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lundi 29 août 2011

Les sentiments de bien -être du corps et du psychisme, selon N.-V. de Latena, 1844.



§ I. — États et sentiments intimes.

Tranquillité, état naturel d'une âme où tous les sentiments se trouvent en parfait équilibre, soit par l'effet d'une heureuse organisation, soit par le pouvoir de la volonté.

Calme, cessation du mouvement, repos qui a pu être précédé et qui pourra être suivi d'un orage.

L'âme est calme, quand elle n'est émue ni par le plaisir, ni par la peine. On ne peut apprécier les douceurs du calme, si l'on n'a été agité par quelque passion douloureuse.

Quiétude, tranquillité produite par une confiance bien ou mal fondée, par l'ignorance du danger, ou par l'imprévoyance d'un esprit borné.

Sécurité, conviction raisonnée de l'absence du danger.

Satisfaction, impression que fait éprouver la possession de l'objet d'un désir, ou l'accomplissement d'un projet, et même d'un devoir. La satisfaction est le but de nos penchants, de nos goûts et de nos besoins. Ce but en détermine la moralité. Le bien satisfait les âmes vertueuses; le mal, les âmes perverses. Les passions cherchent, dans la satisfaction, le bonheur, ou du moins le plaisir : le plus souvent, elles n'y trouvent que souffrances et regrets.

Contentement, jouissance calme, absence de désirs qui pourraient la troubler.

La satisfaction est surtout une perception des sens ; le contentement, surtout une perception de l'âme. L'une est variable, comme la cause qui la fait naître; l'autre repose sur des bases moins mobiles, sur la modération et sur le raisonnement.

Bien-être, état doux et tranquille qui résulte de la bonne santé, des paisibles satisfactions des sens et du contentement de l'âme. C'est le bonheur du sage ; ce devrait être celui de l'égoïste.

Plaisir, impression agréable que produisent, en nous, les rapports de nos sens, et de notre âme avec les objets de nos goûts.

Le plaisir est si ennemi de la contrainte, qu'on le rencontre rarement où il est attendu. Il ne se trouve pur et durable que là où on le cherche le moins, dans l'accomplissement des devoirs.

L'homme est né pour lutter; car il n'attache aucun prix aux plaisirs obtenus sans efforts.

Bonheur, état que nous procure la complète satisfaction de nos besoins, de nos penchants, de nos désirs. C'est la plénitude de la vie fonctionnant sans obstacles ; c'est une harmonie constante entre notre âme, nos sens et les objets qui les attirent.

Le bonheur ne pouvant exister qu'avec probabilité de durée, et contentement de l'âme, où le chercher, si ce n'est dans la vertu ?

L'homme le plus heureux n'est pas celui qui peut se procurer le plus de jouissances : c'est celui qui est le plus satisfait de son sort.

Il entre, dans le bonheur, deux éléments essentiels que l'or ne peut donner : la santé du corps et le contentement de l'âme. On les obtiendrait peut-être par la tempérance et la vertu ; mais peu de gens veulent les acheter à ce prix.

Nul ne comprend bien le bonheur dont il jouit qu'à la vue du danger de le perdre, ou de l'envie qu'il excite.

Nous osons assurer qu'un tel événement nous rendrait heureux ! Regardons en arrière, et voyons si la plupart de nos malheurs n'ont pas eu, pour cause directe ou indirecte, nécessaire ou fortuite, l'accomplissement de nos plus chers désirs!

Le bonheur est rare, parce que peu de gens savent le trouver où il est, dans le devoir, les affections, la bienfaisance, l'étude. Beaucoup de malheureux ne sont que des ingrats envers la Providence.

10° Félicité, bonheur suprême. Comme nous n'en jouissons jamais qu'en espérance, elle se réduit, pour nous, à une idée abstraite et poétique. Chacun se représente la félicité sous l'image qu'il préfère. C'est le rêve de l'amour ; c'est celui de la gloire ; c'est le tableau idéal des délices d'une autre vie.


§ II. — Manifestations.

Joie, sentiment de plaisir que l'âme éprouve, à l'occasion d'un événement heureux, et qui peut aller jusqu'à l'ivresse, jusqu'aux transports insensés, jusqu'à la folie.

La joie est expansive, dans les caractères francs, ouverts et mobiles ; timide, dans les caractères faibles et indécis, et à peine apparente, dans les caractères habitués à la réserve ou à la dissimulation, à l'exercice de la force ou à la résignation de la souffrance.

Gaieté, état d'une âme éloignée des sentiments et des idées tristes par la bonne disposition des organes, par la satisfaction des désirs, par l'effet sympathique de la joie d'autrui, et souvent aussi par la légèreté de l'esprit.

Les personnes gaies n'aperçoivent que le côté plaisant des choses, et trouvent souvent un motif de rire où d'autres en trouvent un de s'attrister. Si elles sont forcées de reconnaître des douleurs qu'elles ne peuvent soulager, elles en détournent leur regard, avec un empressement où l'on est tenté de voir autre chose que de la raison.

Hilarité, expansion de la gaieté provoquée par des causes subites et imprévues, telles que la vue de certains ridicules, les raisonnements niais ou absurdes d'un esprit prétentieux, les saillies d'un esprit original.

Il est rare que l'hilarité ne soit pas mêlée d'un peu de raillerie.

Ravissement, exaltation d'une âme que le plaisir enivre, transport causé par les pures jouissances du cœur ou de l'esprit, plutôt que par celles des sens.

Extase, ravissement parvenu à son plus haut degré, interruption apparente de l'activité des sens et concentration de toutes les facultés dans un seul sentiment de joie ou d'admiration.


Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 269-274. 

La jalousie et l'envie, du point de vie social, selon N.-V. de Latena, 1844.


 La jalousie, déjà classée parmi les défauts, et l’envie parmi les vices de l'âme, doivent reparaître parmi les sentiments de la vie sociale qui seule peut les faire éclore. Le penchant pour l'une ou l'autre sommeille, tant qu'il n'est pas aiguillonné par la crainte de perdre ce qu'on a, ou par le désir d'avoir ce dont on est privé.

Il est une sorte de jalousie inspirée par l'amour, ou par tout autre sentiment affectueux que l'on croit menacé d'une rivalité. Mouvement passager de l'âme, cette jalousie peut être excusable et même légitime ; habitude, elle devient un défaut.

L'amour-propre est la source d'une autre espèce de jalousie qui, formant avec lui un trait de caractère, est un danger permanent pour la morale et pour les rapports sociaux ; car c'est un premier pas vers l'envie.

L'envie est l'angoisse que ressent une âme égoïste, à la vue des avantages dont elle est privée, et qu'elle ne peut espérer. C'est le désir d'un bien, et la haine de celui qui le possède.

L'envie est souvent aussi suggérée par l'amour-propre ; et cependant on pourrait l'y croire étrangère ; car l'envieux n'est jamais satisfait de ce qu'il a, et n'aime que ce qu'il voit aux autres.

Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 467-468.

Les sentiments nés de jugements favorables et défavorables, selon N.-V. de Latena, 1844.



SECTION III.


SENTIMENTS NÉS DE JUGEMENTS FAVORABLES.

Estime, bonne opinion d'autrui, fondée sur le caractère, la conduite et les talents.

L'estime s'attache bien plus aux qualités solides qu'aux qualités brillantes. Elle sent avec délicatesse, se forme avec réflexion, se défie des passions et fuit le désordre, entouré même de l'éclat du génie, pour suivre paisiblement l'honnêteté qu'accompagne un mérite modeste.

L’estime apprécie le bien ou la conformité à la règle commune ; mais elle a besoin de s'échauffer un peu, pour s'élever jusqu'au sentiment du beau.

Nous donnons une grande preuve d'estime au dépositaire de nos secrets ou de nos intérêts, quand nous le traitons comme si nous n'avions rien à craindre de de lui.

Confiance (1), foi entière en la probité, la justice, la discrétion et la bonté d'autrui.

La confiance naît ordinairement de longues relations et d'un jugement éclairé. Mais quelquefois le cœur l'éprouve d'instinct et par une impression soudaine. Alors le tact, d'un côté, et la loyauté, de l'autre, la mûrissent sans le secours du temps.

Se confier, avec prudence, se défier, avec mesure, deux règles essentielles dans les rapports sociaux.

Considération. L’estime est, comme nous l'avons expliqué, la conviction des bonnes qualités d'autrui ; et la considération est un jugement favorable sur le mérite, le crédit, la dignité extérieure, enfin sur l'attitude sociale d'une personne avec qui l'on n'a pas eu des rapports bien étroits. L'estime s'adresse aux sentiments; la considération, à la position. La confiance, qui suit hardiment l'estime, est plus circonspecte avec la considération; mais dès que les faits l'encouragent, elle donne à celle-ci le caractère de l'autre.

Respect, hommage rendu à la vertu, au mérite éminent, à l'âge, au pouvoir, au rang, et trop souvent à la seule fortune. Une âme timide respecte tout ce qui lui impose ; une âme droite et ferme, tout ce qui lui semble bien. Mais il y a toujours, dans le respect, un peu de crainte de le témoigner trop ou trop peu.

On donne encore le nom de respect à un autre sentiment qui lui ressemble par les effets, mais qui découle d'une source contraire : c'est celui qu'une âme généreuse accorde aux êtres faibles. Sa soumission n'est que de la condescendance, et ses égards couvrent une délicate protection. Tels sont les caractères de notre respect pour les femmes, pour la vieillesse et pour l'enfance.

Vénération. Après l'adoration qui n'appartient qu'à Dieu, la vénération est le plus profond sentiment de respect que l'homme puisse éprouver. C'est un pieux hommage à la perfection morale. Il s'adresse surtout aux qualités et aux vertus pratiques. La vénération s'accroît avec l'âge de la personne qui en est l'objet; mais elle ne tient aucun compte du pouvoir ni de la fortune, si ce n'est pour le bon emploi qu'on en fait. Elle est humble sans abaissement, et chaleureuse sans exagération. Pure comme la vertu qui l'inspire, elle s'affaiblit, au moindre doute, et ne tolère pas la plus légère tâche. Ce scrupule de la vénération prépare celui qui est capable de la ressentir à la mériter à son tour.

Soumission. L'homme qui accepte pour règle la volonté d'un autre, fait preuve de soumission. Il la puise dans le sentiment de son infériorité, dans une modestie sincère, ou dans le désir d'accomplir un devoir.

Une âme sage se soumet, avec résignation, à la force injuste qu'elle ne peut vaincre ; avec respect, à l'autorité régulièrement établie ; avec empressement, à une supériorité incontestable, et avec joie, aux conseils d'une raison bienveillante.

Une âme humble et tendre trouve une douceur infinie dans sa soumission aux personnes qu'elle aime.

Une âme fière se cabre contre la force, et trouve du plaisir à se soumettre à la faiblesse.

Une âme vaine ne comprend pas combien de calme, de véritable dignité, et même de bonheur on peut trouver dans la soumission. Jamais elle ne s'y résigne que par impuissance, par crainte, ou pour attendre l'heure de la révolte.

Admiration, vive satisfaction de l'âme, à la vue de certaines actions, ou de certaines qualités dont la sublimité l'étonne (3). Notre admiration est d'autant plus grande, que la personne qui l'excite s'approche plus de notre idéal, et probablement aussi de nos goûts, de nos sentiments, de notre caractère. On n'admire franchement que ce qu'on voudrait posséder, ou avoir fait.

L'admiration est le prix du génie et des vertus sociales, le lien des siècles, et la plus noble ambition de l'homme, après le désir du bien et de la perfection.

(3) C'est l'admiration que l'homme perçoit surtout par le cœur ; nous avons parlé, à la page 243, de celle qu'il perçoit surtout par l'esprit.


SECTION IV.

SENTIMENTS NÉS DE JUGEMENTS DÉFAVORABLES.

Défiance, attitude défensive d'une âme qui craint d'être trompée. On peut être défiant à l'égard d'une personne, ou dans une circonstance, sans l'être par caractère: La défiance n'est quelquefois que de la prudence, et qu'une preuve de pénétration. Mais les gens expérimentés, et surtout les vieillards, qui ont pu voir toutes les ruses de l'intérêt, portent souvent la défiance jusqu'à l'excès, et en font un défaut.

La défiance veut en vain se cacher : on la reconnaît à sa vigilance, tantôt réservée, tantôt agressive. Le fripon habile devine sa marche, et sait où lui tendre ses pièges. L'homme le plus défiant est bien forcé de se confier à quelqu'un, et il ne manque guère de s'adresser d'abord au plus rusé.

La défiance met une barrière de glace entre celui qui soupçonne et celui qui se voit soupçonné. Un tort connu laisse plus de chances à un rapprochement que le soupçon. Le premier montre tout ce qu'on doit pardonner, et le second exagère ce qu'on doit craindre.

Dédain, hautaine et fastueuse indifférence, conviction du peu de valeur des autres, et déclaration implicite de l'estime de soi.

On laisse à peine tomber un regard distrait sur la personne que l'on dédaigne.

L'homme supérieur se fait remarquer par sa réserve et le sot, par son dédain.

Il est toutefois un dédain majestueux qui peut devenir la plus noble vengeance des injures imméritées ; mais c'est l'arme des forts, et ne s'en sert pas qui veut.

Mépris. C'est l'opposé de l'estime; c'est le profond dégoût que les vices, les sentiments bas, et les actions ignobles font éprouver à une âme délicate. L'aspect d'un homme méprisable lui cause la même répugnance que l'aspect d'un animal immonde.

