à contrôler son environnement. La mère entre. Le jeu constructif cesse. L'enfant marche à quatre pattes ou court vers la mère, l'enfant se saisit d'elle, grimpe sur ses genoux et met ses mains autour de son cou. La mère, consentante, caresse son enfant, l'embrasse, le serre dans ses bras. J'ai vu cette scène se poursuivre pendant deux heures de temps. Si la mère, qui a ainsi conditionné son enfant, tente de le poser, le hurlement d'un cœur brisé s'en suit. Les cubes et le reste du monde ont perdu leur pouvoir d'attraction. Si la mère essaie de quitter la pièce ou la maison, le cri d'un cœur brisé plus encore s'en suit. De nombreuses mères souvent s'esquivent de leurs maisons par l'arrière afin d'éviter une séparation pleine de larmes et de pleurs.

Désormais l'amour par conditionnement excessif est de règle. Faites le test en comptant le nombre de fois où votre enfant geint et hurle « Mère ». Partout dans la maison, tout le long du jour, l'enfant de deux ans et celui de quatre ans geint : « Maman, Maman », « Mère ». Désormais, ces réponses d'amour que la mère ou le père bâtissent par conditionnement excessif, en dépit de ce que peuvent dire le poète et le romancier, ne sont pas constructives. Ils ne se battent pas beaucoup pour leur enfant. Ils ne l'aident pas à dépasser les difficultés qu'il peut rencontrer dans son environnement. Par conséquent, tout le temps que l'on passe à la caresse et au dorlotement – et j'ai vu presque toutes les heures d'éveil de l'enfant consacré à cela – tout ce temps, l'on en dépouille l'enfant de celui qui devrait être consacré à la manipulation de son univers, à l'acquisition d'une habileté à utiliser ses doigts, ses mains, ses bras. Il doit avoir du temps pour démonter et remonter son univers. Même selon ce point de vue – qui consiste à dérober à l'enfant les occasions de conquérir le monde –, le dorlotement est une dangereuse expérience.

La mère dorlote l'enfant pour deux raisons. L'une d'elle, elle la reconnaît ; pour l'autre, elle ne la reconnaît pas, car elle ne sait pas qu'elle est vraie. Celle qu'elle admet est qu'elle veut que l'enfant soit heureux, elle veut qu'il soit entouré d'amour afin qu'il devienne un enfant gentil et de bonne nature. L'autre est que son être tout entier a un grand besoin d'exprimer de l'amour. Sa mère, avant elle, l'a entraîné à donner et recevoir de l'amour. Elle était affamée d'amour – d'affection, comme elle préfère l'appeler. Il s'agit, au fond, en elle, d'une réponse guidée par la recherche de sexualité, sinon elle n'embrasserait jamais l'enfant sur la bouche. À coup sûr, la justification qu'elle donne au fait de dorloter, d'embrasser l'enfant sur le front, sur le dos de la main, de lui donner une caresse sur la tête de temps en temps, serait la chaleur humaine nécessaire au bébé afin qu'il sache qu'il grandit dans une maison pleine de bienveillance.

Mais même si l'on admet que la mère pense qu'elle embrasse l'enfant pour la raison parfaitement logique qu'elle implante en lui la somme adéquate d'affection et de bonté, y parvient-elle ?

Le fait que j'ai exposé ci-dessus, c'est-à-dire que nous trouvons rarement un enfant heureux, est la preuve du contraire. Le fait que nos enfants sont toujours en train de pleurer et de gémir montre l'état malheureux et malsain dans lequel ils se trouvent. Leur digestion est gênée, et probablement tout leur système glandulaire est dérangé.


La mère ne doit-elle jamais embrasser son bébé ?

Il existe une façon avisée de se comporter avec les enfants. Traitez les comme s'ils étaient de jeunes adultes. Habillez-les, baignez-les avec soin et précaution. Ayez un comportement toujours objectif et gentiment ferme. Ne les prenez jamais dans vos bras et ne les embrassez jamais, ne les mettez jamais sur vos genoux. Si vous le devez, embrassez-les une seule fois sur le front lorsqu'ils vous disent bonne nuit. Le matin, serrez-leur la main. Donnez-leur une caresse sur la tête s'ils ont fait un travail extraordinairement bon ou une tâche difficile.

Essayez. En l'espace d'une semaine, vous verrez combien il est facile d'être, avec votre enfant, parfaitement objectif en même temps que gentil. Vous aurez totalement honte de la façon mièvre et sentimentale avec laquelle vous vous y êtes pris avec lui. (p. 81-82)

Si vous espérez qu'un chien grandisse pour devenir un chien de garde, un chien de chasse, un chien courant, utile à toute chose, et non pas un chien d'appartement, vous ne le traiteriez certainement pas comme vous le faites avec votre enfant. Quand j'entends un mère dire « Mon pauvre chéri», lorsqu'il tombe, se cogne l'orteil ou qu'il se fait autrement mal, je fais un ou deux pâtés de maison pour me défouler. La mère ne peut-elle s'entraîner, lorsque quelque chose arrive à son enfant, à regarder son mal en ne disant rien, et s'il y a une blessure, en la pansant d'une manière détachée ? Et de même, lorsque l'enfant grandit, ne peut-elle l'entraîner à aller chercher l'acide acétique et les bandages et s'occuper de ses propres blessures ? Ne peut-elle s'entraîner elle-même à substituer un mot gentil, un sourire, dans tous ses rapports avec l'enfant, au baiser et à l'embrassade, au portage et au cajolement ? Par dessus tout, ne peut-elle apprendre à se tenir à l'écart de l'enfant une grande partie de la journée, puisque le conditionnement à l'amour doit se faire de toute façon, même si l'on s'en garde scrupuleusement, au travers de l'alimentation et du bain ?

