Rechercher dans ce blogue

mardi 22 mai 2012

Les tares de l'instruction secondaire, selon P. Lorain, 1871.


 On trouvera dans le texte suivant, daté de 1871, des critiques qui rappellent celles que l'on entend aujourd'hui vis-à-vis du système scolaire français. L'auteur y dénonce, en outre, le ridicule de l'organisation presque militaire et bien trop cloîtrée, le nombre trop important d'élèves par classes, l'éloignement maîtres-élèves, le faux système des récompenses, une formation trop littéraire, coupée des réalités sociales. On y trouvera également la critique de méthodes envisagées à l'heure actuelle (notamment l'internat) et qui ont déjà fait valoir, dans le passé, leurs limites, voire leurs nuisances. On y envisage, enfin, certaines réformes qui ne seront appliquées que bien plus tard, telles que la décentralisation, ou pas du tout, comme la vie au grand air, dans les jardins, à la campagne, la meilleure prise en charge de l'étudiant, dans le cadre des facultés ou l'adaptation du cursus scolaire aux capacités de l'élèves.  À bon entendeur...


Nous le savons bien, nous, qui voyons aboutir tous les ans aux écoles de médecine tant de jeunes gens ignorants et mal élevés, qui sont bacheliers. Quelqu'un prétendra-t-il que les bacheliers savent bien le français, qu'ils savent le grec, le latin, l'histoire naturelle, la chimie, la physique, les mathématiques, les langues vivantes, la géographie, la géologie, la mécanique ?

Cependant, un bachelier est censé un homme instruit ; il a fini ses études générales, terminé son éducation. Là, il s'arrête ; si c'est un homme du monde, il ferme ses livres classiques et ne les rouvre plus. Le droit et la médecine ne complètent guère cette éducation. L'instruction professionnelle ne touche pas au développement esthétique de l'individu, elle lui apprend les notions pratiques; son éducation devient technique, elle n'agrandit pas ses facultés morales.

Et encore, ces étudiants en médecine et en droit sont forcés à l'étude, ils retrouvent l'occasion d'appliquer les principes de leur éducation collégiale ; mais les autres, les gens du monde, non.

Sans prendre la question de si haut, on peut regretter que l'instruction élémentaire, en ce qui concerne les notions prochainement applicables, soit si mal donnée dans les collèges. On n'y apprend convenablement aux élèves ni l'histoire naturelle ni la physique ; on ne leur donne point de suffisantes notions de physiologie ni de chimie. Ils sont tous, sauf ceux que l'on prépare aux écoles spéciales du gouvernement, élevés littérairement.

Il faut que nous, médecins, nous professions pour nos étudiants la botanique, la physique, la chimie, l'histoire naturelle. Est-ce que nos élèves ne devraient pas être instruits de ces choses avant de frapper à la porte de l'École de médecine ?

Savent-ils du moins le français ? Certains d'entre eux nous remettent des copies remplies de fautes d'orthographe, de fautes de français, de fautes contre le goût. A qui imputerons nous ces tristes résultats, si ce n'est à l'Université qui les a si mal préparés ?

Et les langues vivantes ? Il n'y a pas aujourd'hui sur trois mille étudiants en médecine cinquante jeunes gens qui sachent la langue allemande, ni même la langue anglaise, sans la connaissance desquelles il n'est pas possible de suivre les progrès de la médecine. Est-ce à nous à leur apprendre ces langues ?

On nous livre donc un trop grand nombre de sujets dont l'éducation première est manquée, et nous n'en pouvons faire que des étudiants médiocres, ou, s'ils se réforment parmi nous, ce sera au moyen de sacrifices énormes, de temps perdu, et d'une dépense d'énergie qui serait mieux employée à d'autres travaux.

