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lundi 29 août 2011

Les sentiments de malaise du psychisme, selon N.-V. de Latena, 1844.



SECTION III.

DES DIVERSES IMPRESSIONS PRODUITES SUR UNE ÂME FAIBLE PAR L'APPARENCE OU L'IMMINENCE D'UN DANGER.


Crainte, inquiétude causée par la prévision d'un événement fâcheux, ou gène de l'âme en présence d'un pouvoir qui impose.

La crainte se règle sur la conviction de la grandeur et de l'imminence du danger, ou sur la sévérité de la personne dont on subit l'ascendant.

Appréhension, idée d'un danger encore incertain.

L'intelligence qui a conçu des motifs d'appréhension, cherche les moyens d'en détourner la cause, et conserve ordinairement assez de calme pour les trouver.

Alarme, émotion excitée par l'approche subite d'un péril réel, ou par un péril imaginaire.

L'alarme, effet de la surprise, laisse peu d'empire à la réflexion, et s'abandonne à des démonstrations qui la propagent.

Peur, défaillance de l'âme, à l'aspect, ou à la seule pensée d'un danger, sentiment intime que l'amour-propre parvient souvent à cacher ; mais qui n'en fait pas moins battre le cœur et chanceler la raison.

La peur rend cruel. Elle exagère les périls, se croit toujours en état de légitime défense, et frappe, les yeux fermés.

On parle, avec plaisir, de ses dangers passés, soit pour exciter l'intérêt, soit pour faire croire à son courage. Plus on a eu peur, plus ce plaisir est grand.

Frayeur, peur pénétrante, intime, expansive. Les organisations sensibles et délicates en sont subitement atteintes, à la vue, ou seulement à l'apparence d'un péril inopiné. La frayeur se manifeste par des exclamations, par des gestes désordonnés, et même par la fuite. Quand on devient un peu plus calme, souvent on rit de sa frayeur.

La frayeur est si insensée, que, pour vous faire éviter un danger imaginaire, elle vous précipite dans un danger réel.

Terreur, profond abattement de l'âme devant un grand péril ou quelque événement mystérieux qui peut le faire craindre; sorte de paralysie de l'esprit et des sens qui empêche également de combattre et de fuir.

Effroi, sentiment qui étreint et glace le cœur, quand on est témoin d'une catastrophe imprévue, ou d'un attentat horrible dont soi-même on se croit menacé (1).

8° L'Épouvante succède à l'effroi, quand on est atteint par l'événement qui l'avait inspiré, et quand on n'entrevoit plus aucun moyen de salut.

Le danger qui a donné l'alarme peut aussi, en se réalisant, faire naître l'épouvante, et la rendre contagieuse.

SECTION IV.

DES DIVERSES SORTES DE MALAISE ET DE SOUFFRANCE INTIME DE L’ ÂME.


Ennui. L'ennui est, chez l'homme, le vide du cœur et de l'esprit, le regret d'une âme abattue, ou le désir indéterminé d'un égoïsme apathique. C'est aussi la prostration morale qui suit l'abus des jouissances physiques. C'est quelquefois enfin le sentiment amer que laissent les déceptions de l'orgueil.

L'ennui devient une maladie chronique dans les cœurs froids et sans ressort. Le mouvement des passions peut produire la souffrance et le désespoir, jamais l'ennui.

Plaignez l'homme qui n'a pas un but ; car l'incertitude de sa marche doit, tôt ou tard, produire en lui la fatigue et le dégoût de la vie. Nous avons vu quelle est la pernicieuse influence de l'ennui sur le cœur de la femme. Les âmes bienfaisantes, par nature, ne connaissent jamais cette atonie morale. Le désir d'être utiles, et le bonheur d'y parvenir remplissent leur existence. Les autres ne peuvent éviter l'ennui que par le travail, l'ambition, ou de dangereux plaisirs.

On résiste plus facilement à la douleur qu'à l'ennui. Quand on lutte contre les souffrances, on ajoute à la vie le prix des efforts qu'elle coûte; et l'on veut ensuite conserver ce qu'on a défendu. Mais quand l'ennui s'empare d'une âme, il en détruit l'activité, les penchants, les affections; et, s'il ne parvient seul à tuer le corps, il a quelquefois recours au suicide.