Je souhaite parfois que nous vivions dans une communauté de foyers où chaque maison serait pourvue d'une nourrice bien formée afin que les bébés soient nourris et baignés chaque semaine par une nourrice différente (p. 83). Il y a peu, j'ai eu l'occasion d'observer un enfant qui eut, pendant un an et demi, une nourrice bien trop tendre et compréhensive. Cette nourrice dut partir. Lorsqu'une nouvelle nourrice arriva, l'enfant pleura trois heures durant, se calmant, de temps en temps, seulement le temps de reprendre sa respiration. La nourrice dut partir à la fin du mois et une nouvelle nourrice arriva. Cette fois, l'enfant pleura seulement une demi-heure, lorsque la nouvelle nourrice le prit en charge. De nouveau, comme cela arrive souvent dans les maison bien organisées, la deuxième nourrice resta seulement deux semaines. Lorsque la troisième nourrice arriva, l'enfant s'approcha d'elle sans un murmure. D'une certaine manière, je ne peux m'empêcher de souhaiter qu'il soit possible, également, de faire tourner les mères, à l'occasion ! À moins qu'elle ne soit vraiment très avisées.

Il est certain qu'une mère, si nécessaire, devrait laisser son enfant pendant une période assez longue afin que le conditionnement excessif s'amenuise. Si vous n'avez pas de nourrice et que vous ne pouvez laisser l'enfant, laissez-le dans le jardin de derrière une grande partie de la journée. Mettez une barrière tout autour du jardin afin qu'il ne court aucun danger. Faites cela dès sa naissance. Lorsque l'enfant peut marcher à quatre pattes, mettez lui un bac à sable et assurez-vous de creuser de petits trous dans le jardin afin qu'il doive y entrer et en sortir en rampant. Laissez-le apprendre à surmonter les difficultés à l'écart de votre surveillance. (…).

En conclusion, vous rappellerez-vous alors, lorsque vous serez tentés de chouchouter votre enfant, que l'amour maternel est un instrument dangereux ? Un instrument qui peut infliger une blessure à jamais inguérissable, une blessure qui peut rendre l'enfance malheureuse, faire de l'adolescence un cauchemar, un instrument qui peut dévaster le futur professionnel de votre fils ou de votre fille adultes, ainsi que leurs chance de bonheur conjugal. (p. 87)

(…) La formation moderne nécessite toujours une vie ordonnée. Habituellement, de l'âge de un an à trois ans, les pédiatres spécifient qu'il faut donner du jus d'orange aux enfants qui se réveillent le matin. Les enfants qui dorment convenablement se réveillent à un certain horaire. L'heure du réveil peut facilement être fixé à 6h30. Il faudrait donner le jus d'orange à cette heure régulièrement chaque matin, et l'enfant devrait être mis sur les toilettes pour soulager sa vessie (uniquement). Remettez l'enfant au lit et permettez lui de s’asseoir dans le lit et de jouer calmement tout seul avec un ou deux jouets choisis. Il devrait être levé à 7h, nettoyé légèrement à l'éponge, habillé et il devrait recevoir son petit-déjeuner à 7h30 ; ensuite on devrait lui permettre de jouer bruyamment jusqu'à 8h, puis il devrait être mis sur les toilettes pendant vingt minutes ou moins (jusqu'à ce que les selles soient complètement évacuées). Le bébé, à partir de l'âge de huit mois, devrait avoir un siège de toilette spécial sur lequel il puisse être attaché en toute sécurité. Il faudrait laisser l'enfant dans les toilettes, sans jouet et la porte fermée. En aucun cas, il ne faudrait laisser la porte ouverte ou que la mère ou la nourrice restassent avec l'enfant. Il s'agit d'une règle qui est presque universellement transgressée. Si elle est transgressée, cela conduit à de la perte de temps, à de la discussion bruyante, et en général, à un comportement antisocial et dépendant. (p. 121-122)


Extraits originaux

Once at the close of a lecture before parents, a dear old lady got up and said, ''Thank God, my children are grown – and I had the chance to enjoy them before I met you.''

Doesn't she express the weakness in our modern way of bringing up children ? We have children to enjoy them. We need to express our love in some way. The honeymoon period doesn't last forever with all husbands and wives, and we eke it out in a way we think is harmless by loving our children to death. Isn't this especially true of the mother today ? No matter how much she may love her husband, he is away all day ; her heart is full of love which she must express in some way. She expresses it by showering love and kisses upon her children – and thinks the world should laud her for. And it does. (…)

It is true that parents have got away from rocking their children to sleep. You find the cradle with rockers on it now only in exhibits of early American furniture. You will say that we have made progress in this respect at any rate. This is true. Dr. Holt's book on the care of the infant can take credit for this education. But it is doubtful if mothers would have given it up if home economics had not demanded it. Mothers found that if they started training the infant at birth, it would learn to go to sleep withour rocking. This gave the mother time for household duties, gossiping, bridge and shopping. Dr Holt suggested it ; the economic value of the system was easy to recognize.

But it doesn't take much time to pet and kiss the baby. You can do it when you pick him up from the crib after a nap, when you put him to bed, and especially after his bath. What more delectable to the mother than to kiss her chubby baby from head to foot after the bath ! And it takes so little time !