Le mépris est ordinairement silencieux, et se manifeste par un froid accueil, par un sourire amer, par un geste répulsif; mais quand il passe dans le langage, il devient presque toujours une insulte sanglante.

Le mépris frappe d'autant plus rudement, qu'il tombe de plus haut.

Note.
(1) Nous avons défini, à la page 303, la confiance comme une disposition de celui qui l'éprouve, comme une qualité du cœur : nous la définissons ici comme un jugement fondé sur les qualités de celui qui en est l'objet, comme un sentiment qu'elles inspirent.
 
Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 462-467.

Les sentiments de répulsion, selon N.-V. de Latena, 1844.


Antipathie, éloignement naturel, répugnance pour une personne dont l'extérieur, les manières, l'humeur choquent nos habitudes ou nos penchants. Ce sentiment instinctif n'est jamais tout à fait exempt de partialité. On l'éprouve, à la première vue; mais des relations fréquentes l'affaiblissent, ou bien, en l'augmentant, lui donnent un autre caractère. L'admiration et la reconnaissance peuvent le dompter sans le détruire. Tout en laissant la plus large place à l'estime, au respect et même au dévouement, il les enveloppe d'une certaine réserve, qui s'«oppose à la fusion des âmes. Il permet de tolérer ce qui a déplu, mais non pas de l'aimer.

Aversion. Lorsque l'antipathie, fortifiée par des faits, cesse d'être une vague répugnance, elle se change en aversion. Celle-ci peut être inspirée, tantôt par des vices ou de mauvais procédés, tantôt par des qualités ou des succès qui la font naître avec l'envie. L'antipathie se fonde donc sur l'apparence, et l'aversion, sur la réalité. L'une est spontanée et permanente; l'autre est réfléchie, et peut n'être qu'un effet passager comme la cause qui l'a produite.

Inimitié. Les atteintes portées à !'amour-propre,. aux intérêts, aux affections, excitent, dans les âmes impatientes, un vif déplaisir d'où naît l'inimitié. Elle se manifeste par une franche hostilité. Mais elle n'exclut ni l'équité, ni la noblesse des procédés; et n'empêche point un cœur généreux d'estimer la personne qui l'a offensé, ni même quelquefois de la servir.

On adopte volontiers l'inimitié des gens que l'on aime ; et quand ils pardonnent, on se sent un peu honteux d'être forcé de pardonner aussi, sans savoir exactement pourquoi.

L'inimitié a peu d'ardeur pour la vengeance; mais elle applaudit souvent, avec une maligne joie, aux coups que le sort semble frapper pour elle. Le temps la calme, ou la fait aller jusqu'à la haine.

Animosité. Quand l'inimitié s'aigrit et s'exaspère, elle devient de l'animosité. Celle-ci n'est donc qu'une exaltation éphémère de l'inimitié; et, dès qu'elle s'affaisse sur elle-même, par fatigue ou par raison, elle ne tarde pas à retomber au-dessous de son point de départ. Le regret, que l'animosité laisse souvent après elle, peut apaiser l'inimitié.

Rancune, ressentiment silencieux d'une offense ou d'un mauvais procédé. Elle se repaît d'un passé qui la blesse, et met un soin scrupuleux à en conserver les plus vives images. Défaut des âmes sensibles et réservées, elle n'exclut ni la fermeté, ni le courage; mais elle est incompatible avec la légèreté de l'esprit, comme avec la franchise du caractère. Le temps l'adoucit ; une expiation l'efface et un service rendu peut la transformer en amitié.

Celui qui cache sous la rancune son mécontentement ou sa colère, y ajoute, en durée, tout ce qu'il en ôte en violence, et croit faire une sage transaction avec sa dignité.

Les rancunes les plus profondes sont inspirées par les torts des personnes que l'on a le plus sincèrement aimées.

Haine. Ce vice de l'âme, si funeste à l'homme moral (1), exerce aussi, sur l'homme social, une dangereuse influence. Il le rend hostile à ses semblables, et le pousse à se venger sur eux des mécomptes de son égoïsme ou de son orgueil.

Dans la jeunesse, on sent plus vivement l'affection que la haine; c'est le contraire dans l'âge mûr.

La vengeance est la haine en action.

Quand la résistance a provoqué la haine, une soumission la change en mépris, dans une âme vaine, en bienveillance, ou même en affection, dans une âme généreuse.

Le respect humain conseille la haine; le respect de Dieu commande de pardon.

La haine est une souffrance : pour en guérir, il suffit de bien comprendre l'amour de soi.


Note. 

(1) Voir le livre III, chapitre IV, section III, § 2, deuxième catégorie, page 373.
 
Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 459-462.

Les sentiments d'attraits, selon N.-V. de Latena, 1844.


Intérêt, attention fixée sur une personne dont on verrait, avec plaisir, les succès ou le bonheur.

La continuité de notre intérêt, ou de notre haine pour une personne, n'a souvent aucun autre motif que le besoin de justifier, à nos propres yeux, le bien ou le mal que nous lui avons fait.

Une critique bienveillante, quelle qu'en soit la forme, est la plus grande de toutes les preuves d'intérêt.

Bienveillance, intérêt animé par l'envie d'être utile à celui qui en est l'objet.

Penchant, disposition naturelle en faveur d'une personne dont l'extérieur, les manières et le langage ont pour nous quelque charme secret.

Goût, penchant éclairé et soutenu par un commencement d'expérience.

Sympathie, penchant réciproque entre deux personnes attirées l'une vers l'autre par la similitude de leurs goûts, de leurs caractères et de leurs idées. Si l’on cherche à pénétrer les motifs de la sympathie, on y reconnaît toujours un peu d'amour de soi ; car elle nous fait aimer dans les autres l'image de nous-mêmes, ou les sentiments qui peuvent contribuer à la satisfaction des nôtres.

Inclination, sentiment spontané et peu profond d'un cœur prêt à s'ouvrir, soit à l'amitié, soit à l'amour. L'inclination, plus apparente que le penchant, est cependant encore irrésolue. La découverte de quelques qualités ou de quelques agréments peut la fortifier ; mais aussi une cause, même légère, peut la distraire ou l'éteindre.

Préférence, choix entre les personnes dont notre cœur ou notre raison a pu apprécier la valeur.

Attachement, lien formé, d'ordinaire, entre des personnes d'une condition égale, par l'habitude, par l'échange répété des services ou des bons procédés, et par quelques qualités solides. L'attachement peut encore descendre du supérieur à l'inférieur; mais quand il suit la marche inverse, il est bien près du dévouement.

Affection, sentiment composé de tendre intérêt, d'estime, et quelquefois de respect ou de reconnaissance. Calme par sa nature, l'affection veille en silence, et attend, plutôt qu'elle ne cherche, les occasions de se montrer.

Le sang dépose toujours, dans les bons cœurs, des germes d'affection. La réciprocité les développe pour le bonheur et la moralité des familles.

Les circonstances qui nous prouvent le peu de solidité de certaines affections ont, au moins, le bon résultat de nous en débarrasser.

Quand l'estime a cessé, l'affection qui lui survit n'est plus que l'habitude d'une indolente personnalité.

Lorsqu'un léger sujet de mécontentement sépare deux personnes également sensibles et fières, et dont l'affection réciproque est, pour elles, un devoir ou un besoin, celle des deux qui a le plus de raison et de bonté reviendra la première. Une affection trop indulgente ne songe, pour la personne qui l'inspire, qu'au plaisir présent ; une affection trop sévère, qu'au bonheur à venir ; une affection sage et éclairée songe à l'un et à l'autre.

On aime faiblement la personne dont on ne consentirait pas à encourir la colère, pour la préserver d'une faute ou d'un danger.

La véritable affection n'est indulgente que pour les défauts dont elle souffre seule, et dont elle peut conserver le secret.

Quand on ne peut repousser une accusation portée contre une personne qu'on aime, sans accepter la complicité de principes dangereux, le silence auquel on se condamne pèse douloureusement sur le cœur.

Beaucoup de gens ne semblent trouver, dans une affection éprouvée, que l'avantage de tourmenter impunément celui qui la ressent.

Pour nous rendre un compte exact de l'affection qu'une personne nous inspire, tâchons d'oublier les avantages qu'elle nous procure, ou nous fait espérer.

Dès que j'entrevois la possibilité d'un antagonisme entre un intérêt et une affection, je tremble pour l'affection.

L'affection des cœurs profondément sensibles, souvent inquiétée dans les relations habituelles, se rassure et s'affermit par l'absence : l'affection des cœurs légers s'affaiblit par elle.

Dans les combinaisons de la vie intime, une âme sensible et délicate doit craindre de s'associer à ces âmes rudes dont le mouvement est toujours brusque et le choc violent. Un contact fréquent produit sur elles le même effet que sur des corps d'une dureté inégale : la plus tendre est bientôt brisée.

Le souvenir de ce que nous avons fait, pour le bonheur des personnes dont la mort nous a séparés, est le plus grand adoucissement au regret de les avoir perdues. Mais la crainte seule de leur avoir causé quelques peines ajoute à ce regret les déchirements du remords. Si les personnes unies par les liens d'une tendre affection pouvaient comprendre cette vérité, aucun sacrifice ne leur coûterait pour s'épargner des torts qui paraissent bien légers, lorsqu'on s'en rend coupable, et bien pesants, quand on ne peut plus se les faire pardonner.

L'existence tire tout son prix de nos affections. Quel bonheur peut-on trouver hors des jouissances du cœur ? Survivre aux objets de sa tendresse est le plus horrible des supplices; et le sentiment d'un grand devoir peut seul nous donner ce courage. Nous perdons successivement une partie des êtres qui nous sont chers, et les autres nous perdront à leur tour ! Si nous ne devions, un jour, être tous réunis dans une autre vie, l'insatiable besoin d'affection que nos âmes éprouvent ne serait plus qu'un jeu cruel du maître de nos destinées. Sa toute-puissance et sa bonté repoussent cette idée impie.

10° Amitié, pure et libre union des âmes, union provoquée par quelques rapports de sentiments et d'opinions, resserrée par le temps et la confiance, et cimentée par les jouissances qu'une certaine parité d'intelligence et de position sociale permettent de goûter en commun. Les différences de caractères peuvent être atténuées par des qualités attrayantes, ou même produire des contrastes favorables à l'amitié; mais les différences de rangs et d'intelligences mettent, entre deux personnes, le vaste champ de l'amour-propre. Une grande dignité de caractère, relevant l'une de son infériorité; et une véritable noblesse de sentiments, faisant oublier à l'autre sa supériorité, peuvent seules combler l'intervalle qui les sépare. Sans ces conditions assez rares, leur liaison n'est, d'un côté, que du dévouement, et, de l'autre, qu'une sorte de patronage.

Entre un homme et une femme, dont le cœur n'est plus accessible à l'amour, l'amitié prend une nuance particulière où viennent se fondre les différences essentielles de leurs organisations. Une union de cette sorte offre une partie des charmes de l'amour, sans en avoir les agitations, ni les incertitudes. L'amitié de deux hommes, si profonde et si vraie qu'elle soit, n'exclut pas, dans un commerce habituel, des moments de froideur et de vide. Celle d'un homme et d'une femme ne cesse guère d'être attentive et empressée. Le sexe y conserve une partie de son influence. On ne se contente pas d'avoir prouvé que l'on est digne d'être aimé : on veut se montrer toujours aimable. La délicatesse des sentiments de la femme, la finesse de ses aperçus, la mobilité de son imagination stimulent le cœur et l'esprit de l'homme, et en font jaillir tout ce qu'ils peuvent produire de gracieux et de bon. La diversité de leurs caractères, de leurs intelligences et de leurs impressions préserve ces relations de la monotonie et de l'ennui.

L'amitié étant un choix raisonné, on ne peut en donner le nom au lien qui existe entre les frères et les sœurs. La nature crée leurs rapports, et le cœur les règle. Deux frères se rapprochent et s'aiment encore tendrement, après de mutuelles offenses ; tandis qu'un mauvais procédé peut séparer, à jamais, deux amis. Cependant cette prérogative du sang, qui promet tant de douceur à l'affection fraternelle, devient trop souvent, par la négligence née de la sécurité, une cause de froideur, d'oubli des égards les plus naturels, et, si l'intérêt s'en mêle, de rupture et de haine. À tout sentiment qui n'est pas à la fois libre et désintéressé, profond et durable, ferme et indulgent, il manque quelque chose de ce qui constitue l'amitié.

Quelques personnes ont la monomanie des promptes et courtes liaisons. Elles vous adorent, à la première vue; vous saluent à peine, à une seconde; et bientôt vous oublient. Si, plus tard, un incident les oblige à vous reconnaître, votre aspect seul répand sur leur visage un air de contrainte et d'embarras. Toute habitude les fatigue. L'atmosphère de la famille les oppresse. Le changement est leur vie ; la nouveauté, leur seule jouissance. Esprits étroits, cœurs légers, âmes sans profondeur, ils ressemblent à ces automates qui ne produisent qu'un mouvement, et qui le répètent sans cesse.

Prendre des précautions contre un ami, c'est déjà le traiter en ennemi.

La perte d'un ami ouvre nos yeux sur ses qualités; mais souvent le regret de les avoir méconnues nous porte à les exagérer. Alors, par une compensation tardive, nous ajoutons à la juste mesure de notre douleur tout ce qui a manqué à notre amitié.

