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samedi 18 juin 2011

Timidité et pédagogie, selon B. Perez, 1880.


Dans sa note sur le développement des facultés enfantines, Darwin a inséré un passage relatif à la timidité, que Fénelon aurait volontiers signé, et que les amis de l'éducation feront bien de méditer. 

« Il est impossible, dit-il, de s'être occupé de très jeunes enfants sans avoir été frappé de l'audace avec laquelle ils regardent les visages qui leur sont nouveaux, fixement et sans jamais baisser les yeux ; une grande personne ne regarde ainsi qu'un animal ou un objet inanimé. Cela vient, je crois, de ce que les jeunes enfants ne pensent nullement à eux-mêmes, et par conséquent ne sont pas du tout timides, bien qu'ils aient quelquefois peur des étrangers. J'ai vu le premier symptôme de timidité se manifester chez mon enfant lorsqu'il avait près de deux ans et trois mois ; j'étais rentré chez moi après dix jours d'absence, et la timidité de l'enfant se montra par une sorte d'affectation à ne pas rencontrer mon regard; mais bientôt il vint se mettre sur mes genoux, et quand il m'eut embrassé, toute trace de timidité disparut. »

Ce phénomène est bien décrit. Je crois cependant devoir ajouter que la timidité est plus fréquente dans le petit enfant que le naturaliste anglais ne l'a pensé. J'ai cru remarquer l'analogue de cet état mental chez des chiens et des chats qui me revoyaient après une longue absence : les uns jappaient en élevant jusqu'à moi leurs pattes, les autres rôdaient et ronronnaient autour de moi, avec une joie mêlée de je ne sais quel embarras, soit qu'il y eût pour eux quelque chose d'étranger dans l'ami reconnu, soit qu'en sa présence le flot de leurs souvenirs jaillit avec une violence qui jetait un certain trouble dans leur organisme. Je recommande cette observation à ceux qui voudraient la vérifier, et peut-être sera-t-elle la clef d'indications utiles sur la nature de la timidité enfantine.

On ne peut, en tout cas, s'empêcher de reconnaître qu'un enfant de deux ans est capable de montrer des marques non équivoques de timidité. Rien de pénible à voir comme ces yeux innocents qui se baissent devant les vôtres, et ce tremblement qui saisit tout à coup un petit enfant de cet âge, et surtout d'un peu plus âgé, sur un simple froncement des sourcils d'un Jupiter ou d'une Junon bourgeoise. Trop souvent aussi la timidité, jointe à la terreur, font trembler le petit enfant du peuple, devant le geste redouté du père ou de la mère. Est-il étonnant que les enfants durement élevés montrent de bonne heure une appréhension significative, bien différente de l'étonnement naïf que cause la nouveauté, en présence des visages nouveaux ? Mme Necker de Saussure n'a pas laissé échapper celte observation : 

« D'où vient qu'une timidité farouche se manifeste si souvent chez nos enfants ? Pourquoi ont-ils tant de répugnance à entrer en rapport avec les personnes qu'ils connaissent peu, et éprouvent-ils du moins une extrême contrainte en leur présence ? L'éducation a bien quelque chose à se reprocher à cet égard. » 

On ne peut le nier, quand on songe avec quelle rapidité les oiseaux si familiers d'une île inconnue aux voyageurs perdent à leur contact leur première confiance, et quelles différences mettent en quelques mois entre deux frères bien ressemblants de caractères et d'habitudes l'éducation laïque et claustrale auxquelles on les soumet.

Il y a quelque affinité entre la timidité proprement dite et cette sorte de crainte vague et de manque d'assurance que montre l'enfant en présence d'actes connus ou supposés difficiles. Par exemple, une bonne ayant eu la fantaisie d'élever tout à coup, et puis de rabaisser avec rapidité un petit enfant de deux ans, il s'efforçait de se tenir ferme avec les mains, soit qu'il eût l'idée instinctive de la chute, soit que sa bonne l'eût déjà laissé tomber : et pendant qu'il se retenait avec ses mains, son visage contracté et ses yeux hagards exprimaient tous les caractères de la timidité. L'enfant qui s'essaie à la marche, même avant que d'être sérieusement tombé, montre la même incertitude à l'égard de ses mouvements et la même timidité relativement à leurs conséquences.

