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dimanche 3 juillet 2011

Définition de l'orgueil par le Dr F. Poujoul, 1857.



ORGUEIL (qualité bonne ou mauvaise), Orgueilleux.


On a fait le mot orgueilleux synonyme d'altier, fier, hautain, vain ou vaniteux, et cela parce qu'on a cru remarquer que toutes ces différentes dénominations, appliquées aux sentiments du cœur et de l'esprit, plus qu'à ceux de l'âme (à moins qu'elle ne soit aveuglée par un sot amour-propre), expriment également, mais à un degré plus ou moins prononcé, une certaine présomption de l'homme qui, se croyant supérieur aux autres hommes, voudrait le persuader à tout le monde.
Il est certain que si, de cela seul que cette définition s'applique également aux termes orgueilleux, altier, fier, hautain, vain ou vaniteux, on devait admettre rigoureusement leur synonymie, ces expressions seraient Toutes parfaitement synonymes entre elles; mais comme Toutes n'ont pas dans les traits qui les caractérisent une identité parfaite, je dirai quels sont les points de ressemblance qui les rapprochent, tout comme les nuances qui les séparent, nuances si minimes parfois, qu'il semblerait inutile de nous y arrêter. Nous nous y arrêterons cependant, ne fût-ce que pour faire connaître quelle a été l'opinion des écrivains à ce sujet.
Mais avant tout je vais m'attacher à décrire l'orgueil considéré en lui-même et séparé de tout autre sentiment, même de ses synonymes, afin d'en donner une idée plus précise, qui nous serve de terme de comparaison.

À mon sens, avoir de l'orgueil, c'est accorder à soi-même une certaine estime; posséder un amour-propre bien placé, ou une fierté digne, qui nous rend susceptibles, irritables même, pour tout ce qui touche à notre existence morale, et peut nous dégrader dans notre propre opinion et dans celle d'autrui.
Telle est la disposition dans laquelle tous les hommes devraient être maintenus, jusqu'à ce qu'ils aient acquis la pleine conscience, l'entier discernement du bien et du mal, de ce qui est juste et convenable, tout comme de ce qui n'est ni juste ni convenable ; ce qui a fait dire de cette disposition, qu'elle est la Pudeur De La Moralité. À coup sûr, ce n'est pas de cet orgueil-là qu'on dira que c'est un défaut. Au contraire, puisque cette disposition ou pudeur de la moralité, a, de tout temps, été le partage des âmes nobles, des cœurs purs, qui, s'ils ont su la conserver, éprouvent d'abord inévitablement ce sentiment qui porte toute créature animée à s'estimer, à se respecter elle-même, c'est-à-dire à avoir de l'estime et du respect pour elle-même, tout en se faisant aimer et respecter par autrui, ce qui doit nécessairement lui donner, en face de ses semblables, une position digne et l'assurance nécessaire pour parler et agir avec efficacité.
Mais le mal ou le vice de l'orgueil se montre, ce défaut commence à se manifester du moment où, franchissant les bornes que nous lui avons posées, l'amour de soi-même, exagère à un tel point dans un individu l'estimation de sa valeur personnelle, que, soit par la réflexion des avantages, des qualités ou des mérites qu'il croit posséder, soit par la supériorité irréfléchie qu'il s'arroge, toute proportion cesse d'exister entre la réalité et l'opinion qu'il en a conçue. Dans ces circonstances, l'homme s'exalte par l'effort de son propre esprit, par la contemplation incessante de lui-même, et faisant une fausse application du Nosce teipsum, connais-toi toi-même, ou mieux une fausse appréciation de ce qu'il vaut réellement, il se remplit, il se gonfle ! Et comment pourrait-il en être autrement, alors que son moi devient l'objet de sa passion ; qu'il y pose son désir, son amour, sa vie ; alors que, comme dans tout sentiment passionné, son cœur est dominé par ce qu'il aime en lui, qu'il jouit en secret ou aux yeux de tous, du bonheur de se posséder, qu'il croit en lui-même, qu'il admire naïvement sa propre excellence, et manifeste tout aussi naïvement son admiration et sa joie ! Dès lors, il n'est pas étonnant qu'en général l'orgueilleux soit tellement sûr de lui, ait une telle conviction des bonnes qualités de sa personne, qu'il ne croit pas avoir besoin de l'approbation des autres ; il trouve sa gloire en lui-même, et il lui importe peu qu'elle se trouve aussi dans leur opinion, puisque ce lui est une grandeur de plus que de s'en passer. Quoi qu'il en soit, l'orgueil a plusieurs nuances principales, suivant qu'il est ou n'est pas limité ; de là les qualifications de noble orgueil, ou, par opposition, de sot orgueil, ou même d'orgueil ridicule, etc., selon les prétentions et les tendances des orgueilleux.