To come back to the mechanics of love and affection. Loves grow up in children just like fears. Loves are home made, built in. In other words loves are conditioned. You have everything at hands all day long for setting up conditionned love responses. (…).

We have to stick to our jobs in commercial and professionnal life regardless of headaches, toothaches, indigestion and other tiny ailments. There is no one there to baby us. If we cannot stand this treatment we have to go back home where love and affection can again be commandeered. If at home we cannot get enough coddling by ordinary means, we take to our armchairs or even to our beds. Thereafter we are in a secure position to demand constant coddling.

You can see invalidism in the making in the majority of American homes. Here is a picture of a child over-conditioned love. The child is alone putting his blocks together, doing something with his hands, learning how to control his environment. The mother comes in. Constructive play ceases. The child crawls its way or runs to the mother, takes hold of her, climbs into her lap, puts its arms around the neck. The mother, nothing loath, fondles her child, kisses it, hugs it. I have seen this go on for a two-hour period. If the mother who has so conditioned her child attempts to put it down, a heartbroken wail ensues. Blocks and the rest of the world have lost their pulling power. If the mother attempts to leave the room or the house, a still more heartbroken cry ensues. Many mothers often sneak away from their homes the back way in order to avoid a tearful, wailing parting.

Now over-conditioning love is the rule. Prove it yourself by counting the number of times your child whines and wails ''Mother''. All over the house, all day long, the two-year-old and the four-year-old whine ''Mamma, Mamma'', ''Mother''. Now these love responses wich the mother or father is building in by over conditioning, in spite of what the poet and the novelist may have to say, are not constructive. They do not fight many battles for the child. They do not help it to conquer the difficulties it must meet in its environment. Hence just to the extent to which you devote time to petting and coddling – and I have seen almost all the child's waking hours devoted to it – just to that extent do you rob the child of the time which he should be devoting to the manipulation of his universe, acquiring a technique with fingers, hands and arms. He must have time to pull his universe apart and put it together again. Even from this standpoint alone – that of robbing the child of its opportunity for conquering the world, coddling is a dangerous experiment.

The mother coddles the child for two reasons. One, she admits ; the other, she doesn't admit because she doesn't know that it is true. The one she admits is that she wants the child to be happy, she wants it to be surrounded by love in order that it may grow up to be a kindly, goodnatured child. The other is that her own whole being cries out for the expression of love. Her mother before her has trained her to give and receive love. She is starved for love – affection as she prefers to call it. It is at bottom a sex-seeking response in her, else she would never kiss the child on the lips. Certainly, to satisfy her professed reason for coddling, kissing the youngster on the forehead, on the back of the hand, patting it on the head once in a while, would be all the petting needed for a baby to learn that it is growing up in a kindly home.

But even granting that the mother thinks she kisses the child for the perfectly logical reason of implanting the proper amount of affection and kindliness in it, does she succeed ?

The fact I brought out before, that we rarely see a happy child, is proof to the contrary. The fact that our children are always crying and always whining shows the unhappy, unwholesome state they are in. Their digestion is interfered with and probably their whole glandular system is deranged.

Should the mother never kiss the baby ?

There is a sensible way of treating children. Treat them as though they were young adults. Dress them, bathe them with care and circumspection. Let your behavior always be objective and kindly firm. Never hug and kiss them, never let them sit on your lap. If you must, kiss them once on the forehead when they say good night. Shake hands with them in the morning. Give them a pat on the head if they have made an extraordinary good job of a difficult task. Try it out. In a week's time you will find how easy it is to be perfectly objective with your child and at the same time kindly. You will be utterly ashamed of the mawkish, sentimental way you have been handling it. (p. 81-82).

If you expected a dog to grow up and be useful as a watch dog, a bird dog, a fox hound, useful for anything except a lap dog, you wouldn't dare treat it the way you treat your child. When I hear a mother say "Bless its little heart" when it falls down, or stubs its toe, or suffers some other ill, I usually have to walk a block or two to let off steam. Can't the mother train herself when something happens to the child to look at its hurt without saying anything, and if there is a wound to dress it in a matter of fact way? And then as the child grows older, can she not train it to go and find the boracic acid and the bandages and treat its own wounds ? Can't she train herself to substitute a kindly word, a smile, in all of her dealings with the child, for the kiss and the hug, the pickup and coddling ? Above all, can’t she learn to keep away from the child a large part of the day since love conditioning must grow up anyway, even when scrupulously guarded against, through feeding and bathing ?

I sometimes wish that we could live in a community of homes where each home is supplied with a well-trained nurse so that we could have the babies fed and bathed each week by a different nurse (p. 83). Not long ago I had the opportunity to observe a child who had an over sympathetic and tender nurse for a year and half. This nurse had to leave. When a new nurse came, the infant cried for three hours, letting up now and then only long enough to get its breath. This nurse had to leave at the end of a month and a new nurse came. This time the infant cried only half an hour when the new nurse took charge of it. Again, as often happens in well regulated homes, the second nurse stayed only two weeks. When the third nurse came, the child went to her without a murmur. Somehow I can't help wishing that it were possible to rotate the mothers occasionnally too ! Unless they are very sensible indeed.

Certainly a mother, when necessary, ought to leave her child for a long enough period for over-conditioning to die down. If you haven't a nurse and cannot leave the child, put it out in the backyard a large part of the day. Build a fence around the yard so that you are sure no harm can come to it. Do this from the time it is born. When the child can crawl, give it a sandpile and be sure to dig some small holes in the yard so it has to crawl in and out of them. Let it learn to overcome difficulties almost from the moment of birth. The child should learn to conquer difficulties away from your watchful eye. (p. 84) (…).