Ce genre de timidité peut même aller jusqu'à la frayeur. Lorsque j'avais de deux à quatre ans, ma bonne me tint une fois en dehors de la fenêtre, les deux bras tendus, et faisant mine de vouloir me jeter en bas à une autre personne : la terreur que j'éprouvai a si profondément gravé ce souvenir en moi, que je lui attribue l'impression de vertige qui me saisit, non-seulement sur un escarpement, sur un clocher, ou sur un pont élevé, mais même sur le balcon d'un troisième étage. Ce qui me confirme dans la croyance que ce genre de frayeur ou de timidité n'est pas toujours le fait de l'hérédité, c'est que je l'ai observé chez beaucoup d'enfants de nos montagnes, dont l'éducation n'a pas assez contrebalancé les premières expériences : j'ai vu aussi quelques enfants de nos côtes, pied et estomac marins de naissance, qui, par suite de circonstances, ont perdu à un certain moment ces qualités natives. J'ai vu aussi plusieurs petits enfants de dix mois ou d'un an, dont les idées sur le vide et le plein, sur les distances et sur les chutes, étaient encore fort imparfaites, s'élancer en avant de toutes hauteurs, comme un oiseau qui n'a pas encore ses ailes aptes au vol, ou un petit chat qui cherche à prendre son élan sur ses jambes encore débiles; mais ces enfants, après quelques expériences infructueuses ou douloureuses, et quelquefois après une seule, se montraient fort irrésolus, et l'on peut dire fort timides, relativement à ces tentatives. Ce genre de timidité plus ou moins naturelle est une sauvegarde pour l'enfant : il faut l'éveiller modérément chez celui qui en paraîtrait dépourvu, et l'atténuer, la supprimer insensiblement, par des épreuves inoffensives et des encouragements répétés, chez celui qui en donnerait des marques excessives.


La plupart du temps, cette sorte de timidité relative au déploiement des forces physiques, vient de ce que nous n'accordons pas assez d'attention ou de bienveillance aux actions du petit enfant. Le plaisir d'exercer ses forces est de tous les instants ; il intéresse à tel point sa personnalité, qu'il n'en jouit ordinairement tout seul que d'une façon incomplète. Il veut qu'on s'y associe, qu'on l'en félicite, qu'on lui soit reconnaissant du plaisir qu'il procure en le faisant partager. C'est à nous de le prendre au sérieux, soit dans ses jeux, soit dans ses essais d'action, soit dans ses démonstrations affectives. S'il raconte une histoire, s'il représente quelque scène dramatique, s'il crayonne, jardine, pousse une brouette, tire un râteau, fait des cocottes de papier, bâtit des châteaux de sable, à chaque instant son œil guette sur les visages les impressions de son récit ou de son acte. Notre approbation, signe de notre plaisir, qu'il sollicite avec tant d'insistance, il faut la lui accorder le plus souvent possible, avec justice, mais avec indulgence; il faut favoriser en lui l'amour du succès, et l'expansion de la bienveillance, mais sans exalter son amour-propre. Quelquefois un simple sourire est la récompense suffisante de ses efforts. Mêlons-nous aussi à ses jeux, comme si nous y prenions personnellement du plaisir; notre amusement le ravit, nous rend pour lui plus aimables, et nous ouvre davantage son cœur. Mais ne le louons que de ses efforts, jamais de sa gentillesse, à moins qu'il ne s'y joigne quelque service rendu ; ainsi se développera cette heureuse confiance, qui est égale à distance de la timidité maladive et de l'affectation présomptueuse. 

Locke, estimant que la crainte est le fondement du respect, jugeait que la timidité ne tire pas à conséquence dans l'âge tendre. 