Que fait donc l'Université ? Elle prend les enfants à sept ou huit ans, elle les garde dix ans au collège, elle est censée leur tout apprendre, et l'on sait de combien il s'en faut. Si du moins elle en faisait des gens exercés de corps, vigoureux ! Si elle leur donnait le goût des exercices gymnastiques, si elle leur apprenait quelque peu de beaux-arts, le dessin, la musique, et le goût pour l'étude. Mais on sait que ce n'est pas par là qu'elle brille, et que, pour beaucoup d'enfants, le collège est une prison détestée, où l'on est mené militairement, mécaniquement, uniformément, où beaucoup perdent le goût du travail qu'ils considèrent comme une punition. Les parents, débarrassés de leurs enfants, les placent là à huit ans, les reprennent à dix-neuf ou vingt, sans s'être donné la peine de contribuer à leur instruction ni à leur éducation, système égoïste et dangereux.

Eh bien, en dix ans on ne parvient pas à faire une moyenne très faible d'instruction. C'est trop de temps perdu, il faut scinder les éludes, mieux employer le temps ; cela est possible. Au lieu de classes de soixante élèves, où le professeur fait expliquer, réciter, lire, écrire sous sa dictée, sans pouvoir se rendre compte de l'état intellectuel de cette masses, il faut plus de professeurs et moins d'élèves. Faites comme en Allemagne, supprimez ces tristes internats, établissez des gymnases plus nombreux en province, et que les professeurs soient payés suivant leur mérite par les parents. Établissez le contact entre le professeur et les élèves ; que ceux-ci vivent dans une famille, dans la sienne au besoin, près de ses enfants ; qu'ils soient pénétrés, compris par lui, qu'il les connaisse et les dirige suivant leurs aptitudes. Il leur apprendra familièrement ce qu'il sait et se passionnera pour les bons élèves, les suivant d'une classe à l'autre, et leur faisant parcourir une grande partie du chemin. Pourquoi couper en deux un épisode de Virgile, et renvoyer l'élève à l'année suivante ? Pourquoi le faire changer de professeur tous les ans ? Pourquoi un programme uniforme ? Pourquoi expliquer Tite-Live en cinquième, Homère en quatrième, Tacite en troisième, pourquoi et de quel droit ? Qui a dit cela, qui a fait ces programmes et formulé ainsi les règles de progression de l'esprit des élèves? Il n'y a personne qui se déclare responsable de cela, si ce n'est l'être anonyme qui s'appelle l'État enseignant, gouverné par des ministres qui souvent ne sont pas des savants, aidés d'inspecteurs et autres fonctionnaires de l'ordre administratif, qui ne représentent parfois ni l'instruction ni le goût. 

On fait parcourir à tous les enfants, à tous les jeunes gens, invariablement tous les échelons de l'instruction universitaire ; il faut qu'ils aient fait la huitième, la septième, la sixième, la cinquième, la quatrième, la seconde, la rhétorique. Quelles vieilleries et quelle singulière classification ! Pourquoi cela et non autre chose? Si l'enfant est intelligent et précoce, s'il est lourd, sot, c'est donc tout un, et il faudra qu'il passe par cette monotone série ! Il y a pourtant des jeunes gens qui pourraient faire ces études-là en cinq ans facilement. D'autres y sont impropres, et pourquoi les y maintenir ?

Il y a bien d'autres erreurs dans l'instruction universitaire. Soit, on n'y apprend ni les langues vivantes, ni la grammaire comparée, ni l'histoire naturelle, ni les éléments des beaux-arts. On y apprendra le grec, le latin et l'histoire, et, en effet, il y a des élèves sortant des collèges qui sont lettrés.

Mais quelle est l'éducation morale qu'on y donne ? Tout y est fondé sur la discipline militaire et la hiérarchie du mérite.
La morale civique y est représentée par les exemples des grands hommes de l'antiquité, les héros, les Régulus, les Épaminondas, les Brutus, beaux exemples, mais qui ne peuvent pas remplacer les exemples et les exhortations des parents, les enseignements de la vie de famille, les souffrances et les joies partagées avec les frères et sœurs, le malheur, le sentiment de la responsabilité et celui de la solidarité.