On ne peut guère donner une plus grande preuve, de modestie et de bonté, qu'en souhaitant à ses amis une position supérieure à la sienne, sans arrière-pensée d'intérêt personnel.

Ce sont d'étranges amis que ceux à qui l'on n'ose annoncer un événement heureux pour soi, de peur d'exciter leur envie.

Si tous les mouvements de l'âme étaient visibles, y aurait-il beaucoup d'amis ?

L'amitié sincère se nourrit de souvenirs, l'amitié intéressée d'espérances.

Combien de gens tiennent à leurs vieux amis, comme à leurs vieux habits, parce qu'ils sont à leur aise avec eux, et ne craignent plus de les froisser !

L'amitié doit être impartiale; mais entre des mérites égaux, elle peut avouer ses préférences.

Quand la voix d'un ennemi accuse, le silence d'un ami condamne.

L'égoïsme est le principal, mais non l'unique mobile des actions humaines. Qui n'a donné, ou reçu quelque preuve de dévouement? On a besoin de le croire possible, pour ne pas être forcé de renoncer à l'amitié.

11° Amour. Ce sentiment, considéré déjà comme attribut de l'homme sensitif, est, de plus, le principe de la famille et de la société. C'est sous ce dernier aspect qu'il doit reparaître dans l'étude de l'homme social.

L'amour est l'attrait qui prépare et la chaleur qui féconde l'union des sexes. En transmettant la vie, il étend la famille, et multiplie les branches de l'arbre social. C'est lui qui, par une impulsion secrète, rassemble les deux sexes, électrise la foule, et la plonge dans une sorte d'ivresse sympathique. Chacun en ressent l'effet, et le manifeste par un air de joie passionnée. La vieillesse elle-même se réchauffe quelquefois encore aux rayons de l'amour. Attrait des sens, aspiration de l'âme, ou rêve de l'imagination, l'amour est le premier et le plus doux lien de la société.


Comparaison de l'amour et de l'amitié.

L'amour est un sentiment passionné pour une personne d'un autre sexe. Il s'attache surtout à la forme : c'est une préférence des sens.

L'amitié exige de la réciprocité. Elle n'emprunte à la différence des sexes qu'une nuance plus tendre et plus délicate ; et si elle s'occupe des qualités extérieures, c'est pour y chercher l'image des perfections morales dont elle est saintement éprise : c'est une préférence de l'âme.

L'amour s'allume souvent à la première vue, parce que le cœur ou les sens l'attendaient.

L'amitié naît de l'expérience : c'est le double suffrage de l'esprit et du cœur.

On va au-devant de l'amour; on rencontre l'amitié.

L'amour, malgré tout le faste de sa générosité et de ses sacrifices, n'oublie jamais son intérêt : il veut se satisfaire.

L'amitié trouve ses plus douces jouissances dans le bonheur de la personne qui l'inspire.

L'amour est positif. L'absence lui cause d'abord des regrets. Si elle se prolonge, ils se calment; si les rapports cessent, l'oubli arrive ; et, s'il survient un autre amour, le premier n'est plus qu'un rêve.

Une ancienne amitié résiste à l'absence, et même à la rivalité des liaisons nouvelles.

Quand l'amour a reçu quelque offense, il éclate, menace et ajoute souvent au malheur d'être trompé celui d'être ridicule.

Quand l'amitié se sent blessée, elle se retire en silence.

Après une réconciliation, deux amants sont plus amoureux et deux amis, plus réservés.

L'amour survit à la confiance; l'amitié s'éteint avec elle. La sécurité affaiblit l'un et fortifie l'autre.

L'amour est un feu dévorant qui, après avoir ravagé la plus belle partie de la vie, s'éteint sur des cendres ; l'amitié est une douce flamme qui amollit le cœur et le préserve du froid de la vieillesse.

L'amour est une passion toute terrestre; car il aspire à la possession, et ne peut l'oublier, sans prendre le caractère de l'amitié. Celle-ci est un pressentiment des affections d'une autre vie; car elle unit seulement les âmes.

L'amour a l'orageuse mobilité des vapeurs de la terre ; l'amitié a le calme et la pureté des régions éthérées.

Tout le monde peut sentir l'amour, mais non pas l'amitié.

L'amour est, dans les animaux, l'instinct de la reproduction. Dans l'homme, sous l'influence de sa double nature, il s'ennoblit par les chastes inspirations de l'âme, ou se dégrade par sa corruption.

Une amitié, vraiment digne de ce nom, ne peut naître dans des âmes perverties.

L'amour satisfait implique ordinairement un triomphe et une défaite. Aussi devient-il bientôt ou tyran, ou victime, s'il n'est contenu, d'un côté, par la délicatesse, et protégé, de l'autre, par la fierté.

L'amitié, dans sa libre expansion et sa sécurité, ne cherche que des occasions de dévouement, et n'aspire qu'au bonheur de le faire accepter.

L'amour né des sens, ne se soustrait jamais à leur empire. L'amitié, toujours associée aux plus généreux penchants de notre âme, se développe, se modifie, ou meurt avec eux. Mais la vertu peut confondre l'amour et l'amitié dans un sentiment unique qui, gardant de l'un son tendre dévouement, de l'autre sa confiance et sa sérénité, assure aux cœurs fatigués un repos sans langueur, un bonheur sans orage.

12° Tendresse, état d'un cœur amolli par de douces impressions, ou disposé à les recevoir. Elle est un des effets de la sensibilité. Toujours identifiée avec quelques-uns de nos sentiments affectueux, elle y ajoute une vive sollicitude pour la personne qui en est l'objet. C'est elle qui suggère à l'amitié ses plus aimables prévenances, et à l'amour les soins délicats dont il tire ses plus exquises voluptés. Mais elle dégénère facilement en faiblesse. Avec un cœur tendre, on a de la peine à être juste.

La tendresse appartient surtout aux femmes; chez les hommes, elle est une exception.

13° Dévouement, préférence donnée à un autre sur soi, désir indéfini d'un bonheur placé dans la satisfaction d'autrui. Le dévouement inspiré par la reconnaissance est une religion dans les âmes généreuses.

Quelquefois le dévouement n'est ni le retour des bienfaits, ni un hommage rendu à des qualités réelles. Il semble alors être l'effet d'une sorte de fascination. Une âme tendre est seule capable d'un tel dévouement ; mais une âme égoïste peut l'inspirer.

Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 445-458-

Timide, hardi ou sensé ?



Les hommes timides croient ce qu'ils craignent, les hommes hardis ce qu'ils désirent, les hommes sensés ce qui est vraisemblable.

Référence.

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 212.

vendredi 26 août 2011

Péches capitaux et péchés de luxure consommée, selon Mgr. Th.-M. Gousset, 1844


[La traduction française des passages en latin sont le fait de l'auteur de ce blog. Veuillez donc excuser les imperfections et  maladresses de cette version.]


p. 99-104.

CHAPITRE V.

Des Péchés capitaux.

269. On compte sept péchés capitaux : l'orgueil, l'avarice, l'envie, la luxure, la gourmandise, la colère et la paresse. On les appelle capitaux, non qu'ils soient toujours mortels, mais parce que chaque péché capital est la source de plusieurs autres péchés.

L'orgueil est un amour déréglé de soi-même et de tout ce qui peut nous faire valoir aux yeux des hommes.

« Superbia est inordinatus appetitus propriæ excellentiæ (1). »
[« L’orgueil est le désir désordonné de sa propre supériorité. »]

Il est comme le principe de tous les autres péchés :

« Initium omnis peccati est superbia (2). »
[« L’orgueil est à l’origine de tout péché. »]

Aussi, est-il odieux devant Dieu et devant les hommes :

« Odibilis coram Deo et hominibus superbia (3). »
[« L’orgueil est haïssable devant Dieu et les hommes. »}

Le péché d'orgueil peut être mortel, mais il ne l'est pas toujours ; sa malice varie suivant les degrés dont elle est susceptible.

270. Quoiqu'on puisse regarder l'orgueil comme l'origine de tous les autres péchés, il en est néanmoins qui en découlent plus directement, et qu'on appelle pour cela les enfants de l'orgueil, filiæ superbiæ. Les principaux sont la vaine gloire, la jactance, le faste, la hauteur, l'ambition, l'hypocrisie, la présomption, l'opiniâtreté.

La vaine gloire est cette complaisance qu'on a en soi-même, à cause des avantages qu'on a, ou qu'on se flatte d'avoir, au-dessus des autres : de là ce désir désordonné d'être estimé, loué et honoré ; cette attention à se montrer et à faire connaître plus ou moins adroitement tout ce qui peut nous attirer la considération des hommes.

La jactance est le péché de ceux qui se donnent à eux-mêmes des louanges par vanité, font valoir leur mérite, leur crédit, leurs succès, leurs bonnes œuvres (4). Toutefois, ce n'est pas toujours un péché de faire connaître le bien qu'on a fait ; on peut en parler, non pour en tirer une vaine gloire, mais pour se justifier de quelque reproche injuste, ou pour l'instruction et l'édification du prochain (5).

Il y a faste, quand on cherche à s'élever au-dessus des autres, au-dessus de sa condition, par la magnificence de la tenue, des ameublements, des équipages. Ce luxe est encore de la vanité, de l'orgueil.

La hauteur s'annonce par la manière impérieuse avec laquelle on traite le prochain, la fierté avec laquelle on lui parle, l'air dédaigneux dont on le regarde, le ton méprisant qu'on tient à son égard.

L'ambition est le désir déréglé de s'élever aux dignités de l'Église ou de l'État, qu'on recherche principalement en vue de la considération et des honneurs qui y sont attachés

L'hypocrisie est un vice par lequel on cherche à s'attirer l'estime des hommes en empruntant les dehors de la vertu, en cherchant à paraître homme de bien sans l’être effectivement. Ce vice est aussi dangereux qu'il est odieux.

271. Il y a présomption à se confier trop en soi-même, à ses propres lumières. On se persuade qu'on est capable de mieux remplir que tout autre certaines fonctions, certains emplois qui surpassent nos forces et notre capacité. Ce péché est bien commun ; d'autant plus commun que ceux qui y sont sujets ne veulent point le reconnaître, se faussant facilement l'esprit et le jugement sur leur peu d'aptitude. Mais le Seigneur humilie les présomptueux.

L'opiniâtreté consiste dans l'attachement à son propre sentiment, malgré les observations fondées de ceux qui ne pensent pas comme nous. Il en coûte à l'amour-propre de convenir qu'on s'est trompé.

La notion que nous venons de donner de l'orgueil et de ses principaux effets suffit pour nous faire connaître combien ce vice est général, et combien il est difficile de s'en défendre. Nous trouvons le remède contre l'orgueil dans l'humilité chrétienne. L'humilité est pour le bien ce que l'orgueil est pour le mal. Aussi le Seigneur accorde sa grâce aux humbles et résiste aux orgueilleux  :

« Deus superbis resistit, humilibus autem dat gratiam (6). »
[Dieu résiste aux orgueilleux, et donne la grâce aux humbles.]

272. L'avarice, qui est le second péché capital, est un amour immodéré de l'argent, des biens de la terre :

« Avaritia est immoderatus amor habendi (7). »
[La cupidité est l’amour sans mesure de la possession. »]

Ce vice nous éloigne de Dieu, l'homme ne pouvant servir deux maîtres (8) ; il nous rend insensibles à la misère du prochain, et nous porte à la fraude, à l'injustice, au parjure, à la trahison :

« Avaro nihil scelestius (9). »
[«Rien n’est plus fautif [envers les autres] que l’homme cupide. »]

273. L'envie est la tristesse qu'on éprouve du bien qui arrive au prochain, en considérant ce bien comme diminuant notre propre gloire, notre mérite. Ce vice est contraire à la charité (10). Nous renvoyons au cinquième et au sixième précepte ce que nous avons à dire de la colère et de la luxure.

[p. 275. ]

La colère, qui est un des sept péchés capitaux, est une émotion de l'âme contre la personne dont on croit avoir reçu quelque injure, qui nous porte à rejeter avec violence ce qui nous déplaît, et à nous venger de ceux qui nous ont offensés. C'est pourquoi saint Augustin appelle la colère le désir passionné de la vengeance, libido vindictæ (11). Mais il ne faut pas confondre la colère proprement dite avec l'émotion, l'indignation qu'on éprouve à la vue d'un désordre. C'est de cette émotion, qui est excitée par le zèle pour l'ordre, la justice ou la religion, que parle le Roi Prophète, quand il dit : Mettez-vous en colère, et ne péchez point ; « Irascimini, et nolite peccare (12). »

6l5. La colère est un péché mortel en son genre :

« Ex genere suo ira est peccatum mortale, quia contrariatur charitati et justitia (13). »
[la colère est un péché mortel en son genre, parce qu’il est contredit par la charité et la justice. »]

Quiconque, dit le Sauveur, se met en colère contre son frère, mérite d'être condamné par le jugement :

« Omnis qui irascitur fratri suo, reus erit judicio (14). »
[«  Tout homme qui est en colère contre son frère sera mis en cause lors du jugement. »]

Cependant la colère n'est qu'un péché véniel, lorsqu'elle n'est ni contre la justice, ni contre la charité, mais qu'elle détruit seulement la douceur ; lorsque le mal qu'on souhaite au prochain est si peu considérable, que quand même on le lui ferait, il n'y aurait pas péché mortel ; enfin, lorsque l'émotion est légère ou passagère, ou qu'elle n'est pas pleinement volontaire (15).