À la rigueur, ces prétentions ou ces tendances peuvent tenir aux sources diverses auxquelles l'orgueil puise son origine, et qui lui impriment, chacune en particulier, une sorte de cachet spécial, qui sert à faire reconnaître les idées dont il s'est bercé. Ainsi, pour si peu qu'on ait vécu, vu, observé et réfléchi, on se sera inévitablement aperçu que toute personne qui s'estime naturellement au delà de ce qu'elle vaut, est originellement remplie d'orgueil en toutes choses, mais plus particulièrement pour telle ou telle chose : ainsi l'un s'engoue pour les avantages extérieurs; l'autre pour les qualités purement naturelles ; la plupart pour des talents futiles, etc., ce qui n'étonnera personne, si l'on considère un instant, et c'est chose que l'on a remarquée, qu'en général ce sont les petits esprits et les ignorants qui se font le plus d'illusions à leur endroit.
Du reste, l'orgueil s'accroît, et cela devait être, en proportion de l'ignorance. Aussi rencontre-t-on l'orgueil le plus crû dans les derniers rangs de la société.
De même l'orgueil de l'artiste est ordinairement en raison inverse de son talent et de l'importance de son art. Ceux qui ont du génie sont en général les plus modestes, ou les moins orgueilleux. Comme ils sont en rapport avec l'idéal, ils jugent mieux ce qui leur manque, et ils se croient à une grande distance de la perfection. Aussi ne sont-ils jamais contents d'eux ni de leurs œuvres, le sentiment de leur infériorité, en face de l'idéal, les rabaisse à leurs propres yeux.
L'artiste sans talent ne comprend au contraire ni la nature, ni l'idéal, ni l'art. Mettant tout son travail dans une œuvre, il y met aussi son amour-propre, il l'estime en raison de la peine et des efforts qu'elle lui a coûtés. Il s'infatue de son ouvrage comme de lui-même, et n'ayant aucune idée du parfait, il ne conçoit pas qu'on puisse faire mieux que lui. Il n'admet ni conseil ni critique, parce qu'il se croit le meilleur juge, et c'est une raison de plus pour qu'il ne sorte jamais de sa médiocrité. Les arts les plus futiles, ceux qui contribuent le moins à a perfection de l'esprit et de l'âme, et dont le but est plutôt de plaire ou même d'amuser, que d'instruire ou de perfectionner, sont justement ceux qui exaltent davantage l'orgueil, et donnent lieu aux prétentions les plus exagérées et les plus burlesques. Les petits poètes, les musiciens, les chanteurs, les comédiens, les danseurs, les histrions et les baladins de toute espèce sont communément les hommes les plus convaincus de leur mérite, et ils s'indignent qu'on ose le mettre en doute. De là leur grande susceptibilité, et par suite leurs jalousies et leurs collisions.