« Je ne vois pas, dit-il, qu'on trouve ni qu'on soupçonne en aucune manière que la retraite et la timidité où l'on élève les filles les rendent moins habiles femmes. La conversation, le commerce du monde, leur donnent bientôt une modeste assurance. » Il en sera de même pour le jeune homme, et « s'il faut prendre de la peine pour lui donner de bonne heure un air libre et une contenance assurée, c'est surtout afin que cela serve de rempart à sa vertu lorsqu'il sera abandonné à sa propre conduite au milieu du grand monde (1). »

Je crois que, chez les enfants des deux sexes, il est possible de mener de front l'endurcissement physique et la culture morale : hardiesse et modestie peuvent très bien s'allier, dès un âge assez tendre. C'était l'avis de Montaigne et de Rousseau, du moins en ce qui concerne les garçons. C'est l'opinion d'un philosophe anglais, qui a bien plaidé la cause de l'éducation physique des filles.

« Ainsi, dit Herbert Spencer après avoir démontré la nécessité de leur accorder un exercice physique approprié à leur sexe, il faudrait donc laisser les jeunes filles s'émanciper et devenir aussi tapageuses que des garçons! » 

s'écriera quelque zélateur des convenances. Ceci est, pensons-nous, la crainte toujours présente à l'esprit des maîtresses de pension. Il résulte d'informations prises que, dans les « Instituts de jeunes demoiselles », les jeux bruyants, tels que ceux auxquels se livrent journellement les garçons, sont considérés comme une transgression punissable, et nous en inférons qu'on les défend, de peur que les petites filles ne prennent des habitudes qui ne conviennent point à des femmes du monde. Cette crainte est cependant tout à fait sans fondement. Car, si les jeux actifs permis aux garçons n'empêchent point ceux-ci de devenir plus tard des hommes de bonnes manières, pourquoi ces mêmes jeux empêcheraient-ils les filles de devenir aussi des femmes du monde ? Si rudes qu'aient pu être leurs récréations d'écoliers, les jeunes gens qui ont quitté l'école ne s'amuseront pas à faire des culbutes dans la rue ou à sauter à cloche-pied dans un salon. En quittant leurs jaquettes, ils quittent du même coup les jeux des garçons, et ils montrent un soin extrême, souvent même un soin lisible, à éviter tout ce qui leur semble ne pas convenir à un homme fait. Si, en arrivant à un certain âge, le sentiment de la dignité de l'homme met fin aux jeux des garçons, le sentiment de la modestie féminine ne mettra-t-il pas fin, de même, lorsqu'il se fortifiera par degrés avec l'âge, aux jeux des petites filles ? Les femmes n'ont-elles pas, plus encore que les hommes, le respect des apparences ? Et, par conséquent, ne seront-elles pas plus portées qu'eux encore à éviter les manières rudes et bruyantes ? Combien il est absurde de supposer que les instincts de la femme ne s'affirmeraient pas d'eux-mêmes, et sans qu'il fût besoin de recourir à la discipline rigoureuse des maîtresses d'école ! » Il est donc entendu que la candeur et la modestie peuvent faire bon ménage avec la franchise d'esprit et d'allures, avec la libre expansion et l'affectueuse confiance qu'on doit s'attacher à
développer dans l'enfant.

La timidité morale n'est pas elle-même un vice, mais elle mène à l'hypocrisie et à la lâcheté, deux imperfections aussi haïssables chez les femmes que chez les hommes. Elle est, par elle-même, un défaut qui enraie des vertus ou des qualités du plus haut prix. Elle peut faire le tourment des natures d'élite, et peut-être aurait-on le secret de bien des travers ou bizarreries de caractère chez quelques hommes illustres, en se rappelant que leurs biographes ont accolé à leurs noms l'épithète de timides. 

Virgile, qui se montra si indépendant, même vis-à-vis d'Auguste qu'il admirait, avait cependant la rougeur prompte et la tendresse du front (frontis mollities), ce qui ne doit pas surprendre chez un poète ami de l'ombre et de la solitude. Mais Perse, le mordant satirique, le courageux disciple de Cornutus, l'ami du stoïcien Thraséas, était encore, à l'âge de vingt-huit ans, époque de sa mort, timide et rougissant comme une jeune fille. La fière gaucherie de Corneille n'était sans doute pas aussi, comme l'enfantine étourderie de La Fontaine, sans cacher quelque fond obscur de timidité.