La colère est mortelle, lorsque l'émotion est si violente qu'elle éteint en nous l'amour de Dieu ou du prochain, comme il arrive quand elle se manifeste par des blasphèmes contre Dieu, ou des injures atroces contre le prochain, par de mauvais traitements (16).

[Pour la luxure voir infra.]

274. La gourmandise est un désir déréglé de boire et de manger, un usage immodéré des aliments nécessaires à la vie :

« Appetitus edendi vel bibendi inordinatus (17). »
[Un désir désordonné de manger et de boire]

Ce n'est ni le plaisir ni le goût qu'on trouve dans la nourriture qui caractérise le péché de gourmandise, c'est l'excès ou le défaut de modération qui en fait la malice.

« Licitum est uti delectatione ad cibum percipiendum pro corporis salute (18). »
[« Il est permis d’user du plaisir de la nourriture qui doit être prise pour la santé du corps. »]

Mais il n'est pas permis de boire et de manger jusqu'à satiété uniquement à cause du plaisir. Le pape Innocent XI a censuré la proposition contraire, ainsi conçue :

« Comedere et bibere usque ad satietatem ob solam voluptatem, non est peccatum, modo non obsit valetudini, quia licite potest appetitus naturalis suis actibus frui (19). »
[«Ce n’est pas un péché de manger et de boire jusqu’à satiété à cause du plaisir seul, d’une façon qui ne soit pas nuisible à la santé, parce que l’appétit naturel peut, en toute permission, jouir de son activité même »].

On se rend coupable de gourmandise en cinq manières : 1° en mangeant avant le temps convenable, surtout les jours de jeûne ; 2° en recherchant des mets trop somptueux, d'un trop grand prix, eu égard à la condition de celui qui se fait servir ; 3° en mangeant ou buvant avec excès ; 4° en se jetant sur la nourriture avec voracité, ce qui ne convient qu'à la brute ; 5° en exigeant trop d'apprêt pour les aliments, comme font ceux qui cherchent plutôt à satisfaire leur goût que le besoin qu'éprouve la nature.

275. Le péché de gourmandise est mortel : 1° quand on s'abandonne habituellement aux plaisirs de la table, qu'on met en quelque sorte sa fin dernière à boire ou à manger ; 2° quand on boit ou qu'on mange jusqu'à nuire notablement à sa santé ; 3° lorsqu'on viole les lois du jeûne ou de l'abstinence ; 4° lorsqu'on se rend incapable de remplir une fonction qu'on est obligé de remplir sous peine de péché mortel ; 5° quand l'excès dans le boire va jusqu'à l'ivresse, et prive l'homme de l'usage de la raison ; 6° quand on s'excite au vomissement, afin de pouvoir continuer de boire ou de manger (20).

Mais y a-t-il péché mortel à boire ou à manger jusqu'au vomissement ? Cela n'est pas certain ; il est même probable que, dans le cas dont il s'agit, le péché n'est que véniel, à moins qu'il n'y ait scandale, ou que la santé n'en souffre notablement :

« Comedere vel bibere usque ad vomitium probabile est peccatum esse tantum veniale ex genere suo, nisi adsit scandalum, vel notabile nocumentum valetudinis (21). »
[« Quant au fait de manger et de boire jusqu’au vomissement, il est probable que c’est un péché seulement véniel, en son genre, s’il ne s’y ajoute pas un scandale ou un dommage évident pour la santé. »]

Il y aurait certainement scandale et faute grave, si cela arrivait à un ecclésiastique, à un prêtre, à un pasteur, à moins qu'on ne pût attribuer cet accident à une indisposition.

276. Celui qui s'enivre volontairement, sans avoir été surpris par la force du vin, pèche certainement ; saint Paul met l'ivresse au nombre des péchés qui excluent du royaume des cieux :

« Neque ebriosi regnum Dei possidebunt (22). »
[« Et les alcooliques ne posséderont pas le royaume de Dieu. »]

Mais pour qu'il y ait péché mortel, il est nécessaire, suivant le sentiment certainement probable de plusieurs docteurs, que l'ivresse prive entièrement de l'usage de la raison :

« Ad hoc ut ebrietas sit peccatum mortale, requiritur ut sit perfecta, nempe quæ omnino privet usu rationis. Unde non peccat mortaliter qui ex potu vini non amittit usum rationis (23). »
[«Quant à cela, que l’ivresse soit un péché mortel, il est requis, pour qu’elle soit achevée, comme chacun sait, qu’elle prive totalement de l’usage de la raison. Par là donc, celui qui ne perd pas l’usage de la raison en buvant du vin, ne pèche pas mortellement. »]

On reconnaît qu'un homme n'a pas entièrement perdu l'usage de la raison, lorsqu'il peut encore discerner entre le bien et le mal.

Il n'est jamais permis de s'enivrer, quand même il s'agirait de la vie. C'est le sentiment de saint Alphonse de Ligori ; il le soutient comme plus probable que le sentiment contraire (24).

Il n'est pas permis non plus d'enivrer qui que ce soit, pas même celui qui est incapable de pêcher formellement. Si l’ivresse n'est point imputable à un enfant, à un insensé, elle le serait pour celui qui en serait l'auteur.

277. On ne doit pas engager un convive à boire, lorsqu'on a lieu de craindre que cette invitation n'aboutisse à l'ivresse. Ce serait également une imprudence blâmable de faire boire ceux qui ont déjà pris trop de vin, ou qui ne peuvent en prendre davantage sans danger de s'enivrer.

Mais on doit excuser celui qui sert du vin à ceux qui en abusent ou qui en abuseront, lorsqu'il ne peut le leur refuser sans de graves inconvénients ; lorsque, par exemple, ce refus serait une occasion d'emportement, de blasphème ; car servir du vin est en soi une chose indifférente, et l'abus qu'en font ceux qui l'exigent leur est personnel.

278. Ne peut-on pas enivrer quelqu'un, pour l'empêcher de faire un plus grand mal ; de commettre, par exemple, un homicide, un sacrilège ? Nous ne le pensons pas, quoique le sentiment contraire paraisse assez probable à saint Alphonse de Ligori (25). Il nous semble que ce serait coopérer directement à une chose mauvaise de sa nature ; ce qui n'est point permis. Cependant il ne faudrait pas inquiéter ceux qui le feraient ; car on peut facilement les supposer de bonne foi sur une question de cette nature. Nous n'oserions pas non plus, pour la même raison, empêcher un malade de suivre l'avis de son médecin, qui, à tort ou à raison, lui prescrirait, comme remède nécessaire à sa guérison, de prendre du vin ou d'une liqueur enivrante, en assez grande quantité pour lui procurer par l'ivresse une crise qui peut être salutaire (26).

279. Si l'ivresse arrive par surprise, ce qui peut avoir lieu pour les personnes qui éprouvent quelque indisposition, ou qui ne connaissent pas la force du vin, des liqueurs qu'on leur sert, alors elle n'est point imputable, parce qu'elle n'est point volontaire. Si elle est volontaire, on est coupable, non seulement à raison de l'ivresse, mais encore à raison du mal qu'on a fait durant l'état d'ivresse ; des blasphèmes, par exemple, qu'on a proférés, de l'homicide qu'on a commis ; pourvu toutefois que cet homicide, ces blasphèmes aient été prévus, d'une manière au moins confuse, par celui qui s'est enivré volontairement.

280. La paresse, que quelques auteurs anciens confondent avec la tristesse, est une espèce de langueur de l'âme, un dégoût pour la vertu, qui tend à nous empêcher d'accomplir les devoirs communs à tout chrétien, ou propres à chaque état. La paresse devient péché mortel, toutes les fois qu'elle nous fait manquer à une obligation grave.

« Langor animi quo bonum vel omittitur, vel negligenter fit, est mortalis, si bonum sit graviter præceptum ; et semper valde periculosus est, disponitque ad mortale (27). »
[« L’abbatement de l’âme par laquelle une chose bonne est soit omise soit accomplie sans soin, est mortel, si la chose bonne est un commandement important  ; mais il est toujours fort dangereux, et dispose à devenir mortel. »]


p. 122-125.

CHAPITRE VI.

De la Chasteté, de la Continence, de la Pudeur, et de la Modestie.

516. La chasteté est une vertu morale qui modère et restreint dans les bornes du devoir le penchant naturel pour les plaisirs de la chair. On distingue la chasteté des vierges, la chasteté des personnes veuves, et la chasteté des personnes mariées. La première consiste dans une perpétuelle continence. Elle paraît avec éclat dans les vierges chrétiennes qui ont généreusement renoncé au mariage, et se sont dévouées à la garder toute leur vie. La chasteté des personnes veuves consiste à garder la continence le reste de leur vie. Cette chasteté est moins parfaite que la première. La chasteté des personnes mariées consiste à garder la fidélité conjugale, et à n'user du mariage que suivant les règles de la sainteté évangélique. Elle inspire une espèce d'horreur pour tout ce qui est contraire à la fin du mariage. La chasteté des époux, quelque sainte qu'elle soit, est moins parfaite que la chasteté des vierges et des personnes qui restent dans l'état de viduité par principe de religion.

La chasteté est nécessaire au salut, tous doivent être chastes dans leur état ; rien de souillé n'entrera dans la nouvelle Jérusalem :

« Non intrabit in eam aliquod coinquinatum (28). »
[« Rien de souillé n’entrera pas chez elle. »]

Pour garder cette vertu, il faut veiller constamment sur soi-même, vivre autant que possible dans la retraite et la prière, fréquenter les sacrements, pratiquer la mortification, et fuir avec soin les occasions du péché.

Les péchés contraires à la chasteté sont la fornication, l'inceste, l’adultère, et, en un mot, tous les péchés qui appartiennent à la luxure.

317. La continence est à peu près la même chose que la chasteté. Saint Thomas la fait consister dans la fermeté nécessaire pour ne pas se laisser entraîner par les mouvements de la concupiscence :

« Continentia habet aliquid de ratione virtutis inquantum ratio firmata est contra passiones, ne eis deducatur (29). »
[«La maîtrise des sens possède quelque chose de la notion de la vertu, dans la mesure où la raison est affermie contre les passions, afin de ne pas être menée par elles. »]

La pudeur, pudicitia, verecundia, est cette honte vertueuse qui donne de l’éloignement, de l'horreur pour toutes les actions capables d'offenser la chasteté. Rien de plus important pour les mœurs que de maintenir cette honte salutaire ; c'est un frein puissant contre le vice, contre le libertinage ; la vertu est bien en danger, si déjà elle n'a fait naufrage, dans les jeunes gens qui ne sont plus retenus par le sentiment de la pudeur.

318. La modestie est une vertu qui maintient dans l'ordre les mouvements intérieurs et extérieurs de l'homme.

« Modestia, dit saint Thomas, se habet non solum circa exteriores actiones, sed etiam circa interiores (30). »
[« Le sentiment de la mesure, dit saint Thomas, n’encadre pas seulement les actions extérieures, mais également les [actions] internes. »]

Elle règle notre intérieur parla douceur et l'humilité, et notre extérieur par la décence et l'honnêteté. On blesse la modestie par des discours, par des gestes, des actes contraires à la bienséance. Ainsi l’on doit, par exemple, regarder comme immodestes certaines parures, certaines modes capables d'alarmer la vertu.

Mais n'est-il pas permis à une femme de se parer pour plaire, et relever les grâces qu'elle a reçues de la nature ? Nous répondrons, d'après saint Thomas, en distinguant les femmes mariées et celles qui ne le sont pas. La femme qui se pare pour plaire à son mari ne pèche pas, si d'ailleurs sa parure n'a rien qui puisse scandaliser le prochain. Ce motif est honnête et quelquefois nécessaire pour prévenir le dégoût du mari, et empêcher qu'il ne se laisse séduire par une beauté étrangère.

« Si mulier conjugata ad hoc se ornet ut viro suo placeat, potest hoc facere absque peccato (31). »
[« Si une femme mariée s’embellit de façon à plaire à son mari, elle peut le faire sans péché. »]

Mais les femmes qui ne sont pas mariées, et qui ne pensent point au mariage, ne peuvent, sans péché, chercher à plaire aux hommes pour se faire désirer, parce que ce serait leur donner une occasion de pécher ; et si elles se parent dans l'intention de provoquer les autres à la concupiscence, elles pèchent mortellement. Si elles ne le font que par légèreté ou par vanité, leur péché n'est pas toujours mortel, il est quelquefois véniel.

« Si hac intentione se ornent ut alios provocent ad concupiscentiam, mortaliter peccant. Si autem quadam levitate, vel etiam ex quadam vanitate propter jactantiam quamdam, non semper est peccatum mortale, sed quandoque veniale (32). »
[« Si elle s’embellissent avec l’intention d’exciter le désir des sens, elles pèchent mortellement. Mais si, [elles le font] par quelque légèreté ou par quelque vanité pour attirer le regard, le péché n’est pas toujours mortel, mais quelquefois véniel. »]

319. Quant à celles qui, n'étant pas mariées, pensent sérieusement au mariage, elles peuvent certainement chercher à plaire par leur parure, pourvu toutefois qu'elles ne se permettent rien qui soit contraire à la décence, à la modestie chrétienne.

« On permet plus d'affiquets aux filles, dit saint François de Sales, parce qu'elles peuvent loisiblement désirer d'agréer à plusieurs, quoique ce ne soit qu'afin d'en gagner un par un légitime mariage (33). »

Mais quelles sont les parures qui blessent essentiellement la modestie ?

