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jeudi 17 mai 2012

Les vertus de la discipline militaire, 1788


Les considérations suivantes montrent à quel point la culture militaire a imprégné, dans les siècles passées, l'éducation et la civilisation européenne. On y retrouve, semble-t-il,  l'origine et la cause des plus horribles catastrophes du XXe siècle. [L'orthographe a été modernisée par les soins de l'auteur de ce blog.]


Ch. IV : De l'éducation militaire.


Le seul moyen de maintenir les lois en une égale vigueur, ses constitutions et ses vertus une fois établies ; de prévenir les abus, de réintégrer les parties périclitantes, et d'animer chaque citoyen de ce violent amour pour la patrie, qui doit toujours l'embraser, c'est de veiller avec soin à une unanimité de principes, qui puisse se perpétuer d'âge en âge, de générations en générations.

Tout homme à sa naissance, dès lors qu'il est bien constitué, est propre pour le service de sa patrie. La nature ne fait ni des Thersites ni des Alexandres, ni des Sybarites, ni des Spartiates ; elle fait des hommes. C'est à nous de les élever, et de les former selon le but auquel nous les destinons. Semblable à peu près à la pâte que le boulanger pétrit, il peut lui donner la forme qu'il juge à propos, mais seulement jusqu'à l'instant où elle a été exposée aux impressions du feu.

Les anciens n'eurent point d'écoles particulières, parce que, pour la plupart militaires ou au moins obligés tous de porter les armes dans les besoins pressants de la patrie, l’État veillait avec soin à ce que chaque enfant fût élevé conformément au régime prescrit (1).

L'éducation, et surtout l'éducation militaire, fortifie l'homme, lui donne de l'agilité, de la souplesse , de la vigueur, et lui inspire une juste confiance en ses forces. Qu'on me donne des Sybarites, avait coutume de dire Pyrrhus, avec de la discipline, j'en ferai des soldats. Arrachée de l'oisiveté et de l'apathie, du libertinage et du vice, elle éveille le courage ; elle est le germe de toutes les vertus. (...)

Tous les peuples, toutes les nations ont reconnu l'utilité d'une éducation purement militaire, et les peuples modernes souvent en guerre et perpétuellement armés, après avoir créé des académies ou des écoles pour tous les arts, ont précisément oublié d'exciter le développement d'un art aussi intéressant. Est-ce humanité ? Elle est mal fondée. Plus cette science sera approfondie, moins elle sera sanguinaire. Le parallèle des différents âges des empires vient à l'appui de cette vérité. (...)

L'instant de la jeunesse est celui où l'homme est le plus capable de s'accoutumer au joug de la discipline militaire. Ces exercices exigent de la souplesse, de la légéreté, de la vivacité, et une facile conception. Aussi, avait-on établi à Athènes des maîtres de toute espèce, et cela, dès le temps de Socrate ; c'est-à-dire, dans le plus bel âge de la Grèce (2). (...)

Les Sauvages, dit-on, pour s'exciter à la douleur, se lient dans leur bas âge les bras deux à deux, et y mettent des charbons ardents. C'est un déshonneur de retirer le premier le bras. Aussi voyons-nous leurs prisonniers supporter toutes les horreurs d'une mort barbare avec la sérénité et le froid que nous apportons à un objet indifférent. Ces exemples ne font pas les seuls. La bravoure du page d'Alexandre, qui se laissa brûler d'un charbon, sans faire le moindre mouvement, pour ne pas troubler le sacrifice ; les flagellations des Spartiates sur l'autel de Diane ; l'acte de Scévole devant Porsenna, et l'obstination d'Anaxargue pilé dans un mortier, qui ne voulut jamais convenir que ce genre de mort fût un tourment (3), font autant de preuves non équivoques de l'influence de l'éducation fur les esprits.