In conclusion won’t you then remember when you are tempted to pet your child that mother love is a dangerous instrument? An instrument which may inflict a never healing wound, a wound which may make infancy unhappy, adolescence a nightmare, an instrument which may wreck your adult son or daughter’s vocational future and their chances for marital happiness. (p. 87.) (…).

Modern training calls always for an orderly life. Usually from 1 year of age to 3 pediatricians specify that orange juice shall be given when the child wakes up in the morning. Children who sleep properly awaken on a schedule. The waking time can easily be set for 6:30. The orange juice should then be given regurlarly at that hour every morning, the child put on the toilet for the relief of the bladder (only). Put the child back to bed and allow it to sit up in bed and play quietly alone with one or two chosen toys. It should be taken up at 7 o'clock, sponged lightly, dressed and given its breakfast at 7:30 ; then allowed to romp until 8, then put upon the toilet for 20 minutes or less (until the bowel movement is complete). The infant from 8 months of age onward should have a special toilet seat into which he can be safely strapped. The child should be left in the bathroom without toys and with the door closed. Under no circumstances should the door be left open or the mother or nurse stay with the child. This is a rule which seems to be almost universally broken. When broken it leads to dawdling, loud conversation, in general to unsocial and dependent behavior. (p. 121-122).


Références

James B. Watson, Psychological Care of Infant & Child, Norton Press, 1928. 


Extraits de texte et éléments biographiques trouvés dans : 

 - Henry Jenkins (dir.), The Children's Culture Reader, New York University Press, New York et Londres, 1998, chapitre 29 : Against the Threat of Mother Love (1928), John B. Watson. 

- Carol Magai, Susan H. McFadden, The Role of Emotions in Social and Personality Development. History, Theory, and Research, coll. Emotions, Personality and Psychotherapy, Plenum Press, New York, 1995, p. 104. 

La version française des extraits originaux anglais est le fait de l'auteur de ce blog.

vendredi 21 septembre 2012

La surprotection parentale, selon D. Bailly, 2005


Plusieurs auteurs ont fait la constatation suivante : les parents des enfants inhibés et présentant des troubles anxieux ont eux-mêmes des taux significativement plus élevés de troubles anxieux, comparativement aux parents des enfants ne présentant qu'une inhibition comportementale et aux parents des enfants ne présentant ni inhibition comportementale, ni troubles anxieux.

Autrement dit, la présence chez les parents de troubles anxieux augmente le risque pour un enfant inhibé de développer lui-même des troubles anxieux. On sait maintenant que ce ne sont pas tant les troubles anxieux en eux-mêmes qui vont ici jouer un rôle, mais plutôt les attitudes de surprotection et d'hypercontrôle que l'on retrouve fréquemment chez les parents présentant des troubles anxieux.

Dans le cas du trouble anxiété de séparation, ces attitudes de surprotection et d'hypercontrôle semblent intervenir de façon à la fois directe et indirecte.

De façon indirecte, elles renforcent la stabilité de l'inhibition comportementale, ce qui augmente le risque chez les enfants inhibés de développer un trouble anxiété de séparation.

De façon directe, nous y reviendrons, elles interviennent elles-mêmes dans le développement du trouble anxiété de séparation en faisant obstacle au processus de « désensibilisation naturelle » que vivent habituellement les enfants vis-à-vis de la peur de séparation (…) (p.97-98).


Les attitudes de surprotection

Dans le même ordre d'idées, des attitudes parentales de surprotection, d'hypercontrôle et de critique exagérée peuvent aussi, directement ou en interaction avec d'autres facteur de risque, favoriser le développement de troubles anxieux chez l'enfant (22, 23).

- Les mises en garde, voire les interdictions répétées,
- le besoin constant d'avoir son enfant dans son champ visuel, de savoir où il est, ce qu'il fait, avec qui,
- les réactions inopportunes de précipitation dès qu'il lui arrive quelque chose,
- les pressions excessives concernant sa conduite

sont des attitudes fréquemment retrouvées chez les parents d'enfants présentant un trouble anxiété de séparation, en particulier chez les mères.

Comme on l'a vu, ces attitudes de surprotection et d'hypercontrôle sont susceptibles d'intervenir dans la genèse du trouble anxiété de séparation :

- soit directement,
- soit en favorisant le développement d'un style d'attachement anxieux,
- soit encore en interagissant avec le tempérament de l'enfant.

Plus globalement, les attitudes parentales de surprotection et d'hypercontrôle peuvent interférer avec les processus d'acquisition par l'enfant de compétences sociales et de stratégies de résolution de problèmes efficaces, entraînant ainsi chez lui des difficultés à faire face aux événements de la vie stressants.

Elles peuvent entraîner chez l'enfant des doutes sur sa valeur personnelle et un manque de confiance dans ses capacités de réussite (24).

- Acquérir l'estime de soi,
- apprendre à faire face aux événements de la vie,
- à résister aux pressions sociales,
- apprendre à s'affirmer,
- à négocier,
- à résoudre les problèmes interpersonnels,
- s'impliquer dans la vie communautaire,
- développer ses centres d'intérêts

sont autant de domaines au travers desquels l'enfant doit pouvoir appréhender ses propres limites mais aussi découvrir ses ressources personnelles pour y faire face.

Les enfants produisent spontanément des mécanismes d'adaptation. Ils sont inventifs pourvu qu'on les aide à mettre en mouvement leurs capacités créatrices ?