Num verbi gratia, peccent graviter mulieres ad sui ornatum ubera denudantes?
[Est-ce que, par exemple, les femmes pèchent gravement en découvrant leurs seins, pour s’embellir ?]

Laissons répondre saint Alphonse de Ligori. Voici ce qu'il dit :

« Non nego, 1° quod illæ feminæ quæ hunc morem alicubi introducerent, sane graviter peccarent. Non nego, 2° quod denudatio pectoris posset esse ita immoderata, ut per se non posset excusari a scandalo gravi, tanquam valde ad lasciviam provocans, uti bene ait Sporer. Dico, 3° quod si denudatio non esset taliter immoderata, et alicubi adesset consuetudo ut mulieres sic incederent, esset quidem exprobranda, sed non omnino damnanda de peccato mortali. Id tenent communissime Navarrus, Cajetanus, Lessius, Laymann, Bonacina, Salmanticenses et alii plurimi (34). »

[« Je ne nie pas, 1° que les femmes qui ont introduit cet usage en quelque endroit, pèchent vraiment gravement. Je ne nie pas, 2° que le découvrement de la poitrine peut être si excessif qu’on ne puisse l’exempter d’[être], par lui-même, un grave scandale, excitant, pour ainsi dire, grandement le libertinage, comme le dit bien Sporer. Je dis, 3° que si le découvrement n’est pas tellement excessif, et s’il participe en quelque endroit de la coutume qu’ont les femmes, de se présenter ainsi, il doit être blâmé, certes, mais pas du être condamné comme péché mortel. C’est ce que tiennent Navarre, Cajetan, Lessius, Laymann, Bonacina, les docteurs de Salamanque et plusieurs autres. »]

Mais, suivant le même docteur,

« Mulier aliquantulum ubera detegens non peccat graviter, per se loquendo etiam si forte inde in generali alii scandalizentur (35). »  
[« Un femme découvrant tant soit peu ses seins ne pèche pas gravement, à proprement parler, même si, par hasard, les autres en viennent à être scandalisés en l’espèce. »]

320. Les curés et les confesseurs feront tout ce que la prudence leur permettra, soit pour empêcher les modes indécentes de s'établir, soit pour les faire tomber. Sur quoi saint Antonin s'exprime ainsi :

« Si de usu patriæ est, ut mulieres deferant vestes versus collum scissas usque ad ostentationem mamillarum, valde turpis et impudicus est talis usus, et ideo non servandus... Si mulier ornet se secundum decentiam sui status et morem patriæ, et non sit ibi multus excessus, et ex hoc aspicientes rapiantur ad concupiscentiam ejus, erit ibi occasio potius accepta quam data ; unde non mulieri, sed ei soli qui ruit, imputabitur ad mortale... Igitur videtur dicendum quod ubi in hujusmodi ornatibus confessor invenit clare, et indubitanter mortale, talem non absolvat, nisi proponat abstinere a tali crimine. Si vero non potest clare percipere utrum sit mortale, non videtur tunc præcipitanda sententia, scilicet, ut deneget propter hoc absolutionem, vel illi faciat conscientiam de mortali, quia faciendo postea contra illud, etiam si illud non esset mortale, ei erit mortale, quia omne quod est contra conscientiam ædificat ad gehennam... Fateor tamen quod et prædicatores in prædicando, et confessores, in audientia confessionum debent talia detestari, et persuadere ad dimittendum, cum sint nimia et excessiva, non tamen ita indistincte asserere esse mortalia (36). »

[« Si tu sais qu’il est d’usage dans le pays que les femmes rabattent leurs vêtements sur la gorge jusqu’à montrer leurs seins, un tel usage est grandement honteux et impudique, et par conséquent, il ne doit pas être observé... Si une femme s’embellit en gardant la décence lié à son état et [en respectant] la coutume du pays, s’il n’y a pas là grand excès, et que, en cette circonstance, ceux qui [la] regarderaient seraient emportés par leur désir, il y aura là une occasion bien accueillie plutôt que donnée ; en ce lieu, ce n’est pas à la femme que sera imputé le péché mortel mais à celui-là seul qui se précipite [sur elle]... Donc il semble qu’il faut dire que, là où le confesseur découvre clairement et indubitablement, en des parures de ce genre, un péché mortel, il ne doit pas l’absoudre, s’il ne propose de s’abstenir d’un tel crime. Si vraiment, il ne peut discerner clairement qu’il s’agit d’un péché mortel, il semble alors qu’il ne faille pas précipiter le jugement, c’est-à-dire, soit en refusant pour cela l’absolution, soit en faisant prendre conscience de ce péché mortel, parce que, [pour la femme] qui agirait par la suite [dans le sens] contraire à ce péché, même si [ce péché] n’est pas mortel, il le sera pour elle, parce que tout ce qui va contre la conscience conduit vers la géhenne... Je reconnais cependant, que les prêcheurs, en prêchant et les confesseurs, en recevant les confessions, doivent repousser de telles choses, et convaincre de les abandonner, dès lors qu’elles sont exagérées et excessives, mais pourtant, ne pas affirmer qu’elles sont indistinctement mortelles. »]

321. Quant à l'usage du fard, il est si commun, et ses effets sont si peu sensibles, qu'on le tolère, à moins qu'on ne s'en serve dans des vues lascives, ou au mépris de l'œuvre de Dieu. Il est même permis, dit saint Thomas, quand on y a recours pour cacher une laideur qui provient de la maladie ou de quelque autre accident:

« Non semper fucatio est cum peccato mortali, sed solum quando fit propter lasciviam, vel in Dei contemptum. Sciendum tamen quod aliud est fingere pulchritudinem non habitam, et aliud occultare turpitudinem ex aliquo casu provenientem, puta ex ægritudine vel aliquo hujusmodi ; hoc enim est licitum (37). »
[« Le maquillage n’est pas toujours accompagné de péché mortel, mais seulement quand il est fait en vue du libertinage, ou [à cause] du mépris de Dieu. Cependant, il faut savoir qu’une chose est de façonner une beauté que l’on a pas, mais qu’une autre est de cacher la laideur provenant de quelque accident, par exemple, du pur malaise physique ou de quelque chose de ce genre  : ceci est en effet permis. »]

Du reste, en condamnant les parures et les modes indécentes, un curé, un prédicateur, un confesseur doit éviter avec soin de comprendre dans sa censure ou ses réprimandes les modes qui, n'ayant rien de contraire à la modestie, n'ont pas d'autre inconvénient que d'être nouvelles. C'est un écueil contre lequel les prêtres encore jeunes ou peu instruits ne se tiennent pas toujours suffisamment en garde.


p. 296-304.

CHAPITRE II.

Des Péchés d'Impureté consommée.

652. Les péchés de luxure ou d'impureté consommée sont de sept espèces : la simple fornication, le stupre [stuprum], le rapt, l'inceste, le sacrilège, l'adultère, et le péché contre nature. Le vice contre nature comprend la pollution volontaire, la sodomie et la bestialité.

De fornicatione simplici. Fornicatio simplex est concubitus soluti cum soluta ex mutuo consensu. Soluti vero dicuntur qui sunt liberi non solum a vinculo matrimonii, sed etiam a mutua cognatione vel affmitate in gradibus prohibitis, a voto continentiæ, ab ordine sacro et violentia. Ad fornicationem reducitur concubinatus inter solutos, quippe qui non est aliud quam continuata fornicatio.

[De la fornication simple. La fornication simple est le coït d’un célibataire avec une célibataire, en tout accord mutuel. De fait, on appelle célibataires ceux qui sont libres, non seulement de tout lien de mariage, mais aussi des degrés prohibés de parenté ou d’alliance mutuelle, du vœu de continence, de l’ordre sacré, et de la violence. Le concubinage entre célibataires est assimilé à la fornication, du fait qu’il ne s’agit pas d’autre chose qu’une fornication ininterrompue.]

653. Fornicatio est vetita jure naturali ; proindeque non solum est mala quia prohibita, sed prohibita quia mala. Barbari tamen, sylvestres, agrestes et rudes quibus deest instructio, possunt ignorare, etiam invincibiliter, malitiam fornicationis, « quia, ut ait S. Thomas, hujusmodi inordinatio, cum non manifeste contineat injuriam proximi, non est omnibus manifesta, sed solum sapientibus per quos débet ad aliorum notitiam derivari (38). « 

[La fornication est interdite par le droit naturel ; et par conséquent elle n’est pas mauvaise parce qu’elle est prohibée, mais elle est prohibée parce qu’elle est mauvaise. Cependant, les Barbares des forêts, des champs, grossiers, à qui il manque l’instruction, peuvent ignorer, et même invinciblement, le caractère mauvais de la fornication, « parce que, comme le dit S. Thomas, un désordre de ce genre, lorsqu’il ne renferme pas manifestement un dommage pour le prochain, n’est pas manifeste pour tous, mais seulement pour les sages, au travers desquels il doit être porté à la connaissance des autres. »]

Communiter non est absolvendus concubinarius, etiamsi det signa magni doloris, nisi dimiserit concubinam, aut nisi postquam (concubina extra domum degente), per aliquod tempus notabile ad eam non accesserit (39). De hoc autem fusius, ubi de pœnitentia.

[Communément, on ne doit pas absoudre le concubin, même s’il donne des signes de douleurs, s’il ne renvoie pas sa concubine, ou si, par la suite, (la concubine vivant hors de sa maison), il l’a fréquenté, pendant une longueur de temps notable. Ce [sujet] [est traité] plus abondamment au chapitre de la pénitence. ]

654. De stupro. Stuprum est defloratio virginis, ipsa invita (40), vel etiam juxta plures, illa consentiente (41). Virginis autem nomine non intelligitur, ea quæ virtutem virginitatis sic servavit ut nullo peccato luxuriæ fuerit maculata, sed illa quæ virginitatis signaculum retinet integrum, quamvis delectationibus venereis aut mollitie polluta fuerit. Itaque virginitas hic sumitur non pro virtute, sed pro statu integritatis.

[Du stupre. Le stupre est la défloration d’une femme vierge, contre son gré ou également d’après plusieurs, avec son consentement. Or, par le nom de vierge, on n’entend pas celle qui a ainsi conservé la vertu de virginité afin de n’être souillée d’aucun péché de luxure, mais celle qui a maintenu intact le sceau de la virginité, quoiqu’elle eut été salie par les plaisirs vénériens ou par la mollesse [masturbation]. C’est pourquoi virginité, ici, n’est pas prise au sens de vertu, mais au sens d’ état d’intégrité.]

Num virgo tenetur potius permittere se occidi quam violari, quando nempe invasor ei minatur mortem, si copulæ non acquiescat ?

[Est-ce que la femme vierge est, de préférence, tenue de permettre qu’on la tue ou qu’on la viole, quand, comme chacun sait, celui qui se jette sur elle la menace de mort, si elle ne consent pas à l’union ?]

Duplex est sententia. Prima, quam tenent Navarrus, Sotus, Toletus et alii, docet feminam non teneri mortem pati potius quam violari ; sed posse tunc permissive se habere, dum accidit copula ; modo voluntate positive resistat, et consensus periculum absit ; quia, ut aiunt, illa permissio non est tunc cooperatio moralis, sed tantum materialis : et ideo ob periculum mortis satis excusatur. Secunda sententia quam tenent de Lugo, Salmanticenses et alii, docet hoc omnino illicitum esse, quia, cum femina se agitando possit impedire congressum, si non impediat propter metum mortis, immobilitas ejus haberi potest ut cooperatio voluntaria et vere moralis. Hæc secunda sententia suadenda est in praxi, saltem ob periculum consensus, quod in illa permissione vel quiete facile adesse potest (42).

[Il y a deux avis. Le premier que défendent Navarre, Sotus, Toletus et d’autres, enseigne que la femme n’est pas tenue de subir la mort plutôt que d’être violée  ; mais qu’elle peut alors s’abandonner, pendant qu’a lieu l’union ; elle résiste au positif selon le mode de la volonté, et le risque de consentement est éloigné ; parce que, comme ils disent, cette permission n’est pas alors une coopération morale, mais seulement matérielle  : et par conséquent elle est suffisamment excusée à cause du risque de mort. Le deuxième avis que défendent de Lugo, les docteurs de Salamanque et d’autres, enseigne que cela n’est pas permis du tout, parce que, en s’agitant, la femme peut empêcher la rencontre sexuelle, [et] si elle ne l’empêche pas par crainte de la mort, son immobilité peut être prise pour une coopération volontaire et vraiment morale. Ce second avis doit être conseillé dans la pratique, à tout le moins à cause du risque de consentement parce qu’ il peut prendre une part tranquille et facile à cette permission.]

655. De raptu. Non agitur hic de raptu quatenus matrimonium reddit invalidum, sed quatenus est una species luxuriæ : sub hoc autem respectu sumptus definiri potest : vis illata cuicumque personæ, aut iis quorum potestati rapta subest, explendæ libidinis causa.

Du rapt. Il ne s’agit pas ici du rapt, en tant qu’il rend le mariage invalide, mais en tant qu’il est un genre particulier de luxure  : et pris sous cet aspect, il peut être défini : une force infligée à quelque personne que ce soit et à ceux sous la puissance de laquelle se trouve celle [qui est], enlevée, ayant pour cause la satisfaction d’un désir débridé.

Dicitur 1° vis illata ; seu violentia physice et proprie dicta, vel etiam metus qui censeatur gravis respective ad personam quæ rapitur. Si quæ persona consentiat rapere volenti et sponte discedat, etiam insciis parentibus, non est proprie raptus, sed fuga, non addens malitiam specie distinctam fornicationi (43).