Le collège ne peut donner que ce qu'il a, et la faute est aux parents qui abandonnent leurs enfants ainsi.

La hiérarchie du mérite est représentée au collège par les places de composition ; et de bonne heure, dit-on, l'enfant est habitué à reconnaître les supériorités, tant de nature que résultant du travail, c'est l'image de la vie en petit. Soit. Mais est-elle bien sincère et bien choisie cette distribution des mérites à l'enfance ?

Les beaux modèles que les forts en thème ! Et comme il y lieu de s'extasier devant une belle ponctuation du thème grec ! Un élève qui a de la mémoire sera premier à tout coup en récitation, en histoire. Tel autre saura faire un thème latin. Pourquoi pour si peu de chose tant de couronnes, tant de musique, et ces perpétuelles compositions, où les élèves sont classés en forts, en médiocres et en faibles ? Savez-vous ce qu'ils seront plus tard ? Savez-vous quelle est l'intelligence, quelles sont les aptitudes de ces enfants ? Qui cause avec eux, qui cherche leur spécialité, qui se donne la peine de les étudier et de développer leur intelligence par le côté où elle pointe ? — On ne le peut, les élèves sont trop nombreux, le professeur n'est pas payé pour cela. Voilà des enfants qui sont faibles en huitième, et pendant dix ans de collège ils vont se traîner de banc en banc, sans goût, sans ardeur. Ils sont cotés faibles... ils sont les derniers. Je voudrais bien savoir ce que sont devenus tous les beaux sujets qui étaient forts dans mon temps de collège. J'en ai perdu de vue un grand nombre. Il y en a de sots que je n'ai pas perdus de vue, d'autres, qui ont toujours de la facilité, mais qui n'ont ni profondeur, ni jugement, ni ardeur pour le bien et le beau, ni spontanéité. Ces couronnes, ces distributions, ces concours, sont un moyen d'émulation théâtral et faux ; la déclamation tient trop de place dans l'Université.

Mais en France on croit tout parfait de ce qu'on fait, on ne comprend pas une nation sans collèges, sans concours, sans internes ! Eh bien, passez la frontière et regardez. Ceux qui nous gouvernent ne voyagent pas assez.

Aujourd'hui, il n'y a point en Europe de personnes, s'occupant d'éducation, pour lesquelles ce ne soit point une vérité incontestable que les internats sont une détestable institution. Comment se fait-il qu'en France on n'ait pas l'air de se douter de ce fait universellement reconnu ?

Ces critiques ne s'adressent point aux professeurs de l'Université. Ils sont eux-mêmes victimes d'un système faux et cruel. Administrés autocratiquement, fonctionnaires sans liberté, placés, déplacés, censurés ou avancés par une autorité discrétionnaire, ils sont tenus dans un état de servage dont aucune autre administration n'offre d'exemple. Il n'y a point pour eux de droits, pas de rêves d'avenir, ils ne peuvent jamais espérer de faire une petite fortune, et ils sont moins bien traités que les employés de commerce. Ceux d'entre eux qui ont du mérite pourraient, s'ils étaient libres, se créer une situation très enviable ; l'État confond tout, les médiocres et les distingués, ne distribue pas les dividendes suivant le mérite, et tous en sont réduits à attendre comme un bienfait la faible retraite qui est promise à leurs soixante ans d'âge.

L’Université renferme un nombre proportionnellement très supérieur d'hommes instruits et de bons citoyens ; ce corps est un de ceux dont notre pays peut encore s'honorer. La science, l'amour du bien, la bonne volonté, y dominent, et ce n'est point la faute des professeurs si l'institution ne donne pus de meilleurs résultats. La vérité est qu'ils ne sont pas consultés. Cette machine universitaire, pour nous servir de l'expression appliquée a un objet plus restreint par M. Duruy, est comme la vieille machine de Marly, elle donne 95 pour 100 de perte ; il faudrait la mettre en état de donner le plus de rendement possible, et pour cela il faut l'enlever au gouvernement.