On doit plus compter sur la bonté que sur l'esprit d'une personne que tout amuse : mais il n'est pas facile de savoir ce qui l'emporte de la sécheresse du cœur, ou de la stérilité de l'esprit de celle que tout ennuie.

Souci, préoccupation causée par de tristes réflexions, par la gêne d'une position difficile, ou par la crainte de quelque événement fâcheux.

Trouble, désordre momentané qu'excite, dans l'esprit et dans les sens, l'impression vive et inattendue d'un fait ou d'un mot accusateur, d'une nouvelle qui déconcerte des projets et des espérances.

Embarras, incertitude de l'esprit, dans une circonstance qui exigerait une prompte décision. La lenteur ou la mobilité, et le défaut de netteté de l'esprit sont les principales causes de l'embarras. La faiblesse et la crainte y ajoutent l'irrésolution. L'embarras se trahit par l'hésitation de la parole, par la fixité d'un regard sans but, et par la nonchalance, ou l'activité maladroite du corps. Un événement imprévu peut causer quelque embarras ; mais un esprit vif et une âme forte l'ont bientôt surmonté.

Perplexité, irrésolution pénible d'un esprit obligé de faire un choix entre deux partis, entre deux sentiments, et qui ne trouve que le doute au bout de l'examen.

La perplexité est souvent une lutte entre le cœur et la raison.

Regret, retour pénible vers le passé, serrement de cœur produit par le souvenir d'une faute, par la privation d'un plaisir, par une espérance, une illusion détruites et par la perte des objets de nos affections ou de nos goûts.

Peine

Tribulations, peines diverses et multiples dont le poids accable les âmes débiles [fragiles], et fait chanceler les âmes fortes.

Certaines existences paraissent vouées aux tribulations, et ne peuvent trouver le courage de les supporter que dans une pieuse résignation.

Chagrin, continuité d'une peine profonde, sentiment qui absorbe toutes les pensées, émousse tous les goûts et altère l'humeur. Le chagrin est sombre et taciturne. Il fuit les regards, et se complaît dans la solitude.

10° Tourment, profonde angoisse de l'âme, torture que lui causent le remords, la jalousie, l'ambition déçue, l'amour contrarié, et toute inquiétude vive et prolongée.

Les âmes froides ou légères ne connaissent guère le tourment ; les âmes trop sensibles l'éprouvent souvent sans raison ; les âmes fortes le dominent quelquefois, au point de l'oublier, ou l'aggravent, en voulant le cacher.

11° Douleur morale. La douleur physique frappe le corps, et réagit sur l'âme ; la douleur morale frappe l'âme, et réagit sur le corps. Ces deux sortes de douleurs sont presque inséparables, et sont, l'une à l'égard de l'autre, tantôt la cause et tantôt l'effet.

La douleur physique est une sensation : nous l'avons expliquée. La douleur morale est un sentiment : nous devons en indiquer les principaux effets.

La douleur morale est le profond regret, le vide affreux que produisent, en nous, la perte de nos plus chères affections et les déceptions du cœur, ou même de l'amour-propre. Quand l'âme est vaincue par le chagrin, elle se replie sur elle-même, et s'abandonne à la douleur morale. L'empire de ce sentiment est subordonné à l'âge, à la santé et au caractère de chaque individu. L'enfance est trop insensible pour y être soumise ; la jeunesse y échappe par sa légèreté ; et si, dans la vieillesse, la personnalité tend à l'accroître, l'affaiblissement de la sensibilité le tempère. Mais c'est sur l'âge mûr que la douleur morale sévit avec toute sa cruauté. (…).

L'immobilité matérielle semble assoupir la douleur physique ; et, quand une main cruellement secourable cherche à donner au malade une position meilleure, chaque mouvement excite en lui une souffrance aiguë, et lui arrache un cri de détresse. De même l'isolement permet à la douleur morale de ronger le cœur par une action lente et presque insensible ; tandis que les empressements d'un intérêt irréfléchi en remuent les fibres engourdies, et lui causent un déchirement affreux. Les âmes vivement affectées s'irritent des consolations, comme d'un sacrilège, ou en souffrent, comme d'un coup porté sur une plaie saignante. Elles ne reçoivent, avec reconnaissance, que le délicat hommage du silence et des larmes.