[Il est dit 1° force infligée ; soit une violence physique proprement dite, mais aussi la crainte perçue comme importante du point de vue de la personne enlevée. Si la personne est en accord avec celui qui veut l’enlever et s’en va volontairement, même si ses parents ne le savent pas, ce n’est pas à proprement parler un rapt, mais une fugue, qui n’ajoute pas un mal, distinct par l’espèce, à la fornication.]

Dicitur 2°, cuicumque personæ ; nam quæcumque persona, sive masculus, sive femina, sive virgo, sive corrupta, sive soluta, sive conjugata, est materia raptus ; qui est eo gravior quo persona rapta graviores induit qualitates : ita ut si sit conjugata, peccatum luxuriæ sit raptus et adulterium ; si Deo dicata, raptus et sacrilegium ; et sic de cæteris.

[Il est dit 2°, à quelque personne que ce soit ; en effet, toute personne est matière à rapt, soit un homme, soit une femme, soit une personne vierge, soit une personne corrompue, soit une personne célibataire, soit une personne mariée ; [le rapt] selon lequel la personne ravie revêt des qualités de plus de poids est plus grave : ainsi si elle est mariée, le péché de luxure est un rapt et un adultère ; si elle est consacré à Dieu, c’est un rapt et un sacrilège ; et ainsi de suite.]

Dicitur 3°, aut iis quorum potestati rapta subest, nempe parentibus, tutoribus aut custodibus ab iis constitutis, sub quorum cura existit persona quæ rapitur ; quia tunc habetur violentia. Qualitercumque autem adsit violentia, salvatur ratio raptus, prout est luxuriæ species : sive ergo rapta raptori consentiat reluctantibus parentibus, sive consentiant parentes reluctante rapta raptus est. Abductio autem puellæ sponte consentientis, reluctantibus etiam parentibus, non est raptus qui sufficiat ad impedimentum matrimonii dirimens.

[Il est dit 3°, et à ceux sous la puissance de laquelle se trouve celle [qui est] enlevée, comme chacun sait, aux parents, aux tuteurs et aux surveillants établis par eux, aux soin desquels se trouve la personne qui est enlevée ; parce qu’alors, il y a violence. Or, de quelque manière qu’ait lieu la violence, la notion de rapt est maintenue dans le genre luxure : il y a rapt soit, donc, si la personne enlevée est d’accord avec celui qui l’enlève, et que les parents s’y opposent, soit si les parents sont d’accord et que la personne enlevée s’y oppose. Or le fait d’emmener une jeune fille spontanément consentante, même si les parents s’y opposent, n’est pas un rapt qui soit suffisant pour un empêchement dirimant du mariage.]

Dicitur 4°, explendæ libidinis causa ; quia si raptus fiat ex alia causa, nempe ut persona rapta venundetur, aut adhibeatur ut servus aut ancilla, raptus ille non est species luxuriæ. Quamvis autem raptus de quo loquimur non habeat suum complementum nisi per expletionem libidinis, verus tamen raptus erit ex sola intentione, copula non secuta. De pœnis ab Ecclesia latis in raptores alibi dicemus (44).

[Il est dit 4°, ayant pour cause la satisfaction d’un désir débridé ; parce que si le rapt est fait pour une autre raison, comme chacun sait, afin que la personne enlevée soit vendue ou employée comme esclave ou servante, ce rapt n’appartient pas à luxure. Or quel que soit le degré de complément que le rapt dont nous parlons trouve dans la satisfaction d’un désir débridé, ce sera pourtant un vrai rapt, de par la seule intention, [même si] l’union sexuelle ne suit pas. Au sujet des peines attachées par l’Église aux kidnappeurs, nous en parlerons autre part]

656. De incestu. Incestus est congressus inter cognatos aut affines in gradibus ab Ecclesia prohibitis. Gradus autem prohibiti sunt in consanguinitate et affînitate ex matrimonio sive rato sive consummato, usque ad quartum inclusive ; in affînitate orta ex copula illicita usque ad secundum inclusive.

[De l’inceste. L’inceste est la rencontre sexuelle entre parents ou alliés aux degrés prohibés par l’Église. Or les degrés de consanguinité et d’alliance provenant d’un mariage soit décidé, soit consommé, sont prohibés jusqu’au quatrième inclu ; [les degrés d’] alliance née d’une union sexuelle non permise [sont prohibés] jusqu’au deuxième inclus.

Licet incestus cum consanguinea sit gravior quam incestus cum affine in eodem gradu, uterque tamen probabiliter est ejusdem speciei. «Persona affinis, inquit S. Thomas, conjungitur alicui propter personam consanguinitate conjunctam ; et ideo quia unum est propter alterum, ejusdem rationis inconvenientiam facit consanguinitas, et affinitas (45). » Idem dicendum videtur de incestibus in variis gradibus consanguinitatis et affinitatis. Omnes enim incestus quoad gradus sunt probabiliter ejusdem speciei, excepte tamen primo gradu consanguinitatis in linea recta (46).

[Bien qu’un inceste avec une personne consanguine soit plus grave qu’un inceste avec une personne alliée au même degré, chacun des deux est cependant, vraisemblablement, du même genre. « Une personne alliée, dit S. Thomas, est liée à quelqu’un à cause d’une [autre] personne [qui lui est] liée par consanguinité, et donc, parce l’un est la cause de l’autre, la consanguinité, et l’affinité, sont inconvenants pour la même raison. »Il semble qu’il faille dire la même chose des incestes concernant les divers degrés de consanguinité et d’alliance. En effet, tous les incestes quelque soit le degré, sont vraisemblablement du même genre, excepté cependant celui du premier degré de consanguinité en ligne directe.]

Hæc de cognatione carnali : incestus enim inter cognatos spirituales, ratione scilicet cognationis quæ oritur ex baptismo et confirmatione, specie differt ab incestu, qui fit inter consanguineos et affines. « Si enim, ait Doctor angelicus, aliquis abutatur persona conjuncta sibi secundum spiritualem cognationem, committit sacrilegium ad modum incestus (47). » An autem sit explicandus in confessione gradus cognationis spiritualis, affirmant plures ; sed probabilius alii negant. Pariter incestus inter cognatos legales, nempe ratione adoptionis, diversæ est speciei ab aliis incestibus enunciatis.

[Voilà pour la connaissance charnelle : en effet l’inceste entre parents spirituels, à savoir pour une raison de parenté née du baptême et de la confirmation, diffère par le genre de l’inceste qui a lieu entre consanguins et alliés. « Si, en effet, dit le Docteur angélique, quelqu’un abuse d’une personne qui lui est liée parla parenté spirituelle, il commet un sacrilège par mode d’inceste. ». Or faut-il préciser en confession le degré de parenté spirituelle, plusieurs l’affirme ; mais d’autres le nie avec plus de vraisemblance. l’inceste entre parents selon le droit, au même degré, comme chacun sait, en raison de l’adoption, est d’un genre tout autre que les autres incestes déjà mentionnés.]

657. De sacrilegio. Sacrilegium est in materia luxuriæ, cum violantur sacra per actum venereum. Potest autem sacrilegium commiti circa personam, locum, et rem.

[Du sacrilège. Le sacrilège, en matière de luxure, a lieu lorsque des choses consacrées sont profanées par un acte vénérien. Or un sacrilège peut être commis contre une personne, un lieu ou une chose.

Circa personam ; ut si quis peccat habens votum castitatis, sive solemne, sive simplex, aut peccat scienter cum eo qui habet illud votum. Hinc sacerdos aut religiosus peccans cum alia persona sacrata duplex committit sacrilegium.

[1° Contre une personne ; c’est-à-dire si pèche quelqu’un qui a prononcé un vœu de chasteté, soit solennel soit simple, ou s’il pèche sciemment avec quelqu’un qui a prononcé ce vœu. Par là, un prêtre ou un religieux qui pèche avec une autre personne consacré commet un double sacrilège.

Circa locum. Sacrilegium committitur per copulam carnalem aut quamcumque voluntariam seminis humani effusionem in loco sacro. Per locum autem sacrum comprehenditur omnis locus ab Episcopo benedictus et officio divino deputatus, a tecto interiori usque ad pavimentum : comprehenduntur etiam cœmeteria. Sed non reputatur locus sacer tectum exterius ecclesiæ, nec parietes exteriores, nisi inserviant pro muro cœmeterii ; neque caveæ fabricatæ sub pavimento, nisi sit locus sepulturæ aut ibidem divina celebrentur officia ; neque sacristia, atrium, turris seu campanile ; neque tandem oratoria privata, nisi sint erecta auctoritate Episcopi, ut fieri solent in hospitalibus, aut seminariis, collegiis ; quia tunc veræ sunt ecclesiæ. Ut oratorium sit sacrum, non sufficit ut Episcopus det licentiam in eo sacra faciendi ; quia, hoc non obstante, potest ad nutum domini ad usus profanos converti.

[2° Contre un lieu. [Il s’agit d’] un sacrilège [qui] est commis par union charnelle ou quelque éjaculation volontaire de sperme humain dans un lieu consacré. Or, par lieu sacré, on entend tout lieu béni par un évêque et voué à l’office divin, depuis le toit intérieur jusqu’au plancher : y sont compris également les cimetières. Mais le toit extérieur de l’église n’est pas réputé être un lieu sacré, ni les murs extérieurs, s’ils ne servent de mur de cimetière ; ni les cryptes sous le plancher, s’il ne s’agit d’un lieu de sépulture ou [d’un lieu] de célébration des offices divins ; ni la sacristie, ni le portique, ni le clocher ou campanile ; Et, enfin, ni les chapelles privées, si elles ne sont érigées par l’autorité de l’évêque, comme elles ont coutume de l’être dans les hôpitaux, les séminaires, ou les collèges ; parce qu’alors, elles sont de vrais églises. Pour qu’une chapelle soit consacrée, il ne suffit pas que l’évêque donne la permission d’y célébrer les mystère sacrés ; parce que, cela n’empêche pas, selon la volonté du propriétaire, de rendre [le lieu], à un usage profane.]

Copula maritalis, etiam occulta quæ habetur in ecclesia, sacrilegium est (48).

Alii negant tactus etiam graviter turpes, in ecclesia habitos, esse sacrilegia. Alii vero damnant ut sacrilegia quoslibet actus externos graviter turpes, necnon aspectus impudicos, et verba graviter obscœna, si habeantur in ecclesia. Cogitationes autem et desideria non sunt sacrilegia, nisi versentur circa luxuriæ peccatum in loco sacro externe patrandum.

[Une union sexuelle conjugale, même cachée, qui a lieu dans une église, est un sacrilège.

D’autres nient que des attouchements même gravement honteux, qui ont lieu dans une église soient des sacrilèges. D’autres condamnent en vérité comme sacrilèges n’importe quels actes extérieurs gravement honteux et également les regards impudiques et les paroles gravement obscènes si elles ont lieu dans une église. Mais les pensées et les désirs ne sont pas des sacrilèges, si elles ne se transforment pas en péché de luxure extérieurement consommé dans un lieu consacré.]

658. 3° Circa rem. Committit sacrilegium qui rebus sacris utitur ad turpia. Idem dicendum de sacerdote qui turpiter peccat indutus ad missam aut gestando eucharistiam, aut statim post sacram communionem, verbi gratia, infra mediam horam. Non autem sacrilegus est qui turpiter peccat gestando reliquias ; neque si illos daret amasiæ titulo donationis. Secus vero, si daret in pretium peccati, nam tunc simonia esset simul et sacrilegium.

An autem sit sacrilegium peccatum carnale commissum in diebus festis ? Affirmant aliqui ; sed multo plures et probabilius negant. Finis enim præcepti non cadit sub præceptum (49).

[3° Contre une chose. Commet un sacrilège celui qui use de choses consacrées à des fins honteuses. Il faut dire la même chose du prêtre qui pèche honteusement en étant revêtu pour la messe, ou en portant l’eucharistie, ou par la parole, aussitôt après la sainte communion, en moins d’une demi-heure. Mais il n’est pas sacrilège celui qui pèche honteusement en portant des reliques ; ni s’il les donne à son amante à titre gratuit . [Il en est] autrement, en vérité, s’il les donne, pour prix du péché, en effet, ce serait alors en même temps simonie et sacrilège.

Mais, le péché de chair commis pendant les jours de fête, est-il un sacrilège ? Quelques uns l’affirment ; mais de nombreux autres le nient avec vraisemblance. En effet, la fin du commandement ne tombe pas sous le commandement.]

659. De adulterio. Adulteriun est tori alieni violatio. Tres autem sunt gradus in adulterio : primus est conjugati cum soluta ; secundus, conjugatæ cum soluto ; tertius, conjugati cum conjugata, quorum est diversa gravitas. Secundus est gravior primo ; tum quia ex commixtione unius mulieris cum pluribus viris plerumque impeditur generatio ; tum quia, si non impediatur, incertum fit cujus nata proles, utrum nempe sit mariti, an adulterantis ; tum denique quia fit singularis injuria marito, cui supponitur aliana proles, necnon filiis legitimis, dum extraneus immittitur in partem hæreditatis ; saltem his periculis se subjicit mulier adultéra : quia omnia non consequuntur ex adulterio conjugati cum soluta. Tertius autem gradus est omnium gravissimus, quia ultra prædicta duplicem continet infidelitatem duplicemque înjustitiam, in confessione exprimendam.