Nous avons encore l'orgueil de la naissance. Il peut être utile quand il est renfermé dans de justes bornes. Son utilité provient de la solidarité naturelle entre les parents et les enfants. C'est la même vie, le même sang, la même chair, et ainsi il doit exister entre eux une communauté d'honneur et de gloire, comme il y a une communauté de fortune et de biens. On hérite du nom de ses ancêtres aussi bien que de leurs richesses, et, pour un cœur généreux, un nom pur et glorieux est le plus précieux des héritages. Dans tous les siècles et chez tous les peuples, les descendants ont été excités à bien faire par la mémoire des actions de leurs aïeux. Les traditions de famille et jusqu'aux images des ancêtres ont partout servi d'aiguillons au courage et à la vertu. C'est une fierté bien placée, un noble orgueil, que de vouloir conserver et transmettre sans tache le nom recommandable qu'on a reçu. Il en résulte dans la société une propagation d'honneur et de vertu qui est un des meilleurs gages de la perpétuité des familles et de la consolidation de l’État.
Mais l'orgueil nobiliaire tourne au vice quand il s'infatue de la noblesse du sang au point de la mettre au-dessus de tout, et de croire qu'elle tient lieu de mérite. Alors viennent les prétentions exagérées de ce qu'on appelle la caste privilégiée. En général, ce n'est point l'ancienne et bonne noblesse qui s'en targue le plus, mais la plus récente et la moins glorieuse, celle qui s'achète, la noblesse des parvenus.
Il en est de même de l'orgueil du pouvoir et de la richesse, avantages encore plus extérieurs que celui de la naissance qui est au moins dans le sang: car la puissance et la fortune s'acquièrent de mille manières et souvent par des moyens peu honorables. La société actuelle, bouleversée, refondue, et sans cesse agitée par les révolutions, nous présente bien des exemples de la pédanterie du pouvoir et de l'infatuation de la richesse.
L'orgueil se présente donc sous un bon et un mauvais aspect. Pris en mauvaise part, on le reconnaît en ce que l'orgueilleux n'est jamais équitable ; toujours il s'exagère son propre mérite et rabaisse celui des autres. Comment pourrait-il se peser à son propre poids, quand c'est lui qui lient la balance? Il jouit de lui-même avec toute la naïveté de la plus profonde admiration. Il se croit tellement supérieur aux autres, se complaît tellement en lui-même, qu'il dédaigne l'estime et les suffrages. Son âme se gonfle dans la contemplation intime de sa propre valeur; il croirait être faible s'il se souciait de l'approbation d'autrui.
Le propre de notre orgueil, dit Aristote, est de nous cacher à nous-mêmes. Égal dans tous les hommes, il n'y a de différence qu'aux moyens et à la manière de le mettre à jour. L'ambition, la vanité, la présomption, sont les branches de l'orgueil. Cette malheureuse tige a sa racine dans le cœur de l'homme, et il n'est pas jusqu'au paganisme qui n'ait connu cette vérité, sinon dans son principe, du moins dans ses effets. Ambitionis vitium singulos occupat.
L'orgueilleux a la démarche fière et assurée, les yeux élevés comme pour commander, les bras écartés du tronc comme pour occuper plus d'espace et se dilater davantage. Il regarde d'en haut, parce qu'il se croit supérieur; de côté et d'autre, comme pour juger ce qui l'entoure. Quelquefois le signe de la pitié méprisante ou du dédain se montre sur son visage. Il parle peu, et son langage vise toujours à établir vis-à-vis d'autrui la supériorité qu'il s'attribue. Le moi est dans ses habitudes ; il manque d'égards pour tout le monde, parce qu'il croit n'en devoir à personne. Il est original, singulier, parce qu'il ne s'astreint pas aux usages et aux règles vulgaires; quelquefois il devient insolent, brutal. Il est rarement défiant, il croit qu'on lui rend suffisamment justice ; il parle de ses bonnes actions et les fait ressortir par le contraste du mal que font les autres.
L'orgueil, avons-nous dit, a des points de ressemblance intimes avec la fierté, la vanité, etc., etc. Elle a aussi des ressemblances manifestes avec elles ; quels sont-ils et quelles sont-elles ?