Les consolations du monde ne sont bonnes qu'à mettre plus à l'aise le respect humain. La douleur qu'elles soulagent aurait bien pu s'en passer. (…).

La douleur dispose à la personnalité. Mais quand celui qui souffre a le courage de travailler au bien-être des autres, il sent aussitôt réagir sur son cœur le bien qu'il leur a fait.

Pourquoi les âmes s'unissent-elles plus étroitement dans la douleur que dans le plaisir? Parce qu'on se soulage, en faisant partager l'une, et que l'on craint de se priver, en faisant partager l'autre.

La douleur comble la distance entre le grand qui souffre et l'humble qui pleure avec lui. (…).

Pour les âmes faibles, la plainte est un soulagement ; car elle fait espérer un secours : pour les âmes fortes, c'est une douleur de plus ; car c'est un aveu d'impuissance. (…).

Le monde n'estime que les heureux ; et les rieurs sont toujours contre ceux qui se plaignent. Il est donc sage et digne de garder pour soi le secret de ses douleurs ; mais elles pèsent moins, quand un ami nous aide à les porter. (…).

Les souffrances imaginaires sont réelles, pour celui qui les sent. Il est cruel de s'en moquer. Les effets en sont d'autant plus redoutables qu'ils ne s'arrêtent pas au possible. On espère guérir d'un mal dont la cause est connue ; mais on se tue pour échapper à des tourments qu'on ne saurait expliquer. Quand le secours d'une raison bienveillante ne parvient pas à les calmer, l'ironie, en piquant l'amour-propre, peut quelquefois inspirer le courage de les vaincre. Ce remède est dangereux ; car, s'il ne guérit, il peut pousser au désespoir.

La jeunesse pleure amèrement la perte d'un ami, et s'en console, parce qu'elle en a, ou en trouvera un autre; qu'elle est distraite de sa douleur par l'attrait des plaisirs et la mobilité de ses impressions ; et que la mort lui semble, pour elle-même, un accident invraisemblable.

Le vieillard, qui voit tomber autour de lui les amis de son enfance, sait qu'il ne les remplacera pas, et que le terme de sa vie ne peut être éloigné. À cette pensée, un frisson parcourt ses veines, et la peur de mourir lui fait oublier ses regrets.(…). 

Une âme en proie à la douleur morale s'irrite de tout ce qui n'est point en harmonie avec ses sentiments. Un accent de joie, l'éclat d'un beau ciel, le calme d'une riante nature, l'épanouissement des fleurs, et le chant des oiseaux la blessent, comme une amère dérision. (…).

12° Malheur. Le malheur est un ensemble de maux qui pèsent sur l'âme. Il s'empare quelquefois de toute une existence, au point de faire croire à la fatalité ; et l'on meurt sans arriver aux chances favorables. C'est le sort d'un joueur dont la fortune s'est épuisée, avant la fin de sa mauvaise veine. S'il eût pu prolonger la partie, l'équilibre se serait peut-être rétabli. Cependant il est trop ordinaire de méconnaître l'influence que l'on exerce sur sa propre destinée, et d'en accuser des causes occultes. Que chacun juge froidement toutes ses actions, et il se convaincra souvent qu'il doit la plus grande partie de ses maux à ses erreurs ou à ses fautes. (…). 

Une prévoyance excessive gâte le bonheur présent et anticipe les peines éloignées, quand elle n'en crée pas d'imaginaires. Si la force d'âme nous fait supporter des maux irréparables, ne peut-elle renfermer les craintes de l'avenir dans le cercle des probabilités, et nous permettre ainsi de jouir du bien sans nous désarmer contre le mal ?

Quand le malheur est la suite d'une faute, il est bien cruel ; car la résignation vient difficilement à son aide, et il s'exaspère sans cesse par le regret ou le remords.

Le devoir est la force du malheureux, et l'espérance, sa consolation. (…).


SECTION V.

EFFETS VISIBLES DES SOUFFRANCES DE L’ÂME.


§. I. — Manifestations silencieuses.

Stupeur, engourdissement momentané de l'âme et des sens, espèce de syncope de l'esprit causée par l'étonnement ou la terreur.

Consternation, profond accablement de l'âme, à la vue d'une grande calamité, ou d'une catastrophe. Dans une même conjoncture, la première impression peut être la stupeur, et la seconde, la consternation.

Tristesse et mélancolie. La tristesse est le deuil de l'âme, le voile sombre dont la couvre un sentiment douloureux, ou bien une disposition naturelle à redouter la souffrance et à la trouver autant dans la crainte que dans la réalité.

Les signes apparents de la tristesse sont l'abattement, la morne expression du regard, le silence et l'amour de la solitude.

La tristesse énerve [affaiblit] l'âme, éteint l'esprit et donne du dégoût pour la plupart des objets qui ont coutume d'exciter le désir. Elle attiédit toutes les affections,... toutes, excepté l'amour.

La mélancolie est la sensibilité concentrée dans une tristesse habituelle, le découragement d'un cœur sans espérance et le reflet d'un passé douloureux sur le présent et sur l'avenir.

La tristesse se laisse distraire. Elle cède insensiblement à l'action du temps ; et, quand elle disparaît, un regret, ou un simple souvenir en marque le passage.

La mélancolie ne comprend pas le plaisir, et s'isole au milieu de la joie. Elle aime la rêverie, ne voit qu'un repos dans l'affaissement de l'âme, et ne veut pas guérir. Si un bonheur inespéré peut l'affaiblir, il ne peut l'effacer.

La tristesse est tantôt un mal accidentel, tantôt un mal constitutif dont l'excès peut inspirer le désir de la mort. La mélancolie est une douleur résignée où l'âme trouve quelquefois une sorte de douceur, mais qui, creusant toujours la même pensée, peut finir par y abîmer la raison.


§. II. — Manifestations vives ou violentes.

Contrariété, mécontentement et déplaisir de l'âme, à l'aspect des difficultés qui retardent, ou des obstacles qui rendent impossible l'accomplissement de ses désirs.

La force intelligente et digne supporte, sans murmure, les contrariétés; mais la faiblesse, stimulée par la personnalité, en témoigne une impatience puérile qui va jusqu'à l'irritation contre les objets inanimés et les lois de la nature.

L'âme s'indigne des petites contrariétés dont elle eût pu se préserver par un peu d'adresse ou de prévoyance. Mais elle se courbe sous le poids des grands malheurs où elle sent une cause supérieure à la puissance humaine.

Inquiétude, appréhension d'un danger déterminé, mais souvent imaginaire.

Les âmes tendres ne sont jamais sans inquiétude sur le bonheur de ceux qu'elles aiment, ni les âmes jalouses sur les sentiments qu'elles inspirent.

Anxiété, violente agitation d'une âme qui se croit menacée de quelque malheur prochain, sans s'expliquer par quel côté elle sera frappée. Quand, par hasard, un événement fâcheux vient justifier l'anxiété, on ne manque guère de l'appeler pressentiment.

Avec une grande sensibilité et une imagination mobile, on a toujours quelque motif d'anxiété; car on trouve probable tout ce qui est possible.

Affliction, état d'une âme tendre que le chagrin accable, et qui n'a plus la force de se relever. L'abattement que l'affliction produit est entretenu par le respect des souvenirs. La volonté n'y cherche point d'adoucissement; mais le temps, qui crée et détruit toutes choses, l'apporte, tôt ou tard, et sait le faire accepter.

Désolation, vive expansion des grandes souffrances de l'âme.

Lorsqu'une âme sensible et faible est frappée d'un malheur imprévu, toutes ses facultés s'exaltent, et font éclater, par la désolation, sa peine et ses regrets. La violence de cet état en fait pressentir le terme ; et bientôt, au milieu des larmes et des sanglots, la nature épuisée retombe dans un calme qu'elle aurait longtemps attendu de la seule raison.

Désespoir, état produit par le dernier degré de la souffrance, convulsion de l'âme, qui brise tous les liens de l'affection et du devoir, répugnance profonde pour toute espérance, excepté celle de la mort.


Note.

(1) Si nous sommes à l'abri du danger, nous n'éprouvons que de l'horreur.

Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p. 275-293.

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