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samedi 18 juin 2011

Timidité, faiblesse et indécision : une analyse de Jacques Boucher de Crèvecoeur de Perthes, 1851.


La timidité est une espèce de peur qui n'est ni celle de la douleur ni celle de la mort : c'est la crainte du ridicule. Un homme timide qui aura la fièvre à la seule idée de dire trois mots en public ou seulement de faire son entrée dans un salon, pourra être un héros sur le champ de bataille.

L'homme timide a peur de sa timidité même; il la connaît, il s'exagère les gaucheries qu'elle lui fera faire. Il a peur d'avoir peur ou de paraître l'avoir; et dans cette préoccupation, il se trouble et devient incapable d'exécuter les choses les plus simples, les plus faciles, même celles qu'il fait bien et avec une aisance parfaite quand il est seul. Tel personnage qui eut été un grand artiste, un grand prédicateur, un Démosthène, un Mirabeau , est arrêté dès son début par une timidité insurmontable.

La timidité paralyse les plus grands moyens et défigure le plus beau talent. Elle tue jusqu'à l'inspiration même; et quand elle s'empare d'un homme, quelque soit son esprit, son génie même, elle en fait un imbécile.

Cependant, la timidité a souvent servi un jeune amoureux devant sa maîtresse plus experte, et son émotion a parlé pour lui plus éloquemment qu'auraient fait toutes les ressources de l'esprit et du savoir-faire.

Des souverains, des puissants du jour, surtout s'ils ont eux-mêmes leur timidité, se laissent aussi émouvoir aux angoisses de l'homme timide qui, se présentant en solliciteur, sa requête à la main, a convaincu le ministre par cela même qu'il n'a rien dit ou qu'il a dit tout de travers.

Quelquefois l'homme timide veut cacher sa peur sous une assurance d'emprunt, ce qui lui procure l'avantage de passer pour un effronté et de se faire jeter à la porte. Parfois aussi, quand il se croit le plus fort, il devient insolent tout de bon, car de la timidité à la familiarité et de la familiarité à l'emportement, il n'y a qu'un pas.

La faiblesse n'est ni la poltronnerie ni la timidité, mais elle est pire que l'une et l'autre, parce qu'elle est un état habituel et presque toujours incurable; tandis qu'un poltron peut avoir ses jours de courage, et que la timidité se guérit avec l'âge et l'habitude.

Incapable de mal, plus incapable de bien, toujours disposé à laisser faire l'un et à décourager l'autre, l'homme faible est quelquefois plus à craindre pour ses amis que pour ses ennemis. Avec lui, on ne sait jamais sur quoi compter. Un homme est-il méchant, vous vous garez de sa méchanceté; s'il veut mordre, vous lui parlez à distance; s'il rue, vous ne l'abordez qu'en face; enfin, pris du bon côté ou de celui par lequel il ne saurait nuire, vous en tirez toujours quelque chose : il peut donc être utile.

L'homme faible ne saurait jamais l'être; il vous fond dans la main, et si vous vous appuyez sur lui, vous vous cassez le nez par terre, pour avoir cru qu'il avait des jambes.
De même que l'homme timide, l'homme faible peut n'être pas un peureux, il sera même très-brave. On n'en obtiendra rien par la force et la menace, peut-être pas davantage par le raisonnement, car la faiblesse et l'entêtement marchent fort bien ensemble. Cet homme sera faible seulement devant lui-même, il ne cèdera à personne autre qu'à lui, mais y cédant toujours, et ainsi ballotté entre tous ses caprices, il n'offre de garantie ni à lui-même ni aux autres.

Le contraire se voit; et tel individu s'abandonnera à toutes les impulsions étrangères, à tous les conseils, à tous les exemples, il ne résistera qu'à ses propres inspirations, à son bon sens, à sa conscience.

L'homme ainsi fait, toujours au premier occupant, devient l'instrument de tout ce qui l'approche. Il en reçoit toutes les impressions et n'en garde que les mauvaises; et cet homme est incorrigible, car tout raisonnement échoue contre celui qui, en reconnaissant ce raisonnement juste, va faire précisément le contraire.
Gardez-vous donc des hommes de cette trempe, et gardez-vous plus encore de le devenir vous-même, surtout si vous êtes gouvernant : la faiblesse est la ruine des États comme celle des ménages.

L'indécision n'est ni la faiblesse ni la timidité; elle ne naît pas de l'absence des moyens, elle vient plutôt de leur abondance et de la richesse de l'imagination. Celui qui ne distingue qu'une voie ne peut en prendre d'autre, mais celui devant qui s'ouvrent vingt sentiers, ne sait lequel choisir. Voilà pourquoi un sot hésite rarement, et une brute, jamais. Néanmoins , l'indécision est un défaut qui arrête presque toujours la fortune de celui qui l'a, et qui n'est pas moins nuisible à la prospérité publique s'il est à la tête des affaires.

Tous les malheurs de Louis XVI ne naquirent que de son indécision. Tous les succès de Napoléon vinrent de la faculté contraire ou de la résolution qu'il portait au plus haut degré.
Pendant la moitié de sa carrière politique, il vit juste et n'hésita pas: aussi arriva-t-il au pinacle.

Pendant l'autre moitié, il n'hésita pas davantage, mais il ne voyait plus juste et ne croyait qu'à lui-même.

La même qualité l'éleva et le renversa.

Jacques Boucher de Crèvecoeur de Perthes, Hommes et choses : alphabet des passions et des sensations, t. 4, Treuttel et Wurtz, Derache, Dumoulin, Victor Didron, 1851, p. 368-370.

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