La ressemblance qu'il y a entre l'homme fier et l'homme orgueilleux, c'est que l'un et l'autre peuvent être mus par un sentiment louable, noble même, et constituer, quand la fierté et l'orgueil sont bien réglés, une qualité, une vertu. Ainsi on peut dire également d'une âme fière qu'elle a de la grandeur, et d'un cœur orgueilleux qu'il a de la noblesse, quand celte fierté et cet orgueil tiennent à l'estime méritée que chacun a de soi-même.
Ce n'est pas tout : tous les deux doivent, pour que la fierté de l'un ou l'orgueil de l'autre puissent être approuvés, non-seulement être entièrement contents d'eux-mêmes; mais encore ne pas manquer de cœur, être bons amis, n'adresser leur amitié qu'à la personne seulement ; bref, avoir bien des qualités et de bons sentiments qui effacent les quelques légers défauts qui pourraient venir les déparer, et dont, hélas ! personne n'est exempt.
Néanmoins, je doit le redire, la fierté comme l'orgueil suppose parfois nécessairement un petit esprit. Est-elle dans les manières, on la rencontre chez les sots et les ignorants seulement, car le vrai mérite n'a pas besoin de fierté. Cependant, et cela prouve combien nous sommes faibles, que de gens de mérite qui sont assez fiers pour désirer que tous ceux qui sont en relation avec eux soient riches comme eux, et qui ont honte de leurs parents et de leurs amis ! (Hume.) Donc, sous tous les rapports, la fierté comme l'orgueil a un bon et un mauvais côté, et il n'est pas étonnant qu'on les ait faits synonymes. J'ai peint l'homme fier et l'orgueilleux avec leurs qualités et leurs défauts. En quoi diffèrent-ils du glorieux ? En ce que celui-ci n'est jamais dirigé par des intentions honnêtes. Il songe peu à être content de lui, pourvu qu'il soit certain de contenter les autres. Faible et sans courage, il n'a que les prétentions de persuader à autrui qu'il est brave et fort. Il joue les vertus qu'il ne possède pas, qu'il ne se soucie même pas de posséder pour en imposer à la multitude. N'aimant personne, pourrait-il avoir des amis ? Aussi, s'en soucie-t-il fort peu, ou s'il s'en soucie, s'il cherche à former quelque liaison, il s'attache plutôt à l'éclat qu'au mérite de la personne. Sous ce rapport, le glorieux se rapproche beaucoup de l'homme hautain, qui, comme lui, a un air impérieux et contraint. Peu fait pour commander, on le reconnaît aisément à son maintien froid et grave, à sa démarche lente et mesurée; à ses gestes rares et étudiés, et à son extérieur composé. On dirait que son corps a perdu la faculté de se plier. Voy. HAUTEUR.
Bienveillant chez lui pour ceux qui lui témoignent des égards, le glorieux témoigne à son tour qu'il fait quelque cas de vous; mais le retrouvez-vous dans le monde, dans un salon, soyez sûr qu'il ne vous verra pas. Il ne reconnaît en public que ceux qui, par leur rang, peuvent flatter son amour-propre. Sa vue est si courte, comment pourrait-il distinguer les autres ? Aussi, n'est-ce pas sans raison qu'on a dit des glorieux : « Ils sont comme des ballons, brillants et vides. » Voy. GLORIEUX. Quant à la personne vaine, sa manière d'être, dans le monde, ne diffère point de celle des gens hautains, fiers et glorieux. À leur exemple, elle recherche la société de ses supérieurs, s'imaginant que la grandeur de ces hommes haut placés peut se réfléchir sur tous ceux qui s'en approchent.