[De l’adultère. L’adultère est la violation de la couche d’un autre. Or, il y a trois degrés dans l’adultère : le premier [degré] est [l’adultère] d’un homme marié avec une femme célibataire ; le deuxième [degré] est [l’adultère] d’une femme mariée avec un homme célibataire ; le troisième [degré] est [l’adultère] d’un homme marié avec une femme mariée. La gravité de ces [degrés] varie. Le deuxième [degré] est plus grave que le premier ; car, alors, la reproduction est généralement entravée par l’union d’une femme avec plusieurs hommes ; car, alors, si elle n’est pas entravée, on n’est pas certain de la paternité des enfants qui naissent, s’ils sont du mari ou de l’homme adultère ; car alors, enfin, il s’agit d’un outrage singulier pour le mari, sous [la responsabilité] duquel sont placés les enfants d’un autre, et non pas ses enfants légitimes, cependant qu’un [élément] étranger est mis en possession d’une partie de l’héritage ; tout du moins, [c’est] la femme adultère [qui] est soumise à ces risques : parce que toutes ces chose ne font pas suite à l’adultère d’un homme mariée avec une femme célibataire. Mais, le troisième degré est de tous le plus grave, parce que, outre les choses qui ont été dites, il renferme une double infidélité et une double injustice, que l’on doit exprimer en confession.]

Etiam si conjux adulteret de consensu comparis, verum est adulterium ; quia tunc fit injuria, si non conjugi sponte consentienti, saltem statui et juri conjugali cui cedere non possunt conjuges, quodque ideo cum maneat integrum, non obstante eorum cessione, violatur per adulterium (50). Ad quid teneantur adulter et adultéra, dicemus ubi de restitutione.

[Même si le conjoint commet un adultère avec l’accord de son partenaire, cela constitue vraiment un adultère ; parce qu’alors, il s’agit d’un outrage, sinon pour celui qui y consent volontairement, tout du moins pour l’état et le droit conjugal que les conjoints ne peuvent abandonner, et parce que [ce droit] demeure par conséquent inentamé, il est violé par l’adultère, [et] sa cession ne peut s’y opposer,. Nous parlerons de ce à quoi sont tenus l’homme et le femme adultères quand [il sera question] de la réparation.]

660. De sodomia. Disputatur inter doctores in quo consistat : alii volunt eam consistere in concubitu ad indebitum vas ; alii vero communius et probabilius in concubitu ad indebitum sexum : « Concubitus ad indebitum sexum, puta masculi ad masculum, vel feminæ ad feminam, dicitur vitium sodomiticum : » ita S. Thomas (51). Hinc infertur non esse sodomiam perfectam seu proprie dictam nisi in coitu feminæ cum femina, aut masculi cum masculo. Verum adest sodomia, in quacumque parte corporis fiat congressus ; quia ordinarie tunc adest affectus ad indebitum sexum ; et ideo non est opus explicare, in confessione an pollutio fuerit intra vel extra vas. At probabiliter necesse non est ut sodomita declaret an fuerit agens aut patiens, nam ista circumstantia non mutât speciem peccati sodomitici. Explicandum autem si habita sit sodomia cum consanguinea vel conjugata ; aut habente votum castitatis.

[De la sodomie. On discute entre docteurs pour [savoir] en quoi elle consiste : les uns veulent qu’elle consiste dans le coït dans le vase indu ; les autres, vraiment plus communément et avec plus de vraisemblance, dans le coït avec le sexe indu : Le coït avec le sexe indu, c’est-à-dire d’un homme avec un homme, ou d’une femme avec une femme, est appelé vice de sodomie : », ainsi [le dit] S. Thomas. De là on infère qu’il n’existe pas de sodomie parfaite et proprement dite, si ce n’est dans le coït d’une femme avec une femme, ou d’un homme avec un homme. Il y a vraiment sodomie, dans quelque partie du corps qu’ait lieu la rencontre sexuelle ; parce que, alors, selon l’ordre, il y a disposition envers le sexe indu ; et par conséquent il n’est pas à préciser en confession, si l’éjaculation a eu lieu dans le vase ou en dehors. Mais, selon toute vraisemblance, il n’est pas nécessaire, que le sodomite déclare s’il a été actif ou passif, car, en effet, cette circonstance ne change pas le genre du péché de sodomie. Mais il faut préciser si la sodomie a eu lieu avec une personne consanguine ou mariée ; ou avec quelqu’un ayant fait vœu de chasteté.]

Coitus viri in vase indebito mulieris est sodomia imperfecta, specie distincta a perfecta. Verum si confessarius intelligat mulierem cognitam fuisse extra vas naturale aut præposterum, non debet quærere in quo loco vel quo modo (52).

[Le coït d’un homme avec le vase indu d’une femme est de la sodomie imparfaite, distincte par le genre de la [sodomie] parfaite. En vérité, si le confesseur comprend qu’une femme a été connue hors du vase naturel ou par l’arrière, il ne doit pas chercher [à savoir] dans quel endroit et de quelle façon.]

De bestialitate. Bestialitas, quæ gravissimum est peccatum, crimenque nefandum, est congressus hominis cum bestia. Non autem opus est explicare in confessione cujus speciei fuerit bestia, neque utrum illa fuerit mas aut femella. Ita communiter (53).

[De la bestialité. La bestialité, qui est le plus grave des péchés, et un crime impie, est la rencontre sexuelle d’un homme avec un animal. Or, il n’est pas besoin de préciser en confession de quelle espèce était l’animal, ni s’il était mâle ou femelle. [Cela est tenu] communément.]

661. De pollutione. Pollutio seu mollities est voluntaria seminis humani effusio extra congressum cum alio. Dicitur voluntaria ; quia hic agitur de pollutione quatenus est peccatum. Quapropter quæcumque pollutio sive in somnis sive in vigilia, quæ non est voluntaria, nec directe, nec indirecte, non imputatur ad peccatum.

[De la pollution (masturbation). La pollution ou mollesse, est une éjaculation volontaire de sperme humain, en dehors d’une rencontre sexuelle avec une autre personne. Elle est dite volontaire ; parce qu’il s’agit d’une pollution en tant que péché. C’est pourquoi une quelconque pollution soit durant le sommeil, soit durant la veille, qui n’est pas volontaire, ni directe, ni indirecte, ne peut être attribué au péché.]

Mollities seu pollutio est intrinsece mala, naturali nempe jure verita : unde, nullo casu licitum est intendere vel procurare directe pollutionem, ne causa quidem sanitatis ; ac vitandæ alias certæ mortis (54).

[La mollesse ou pollution est intrinsèquement mauvaise et redoutée, bien sûr, par le droit naturel : par conséquent, en aucun cas, il n’est permis d’avoir l’intention ou de procurer directement une pollution, sinon, certes, pour cause de santé ; et d’autres [causes] ayant pour but d’éviter une mort certaine.]

662. Pollutio per se est peccatum gravius quam fornicatio, cum illa sit contra naturam. Pollutioni autem additur malitia sacrilegii, si sit a quocunque habente votum castitatis, adulterii, si a conjugato ; fornicationis, si quis polluendo delectatur tanquam de coitu cum femina ; sodomiæ, si cogitet coire cum persona ejusdem sexus.

[La pollution est par elle-même un péché plus grave que la fornication, étant donné qu’ elle est contre nature. Et à la pollution est ajouté le mal de sacrilège, si elle est le fait d’un homme ayant fait vœu de chasteté, d’adultère, si [elle est le fait d’un homme] marié ; de fornication, si, en se polluant, quelqu’un prend du plaisir comme [s’il s’agissait] d’un coït avec une femme ; de sodomie, s’il a la pensée de coïter avec une personne de son propre sexe.]

Distillatio, quæ est fluxus humoris quasi medii inter urinam et semen, si voluntarie contingat cum notabili commotione spirituum generationi inservientium, procul dubio est peccatum mortale, quia notabilis commotio carnalis est pollutio inchoata. Idem dicendum, si distillatio sit in magna quantitate, quia talis notabilis distillatio non potest esse sine notabili carnis rebellione ; unde sicut graviter peccat qui notabilem commotionem procurat ; ita etiam qui magnam procurat distillationem. Hinc tenemur sub gravi non solum hujusmodi distillationem directe evitare, sed etiam indirecte, vitando nempe omnes causas proxime in eam influentes (55).

[Le liquide pré-séminal, qui est un écoulement de liquide pour ainsi dire intermédiaire entre l’urine et le sperme, s’il se produit volontairement avec l’excitation remarquable des mouvements servant la reproduction, est sans aucun doute un péché mortel, parce que l’excitation remarquable de la chair est le commencement de la pollution. Il faut dire la même chose si l’écoulement pré-séminal est grand en quantité, parce qu’un écoulement pré-séminal si remarquable ne peut avoir lieu sans un soulèvement remarquable de la chair ; par conséquent, il pèche de même gravement celui qui provoque une excitation remarquable ; ainsi également celui qui provoque un écoulement pré-séminal. De là nous sommes tenus sub gravi [sous peine de péché mortel ] d’éviter un écoulement pré-séminal, non seulement directement, mais aussi indirectement, en évitant, bien sûr, toute causes l’influençant le plus immédiatement.]

Si vero distillatio sit in modica quantitate, et sine delectatione, et commotione, tunc sine peccato possumus illam permittere ; quia de tali fluxu non est magis curandum quam de emissione cujuscumque alterius excrementi, de quo natura se exonerare solet. Imo plures, inter quos Holzmann, Sporer et Elbel, dicunt id posse permitti etiam cum levi commotione carnis. Verum directe et data opera procurare quamcumque distillationem, etiam levem, nullo modo potest excusari a peccato mortali, quia revera quæcumque distillatio semper, vel ut plurimum, secum fert aliquam commotionem et aliquantuli seminis effusionem (56).

[Si l’écoulement pré-séminal est vraiment en quantité mesurée, et sans plaisir et excitation, alors, nous pouvons le permettre comme étant sans péché, parce que il ne faut pas plus se soucier d’un tel écoulement que de l’émission de quelque autre excrément, dont la nature a coutume de se soulager. Mais au contraire, plusieurs dont Holzmann, Sporer et Elbel, disent que cela peut également être permis avec une légère excitation de la chair. En vérité, provoquer directement et en y faisant quelque chose quelque écoulement pré-séminal, même léger, ne peut, en aucune façon, être exempt de péché mortel, parce que, en effet, un quelconque écoulement pré-séminal, apporte toujours avec lui, et en grande quantité, quelque excitation et une éjaculation en assez grande quantité.]

663. Si judicio medicorum semen sit certo corruptum et sanitati nocivum, licitum est illud expellere medicamentis, etsi præter intentionem sequatur aliqua seminis effusio. Ita Sanchez, Sporer et alii. Nunquam tamen est licitum tactu semen corruptum expellere, etiamsi absit periculum consensus (57).

[Si, suivant le jugement des médecins, le sperme est certainement gâté et nocif pour la santé, il est permis de l’expulser par des médicaments, bien que cela soit suivi de quelque éjaculation, exception faite de toute intention. Ainsi [disent] Sanchez, Sporer et d’autres. Cependant il n’est jamais permis d’expulser par attouchement le sperme gâté, même si le risque de consentement est éloigné.]

Pollutio quæ fit in somno non imputatur ad peccatum, nisi sit voluntaria in causa. Quando pollutio incipit in somno, et emissio contingit in vigilia semiplena, tum, si homo aliquam experitur delectationem non plene deliberatam, peccat quidem, sed venialiter tantum. Quando vero emissio incipit in somno et continuatur in plena vigilia, qui patitur eam non tenetur, secluso tamen consensus in delectationem periculo, cohibere fluxum actualem ; nisi possit illum interrumpere absque gravi detrimento sanitatis. Ita plerique. Idem dicendum de quacumque pollutione involuotaria, sive in somno sive in vigilia eveniat, cum eadem sit ratio in utroque casu (58).

[La pollution qui a lieu durant le sommeil ne sera pas attribué au péché, si elle ne trouve pas [sa] cause dans la volonté. Quand la pollution débute durant le sommeil, et que l’éjaculation a lieu en demi-veille, alors, si l’homme éprouve quelque plaisir non pleinement délibéré, il pèche certes, mais de façon seulement vénielle. Quand, en vérité, l’éjaculation commence dans le sommeil et se poursuit en pleine veille, celui qui la subit, le risque de consentir au plaisir étant pourtant évité, n’est pas tenu de retenir le flux en train de se faire ; s’il ne peut l’interrompre sans un grave dommage pour la santé. C’est ainsi [que pensent] le plus grand nombre. Il faut dire la même chose de quelque pollution involontaire qui se produirait soit dans le sommeil soit dans l’état de veille, avec la même raison, dans l’un et l’autre cas.]

664. Quando actio ex qua prævidetur secutura pollutio, est secundum se licita, simul et necessaria vel utilis, conveniens animæ aut corpori, non est illicitum actionem ponere, nec ipsa pollutio prævisa est culpabilis, modo absit consensus aut proximum periculum consensus in eam (59).

[ Quand une action, dont il est prévu que suive une pollution, est en elle[-même], permise, à la fois nécessaire et utile, convenant à l’âme et au corps, il n’est pas interdit de la mettre en oeuvre, et la pollution envisagée elle-même n’est pas coupable, pourvu que soit éloigné le consentement ou le risque de consentement avec celle-ci.]