Nous admettons comme un fait certain que la jeunesse française est mal élevée, et que l'État, qui s'est fait entrepreneur de l'instruction publique, est responsable de cet état de choses. S'il n'y avait pour les jeunes gens que perte de temps, le mal ne serait pas bien grand ; mais il y a mauvaise direction intellectuelle. Les étudiants, au sortir du collège, ne prolongent pas leur instruction classique, ils l'oublient, et la plupart se ruent violemment vers des plaisirs grossiers où ils altèrent leur santé et faussent leurs facultés morales. On ne les voit point, en général, s'éprendre de la littérature, ni des beaux-arts, ni des sciences philosophiques, ni entretenir leur énergie intellectuelle par des travaux, des discussions se rapportant aux anciens objets de leurs études classiques. Ils passent du collège aux hôpitaux ou à l'étude de l'avoué sans s'arrêter dans une université.

(...)

Cette ténacité des maîtres et des parents qui maintiennent les enfants dans la filière va bien plus loin que nous n'avons dit encore. Non seulement on les contraint à monter lentement ce long escalier aboutissant au baccalauréat, qui est un but stérile, mais on leur fait souvent redoubler et tripler une classe, sans pitié. Cela se comprend à la rigueur pour un enfant rebelle, mais intelligent, auquel on veut à tout prix apprendre les éléments de l'instruction secondaire, ou pour un futur professeur, auquel la perfection de certaines études classiques est nécessaire, mais ce sont là de très rares exceptions, et il ne sert de rien de faire redoubler des classes à des enfants inintelligents et paresseux. Ce n'est qu'un moyen de les hébéter davantage.

Tous les hommes qui se sont occupés de l'éducation en France savent à quel degré de scandale est parvenu parmi les pensionnats libres menant des élèves aux collèges, et parmi quelques collèges dirigés par des proviseurs peu scrupuleux, l'exploitation des élèves à concours.

La plupart du temps c'étaient des boursiers, des enfants pauvres dont on surexcitait les facultés spéciales, au risque de stériliser leur intelligence dans l'avenir. On en exprimait tout ce qu'elle pouvait rendre à la pression sous forme de prix de thème, version, histoire, vers ou discours, et l'heureux propriétaire de ces enfants-prodiges chantait victoire ; c'était un moyen de réclame pour l'institution, un moyen d'avancement pour les maîtres, une gloriole. Ces enfants, amenés quelquefois de province, achetés, on peut le dire, étaient maintenus un an, deux ans, trois ans, s'il le fallait, en une même classe, tant qu'ils ne dépassaient pas l'âge réglementaire. C'était une barbarie. 

Le concours général avec ses oripeaux, sa musique militaire, ses discours solennels aux fausses élégances, formait une ridicule exhibition, où l'on voyait de petits enfants chargés de lauriers de papier doré et gonflés d'orgueil, parader déjà comme si la société était à eux. Beaucoup sont devenus ces folliculaires cyniques et féroces qui insultent à tout ce qui est honnête et éternel, et préparent les révolutions populaires.

Grisés par cette éducation théâtrale, ignorants de toute science vraie et frottés seulement de littérature, ces enfants pauvres et mal élevés se croient appelés à étonner le monde ; abandonnés par ceux qui les ont exploités, au moment où ils entrent dans le monde réel, ils sont la proie des agents de publicité qui leur donnent un peu d'argent et de la notoriété en échange de leur rhétorique.

Quant à moi, je déclare que mes enfants seront élevés dans le respect du devoir et l'amour du beau, mais non dans l'idée d'une sotte émulation. Il ne faut pas viser au mieux, mais au bien. Il en est des élèves comme de la chasse, où le gibier règle son pas sur celui de la meute. Le premier limier ne va pas toujours vite. Le premier de la classe peut n'être qu'un très faible personnage et qui ne mérite pas de servir de type. 