Jusqu'au renouvellement des lettres et pendant la longue durée des siècles barbares, les peuples ne s'attachaient qu'à former les corps des enfants par des exercices violents. Savoir lire ou écrire, était au-dessous de la noblesse. À cet excès en a succédé un autre. Depuis rétablissement des collèges, on ne songe plus qu'à l'esprit.

C'est que l'on a mal à propos confondu les sciences avec la sagesse ; deux choses cependant fort distinctes. La première n'est qu'accessoire, la seconde seule est nécessaire. Sans science, des peuples se sont immortalisés, mais aucun, que je sache, sans sagesse. Sparte, l'école de la vertu, triompha d'Athènes, et Rome, à son tour, renversa Sparte, lorsqu'elle se fut corrompue. Licinius, Lycurgue, Jésus-Christ, Mahomet, etc. furent sans science.(...).

En Prusse, Frédéric-Guillaume fonda une maison de cadets, où furent admis gratuitement tous les enfants des gentilshommes ruinés. Le plan d'éducation y est très beau. II y règne un ordre admirable. II y a des maîtres de toute espèce. Mais on met un soin particulier d'effacer de leur âme tous les germes d'humanité, sans laquelle cependant il n'y aura jamais de véritables héros. On repaît leur imagination, de guerres, de pillages et de saccagements de villes. On leur apprend à presser la bourse du bourgeois, à désoler le paysan, à battre le soldat, en un mot à ne rien craindre et à tout oser. Je ne sais s'il y a des maîtres pour apprendre à jurer, mais ils jurent comme s'ils en avaient fait un cours. De huit mots que prononce un soldat prussien, il y en a quatre qui sont des exécrations ; ce qui suit, est d'ordinaire une brutalité. Le roi, fondateur de cette école, se piquait peu de mignardise. Le feu roi, son successeur, rempli de grands talents , mais passionné pour la gloire militaire, ne regardait pas comme un vice ce qui pouvait échauffer le courage, et étourdir fur le danger.

C'est dans une éducation soignée et attentive, que le législateur imprimera à la jeunesse ce profond mépris pour la mort, qui rendit Sparte invincible, et qui porta Codrus , Curtius et d'Assas à se sacrifier pour la patrie. (...)


Ch. V : De la discipline.

La discipline est une soumission aveugle et absolue aux loisx militaires. Quels que soient les ordres que l'on prescrit aux soldats, pillages , meurtres et incendies, il doit y souscrire sans la moindre restriction. Si l'ordre est barbare, cruel, inhumain, ce sera le général ou le conseil qui l'aura prescrit, qui en sera responsable, et non le guerrier qui aura obéi, en exécutant des lois imperscriptibles.

Le soldat qui refuse de remplir l'ordre de son général, mérite la plus sévère punition ; celui qui le prévient, est également coupable. Celui qui vainc les ennemis sans en avoir reçu un commandement exprès, est dans le cas de la peine de désobéissance.

Ces lois font dures et austères, je le sais ; mais elles sont nécessaires, et doivent être scrupuleusement observées. La discipline est l'âme d'une armée. Avec des troupes inférieures, la Suisse et la Prusse ont toujours été victorieuses. Sans discipline, un million d'Indiens, d'Américains, ne purent résister à une poignée d'Européens. Sa rigidité, et son inobservance furent la source de la grandeur et de la décadence des empires. Elle tient lieu de valeur ; elle transforme en héros autant de Sybarites. Une armée disciplinée enfin peut bien ne pas vaincre ; car il est impossible de forcer un nombre de beaucoup supérieur, mais elle ne sera jamais vaincue ; car, n'est pas vaincu celui qui meurt les armes à la main, en combattant courageusement.

Notes.

(1) Voyez dans Diodore de Sicile le magnifique tableau de l'éducation égyptienne, livre I.
(2) Plato, in lacheto.
(3) Voyez les Essais de Montaigne.

Référence.

Par l'auteur d'Azémor, Considérations sur l'influence des mœurs dans l'état militaire des nations, Londres, 1788, p. 44-55.

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