Au contraire, 

- en excluant la spontanéité des expériences vécues par l'enfant,
- en l'empêchant d'expérimenter ses propres capacités d'adaptation,
- en l'empêchant d'expérimenter son aptitude au compromis,

l'enfant va progressivement apprendre à faire ce qu'il pense qu'on attend de lui. Il va progressivement apprendre à ressembler à l'enfant imaginaire que les parents portent en eux, répondant à tout ce qu'ils attendent de lui. Ce faisant, l'enfant ne pourra fonctionner de manière adéquate qu'en référence au modèle de ses parents. Dans les situations requérant sa participation active, dans les relations de la vie quotidienne, à l'école ou ailleurs, il risque d'être mis en difficulté s'il ne trouve pas dans l'environnement les conditions nécessaires au maintien de son équilibre.

Les comportements de dépendance, d'agrippement et de recherche de proximité physique, qui se manifestent dans le trouble anxiété de séparation, peuvent ainsi être encouragés par les attitudes parentales. (…)

De telles attitudes de surprotection et d'hypercontrôle se rencontrent fréquemment chez les parents qui présentent eux-mêmes des troubles anxieux.

Mais elles peuvent aussi être induites par l'enfant : les réponses affectives et le style éducatif des parents dépendent en partie des caractéristiques individuelles de l'enfant. Elles peuvent ainsi être induites par les traits de tempérament que présente l'enfant. Avoir un enfant inhibé, timide et réservé peut conduire certains parents à le surprotéger en lui évitant toute confrontation aux situations qui le gênent et le mettent mal à l'aise, et ce d'autant plus que l'enfant est jeune.

De même, elles peuvent être induites par des événements tenant à l'histoire de l'enfant. Avoir un enfant fragile (ou pensé comme tel), prématuré, handicapé ou malade, ou un enfant « précieux », né après le décès d'un autre enfant, ou par insémination artificielle peut conduire certains parents à adopter envers lui des attitudes de surprotection anxieuse.

Mais vouloir toujours nourrir son enfant plutôt que de l'aider à apprendre à se nourrir c'est aussi risquer de e conduire à mourir de faim si l'on est plus là. (p. 128-130)


Référence

Daniel Bailly, La peur de la séparation. De l'enfance à l'âge adulte, Odile Jacob, Paris, mai 2005. La présentation du texte ici proposé est le fait de l'auteur de ce blog.

jeudi 20 septembre 2012

La surprotection maternelle selon D. Levy, 1943


Dans un travail sur la surprotection maternelle dans lequel il réunit la sensibilité du clinicien et le souci de contrôle et de systématisation de l'expérimentateur, D. Levy (1943) a essayé de décrire la genèse d'une relation enfant-parent particulière, et de comprendre les conséquences qu'elle a pour le développement de la personnalité.

À cet effet, Levy choisissait un certain nombre de « cas purs » permettant d'approcher la rigueur de l'étude bien contrôlée, et les étudiait ensuite en profondeur à la façon du clinicien.

En étudiant des mères surprotectrices, Levy trouvait que leur relation à leur enfant présentait trois caractéristiques :

- un contact excessif,
- des soins maternels prolongés,
- et un comportement qui empêche l'accession à l'indépendance,

et que cette surprotection se trouvait chez des mères qui souffraient d'un manque d'affection parentale dans leur enfance.

Leur attitude surprotectrice semble donc en rapport avec leurs propres expériences d'enfant et représenter une satisfaction substitutive de leur propres besoin d'affection.

Il faut cependant remarquer que le comportement surprotecteur semblait avoir des motivations diverses et que l'on a décrit différents types sont l'exemple donné ici est celui dans lequel la surprotection portait sur un enfant désiré et se manifestait dans un comportement affectueux.

Dans d'autres cas de surprotection, des mères luttaient avec des sentiments de rejet de l'enfant, dans d'autres encore la surprotection se trouvait associée à la domination ou à la faiblesse de la mère.

Concernant l'effet de ces types de surprotection, Levy constate que les enfants de mères surprotectrice-dominatrices tendent à être :

- dociles,
- soumis,
- polis,
- appliqués en classe
- et à avoir peu d'amis.

Les enfants de mères surprotectrices faibles, par contre, montrent une tendance à être :

- tyranniques,
- désobéissants,
- exigeants,
- à manquer de contrôle
- et à faire l'enfant gâté.


Référence

Winfrid Huber, Introduction à la psychologie de la personnalité, Pierre Mardaga, Liège, 1995, p. 134-135.

jeudi 16 août 2012

Les mœurs sexuelles de la Cour romaine, à la fin du XVe siècle, selon I. Cloulas, 1997.


Le mal rôdait partout. Passé le bref épisode pendant lequel le pape avait mis la pénitence à l'ordre du jour, la débauche s'affichait de nouveau dans la Ville éternelle. 

Les filles publiques et les maîtresses des prélats occupaient le premier rang, comme le vit Burckard, dans l'église des Ermites-de-Saint-Augustin, le jour de la célébration de ce saint, le 28 août [1498], alors qu'on célébrait une messe solennelle en présence de sept cardinaux. 

