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vendredi 1 juillet 2011

L'Islam, présentation de 1888.


Voici deux textes de 1888, présentant la religion musulmane aux lecteurs européens. Ernest Fallot, qui fut chef du service du commerce et de l'immigration à Tunis, présente le « clergé » musulman, en se référant particulièrement au cas tunisien.


A) Lettre du Cheikh-ul-Islam Ahmed Essaad.

 Constantinople, le 10 janvier.

Le Cheikh-ul-IsIam vient de publier un curieux document dont je vous envoie une traduction. C'est sous forme de lettre adressée à un fonctionnaire allemand qui demandait à se faire musulman, que le premier dignitaire de l'islamisme, après le Sultan, a cru devoir faire connaître la valeur de sa religion et sa morale. Il faut remarquer qu'il termine sa lettre en plaçant tous les musulmans sans distinction de pays sous la haute juridiction du Calife du Prophète, le Sultan, théorie qui a trouvé certains contradicteurs parmi des chefs musulmans et qui a empêché jusqu'ici la création du panislamisme.

Effendi.


« La lettre par laquelle vous demandez à être admis au sein de la religion musulmane nous est parvenue et nous a causé un vif contentement. Les réflexions que vous nous présentez a cette occasion nous paraissent dignes d'éloges. Toutefois, nous devons vous faire observer que votre conversion à l'islamisme n'est nullement subordonnée à notre consentement; car l'islamisme n'admet point entre Dieu et ses serviteurs des intermédiaires tels que le clergé. Notre devoir, à nous, ne consiste qu'à donner au peuple l'enseignement religieux et à lui apprendre ce qu'il ignore. Par suite, la conversion à l'islamisme ne comporte aucune formalité religieuse et ne dépend de l'autorisation de personne: pour l'obtenir, il suffit de croire et de proclamer sa croyance.

« En effet, la religion islamique a pour base la foi en l'unité de Dieu et en la mission de son serviteur le plus cher, Mohammed (que Dieu le comble de ses bienfaits et lui accorde le salut), c'est-à-dire qu'il faut confirmer en conscience cette foi et l'avouer par la parole, en répétant le verset arabe qui l'exprime : «Il n'y a qu'un Dieu et Mohammed est son Prophète. » Celui qui fait cette profession de foi devient musulman, sans qu'il soit besoin de l'approbation ou du consentement de personne...

« Voilà la définition sommaire de la foi ; maintenant entrons dans quelques développements.

« L'homme qui est supérieur aux autres animaux par son intelligence, a été tiré du néant pour adorer un Créateur. Cette adoration se résume en deux mots : honorer les ordres de Dieu et compatir à ses créatures. Cette double adoration existe dans toutes les religions. Quant à sa pratique, les religions diffèrent au point de vue de la règle, de la forme, du nombre plus ou moins grand des rites, des temps, des lieux, des conditions et des ministres. Mais l'intelligence humaine ne suffisait point pour connaître la manière de prier de la façon la plus digne de la gloire divine. Dieu, dans sa clémence, en accordant à certains êtres humains le don de prophétie, en leur envoyant, par l'intermédiaire de ses anges, l'inspiration des écrits et des livres, et en révélant ainsi la vraie religion, a comblé ses serviteurs de ses bienfaits.

« Le livre de Dieu qui est descendu le dernier du ciel, est le Coran sacré, dont les dispositions invariables, précieusement conservées dès le premier jour dans des volumes écrits et dans la mémoire de milliers de récitateurs, dureront jusqu'au jour du jugement dernier.

« Le premier des Prophètes a été Adam, et le dernier, Mohammed (que Dieu leur accorde le salut). Entre ces deux Prophètes, bien d'autres ont passé sur la terre : leur nombre n'est connu que de Dieu seul. Le plus grand de tous est Mohammed ; après lui viennent Jésus, Moïse et Abraham (que Dieu leur accorde le salut !)

« Tous ces Prophètes ont menacé leurs fidèles du jour du jugement dernier ; aussi faut-il croire que les morts ressusciteront, qu'ils comparaîtront devant le tribunal de Dieu pour rendre leurs comptes et que les élus seront envoyés au paradis et les coupables en enfer. Toutes les actions de chacun en ce monde seront ce jour-là examinées une à une, et quoique tous les actes des soldats qui combattent pour la guerre sainte, même leur sommeil, soient considérés comme une prière, ceux-là aussi seront obligés au jour du jugement dernier de rendre leurs comptes,. Il n'y a d'exception que pour ceux qui meurent pour la sainte cause, c'est-à-dire pour les martyrs, qui, sans interrogatoire, iront au paradis.