Pope, tout bel esprit et maniéré qu'il fut, a dit de lui-même : 

« Pour moi, j'appartiens à cette classe dont Sénèque a dit : ils sont si amis de l'ombre, qu'ils considèrent comme étant dans le tourbillon tout ce qui est dans la lumière. » 

On sait à quel degré de balourdise ou d'étrangeté, la timidité, dont souffrait Jean-Jacques [Rousseau] l'a souvent perte. Qui supposerait, s'il n'en avait été informé par les biographes, que ce terrible abbé breton, qui a fait trembler les rois sur leurs trônes et les papes sur leur siège, La Mennais, fut timide à ce point que, lorsqu'il recevait un visiteur, il s'agitait nerveusement sur sa chaise, et rattachait instinctivement et sans nécessité, pour se donner une contenance, les cordons de sa chaussure ? 

On pourrait citer aussi le nom de maint brave,qui tremblait devant son roi ou devant sa belle, mais aucunement devant l'ennemi. C'est à l'un de ces derniers que s'applique cette citation de Molière

« Est-il possible, dis-je, qu'un homme si assuré dans la guerre soit si timide en amour ? »

Il est donc bien entendu que timidité n'est pas synonyme de lâcheté et de couardise. Je crois cependant qu'on aurait tort de voir toujours dans la timidité une marque absolue de rare modestie. Dans une lettre à Lucilius, Sénèque parle d'un jeune homme bon et ingénu, qui, dès l'abord, lui donna une haute idée, mais une idée seulement de son caractère, car il était pris à l'improviste, et il avait à vaincre sa timidité; et, même en se recueillant, il pouvait à peine triompher de cette pudeur, excellent signe dans un jeune homme, tant la rougeur lui sortait du fond de l'âme; et je crois même, dit-il, que lorsqu'il sera le plus aguerri, il lui en restera toujours. Un des amis de Lamartine lui avait recommandé un jeune homme, à propos duquel le grand poète divinateur écrivit à cet ami : 

« Je n'ai pas une très bonne idée de ce garçon : il n'a pas paru ému devant moi. » 

La timidité peut donc être quelquefois un très bon signe, la marque d'une nature franche, sensible, d'un jugement sain, qui met chacun et soi-même à sa vraie place. Mais l'exemple ne fait pas la règle.

Alors même qu'il s'agit des natures d'élite, ou même seulement des natures honnêtes et sensibles, la timidité est un défaut grave, en ce que, dans l'universel combat pour l'existence, elle laisse l'individu le mieux doué par ailleurs comme désarmé en face de l'audace qui n'a pas besoin d'armure. L'exemple suivant va nous montrer qu'elle met même une barrière entre les épanchements des affections les plus naturelles.

« Les lettres de mon père, dit l'auteur d'Adolphe [Benjamin Constant], étaient affectueuses, pleines de conseils raisonnables; mais à peine étions-nous en présence l'un de l'autre, qu'il y avait quelque chose de contraint que je ne pouvais m'expliquer, et qui réagissait sur moi d'une manière pénible. Je ne savais pas que, même avec son fils, mon père était timide, et que souvent, après avoir longtemps attendu quelque témoignage d'affection que sa froideur apparente semblait m'interdire, il me quittait les yeux mouillés de larmes, et se plaignait à d'autres de ce que je ne l'aimais pas. Ma contrainte avec lui eut une grande influence sur mon caractère : aussi timide que lui, mais plus agité, parce que j'étais plus jeune, je m'accoutumai à enfermer en moi-même tout ce que j'éprouvais, à considérer les avis, l'intérêt, l'assistance, la présence des autres, comme une gêne et comme un obstacle; à ne me soumettre à la conversation que comme à une nécessité importune, et à l'animer alors par une plaisanterie perpétuelle, qui me la rendait moins fatigante, et m'aidait à cacher mes véritables pensées. De là une certaine absence d'abandon qu'aujourd'hui encore mes amis me reprochent, et une difficulté de causer sérieusement que j'ai toujours peine à surmonter. »

Cet exemple nous montre la timidité engendrant la timidité, ou du moins empêchant un père et un fils de se comprendre et de sympathiser entre eux comme ils l'auraient voulu l'un et l'autre. Le père de Benjamin Constant rendit son fils victime, après l'avoir peut-être été lui-même, d'une ignorance complète de la pédagogie psychologique. Cette sorte de contrainte, imposée dès le jeune âge, doit avoir un retentissement d'autant plus grave sur l'évolution future des facultés, qu'elle pèse sur des organisations plus sensibles. La timidité a, dans ces cas-là, pour contre-coup fatal, des vicissitudes de confiance en soi-même et de défiance extrême.