Est-elle admise à la table des grands, elle en tire vanité, et fait parade de la familiarité dont ils l'honorent. Mais si la fortune les abandonne, elle est des premières à fuir elle éviterait même son meilleur ami en pareille circonstance. Rampant et flattant tout ce qu'il y a de comme il faut ; témoin chaque jour des hommages et du respect que l'on accorde généralement au rang et à la fortune ; la vanité aime à fréquenter les grands et les riches, espérant usurper à son profit ce respect, aussi bien que celui que les vertus et les talents obtiennent, et c'est pour y réussir qu'elle étale dans ses vêtements, dans ses équipages, dans son genre de vie, un faste bien au-dessus de sa condition et de sa fortune réelle. De telle sorte que, pour soutenir pendant la première moitié de sa vie ces manières trompeuses et extravagantes, elle se réduit pour l'autre moitié aux embarras et à la misère.
Bref, l'homme vain n'a pas la moindre sincérité dans ses actions, ni dans le fond de l'âme ; il est rarement convaincu de sa supériorité ; aussi voudrait-il que les autres le jugeassent plus favorablement qu'il ne peut se juger lui-même, s'il se met à leur place, même avec la conviction qu'il en est parfaitement connu.
S'il a rendu quelque service, il le rappelle à la personne qui l'a reçu et la force d'en convenir à la vue de tout le monde... N'attendez pas qu'un homme de cette espèce vous aborde et qu'il vous parle le premier. (Théophraste.)
On le voit par ce qui précède, l'orgueilleux diffère des autres en ce que celui-là du moins ne flatte Jamais ceux qui sont au-dessus de lui, et c'est à peine même s'il est poli avec eux. Pour lui, gêné avec ses égaux et ses supérieurs, il n'est jamais mieux à l'aise qu'avec ses inférieurs, dont le commerce est le seul qui puisse lui plaire. Aussi, loin de s'abandonner aux folles dépenses des vaniteux, il trouve dans le sentiment de sa propre dignité de quoi justifier son indépendance. Et si sa fortune est bornée, tout en étant rangé dans ses dépenses, il manque rarement d'être attentif à la considération qu'elles donnent.
Ce n'est pas la seule différence qui distingue le vaniteux et l'orgueilleux : car celui-ci est toujours sincère ; il croît au fond de son cœur qu'il a réellement une supériorité incontestable, sans pouvoir dire sur quoi elle est fondée, et ne désire rien autre chose que d'être vu par les autres tel qu'il se verrait réellement lui-même s'il était à leur place. (A. Smith.)
Il résulte de tout ce qui précède que l'orgueil et la vanité sont des travers de l'esprit et du cœur; mais l'un est bien plus relevé que l'autre, et, par suite, moins commun, attendu, comme l'a dit l'abbé Lamennais, qu'il est peu d'âmes faites pour s'élever jusqu'à l'orgueil, presque toutes croupissent dans la Vanité. (Voy. ce mot.)
Et il disait vrai; car, tandis que l'orgueilleux, en réfléchissant sur les perfections dont il se croit orné ou sur les avantages dont il jouit, se sent satisfait de lui-même, et, se faisant une opinion trop avantageuse de ses qualités, dédaigne ou méprise les talents ou les perfections d'autrui, le vaniteux, au contraire, jaloux d'occuper tout le monde de lui-même, et ne respirant qu'exclusions et préférences, fait étalage de tous ses avantages. Il y est d'autant mieux porté, d'ailleurs, que, dans son idée, il possède tout ce qu'il y a de plus parfait en chaque genre. Ainsi, dans son opinion, ses équipages sont les plus brillants, ses meubles les mieux choisis, ses habits du goût le plus recherché, ses chiens et ses chevaux de bien meilleure race que ceux des autres. (Hume.) La vanité s'attache donc à tout ce qui n'a de valeur réelle ni en soi, ni dans autrui ; à tout ce qui offre des avantages apparents, des effets passagers : elle vit du rebut des autres passions, et quelquefois se soumet à leur empire. Voy. VAIN, Vanité.