« De même il faut attribuer, comme un article de foi le bien et le mal qui nous arrivent à la Providence de Dieu. Le croyant doit avoir foi en Dieu, en ses anges, en ses livres, en ses Prophètes, au jugement dernier, et attribuer le bien et le mal à la volonté divine. Celui qui professe ces vérités est un vrai croyant, mais pour être un croyant parfait, il faut accomplir ses devoirs, prier Dieu et éviter de tomber dans des péchés, tels que le vol. l'assassinat, l'adultère, la sodomie. Outre la profession de foi dont nous avons parlé plus haut, un bon musulman doit prier cinq fois par jour de vingt quatre heures, distribuer chaque année la quarantième partie de ses biens aux pauvres, jeûner pendant le mois de ramadan et faire une fois dans sa vie le pèlerinage de la Mecque.

« Si un croyantpécheur, c'est-à-dire comme un croyant égaré, et aura mérité, dans l'autre monde, une punition provisoire. Il reste à la disposition divine : Dieu lui pardonne, ou le condamne à passer en enfer un laps de temps en proportion avec les fautes commises.

« La foi annule tout péché ; celui qui se convertit à l'islamisme devient innocent comme s'il venait de naître, et il n'est responsable que des péchés qu'il commet après sa conversion. Un pécheur qui se repent et qui sollicite en personne de Dieu la rémission de ses péchés, obtient le pardon divin.
Seulement les droits du prochain font exception à cette règle. Tout le monde est responsable sans exception vis-à-vis de son prochain, et pour éviter cette responsabilité que l'on retrouvera tôt ou tard, il n'y a qu'un moyen, celui d'obtenir le pardon de l'ayant droit. En tous cas, quelqu'un, pour se faire pardonner ses péchés, n'a pas besoin de l’intermédiaire d'un directeur spirituel.

« Tout cela paraît fort étrange aux peuples habitués au régime sacerdotal... Dans la religion musulmane, l'enfant naît musulman ; son père ou le chef de la famille lui donne un nom. Lorsqu'ils veulent contracter mariage, l'homme et la femme ou leurs mandataires seuls s'engagent en présence de deux témoins ; les contractants ne sont que les intéressés ; d'autres que ceux-là ne peuvent intervenir dans le contrat ni s'y associer. Un musulman prie tout seul, dans tous les lieux à sa convenance, et il implore directement Dieu pour la rémission de ses péchés ; il ne les confesse pas à autrui et il ne doit pas le faire. À sa mort les habitants musulmans de son quartier ou de sa ville sont obligés de le mettre dans un linceul et de l'inhumer. Tout musulman peut accomplir ce devoir, la présence d'un chef religieux n'est pas nécessaire. En un mot, dans tous les actes religieux, il n'y a pas d'intermédiaire entre Dieu et ses serviteurs...Il faut apprendre les dispositions révélées de la part du Créateur par le Prophète et agir en conséquence. Seulement l'accomplissement de certaines cérémonies religieuses est subordonné à la permission du Calife du Prophète, du Commandeur des Croyants, attendu que la tenue des cérémonies islamiques est un de ses attributs sacrés. L'obéissance à ses ordres est un des plus importants devoirs religieux. Quant à notre mission, elle consiste à administrer en son nom les affaires religieuses qu'il nous a confiées.

« Une des choses auxquelles tout musulman doit être attentif est la droiture dans le caractère ; révérer les grands et compatir aux faibles sont des préceptes islamiques.

« Que Dieu accorde le salut et le succès à celui qui est touché de la grâce divine.

Le Cheikh-ul-IsIam AHMED ESSAAD.

Constantinople, 18 rebi-ut-akhir 1305 (3 janvier 1888). »


Journal des Débats, 18 janvier 1888, p. 2.


B) Présentation d'Ernets Fallot.

L'islam se divise en quatre rites orthodoxes qui ne diffèrent que par l'interprétation de certains dogmes secondaires. Ce sont : le hanéfite, le malékite, le chafaïte et le humbélite ; chacun d'eux a pris le nom de son fondateur Les chiaïtes, descendants des partisans d'Ali, gendre de Mohammed, sont considérés comme hérétiques. Les deux premiers rites sont les seuls représentés en Tunisie. Les adhérents du rite malékite sont les plus nombreux ; le rite hanéfite a été importé par les Turcs : c'est à lui que se rattachent S. A. le Bey et la famille beylicale. Les Djerbiens et les Mozabites seuls sont
chiaïtes.