La syphilis se répandait dans toutes les couches de la société. Deux jours avant l'emprisonnement de Florès (1), le gardien du château Saint-Ange, Bartolomeo de Luna, évêque de Nicastro, était mort du « mal français ». César (2) avait certainement subi à Naples une attaque de cette maladie vénérienne. Son médecin particulier, Gaspare Torrella, avait heureusement trouvé un traitement qui, joint aux soins donnés par Sancia (3), permit au malade de surmonter la crise. Le praticien devait acquérir une grande notoriété en publiant sa recette dans un traité, De Pudendagra. Protégé par ce remède, le cardinal de Valence (4), dès son retour, goûta les charmes des courtisanes romaines. L'une de ses maîtresses fut la fameuse Fiammetta. Mais César savait dissimuler. Les mères de ses enfants illégitimes ne sont pas connues. Tout au plus suggère-t-on qu'une des dames de sa sœur Lucrèce (5) fut du nombre.

La luxure, encouragée par l'exemple venu de haut, ne connaît plus de bornes. Burckard note les cas les plus voyants dans le Sacré Collège [des cardinaux]. Le cardinal de Segorbe, rongé de syphilis, est dispensé de s'incliner devant le pape à la fête de Pâques 1499. Le cardinal de Monreale, autorisé à ne point paraître pendant deux ans aux cérémonies, réussit enfin à guérir : il assistera à la messe en décembre 1499. L'ennemi du pape [Alexandre VI], Julien della Rovere, le futur Jules II, est lui aussi atteint. 

L'abandon aux plaisirs charnel, que la maladie rend plus visible qu'autrefois, traduit un scepticisme profond. L'abdication morale du pape est plus sensible que jamais. Il laisse se répandre des libelles qui nient la vie de l'au-delà. 

Les seules restrictions à la débauche sont dictées par les impératifs de salubrité publique. En avril 1498, les Romains assistent à une étrange procession : six campagnards coiffés de mitres de papier défilent dans les rues, frappés de coup de fouet par les sbires. Des hommes atteints du « mal français » leur avaient donné de l'argent pour qu'ils les laissent se plonger dans les cuves remplies d'huile afin d'alléger leurs souffrances . Le bain achevé, les paysans étaient allés vendre l'huile dans la ville, en prétendant qu'elle était bonne et pure.

Autant que les délits produits par l'appât du gain, sont nombreux ceux provoqués par la débauche. L'homosexualité est très répandue. Il est courant de voir des gitons dans l'entourage du pape et des cardinaux. À Florence, la sodomie est pour Savonarole (6) la pratique la plus criminelle. Mais on s'en accomode à Rome, sauf pendant la courte période de pénitence qui suit le meurtre de Gandie (7) : Alexandre envisage alors de chasser les jeunes gens de l'entourage des prélats (8).

Cependant on réprime cruellement la confusion des sexes quand elle constitue un scandale public. (...).

Notes.

(1) Bartolomeo Florès, ancien secrétaire privé du pape Alexandre VI et archevêque de Cosenza. Il avoua avoir « fabriqué plus de trois mille fausses bulles avec trois de ses employés. »
(2) César Borgia, fils naturel du pape Alexandre VI.
(3) Sancia d'Aragon, femme de Gioffre Borgia, frère utérin de César Borgia.
(4) César Borgia.
(5) Lucrèce Borgia, fille du pape Alexandre VI et sœur utérine de César Borgia.
(6) Jérôme Savonarole, prieur du couvent dominicain de San Marco, à Florence.
(7) Juan Borgia, duc de Gandie, fils du pape Alexandre VI, frère utérin de César et Lucrèce Borgia.
(8) Suite à la mort de son fils Juan, Alexandre VI souhaita instaurer la réforme de l'Église. La commission de réforme, constituée de six cardinaux, élabora le texte d'une bulle dédiée à cet objectif, mais qui, finalement, ne vit pas le jour. Il était prévu, entre autres, que les princes de l'Église n'emploient « pas de jeunes garçons ou d'adolescents comme valets de chambre. » (p. 183 de l'ouvrage cité en référence).

Référence.

Ivan Cloulas, Les Borgia, Arthème Fayard, Paris, 1987, p. 187-189. Les notes accompagnant le texte ci-dessus sont le fait de l'auteur de ce blog.

lundi 9 juillet 2012

Les droits humains premiers, selon J. Adams, 1766


Puissions-nous mettre en application les principes suivants émis par le futur deuxième président des États-Unis d'Amérique, John Adams, en 1766 : chaque être humain a droit à l'air, à la lumière, au fait d'être nourri et habillé (on pourrait ajouter : d'être logé).
 

[The British constitution] is not built on the doctrine that a few nobles or rich commons have a right to inherit the earth, and all the blessings and pleasures of it: and that the multitude, the million, the populace, the vulgar, the mob, the herd and the rabble, as the great always delight to call them, have no rights at all, and were made only for their use, to be robbed and butchered at their pleasure. No, it stands upon this principle, that the meanest and lowest of the people, are, by the unalterable indefeasible laws of God and nature, as well entitled to the benefit of the air to breathe, light to see, food to eat, and clothes to wear, as the nobles or the king. All men are born equal: and the drift of the British constitution is to preserve as much of this equality as is compatible with the people's security against foreign invasions and domestic usurpation.


John Adams (1735-1826)
 
[La constitution britannique] n'est pas fondée sur la doctrine selon laquelle quelques nobles ou riches roturiers  auraient le droit d'hériter de la terre, et de tous ses bienfaits et plaisirs, et que la multitude, la masse, la populace, le vulgaire, la foule, le troupeau, la racaille, comme les grands aiment toujours à les nommer, n'aurait aucun droit et serait destiné uniquement à leur servir, à être dépossédé et abattu selon leur bon plaisir. Non, elle est établi sur le principe selon lequel les plus modestes et les plus humbles parmi le peuple, ont droit, de par les lois inaltérables et indéfectibles de Dieu et de la nature, au bénéfice de l'air que l'on respire, de la lumière que l'on voit, de la nourriture que l'on mange, et des vêtements que l'on porte, tout aussi bien que les nobles ou que le roi. Toutes les hommes sont nés égaux, et le sens de la constitution britannique est de préserver cette égalité autant qu'elle est compatible avec la sécurité du peuple vis-à-vis des invasions étrangères et de l'usurpation intérieure.

