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jeudi 16 août 2012

Les mœurs sexuelles de la Cour romaine, à la fin du XVe siècle, selon I. Cloulas, 1997.


Le mal rôdait partout. Passé le bref épisode pendant lequel le pape avait mis la pénitence à l'ordre du jour, la débauche s'affichait de nouveau dans la Ville éternelle. 

Les filles publiques et les maîtresses des prélats occupaient le premier rang, comme le vit Burckard, dans l'église des Ermites-de-Saint-Augustin, le jour de la célébration de ce saint, le 28 août [1498], alors qu'on célébrait une messe solennelle en présence de sept cardinaux. 

La syphilis se répandait dans toutes les couches de la société. Deux jours avant l'emprisonnement de Florès (1), le gardien du château Saint-Ange, Bartolomeo de Luna, évêque de Nicastro, était mort du « mal français ». César (2) avait certainement subi à Naples une attaque de cette maladie vénérienne. Son médecin particulier, Gaspare Torrella, avait heureusement trouvé un traitement qui, joint aux soins donnés par Sancia (3), permit au malade de surmonter la crise. Le praticien devait acquérir une grande notoriété en publiant sa recette dans un traité, De Pudendagra. Protégé par ce remède, le cardinal de Valence (4), dès son retour, goûta les charmes des courtisanes romaines. L'une de ses maîtresses fut la fameuse Fiammetta. Mais César savait dissimuler. Les mères de ses enfants illégitimes ne sont pas connues. Tout au plus suggère-t-on qu'une des dames de sa sœur Lucrèce (5) fut du nombre.

La luxure, encouragée par l'exemple venu de haut, ne connaît plus de bornes. Burckard note les cas les plus voyants dans le Sacré Collège [des cardinaux]. Le cardinal de Segorbe, rongé de syphilis, est dispensé de s'incliner devant le pape à la fête de Pâques 1499. Le cardinal de Monreale, autorisé à ne point paraître pendant deux ans aux cérémonies, réussit enfin à guérir : il assistera à la messe en décembre 1499. L'ennemi du pape [Alexandre VI], Julien della Rovere, le futur Jules II, est lui aussi atteint. 

L'abandon aux plaisirs charnel, que la maladie rend plus visible qu'autrefois, traduit un scepticisme profond. L'abdication morale du pape est plus sensible que jamais. Il laisse se répandre des libelles qui nient la vie de l'au-delà. 

Les seules restrictions à la débauche sont dictées par les impératifs de salubrité publique. En avril 1498, les Romains assistent à une étrange procession : six campagnards coiffés de mitres de papier défilent dans les rues, frappés de coup de fouet par les sbires. Des hommes atteints du « mal français » leur avaient donné de l'argent pour qu'ils les laissent se plonger dans les cuves remplies d'huile afin d'alléger leurs souffrances . Le bain achevé, les paysans étaient allés vendre l'huile dans la ville, en prétendant qu'elle était bonne et pure.

Autant que les délits produits par l'appât du gain, sont nombreux ceux provoqués par la débauche. L'homosexualité est très répandue. Il est courant de voir des gitons dans l'entourage du pape et des cardinaux. À Florence, la sodomie est pour Savonarole (6) la pratique la plus criminelle. Mais on s'en accomode à Rome, sauf pendant la courte période de pénitence qui suit le meurtre de Gandie (7) : Alexandre envisage alors de chasser les jeunes gens de l'entourage des prélats (8).

Cependant on réprime cruellement la confusion des sexes quand elle constitue un scandale public. (...).

Notes.

(1) Bartolomeo Florès, ancien secrétaire privé du pape Alexandre VI et archevêque de Cosenza. Il avoua avoir « fabriqué plus de trois mille fausses bulles avec trois de ses employés. »
(2) César Borgia, fils naturel du pape Alexandre VI.
(3) Sancia d'Aragon, femme de Gioffre Borgia, frère utérin de César Borgia.
(4) César Borgia.
(5) Lucrèce Borgia, fille du pape Alexandre VI et sœur utérine de César Borgia.
(6) Jérôme Savonarole, prieur du couvent dominicain de San Marco, à Florence.
(7) Juan Borgia, duc de Gandie, fils du pape Alexandre VI, frère utérin de César et Lucrèce Borgia.
(8) Suite à la mort de son fils Juan, Alexandre VI souhaita instaurer la réforme de l'Église. La commission de réforme, constituée de six cardinaux, élabora le texte d'une bulle dédiée à cet objectif, mais qui, finalement, ne vit pas le jour. Il était prévu, entre autres, que les princes de l'Église n'emploient « pas de jeunes garçons ou d'adolescents comme valets de chambre. » (p. 183 de l'ouvrage cité en référence).

Référence.

Ivan Cloulas, Les Borgia, Arthème Fayard, Paris, 1987, p. 187-189. Les notes accompagnant le texte ci-dessus sont le fait de l'auteur de ce blog.

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