L'extrême susceptibilité et le culte du moi, qu'on a tant reprochés à Chateaubriand, et qui, au temps de sa plus grande renommée, le faisaient douter de la sincérité des éloges qu'on lui prodiguait, avait pour principe une sensibilité effarouchée et refoulée parla taciturnité d'un père égoïste et cruel. Dans une nature comme la sienne, la timidité prit la forme d'une sauvagerie ombrageuse et personnelle.

Ces exemples frappants des divers effets de la timidité morale, quoique se rapportant à des personnages à part, n'en offrent pas moins des renseignements applicables au grand nombre. Combien de personnes de toute condition ont eu à souffrir, sans l'oser dire, de celle maladie morale qui est la timidité, et qui se complique trop souvent d'un violent désir de plaire et d'un manque de confiance en soi-même ! Son influence oppressive se fait ressentir dans les moindres circonstances où elle met sa victime au-dessous de ses vrais mérites, et dans les circonstances décisives où elle la met au-dessous de personnes beaucoup moins bien douées. Elle comprime l'expansion des affections les plus légitimes et l'élan des passions les plus utiles. Elle relâche ou tend outre mesure le ressort de la personnalité. Elle prend ses dehors à la dissimulation et elle incline à s'identifier avec elle. On peut la considérer comme une névrose, et souvent des plus sérieuses (2). Le malheur est que le plus souvent les personnes qui en sont atteintes, trouvent, pour lui échapper, des remèdes pires que le mal, demandant un oubli passager de leurs ennuis aux énervantes excitations de l'amour, de l'ivresse, de l'ambition ou de la dévotion, c'est-à-dire noyant une petite folie dans une plus grande. Et dire que tous ces maux et tant d'autres, qu'il faut avoir éprouvés pour s'en faire une idée, auraient primitivement cédé devant les encouragements d'une bonté éclairée, qui auraient enlevé à cette timidité l'occasion de naître, ou, si elle était native, lui auraient enlevé son exagération, et l'auraient fait tourner à la modestie prudente, à l'habitude de s'observer et de se juger soi-même !

C'est ce genre de crainte respectueuse, bien différent de la timidité, qui supplée quelquefois le sens moral proprement dit chez l'enfant, en ce qu'il objective pour lui la loi morale dans ses parents ou ses éducateurs. Voici un exemple montrant un singulier mélange de celle crainte précieuse et d'une obstination naïve à faire le mal sans vouloir déplaire.

Fernand (deux ans) fait un affreux tripotage de salive et de cendre. Son père s'en aperçoit, le gronde et lui défend de continuer ce jeu. Sa mine devient triste, du regret de ne plus continuer un amusement très attachant, mais non du remords d'avoir mal fait. Il regarde son père dans les yeux et lui dit: « Quand tu t'en iras, dis, papa ? (Le papa avait le chapeau sur la tête, le parapluie sous le bras, prêt à sortir). Pourquoi me demandes-tu quand je vais sortir ? C'est pour recommencer, n'est-ce pas ? — Oui, papa. » Un autre enfant du même âge fait souvent la même question à son père : « Quand tu t'en iras ? » ou bien lui dit : « Ne me regarde pas ; il ne faut pas me regarder », et cela pour continuer la chose défendue. La présence de celui qui défend est un obstacle, et l'enfant ne voit guère que cela, au plaisir qu'il prend. 

1. Pensées sur l'éducation, p. 183.  
2. Je n'apprends rien aux médecins en rappelant la concordance fréquente de certains états pathologiques graves, et particulièrement de l'irrégularité des fonctions digestives, avec la timidité naturelle ou d'habitude. Virgile était crudus; Cicéron, l'orateur le plus timide, l'homme d'État le plus irrésolu qui fut jamais, a répété souvent dans ses lettres à quel point - le préoccupaient ses tristes digestions. 

Bernard Perez, L'éducation dès le berceau : essai de pédagogie expérimentale, C. Baillière, Paris, 1880, p. 235 

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