L'orgueil est une qualité louable ; l'orgueil est un défaut : que faut-il faire, dans l'un et l'autre cas, à 1’égard de l'orgueilleux ? Ce qu'on fait généralement quand on veut développer un sentiment honorable, ou quand on veut annihiler des dispositions mauvaises. Ainsi, dans ce dernier cas, la seule conduite à tenir est celle que nous trouverons décrite à l'article Vain, Vanité, dont l'orgueil bas et rampant ne diffère nullement, tandis que, dans le premier cas, comme l'orgueil, considéré dans ses effets, est on ne peut plus utile, vu qu'il peut être le germe de bien des vertus et de bien des talents, il serait imprudent, pour ne pas dire mauvais, de tenter de l'affaiblir ou de le détruire. Mieux vaut donc le diriger toujours vers les choses honnêtes, l'empêcher de se diriger vers celles qui ne le sont pas, et l'encourager plutôt que de le combattre. N'oublions pas surtout qu'il est des circonstances où il est bon de l'exciter, pour secouer la paresse et vaincre l'inertie de certaines gens, c’est-à-dire qu'on doit se servir de tel ou tel orgueil, qu'on stimulera à propos, pour obtenir d'excellents résultats ; tant il est vrai que tout est relatif en ce monde, où les poisons eux-mêmes peuvent servir de remède. Oui, l'orgueil, uni à quelque force d'âme et à un certain talent, peut parfois leur donner de l'élan, un grand désir de réussir, et faire redoubler d'efforts en animant le travail, tout comme la crainte de déchoir stimule vivement celui qui a une haute opinion de lui-même et l'empêche de faillir.
Ainsi l'orgueil, bien senti, bien dirigé, peut faire braver la douleur, l'infortune et la mort. Tel on voit le sauvage captif supporter les plus cruels tourments sans pousser un gémissement, sans sourciller ; il accable son vainqueur de ses injures ou de son silence, le défiant de lui arracher un signe de douleur, et triomphant de sa barbarie par une apparente impassibilité ; la mort lui semble mille fois préférable à l'humiliation devant son ennemi. 11 y a certainement dans cet orgueil farouche une grande force morale ; l'âme, exaltée par l'opinion qu'elle a de sa dignité, domine le corps, méprise la douleur et se rit des supplices. Tel est encore le stoïcien antique. Chrétiens, nous blâmons Caton de s'arracher la vie, parce qu'il préfère la mort à la honte de la défaite ; et cependant n'est-ce pas que sa fierté nous inspire du respect ? Tel fut enfin Mucius Scævola, brûlant devant Porsenna la main qui n'a pas su le frapper ; il montre dans cette sorte d'insensibilité un orgueil tout romain, qui le rend assurément bien supérieur à celui qui cède à une douleur atroce.
Mais s'il est certain qu'une noble fierté ou un noble orgueil a beaucoup de mérite aux yeux de tous les cœurs capables d'apprécier les grandes choses et les belles actions, il n'en est pas moins vrai, je le répète, que les funestes effets d'un sot ou fol orgueil sont évidents ; ils retombent sur l'orgueilleux comme sur tous ceux qui l'approchent. Il est la première victime de sa folie, parce que, plein de lui-même et prétendant se suffire, il ne peut avancer ni se perfectionner.
Sous ce rapport, nous ferons observer, en terminant, que l'orgueil est le principe du mal ; et, ce qui en est la preuve, c'est qu'il se trouve mêlé aux diverses infirmités de l'âme : il brille dans le souris de l'envie, il éclate dans les débauches de la volupté, il compte l'or de l'avarice, il étincelle dans les yeux de la colère, et suit les grâces de la mollesse. (Châteaubriand.) Ce qui doit être un motif déterminant de l'étouffer dès qu'il se montre, quand rien ne le justifie et ne le rend pardonnable.

Félix-André-Augustin Poujol, Dictionnaire des facultés intellectuelles et affectives de l'âme: ou l'on
traite des passions, des vertus, des vices, des défauts, etc., J. P. Migne éditeur, 1857, col. 675.

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