Le comble du ridicule dans les récompenses chez les enfants est de faire faire leur buste en plâtre ou en bronze, d'inscrire leur nom sur des monument intérieurs, et, au besoin, de décorer pour huit jours des enfants de cinq ou six ans, comme cela se fait dans les petites écoles. Tels sont les enfants, tels seront les hommes !

Sans doute, il faut des récompenses ; mais il les faut rares et sérieuses.

En temps ordinaire un enfant est mis au collège à huit ans et en sort à dix-huit ou dix-neuf ans, soit dix années de collège. Je dis que huit suffiraient. En huit années bien employées que de choses on peut apprendre à un enfant ! Les premières et les plus importantes notions sont celles qui concernent le devoir, la moralité, le respect des parents, une tenue décente, toutes choses qu'on n'apprend pas au collège, et à cause de cela je maintiendrais les enfants au voisinage de la famille jusqu'à onze ou douze ans, leur faisant donner, en même temps que l'éducation, qui semble tout à fait oubliée en France, l'instruction primaire sérieuse qui comprendrait non pas seulement la grammaire et l'étude des langues vivantes, mais les éléments des sciences qui entrent par les yeux, comme le dessin, la géographie, l'histoire naturelle, une partie de la géométrie.

Il ne faut pas que les parents égoïstes et frivoles continuent à se débarrasser de leurs enfants dès l'âge de huit ans.

La vie de famille est bonne pour les enfants et pour les parents ; elle maintient tout le monde dans le devoir. Les femmes méritent le blâme dans notre pays pour la facilité avec laquelle elles se séparent de leurs enfants, pour suivre plus librement les usages et les plaisirs du monde. Elles ont leur part grande de responsabilité dans nos malheurs publics. Il n'est pas nécessaire que l'enfant soit élevé dans sa propre famille ; il y a des cas nombreux où cela n'est pas possible ; il faut, en tous cas, qu'il soit élevé dans une famille, ainsi que cela se pratique en Allemagne pour presque tous les enfants qui suivent les gymnases, et en Angleterre pour les enfants qui font des études complètes, et, à la vérité, assez dispendieuses.

L'économie de temps est possible, l'économie d'argent en est-elle le corollaire ? C'est une question pratique qu'il faudrait mettre à l'étude.

Si un enfant était mis au collège et y passait dix ans à raison d'une pension de 1500 francs par an, son éducation au collège aurait coûté 15 000 francs. Pourrait-on, pour le même prix, lui donner la môme quantité d'instruction, tout en le faisant bénéficier de l'éducation de famille? Je le crois. Cela sera possible surtout si l'on cherche la décentralisation, si l'on éloigne de Paris les enfants et les jeunes gens de la province, si l'on forme de grandes et sérieuses universités provinciales, comme cela devrait être. Le jour où l'on rendra la vie honorable et fructueuse aux professeurs, où il leur sera permis de vivre dans de grands centres d'instruction, en province, ils ne désireront plus une chaire à Paris comme un avancement. Il faut aussi que les enfants soient élevés au grand air, à la campagne, dans des jardins, qu'ils se livrent aux exercices du corps, qu'ils prennent goût au développement physique en même temps qu'au développement intellectuel. Il faut aux professeurs un milieu tranquille, une vie simple, une rémunération honorable.

Mais, me répondra-t-on, vous ne ferez pas de bacheliers à seize ans. À cela je réponds que je ne vois pas la nécessité de faire des bacheliers. Il n'y a de bacheliers qu'en France, et je ne pense pas que la France en soit mieux élevée ni plus florissante. Je ne pense pas que les classes moyennes lettrées y aient agrandi et même conservé leur influence. Cette race-ci est bien douée et mal dirigée, on peut lui faire produire plus et mieux, et pour cela il faut réformer nos moyens d'éducation publique. Quant à la garantie des études, certificat final ou examens successifs, c'est une question technique dont il faut abandonner la solution à des hommes spéciaux. On trouvera facilement mieux que le baccalauréat.