Référence.

John Adams, « The Earl of Claredon to Willaim Pym », n° III, Boston Gazette, 27 janvier 1766, in Charles Francis Adams, The Works of John Adams, Second President of The United States, Charles C. Little and James Brown, Boston, 1851, p. 480. La version française est le fait de l'auteur de ce blog.

mercredi 4 juillet 2012

La stratégie du chiffon rouge de la droite libérale, selon J. -C. Michéa, 2011


Aurélie Filipetti, actuelle ministre française de la Culture et de la Communication, et membre du Parti « socialiste », intervint, le dimanche 14 octobre 2007, lors du meeting-concert  « Touche pas à mon A.D.N. », organisé au Zénith de Paris par l'association française S.O.S. Racisme. Elle y prononça, d'une voix forte et saccadée, les paroles suivantes :
 
« Bonsoir. On est là ce soir pour dire non, non aux tests A.D.N., une abjection morale, mais aussi non, et ça suffit, à la criminalisation de l’immigration. L’immigration a été, est et sera la chance de ce pays. Ce sont des générations et des générations d’immigrés qui ont fait la richesse économique, culturelle de la France telle qu’elle est aujourd’hui ! Et quand il fallait se battre pendant les guerres, c’est encore les immigrés et les étrangers qui étaient là pour se battre aux côtés des Français ! Donc il y en a assez, assez ! C’est à nous la gauche de redonner une vision positive de l’immigration, de dire tout ce que ça a apporté à notre pays, et ce soir on est là contre les tests A.D.N., cette abjection, pour dire aussi, plus loin, pour dire : « cette France moisie, cette France rancie qui considère l’immigré et l’étranger comme l’ennemi, on n’en veut pas ! ».

Ces propos semblent, à tout le moins, excessifs. Ce qui est certain, c'est que la « France rancie » que l'actuelle ministre française portait, il y a cinq ans, et alors qu'elle était encore députée de la Nation,  au pilori, ne peut faire que la sourde oreille aux insultes directes et aux exagérations historiques. 

Cette déclaration d'une femme politique incarnant le courant libéral de gauche est, semble-t-il, l'exemple-type capable d'illustrer cette note de Jean-Claude Michéa, tirée de son ouvrage Le complexe d’Orphée – La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès, paru chez Climats, en octobre 2011 (note 3 de la scolie G, Scolies V, p. 203-204).

« Les partis de gauche ne semblent toujours pas avoir saisi l’essence de la stratégie du chiffon rouge que la droite libérale utilise méthodiquement contre eux. Les différentes provocations (minutieusement calculées) auxquelles cette droite se livre à intervalle réguliers ne visent jamais, en effet, à influencer directement l’électorat populaire (en cherchant, par exemple, à enraciner en lui ces idées « nauséabondes » qui sont, par définition, incompatibles avec les contraintes de la mondialisation). Elles visent, en réalité, à agir sur cet électorat de manière indirecte, c’est-à-dire en tablant machiavéliquement sur le caractère totalement abstrait (et, de surcroît, souvent grotesque) de la réaction politiquement correcte qu’elles ne manqueront pas de susciter mécaniquement chez les élites de la gauche divine (comme on dit en Espagne) et donc dans le petit monde incroyable et merveilleux du showbiz et des médias. Petit monde dont la morgue et la bonne conscience surréalistes ont toujours constitué pour la droite la plus efficace des publicités. En d’autres termes, la droite libérale compte en permanence sur les réflexes pavloviens de la bourgeoisie de gauche pour provoquer la colère de l’électorat populaire (qui, lui, est évidemment confronté à la réalité quotidienne) et maintenir ainsi son emprise idéologique sur lui. Avec, bien entendu, le risque électoral majeur – lorsque les réactions des élites de gauche s’avèrent trop caricaturales ou trop déconnectées de l’expérience vécue par les classes populaires – que ces dernières manifestent alors leur exaspération (un sentiment promis à un bel avenir) en cherchant directement refuge auprès de partis plus radicaux. Nous retrouvons ici le célèbre théorème d’Orwell : quand l’extrême droite progresse chez les gens ordinaires (classes moyennes incluses), c’est d’abord sur elle-même que la gauche devrait s’interroger. »

mardi 3 juillet 2012

Le rôle des élites libérales, selon K. Marx et F. Engels, 1848.



La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire. 

Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. 

Tous les liens complexes et variés qui unissent l'homme féodal à ses « supérieurs naturels », elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du  « paiement au comptant ». Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. 

La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu'on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages. 

La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n'être que de simples rapports d'argent. 

La bourgeoisie a révélé comment la brutale manifestation de la force au Moyen Âge, si admirée de la réaction, trouva son complément naturel dans la paresse la plus crasse. C'est elle qui, la première, a fait voir ce dont est capable l'activité humaine. Elle a créé de tout autres merveilles que les pyramides d’Égypte, les aqueducs romains, les cathédrales gothiques ; elle a mené à bien de tout autres expéditions que les invasions et les croisades.
 