Le rôle du clergé musulman est clairement défini dans le document auquel sont empruntés les extraits cités plus haut :

« Notre devoir à nous, (les membres du clergé), dit le Cheik-ul-Islam, ne consiste qu'à donner au peuple l'enseignement religieux et à lui apprendre ce qu'il ignore.»

Le prêtre porte le nom d'imam, qui signifie président, parce que c'est lui qui préside à la prière publique.À l'heure du culte les fidèles se rangent en lignes et debout dans les mosquées, en regardant du côté d'un enfoncement de la muraille qu'on appelle mirab, et qui indique la direction de La Mecque. En face d'eux se tient l'imam qui récite la prière à haute voix et indique les génuflexions que suivent tous les assistants. Certains imams sont spécialement chargés de la prédication. À la tête du clergé hanéfite est placé le Cheik-ul-Islam; il a un droit de préséance sur le bach-mufti, chef du clergé malékite. Les mosquées de Tunis sont réparties entre les deux rites. Il n'existe pas de budget des cultes, chaque mosquée étant entretenue par les revenus de fondations pieuses inaliénables.

Le titre de Ahalem (pluriel Oulema) est un titre scientifique, mais qui suppose surtout des connaissances théologiques étendues. Il s'acquiert par un examen et permet à ceux qui en sont revêtus de postuler certaines fondions qui leur sont réservées, telles que celles de professeurs dans les mosquées. Les Oulémas jouissent d'une très-grande considération. Ils ont le droit, dans des circonstances graves, de présenter des observations au Souverain, si sa conduite politique leur paraît de nature à mettre en danger les intérêts de la religion.

On appelle chorfa ( au singulier chérif) les descendants du Prophète. Ils peuvent seuls porter un turban vert, signe visible de leur noble origine.

Le marabout est un homme qui s'est fait remarquer par ses vertus et par sa piété : c'est le « croyant parfait » dont parle le Cheik-ul-Islam de Constantinople. Un tel homme est de son vivant l'objet de la vénération des fidèles. Après sa mort, ses descendants bénéficient du même respect, jusqu'à ce que l'un d'eux s'en montre indigne par ses vices ou ses crimes et soit voué au mépris public. Il s'est ainsi constitué en pays musulman une sorte de noblesse religieuse héréditaire, mais qui peut se perdre par l'indignité notoirement reconnue du titulaire.

Quelques-uns des plus fameux parmi ces saints de l'islam ont fondé des confréries religieuses. Ces associations n'ont aucune idée théologique qui leur soit propre ; elles ont pour but simplement d'entretenir l'esprit religieux et la fidélité aux prescriptions du Prophète. Les adhérents ou akhouann (frères) choisissent pour patron le fondateur de l'ordre, contribuent par leurs dons à la prospérité de son œuvre et ajoutent aux prières obligatoires, une prière particulière qu'il a composée et qui devient le signé de ralliement de la confrérie tout entière. Le fondateur commence par construire, dans un lieu convenablement choisi, une mosquée dont il est le desservant. Dans les bâtiments environnants, il ouvre une école où il enseigne surtout le Coran, et il offre une large hospitalité aux pèlerins de passage et aux voyageurs pauvres ; il distribue enfin aux malheureux d'abondantes aumônes. Cette institution, à 1a fois lieu de culte, école et établissement de bienfaisance, s'appelle une zaouia. Pour subvenir aux dépendes qu'elle entraîne, le marabout fait des collectes, ou envoie ses disciples quêter au loin parmi ses adeptes. Lorsque la confrérie s'est accrue et a réuni dans un pays de nombreux adhérents, le chef envoie un mokadem (délégué) y fonder une nouvelle zaouia, succursale de la maison-mère. C'est ainsi que l'ordre peut progresser et s'étendre de proche en proche jusqu'aux extrémités du monde musulman. Certaines confréries sont extrêmement riches et puissantes et mettent leur influence au service d'une action politique.


Ernest Fallot, Notice géographique, administrative et économique sur la Tunisie, impr. de C. Fath, Tunis, 1888, p. 36-41.




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