Hinc etiam prævisa pollutione licet, 1° parochis et aliis confessariis audire confessiones mulierum ; studere rebus venereis discendi causa vel docendi ; medicis et chirurgis aspicere et tangere pudenda mulieris ægrotantis ; 2° cum feminis honeste et utiliter conversari, illas amplexari aut osculari juxta morem patriæ ; servire in balneis et similia ; 3° ei qui valde molestum pruritum patitur in verendis, illum tactu abigere, etiamsi pollutio sequatur ; 4° equitare causa utilitatis, et etiam recreationis ; 5° cibum aut potum calidum sed salutarem moderate sumere, et honestas choreas ducere ; 6° demum, quodam situ cubare in lecto ad quiescendum commodius (60).

[De là également, pour ce qui concerne la pollution à prévoir, il est permis, 1° aux curés et autres confesseurs d’entendre les confessions des dames ; de s’intéresser aux choses vénériennes par souci de s’instruire ou d’enseigner ; aux médecins et aux chirurgiens d’examiner et de toucher les parties honteuses d’une femme malade ; 2° de discuter honnêtement et utilement avec les dames, d’embrasser les femmes ou de leur faire un baiser, en suivant la coutume du pays ; d’être serviteur dans les bains et autres choses similaires ; 3° à celui qui souffre grandement d’une démangeaison pénible dans les parties génitales, de la faire cesser par contact, même si une pollution s’en suit ; 4° de galoper à cheval à titre d’utilité mais aussi [à titre] récréatif ; 5° de prendre modérément de la nourriture ou une boisson chaude, mais salutaire, et de mener d’honnêtes danses collectives; 6° enfin, de se coucher dans un lit, en quelque position qui permette de se reposer plus confortablement.]

665. Diximus, quando actio est necessaria vel utilis, conveniens etc. : quia, si in præfatis casibus nulla sit ratio utilitatis, actio quamvis de se licita, non posset fieri absque peccato veniali vel mortali, prout magis minusve influeret in prævisam pollutionem. Sic incedere equo cum æque commode posses curru, certo situ cubare cum possis altero æque commodo, talibus cibis uti cum possis aliis æque sanis, est peccatum veniale ab bis non abstinere, ratione prævisæ inde pollutionis.

Diximus, modo absit consensus aut proximum periculum consensus in ipsam pollutionem. De proximo autem periculo consentiendi constabit, si quis ex simili occasione sæpius mortaliter lapsus fuerit ; secus vero, si aliquoties tantum.

[Nous avons dit, quand l’action est nécessaire ou utile, convenable, etc. : parce, dans les cas cités ci-dessus, s’il n’y a aucune raison d’utilité, une action, je l’accorde, permise en soi, ne peut être mise en œuvre sans péché véniel ou mortel, selon qu’elle influencerait plus ou moins une pollution prévisible. Ainsi lorsque tu peux circuler à cheval avec un attelage aussi commode, étant donné qu’assurément, tu peux te coucher dans une autre position aussi confortable, étant donné que tu peux user de tels autres aliments également sains, c’est un péché véniel de ne pas s’en abstenir, pour la raison, qu’à partir de là, la pollution est prévisible

Nous avons dit, pourvu que soit absent le consentement ou le risque de consentement avec la pollution elle-même. Or concernant le risque prochain, on considérera qu’il doit consentir, celui qui a très souvent fauté mortellement en pareille occasion ; en vérité, il en sera autrement, s’[il a fauté] seulement quelquefois.]

666. Quando actio, ex qua prævidetur secutura pollutio, est venialiter mala in genere luxuriæ vel in alio, si leviter tantum et remote influât in pollutionem, ipsa pollutio inde secuta est tantum veniale peccatum ; nec proinde est obligatio abstinendi ab illa actione, nisi sub veniali. Ita communius et probabilius(61).

[Quand une action, dont on prévoit qu’elle sera suivie de pollution, est mauvaise véniellement selon le genre de la luxure ou selon un autre [genre], dans l’hypothèse qu’elle influence la pollution seulement légèrement et de façon éloignée, la pollution elle-même qui la suit est seulement un péché véniel ; et par conséquent, ce n’est pas obligatoire de s’abstenir de cette action si ce n’est sub veniali [sous peine de péché véniel]. Ainsi [est-il tenu] le plus communément et le plus vraisemblablement.]

Hinc infertur non esse nisi peccatum veniale pollutionem quæ oritur ex colloquio non diuturno cum puella, vel levi aspectu, aut curiosa lectione leviter turpi. Pariter tactus, amplexus, oscula quæ venialia sunt in materia luxuriæ, sive ex imperfectione actus, sive quia fiunt ex levitate, joco, curiositate, aliove motivo non libidinoso, etsi ex his prævideatur secutura pollutio, venialiter tantum influunt in pollutionem, ipsamque non nisi venialiter malam efficiunt, modo tamen, ut semper supponitur, absit proximum periculum consensus in illam. Idem plures admittunt de pollutione involuntarie orta ex lectione etiam notabiliter turpi, si fiat ob solam delectationem, absque pravo animo et proximo periculo delectandi de ipsis rebus obscœnis ; verum id in praxi vix unquam concedi potest(62).

[De là, on infère que n’est autre chose qu’un péché veniel, la pollution qui naît d’une conversation non durable avec une jeune fille, ou d’un léger regard, ou encore d’une lecture curieuse et honteuse [faite] par légèreté. Pareillement, l’attouchement, l’embrassade, le baiser qui sont [péchés] véniels en matière de luxure, soit qu’ils aient été faits par imperfection ou parce qu’ils se sont produits par légèreté, jeu, curiosité, ou pour un autre motif non lié au désir débridé, même s’il a été prévu qu’une pollution s’en suivrait, n’influencent que véniellement la pollution, quoiqu’ils ne rendent pas véniellement mauvaise la pollution elle-même, dans la mesure, pourtant, comme on le suppose toujours, où est éloigné le risque prochain de consentement à cette [même pollution]. Plusieurs admettent la même chose concernant la pollution involontaire née d’une lecture, même honteuse, [et] remarquablement, si elle s’est produite à cause du plaisir seul, sans mauvais esprit et sans risque prochain de jouir de choses obscènes elles-mêmes ; en vérité, dans la pratique, cela ne peut presque jamais, être admis.]

667. Quando actio, ex qua prævidetur saltem in confuso, secutura pollutio, est de se mortaliter mala in genere luxuriæ, ipsa pollutio fit peccatum mortale : ideoque tenemur sub gravi abstinere ab illa actione, non solum ratione sui, sed etiam ratione futuræ pollutionis. Hinc diuturnæ et morosæ cogitationes, et delectationes impudicæ, aspectus, tactus, amplexus, oscula, turpiloquia, quæ sunt peccata mortalia in genere luxuriæ, sive ex objecto secundum se obscœno, sive ex affectu libidinoso ; si ex illis secutura prævideatur pollutio, licet non intendatur, peccata sunt mortalia, non solum in se, sed etiam ut causa pollutionis ; ideoque pollutiones inde secutæ sunt mortales. Pariter non excusatur a malitia pollutionis, qui polluitur ex diuturno colloquio cum puella a se inordinate dilecta, saltem ob periculum consensus (63).

[Quand une action, dont on peut prévoir, du moins confusément, qu’une pollution s’en suivra, est par elle-même mauvaise mortellement dans le genre de la luxure, la pollution elle-même devient un péché mortel : et par conséquent nous sommes tenus, sub gravi, de nous abstenir de cette action, non seulement de par son caractère même mais également en raison de la pollution à venir. De là les pensées durables et moroses, et les plaisirs impudiques, le regard, le toucher, l’embrassade, le baiser, les conversations obscènes, qui sont des péchés mortels dans le genre de la luxure, soit par leur objet en soi obscène, soit par la disposition d’un désir débridé ; si on prévoit qu’une pollution s’en suivra, il n’est pas permis d’en avoir l’intention, ce sont des péchés mortels, non seulement en eux-mêmes, mais aussi à cause de la pollution ; et par conséquent les pollutions qui suivent sont mortelles. Pareillement ne peut être exempt du mal de pollution, celui qui est pollué à la suite d’une conversation durable avec une jeune fille qu’il aime de façon désordonnée, au moins, à cause du risque de consentement.]

668. Verum non est mortalis pollutio quæ præter intentionem accidit ex causis etiam mortaliter illicitis in alio genere quam luxuriæ, puta ex ebrietate aut usu cibi vel potus nimis immoderato ; nisi tamen prævideatur inde secutura pollutio. Licitum est gaudere de bono effectu pollutionis, puta de sanitate, aut cessatione tentationis. Ita S. Thomas, qui hæc habet : « Si pollutio placeat ut naturæ exoneratio vel alleviatio, peccatum non creditur [64]. »

[En vérité, n’est pas mortelle, la pollution qui se produit contre l’intention, même pour des causes mortellement interdites dans un autre genre que celui de la luxure, par exemple, l’ébriété ou par l’usage de nourriture ou de boisson par trop immodéré ; si, cependant, on ne prévoyait pas qu’une pollution s’en suivrait. Il est permis de se réjouir de l’effet positif d’une pollution, par exemple pour la santé, ou pour la cessation d’une tentation. Ainsi, S. Thomas, qui dit cela : « Si la pollution est plaisante en tant que soulagement et allègement de la nature, le péché n’est pas tenu pour établi. »]


Notes.

(1) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 2, question 162, article 8. S. Augustin d’Hippone, de Civitatis Dei, livre XIV, chapitre 13.
(2) Livre du Siracide, chapitre 10, verset 15.
(4) Livre du Siracide, chapitre 10, verset 7.
(4) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 2, question 112, article 1.
(5) Épître aux Galates, chapitre V, verset 26.
(6) Épître de S. Jacques, chapitre 4, verset 6
(7) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 1, question 18, article 1.
(8) Évangile selon S. Matthieu, . chapitre 6, verset 24.
(9) Livre du Siracide, chapitre 10, verset 9.
(10) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 2, question 36, article 1.
(11) S. Augustin d’Hippone, Sermon 58.
(12) Livre des Psaumes, Psaume 4.
(13) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 2, question 58, article 3.
(14) Évangile selon S. Matthieu, chapitre 5, verset 22.
(15) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 2, question 58, article (16) S. Thomas d’Aquin, ibidem.
(17) Ibid., question 148, article 1
(18) S. Alphonse de Ligori, de Peccatis, n° 73.
(19)) Décret de l'an 1679.
(20) S. Alphonse de Ligori, de Peccatis.
(21) Ibidem.
(22) Première épître de S. Paul aux Corinthiens, chapitre 10, verset 10.
(23) S. Alphonse de Ligori, de Peccatis. n° 75. Voyez aussi S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie 2, question 150, article 2 ; le P. Antoine, de Peccatis, chap. 7, article 3.
(24) Voyez S. Alphonse de Ligori, de Peccatis, n° 75.
(25) S. Alphonse de Ligori, de Peccatis, n°77  ;
(26) Voyez S. Alphonse de Ligori, ibidem.
(27) Le P. Antoine, de Peccatis, chapitre 7, article 7.
(28) Livre de l’Apocalypse, chapitre 21, verset 27.
(29) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 155.
(30) Ibidem, question 160, article 1.
(31) S. Thomas d’Aquin Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 169, article 2.
(32) Ibidem.
(33) S. François de Sales, Introduction à la vie dévote, partie III, chapitre 25.
(34) S. Alphonse de Ligori, De Præcepto charitatis, n° 55.
(35) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, n°425.
(36) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, titre 5, chapitre 5.
(37) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 169, article 2.
(38) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 15 de Malo, article 2, 3° ; Billuart, de Temperantia, dissertation C. art. 11. appendix l ; Solo, Sylvius, etc.
(39) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n° 436.
(40) Ibidem. n° 443.
(41) Navarrus, Azor, Billuart, etc.
(42) . Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n° 368.
(43) Ibidem. n°444.
(44) Tome II. n° 934.
(45) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 154, article 10. Voyez aussi Billuart, de Temperantia, dissertation 6, article 6 ; Cajetan, Soto, Sylvius, etc.
(46) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°449.
(47) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 154, article 10.
(48) S. Alphonse de Ligurori, Suarez, Billuart, Sanchez, Lessius, etc.
(49) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°463.
(50) Décret d'Innocent XI, de 1679.
(51) S. Thomas d’Aquin, Summa Theologica, deuxième partie, partie deux, question 154, article 11.
(52) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°466.
(53) S. Alphonse de Ligori, ibidem, n° 474.
(54) Décret d'Innocent XI, de 1679.
(55) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°477.
(56) S. Alphonse de Ligori, ibidem ; Sanchez, etc.
(57) S. Alphonse de Ligori, ibidem, n° 478.
(58) Billuart, etc.
(59) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°43 ; S. Thomas, S. Antonin, Sanchez, Sylvius, Billuart, etc.
(60) S. Alphonse de Ligori, Billuart, etc.
(61) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°484 ; Billuart, Cajétan, Sylvius, Lessius, Sanchez, Sporer, etc., etc.
(62) S. Alphonse de Ligori, ibidem ; Billuart.
(63) S. Alphonse de Ligori, De sexto præcepto, livre III, n°482.
(64) S. Thomas d’Aquin, Scriptum super Sententiis, livre IV, Distinction 9, question 1, article 4. — Voyez Traité des Péchés.


Référence.

Mgr Thomas-Marie-Joseph Gousset (archevêque de Reims), Théologie morale à l'usage des curés et des confesseurs, tome 1, Waille, Paris, 1844.