La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c'est-à-dire l'ensemble des rapports sociaux. Le maintien sans changement de l'ancien mode de production était, au contraire, pour toutes les classes industrielles antérieures, la condition première de leur existence. Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d'envisager leurs conditions d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés. 

Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s'implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations. 

Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l'adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n'emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe. À la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. À la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. Et ce qui est vrai de la production matérielle ne l'est pas moins des productions de l'esprit. Les œuvres intellectuelles d'une nation deviennent la propriété commune de toutes. 

L'étroitesse et l'exclusivisme nationaux deviennent de jour en jour plus impossibles et de la multiplicité des littératures nationales et locales naît une littérature universelle
 
Par le rapide perfectionnement des instruments de production et l'amélioration infinie des moyens de communication, la bourgeoisie entraîne dans le courant de la civilisation jusqu'aux nations les plus barbares. Le bon marché de ses produits est la grosse artillerie qui bat en brèche toutes les murailles de Chine et contraint à la capitulation les barbares les plus opiniâtrement hostiles aux étrangers. Sous peine de mort, elle force toutes les nations à adopter le mode bourgeois de production ; elle les force à introduire chez elle la prétendue civilisation, c'est-à-dire à devenir bourgeoises. En un mot, elle se façonne un monde à son image. 

La bourgeoisie a soumis la campagne à la ville. Elle a créé d'énormes cités ; elle a prodigieusement augmenté la population des villes par rapport à celles des campagnes, et par là, elle a arraché une grande partie de la population à l'abrutissement de la vie des champs. De même qu'elle a soumis la campagne à la ville, les pays barbares ou demi-barbares aux pays civilisés, elle a subordonné les peuples de paysans aux peuples de bourgeois, l'Orient à l'Occident. 

La bourgeoisie supprime de plus en plus l'émiettement des moyens de production, de la propriété et de la population. Elle a aggloméré la population, centralisé les moyens de production et concentré la propriété dans un petit nombre de mains. La conséquence totale de ces changements a été la centralisation politique. Des provinces indépendantes, tout juste fédérées entre elles, ayant des intérêts, des lois, des gouvernements, des tarifs douaniers différents, ont été réunies en une seule nation, avec un seul gouvernement, une seule loi, un seul intérêt national de classe, derrière un seul cordon douanier. 

La bourgeoisie, au cours de sa domination de classe à peine séculaire, a créé des forces productives plus nombreuses ; et plus colossales que l'avaient fait toutes les générations passées prises ensemble. La domestication des forces de la nature, les machines, l'application de la chimie à l'industrie et à l'agriculture, la navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, le défrichement de continents entiers, la régularisation des fleuves, des populations entières jaillies du sol - quel siècle antérieur aurait soupçonné que de pareilles forces productives dorment au sein du travail social ? 

Voici donc ce que nous avons vu : les moyens de production et d'échange, sur la base desquels s'est édifiée la bourgeoise, furent créés à l'intérieur de la société féodale. À un certain degré du développement de ces moyens de production et d'échange, les conditions dans lesquelles la société féodale produisait et échangeait, l'organisation féodale de l'agriculture et de la manufacture, en un mot le régime féodal de propriété, cessèrent de correspondre aux forces productives en plein développement. Ils entravaient la production au lieu de la faire progresser. Ils se transformèrent en autant de chaînes. Il fallait les briser. Et on les brisa. 

À sa place s'éleva la libre concurrence, avec une constitution sociale et politique appropriée, avec la suprématie économique et politique de la classe bourgeoise. 

Nous assistons aujourd'hui à un processus analogue. Les conditions bourgeoises de production et d'échange, le régime bourgeois de la propriété, la société bourgeoise moderne, qui a fait surgir de si puissants moyens de production et d'échange, ressemblent au magicien qui ne sait plus dominer les puissances infernales qu'il a évoquées. Depuis des dizaines d'années, l'histoire de l'industrie et du commerce n'est autre chose que l'histoire de la révolte des forces productives modernes contre les rapports modernes de production, contre le régime de propriété qui conditionnent l'existence de la bourgeoisie et sa domination. Il suffit de mentionner les crises commerciales qui, par leur retour périodique, menacent de plus en plus l'existence de la société bourgeoise. Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives déjà existantes elles-mêmes. Une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s'abat sur la société, - l'épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée ; on dirait qu'une famine, une guerre d'extermination lui ont coupé tous ses moyens de subsistance; l'industrie et le commerce semblent anéantis. Et pourquoi ? Parce que la société a trop de civilisation, trop de moyens de subsistance, trop d'industrie, trop de commerce. Les forces productives dont elle dispose ne favorisent plus le régime de la propriété bourgeoise ; au contraire, elles sont devenues trop puissantes pour ce régime qui alors leur fait obstacle ; et toutes les fois que les forces productives sociales triomphent de cet obstacle, elles précipitent dans le désordre la société bourgeoise tout entière et menacent l'existence de la propriété bourgeoise. Le système bourgeois est devenu trop étroit pour contenir les richesses créées dans son sein. Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises ? D'un côté, en détruisant par la violence une masse de forces productives ; de l'autre, en conquérant de nouveaux marchés et en exploitant plus à fond les anciens. À quoi cela aboutit-il ? À préparer des crises plus générales et plus formidables et à diminuer les moyens de les prévenir. Les armes dont la bourgeoisie s'est servie pour abattre la féodalité se retournent aujourd'hui contre la bourgeoisie elle-même. 

Référence.

 Karl Marx, Friedrich Engels, Manifeste du Parti communiste, (1848), Première partie : Bourgeois et prolétaires, Paris, Éditions Sociales, 1977.