Je suppose l'écolier sortant du collège à seize ou dix-sept ans. C'est trop tôt, dira-t-on, le livrer à la liberté. Sans doute, s'il a été mal élevé, il fera un mauvais usage de sa liberté. S'il a été renfermé, comprimé, séparé des réalités du monde dans le cloître universitaire ou clérical, il en pourra être ainsi ; mais non, s'il a été de bonne heure habitué à la vie réelle, à la responsabilité de ses actes, s'il a vécu dans un milieu respectable, s'il a appris à respecter ses parents, ses sœurs, ou la famille de son maître.

D'ailleurs, il ne peut être question de continuer ce système dangereux qui consiste à tirer un jeune homme du collège pour le jeter dans une grande ville et le livrer à toutes les séductions, à tous les dangers. Ce système est faux et donne de détestables résultats. Ce jeune homme ne doit point être inscrit aussitôt à une école de droit ou de médecine ; son éducation n'est pas terminée, il la faut compléter par la vie d'université. L'université se placera entre le collège et les écoles d'enseignement professionnel. C'est là le vrai complément de l'éducation. On y enseignera la haute littérature, l'histoire naturelle, les sciences physiques, chimiques et mathématiques, les principes du droit, l'histoire, c'est-à-dire les matières disséminées aujourd'hui dans ces institutions sans élèves qui sont le Muséum d'histoire naturelle, le Collège de France et les Facultés des lettres et des sciences. Ainsi on fera vivre et fructifier un enseignement supérieur qui n'existe que de nom dans notre pays. Les jeunes gens y trouveront l'application de leurs études secondaires qui ne sont qu'une préparation pour une science plus élevée ; ils y trouveront le perfectionnement d'éducation qui fait défaut à la jeunesse française, et tous, médecins futurs, futurs avocats ou juges, futurs fonctionnaires de l'État, théologiens, artistes, professeurs, y puiseront en commun des connaissances également indispensables à tous. C'est là, après deux, trois ou quatre années d'études, que les écoles professionnelles de médecine et de droit prendront leurs élèves pour les appliquer à des études pratiques tout à fait spéciales.

Ce que nous demandons n'est pas nouveau, c'est tout simplement le retour à l'ancien système, à la tradition des vieilles universités.

Il ne faut pas croire que le séjour à l'université est une une perte de temps et recule le moment où l'étudiant entrera en possession d'une profession. Les plus vieux étudiants ne sont point ceux dont les études préparatoires ont été les plus complètes et qui se sont attardés à la culture des lettres ou des sciences ; ce sont ceux qui, sortis des collèges comme d'une prison, s'émancipent brusquement et font profession de ne plus travailler. Il en est qui, bacheliers à dix-huit ou dix-neuf ans, ne sont pas encore docteurs en médecine à trente ans ; ils prolongent cette vie d'étudiant sans direction, sans discipline, où le rôle de l'Université est de s'effacer et d'ouvrir des cours et de percevoir des frais d'études sans se soucier de savoir si les cours sont suivis ou non. Un étudiant français est un homme libre, un citoyen, un électeur, il a la liberté du bien et du mal, il paye l'instruction comme toute denrée et en use ou n'en use pas, à son gré. Où donc est l'alma mater, l'université?

Si cet état de choses est irrémédiable, du moins devons-nous demander qu'on ne livre les étudiants à ces hasards de la vie libre et sans direction, qu'après les avoir élevés, bien préparés dans les universités, où ils pourront avoir toujours accès comme dans leur famille, et venir se retremper. Ce doivent être là, pour les gens élevés, les cercles de l'avenir.


(...)

Référence.

P. Lorain (professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris), « L'instruction secondaire en France. Nécessité de changer la forme de notre enseignement secondaire. », La revue scientifique de la France et de l'étranger, 2e série, 1ère année, 1er trimestre, juillet-décembre 1871, Librairie Germer Baillère, Paris, 1871, p. 482 sq.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire