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mardi 30 août 2011

Les qualités du coeur, selon N.-V. de Latena, 1844.



§ I. — Bonté.

La bonté est un penchant naturel à prévenir ou à calmer la souffrance. C'est la plus féconde des qualités du cœur. Toutes les autres en dérivent plus ou moins, et lui doivent leur principal mérite. À l'opposé de l'égoïsme, qui songe uniquement à se satisfaire, la bonté s'occupe du bien-être des autres; et, quand elle excite l'homme à quelque retour sur lui-même, c'est pour lui faire deviner, par ses propres goûts, ce qui pourrait leur plaire.

1° En quoi la bonté diffère de la bienveillance.

La bonté réside dans le cœur, et peut rester inactive, sans cesser d'être réelle et permanente. Le caractère bienveillant est une bonté expansive : mais la simple bienveillance est une bonté circonspecte et tout accidentelle, un choix du cœur, ou seulement le témoignage d'un intérêt plus ou moins vrai, plus ou moins durable (1).

La bonté se refuse à contribuer, sans nécessité, à la souffrance d'un être animé ; la bienveillance, pour quelques personnes, n'exclut ni la dureté, ni même la cruauté envers d'autres.

La bonté prend quelquefois des dehors froids et sévères ; la bienveillance, jamais. L'une veut être utile; l'autre songe surtout à plaire.

La bonté appartient au naturel ; la bienveillance est l'effet des habitudes et des mœurs sociales.

La première oublie les rangs ; la seconde les marque, en s'adressant aux inférieurs.

L'une est toujours sincère, l'autre peut être simulée.

2° Comment la bonté se manifeste par la pitié, par la compassion, par la commisération et par la charité.

Ces divers sentiments sont inspirés par la vue des souffrances d'autrui. Ils expriment, pour ainsi dire, les différents degrés de la bonté.

La pitié est un élan de sympathie, excité, dans notre âme, par la faiblesse, ou par les maux d'une personne placée dans une situation plus fâcheuse que la nôtre. La pitié s'émeut, à l'aspect ou au récit des misères des autres, et voudrait y apporter remède; mais souvent elle s'éteint, après cette première impression; et quand elle y survit, c'est comme auxiliaire de la bienfaisance, ou seulement comme un stérile souvenir.

Une pitié plus profonde et plus durable devient de la compassion. Elle associe celui qui l'éprouve à la souffrance qui l'inspire, et confond, dans un seul sentiment, un intérêt sincère pour les maux d'autrui et un retour douloureux sur ceux que l'on a soi-même éprouvés.

La commisération est une compassion tendre pour des maux que l'on a, au moins, la volonté de soulager.

La charité est un sentiment de commisération que la religion vivifie et féconde, en lui donnant pour motif la fraternité, et pour but la bienfaisance.

On naît bon ou méchant, c'est-à-dire enclin à faire du bien ou du mal à autrui : mais l'éducation et l'expérience peuvent modifier la tendance primitive. Souvent on n'est méchant que par défaut de réflexion ; car le contentement de l'âme que donne la bonté suffit pour en prouver l'avantage.

Pour rester bon, il faut considérer les méchants comme des insensés.

L'homme le meilleur est celui qui s'occupe le moins de son bien-être, et le plus du bien-être des autres. Les élans de son âme l'entraînent loin du cercle étroit de l'égoïsme. Il cherche à faire des heureux, sans calcul, et sans songer qu'il accomplit un devoir. Une impulsion naturelle le porte au dévouement; et la satisfaction qu'il y trouve est le seul sentiment qui le ramène au souvenir de lui-même. Si cet homme n'est pas le plus vertueux des hommes, je le répète, il est le meilleur.

Ne pas faire de mal à un être sensible est la loi de l'humanité; faire du bien, par goût, est une preuve de bonté ; rendre le bien pour le mal, est l'héroïsme de la charité chrétienne.

Un homme bon, après le plus excusable emportement contre une personne qu'il aime, ne tarde pas à montrer son regret par une excessive indulgence. Confus et attristé de sa colère, il s'efforce de la faire oublier. Il gardera plus longtemps rancune d'un tort léger sur lequel il se tait, que d'un tort grave dont il ose se plaindre.

Dans les âmes vulgaires, la bonté n'est souvent qu'un des effets de la faiblesse. Dans les âmes élevées, elle est le désir de faire des heureux ; et quelquefois, cachée sous l'apparence de la sévérité, elle se révèle, moins par l'action même, que par des résultats éloignés. Il faut avoir de la raison et du cœur pour discerner la vraie bonté.

Pensez beaucoup à vous, et trop peu aux autres pour contrarier leurs mauvais penchants, on vous croira bon. Efforcez-vous d'éclairer ceux qui s'égarent, on vous croira chagrin, et peut-être méchant.

Est-on fondé à se croire bon, quand on éprouve, seulement de temps en temps, quelques sentiments de bienveillance ? Comme on est fondé à trouver beaux les jours de printemps où le soleil brille, par intervalles, entre la grêle, la neige et les tempêtes.

L'homme, qui mesure son obligeance sur les avantages qu'il en pourra tirer, est un spéculateur ; celui qui la proclame est vain ; celui qui ne sait rien refuser est faible ; celui qui n'accorde qu'au droit est juste ; celui qui donne, pour le plaisir de donner, est libéral ; mais celui qui donne, pour faire du bien, est seul véritablement bon.

La bienfaisance subjugue également les âmes basses et les âmes nobles, les unes, pour un instant, par l'intérêt, et les autres, pour toujours, par la reconnaissance.


Un bon cœur, attristé par l'ingratitude, se distrait, en faisant encore des ingrats.

L'esprit attire, la bonté fixe. Leur alliance est d'un charme irrésistible.

Il faut être bon, sans réfléchir à ce qu'il en adviendra, si l'on ne veut pas devenir égoïste.

La compassion véritable ne se trouve que chez les malheureux. Mais souvent ils se réservent, à leur insu, une assez large part dans la pitié qu'ils montrent.

L'homme le meilleur, quand il éprouve une violente souffrance, n'accorde sa pitié qu'aux douleurs semblables à la sienne. Sa sensibilité ne s'émeut plus que de celles-là, pour les autres, comme pour lui-même.

La compassion est une habitude chez les hommes bons, une distraction chez les autres.

Il n'est permis de blâmer un malheureux qu'après l'avoir secouru.

La souffrance même a ses douceurs, quand on peut la confier à une femme qui sait y compatir.

Le pauvre, dans sa compassion, est ordinairement plus généreux que le riche : il comprend la misère.

Mais quelquefois l'exagération de la bienfaisance du pauvre n'est qu'une inspiration de sa vanité, ou qu'un blâme infligé à l'égoïsme du riche.

§ II. — Générosité.

La générosité est une bonté magnifique. Elle naît d'un penchant à faire le bien ; et va jusqu'à le rendre pour le mal. Mais elle ne parvient à ce sublime effort qu'en s'inspirant de la pensée de Dieu.

La générosité qui répand des bienfaits est moins rare que celle qui pardonne les injures. L'une est le mouvement d'un bon cœur, quelquefois une faiblesse ; l'autre est un triomphe de la force morale, un acte de vertu.

L'homme qui donne trouve son plaisir dans celui qu'il procure, et se préserve difficilement d'un peu de vanité. L'homme, qui dompte un juste ressentiment, fait taire sa vanité.

La véritable générosité, quelle qu'en soit la nature, ajoute au caractère et aux actions une noblesse dont la prodigalité insouciante, ou la dissimulation chercheraient vainement à se parer.

La prodigalité, qui passe trop souvent pour une sorte de générosité, n'est jamais qu'égoïsme, ou vanité. Un prodigue ne comprend ni ses devoirs, ni les droits d'autrui. Son caprice est sa loi. Tant qu'il répand de l'argent, il ne se croit que généreux. Quand il n'en a plus, il peut s'accuser d'imprévoyance; mais on l'étonnerait beaucoup, si on lui prouvait qu'il a manqué de délicatesse, peut-être de probité.

La générosité est très-compatible avec l'économie, et la lésinerie avec la prodigalité.

§. III. — Indulgence.

L'indulgence est une justice bienveillante qui, tout en condamnant l'infraction à la règle, tient compte de la faiblesse du coupable, et des circonstances de la faute.

La connaissance du cœur humain, la bonté, et surtout une haute raison produisent l'indulgence. Celui qui n'est point enclin à l'accorder est sévère, et quelquefois injuste.

L'indulgence pour autrui est souvent un pardon pour soi-même.

On doit être indulgent pour les fautes commises, et sévère pour le penchant qui peut y faire retomber.

§. IV. — Confiance.

La confiance est l'estime de soi étendue aux autres.

De la part de certaines gens, la confiance n'est qu'un besoin d'épanchement, un désir d'exciter l'intérêt. C'est une personnalité naïve.

La confiance trompée ne reprend jamais sa sécurité première.

§. V. — Reconnaissance.

La reconnaissance est le souvenir d'un bienfait ou d'une intention bienveillante. C'est une dette dont le cœur paye l'intérêt, même après s'être acquitté.

Des services réciproques ne se compensent pas ; car le mérite de l'initiative ne peut être effacé. Le bienfaiteur n'acquiert pas un droit absolu à la reconnaissance; mais elle est un devoir pour l'obligé. Aussi une âme fière est-elle beaucoup plus scrupuleuse sur le choix d'un bienfaiteur que sur celui d'un obligé.

L'ingratitude paraîtrait quelquefois excusable, si l'on pouvait apprécier les motifs du bienfait ; mais la pensée de les découvrir serait, de la part de l'obligé, un commencement d'ingratitude.

Le devoir seul (2) doit l'emporter sur la reconnaissance.

Quoique la reconnaissance ait son principe dans l'amour de soi, elle est presque l'opposé de l'égoïsme.

Le plaisir de recevoir un service s'ennoblit par l'affection qu'il inspire pour le bienfaiteur, et par le désir de le payer de retour. Dans les âmes généreuses, la reconnaissance n'est pas seulement le souvenir du bien qu'on a reçu : c'est un sentiment qui s'épure, en devenant presque étranger à son origine, et qui s'élève souvent jusqu'au dévouement le plus sublime. L'importance de la cause n'est rien alors pour l'effet. Le service n'est plus qu'un hasard qui a révélé l'une à l'autre deux âmes faites pour se comprendre et s'aimer. Il faut plaindre l'homme qui ne conçoit pas le désintéressement de la reconnaissance.

La reconnaissance fait naître l'affection, et l'affection fait vivre la reconnaissance. L'âme tire de leur union la plus noble et la plus douce de ses voluptés.

Un orgueilleux semble moins disposé à la reconnaissance, pour un service qu'il reçoit, que pour un service qu'il refuse. Dans le premier cas, ce sentiment lui pèse, comme un devoir ; dans le second, il s'en glorifie, comme d'un acte de générosité.

Celui qui se hâte de rendre un service pour un service, est souvent moins dirigé par la reconnaissance, que par l'envie d'en être dégagé.

La crainte d'être ingrat peut étouffer, dans un cœur délicat, les plaintes les plus légitimes. Aussi c'est une lâcheté d'abuser de la reconnaissance.

Les services reçus, comme les objets matériels, nous semblent moins grands, à mesure qu'ils sont plus loin de nous.

Celui qui pèse, avec soin, l'avantage qu'il a retiré d'un bienfait, pour y proportionner sa reconnaissance, est un acheteur qui, après avoir bien marchandé, paye avec de la fausse monnaie.

Il est très-habile d'exagérer sa reconnaissance pour de légers services, quand celui dont on les a reçus peut en rendre de plus grands.

Dans une reconnaissance calculée, on déduit ordinairement du prix des services qui l'imposent celui des autres services qu'on a vainement espérés. Certaines gens paraissent croire qu'un bienfait engage le bienfaiteur plus que l'obligé.

Tel service, en apparence désintéressé, n'-est souvent qu'un prêt dont on espère se faire rendre le centuple. Avant de recevoir, connaissez bien celui qui donne.

Les grands croient avoir payé le dévouement, quand ils ont daigné l'apercevoir.

Faire sentir ses droits à la reconnaissance, c'est changer en devoir un sentiment, en salaire un tribut du cœur.

Un bienfaiteur délicat ne rappelle jamais les services qu'il a rendus; mais il ne trouve pas mauvais qu'on s'en souvienne.


Notes.

(1) La bienveillance est un sentiment de l’homme social. (Voir le livre IV, chapitre IX, section 1, 2°.) Il a paru utile de la mettre ici en parallèle avec la bonté, pour faire comprendre exactement la nature de chacune d'elles, et les différences qui les distinguent.
(2) La véracité du témoin, l'impartialité du juge, la vertu de la femme.

Référence. 

Nicolas-Valentin de Latena, Étude de l'homme, Garnier Frères, Paris, 1854, p.295 - 307.

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