Rechercher dans ce blogue

mardi 14 octobre 2014

L'esprit de groupe et la socialisation de l'enfant, selon J. Rich Harris, 1998

Enfants de Kavaratti (territoire de Lakhshadweep)
John Turner (1), un étudiant de Tajfel, s'est attaché à dégager certains aspects spécifiques de cet esprit de groupe. Il n'est pas nécessaire d'apprécier tous les membres de son groupe. Il n'est même pas nécessaire de les connaître tous. Ni même d'en connaître un seul. Il suffit de savoir qu'on appartient à la même catégorie sociale qu'eux. C'est une question d'autocatégorisation

Je suis un X. 
Je ne suis pas un Y.

L'évolution nous a prédisposés à dégager de ces prémisses élémentaires un corollaire non moins élémentaire : nous préférons les X aux Y. Et, du même coup, nous concluons que nous sommes semblables aux autres X et différents des Y. Ces mécanismes mentaux, qui se produisent à un niveau généralement inaccessible à la conscience, ont néanmoins des conséquences visibles. En vertu du processus d'assimilation, nous avons tendance à ressembler davantage aux membres de notre groupe. Les différences entre notre groupe et l'autre s'accentuent en raison des effets de contraste de groupes. Et, dans certaines circonstances, cela débouche sur l'hostilité envers l'autre groupe - effet du partage du monde entre « nous » et « eux ».

Ce que je décris ici n'a rien à voir avec les relations entre individus. L'aptitude à former des relations dyadiques est présente des la naissance. L'esprit de groupe met en revanche un certain temps à se constituer. Les relations dyadiques se fondent sur des éléments tels que la dépendance, l'amour et la haine, le plaisir que l'on éprouve à se trouver en compagnie d'autrui. L'esprit de groupe se fonde sur la reconnaissance de similitudes fondamentales - nous nous ressemblons par certains traits - ou d'une communauté de destin - nous sommes tous dans le même bateau. Dans une relation dyadique, on est deux. Dans un groupe, on est presque toujours plus de deux, et il n'y a pas de limite supérieure aux effectifs. Si cette description vous donne l'impression que l'esprit de groupe est quelque chose de purement intellectuel, détrompez-vous : les émotions qu'il implique sont profondes et puissantes. Depuis que l'homme est sur terre, beaucoup plus d'individus sont morts pour leur groupe que pour leurs relations personnelles.

(…)

[Le module social du cerveau] se compose de deux sous-systèmes au moins : l'un se spécialise dans les relations dyadiques - il est prêt à fonctionner dès la naissance – et l'autre dans les relations de groupe - ce dernier met un certain temps à se structurer.

L'esprit de groupe et les relations personnelles ne fonctionnent pas seulement indépendamment ; ils peuvent également s'opposer

Je me suis longtemps demandé ce qu'il y avait d'insultant à dire : « certains de mes meilleurs sont juifs. » Et j'ai compris. que cette phrase introduisait une distinction entre l'amitié – relation personnelle – et l'attitude à l'égard d'un groupe. On peut aimer ses amis sans aimer le groupe auquel ils appartiennent et c'est précisément ce que suggère cette phrase. 

L'esprit de groupe et les relations personnelles sont parfois en conflit. En temps de guerre, par exemple, il peut être difficile de trancher entre le désir de rester avec ceux qu'on aime et celui d'aller défendre son groupe. Chacun doit résoudre ce genre de dilemmes à sa façon.

Selon ma théorie, c'est le sous-système mental « esprit de groupe » qui permet à l'enfant de se socialiser et à sa personnalité d'être modifiée par l'environnement. Chaque fois que des changements durables affectent le comportement de l'enfant, c'est l'esprit de groupe qui est en jeu. Le sous-système « relations personnelles » peut donner naissance à de puissantes émotions, mais il ne produit que des modifications temporaires du comportement.

Note
(1) TURNER J. C., HOGG M. A., OAKES P. J., REICHER S. D., & WETHERELL M. S., Rediscovering the Social Group : A Self-Categorization Theory, Oxford (GB), Basil Blackwell, 1987.

Référence

RICH HARRIS Judith, Pourquoi nos enfants deviennent ce qu'ils sont (1998), trad. fr.  Odile Demange, Claude-Christine Farny et Belle Arman, Robert Laffont, coll. « Réponses », 1999, p. 213-215.