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vendredi 17 juin 2011

L'éducation aux États-Unis en 1906.

Notre confrère, M. Melin, de Nancy, a eu la bonne fortune d'avoir en communication les lettres qu'une institutrice lorraine envoie d'Amérique à ses parents en leur racontant ses impressions sur un milieu qui est si différent du nôtre. Cette institutrice a séjourné pendant un an à New Bedford dans le Massachusetts, c'est-à-dire dans la Nouvelle-Angleterre.

On sait que la Nouvelle-Angleterre est la partie des États-Unis la plus urbaine, la plus civilisée; par conséquent, c'est là que les institutions scolaires ont pris leur plus grand développement. C'est un motif d'intérêt de plus pour ces lettres dont le grand charme consiste surtout dans la sincérité naïve et sans fard avec laquelle les mœurs américaines sont décrites. Nous ne pouvons résister au plaisir d'en communiquer quelques extraits aux lecteurs de la Science sociale. Voici d'abord un exposé de l'organisation des écoles américaines :

Jeudi matin, nous avons été visiter un kindergarten. Les enfants qui le fréquentent ont de six à sept ans ; ils occupent une grande salle meublée de longues tables basses, mobiles et de petits fauteuils.

Les murs sont couverts de tableaux placés assez bas pour que les enfants puissent y dessiner. Il y a une grande armoire pleine de jeux de toutes sortes. Dans un angle se trouve un piano à queue ; les fenêtres sont garnies de plantes; des jouets sont répandus çà et là comme dans une nursery.

En sortant du kindergarten, les enfants passent dans la « primary school » divisée en quatre classes ou « grades ». Le même bâtiment renferme les deux écoles ; les salles sont grandes, très claires, chauffées et ventilées à la fois par un ingénieux système. L'air chaud arrive par une large bouche de chaleur placée au niveau du plafond; il fait le tour de la salle et s'en va par une autre ouverture grillagée située près du plancher. Chaque élève a son petit pupitre et son siège autour desquels on peut circuler. Toutes les classes, dans toutes les écoles, présentent la même organisation.

Lorsque les enfants arrivent en classe, ils se déshabillent et accrochent leurs vêtements dans le hall, puis entrent immédiatement dans leurs salles respectives, s'installent à leurs places et s'occupent tranquillement jusqu'à ce que l'heure de la leçon sonne. Il n'y a pas de salle de récréation, tout se fait dans la même chambre; de temps en temps, les enfants chantent, font des exercices de gymnastique assis à leurs places ou debout, quelquefois exécutent des marches autour de la pièce. L'enfant n'apprend à lire qu'à la primary school, c'est-à-dire pas avant six à sept ans.

La Grammar school comprend cinq « grades » faisant suite à ceux de l'école primaire : 5°, 6°, 7°, 8°, 9°.

Même organisation, mêmes salles, même nombre de places : quarante-huit quelquefois toutes occupées; chaque classe étant double, cela donne un total de quatre à cinq cents élèves par école. J'ai été enchantée de tout ce que j'y ai vu, la discipline est parfaite, on n'entend jamais un mot, tout le monde marche sur la pointe des pieds et toutes les figures sont calmes et souriantes.

Garçons et filles doivent aller à l'école jusqu'à quatorze ans ; s'ils le désirent et satisfont aux épreuves d'un examen d'entrée, ils sont alors admis, toujours gratuitement, à l'école supérieure ou High school qui les préparera au collège, ou plus spécialement développera leurs aptitudes industrielles ou commerciales.

Les professeurs de la High school sont indifféremment des hommes ou des femmes, le personnel des autres écoles est complètement féminin, sauf les directeurs de Grammar schools. Ainsi ce sont des femmes qui font l'éducation du peuple et ce n'est certes pas chose aisée, aussi bien avec le caractère indépendant et volontaire des garçons américains qu'avec le naturel plus ou moins vicieux d'enfants d'émigrés parlant à peine l'anglais. Elles maintiennent dans leurs classes une discipline de fer, qui se trouverait peut-être difficilement chez nos instituteurs français et savent cependant y créer une atmosphère de bon ton et de courtoisie tout à fait remarquable.

Questions et réponses se font avec calme, sans excitation et sur un ton de voix aussi peu élevé que possible. Les figures ont une expression ouverte et de bonne humeur, mais toute manifestation est prohibée comme une faiblesse marquant le peu de contrôle qu'on possède sur soi-même. Tous les mouvements se font au son d'une marche. A voir les maîtresses si calmes et si souriantes, on ne soupçonnerait jamais l'énorme quantité d'énergie, qu'elles déploient; la moindre faiblesse, un peu de laisser aller, et voilà la troupe docile changée en une meute déchaînée.

Lorsqu'on parle chez nous d'éducation à l'américaine, on est loin de penser au dressage minutieux, systématique, rigide et cependant essentiellement libéral qu'il, est. Le principe américain est de développer l'intelligence et toutes les facultés plutôt que de remplir la mémoire de l'enfant et avant tout de former le caractère. 

On s'adresse continuellement à l'honneur, à la dignité de l'enfant, on lui montre la plus grande confiance. On le voit : au fur et à mesure qu'il grandit et passe de classe en classe, prendre conscience de sa dignité, de son individualité.
A*** va dans une classe où la maîtresse laisse parfois les enfants seuls un quart d'heure où plus ; ils continuent à travailler aussi tranquillement que si elle était là.

Chaque maîtresse fait tout ou à peu près dans sa classe et y reste de 9 heures à midi moins le quart et de 1 heure et demie à 4. Point de récréations, une période d'étude de temps en temps. Il n'y a pas de leçons de morale, mais on prie en classe tous les matins et on lit un passage du Nouveau Testament. Lorsqu'ils sont lancés dans la vie, garçons et filles ont reçu une forte impression qui ne s'effacera pas. facilement.

Tous les vendredis, après la prière, une dizaine d'élèves, désignés d'avance, lisent un extrait du journal qu'ils ont choisi eux-mêmes : récit d'un événement politique, d'une fête, d'une catastrophe, un épisode de la guerre russo-japonaise, etc.

A*** me dit que, dans les écoles publiques, ils font cela presque tous les jours, généralement pendant le dernier quart d'heure. Les enfants se tiennent au courant des journaux, ils y sont encouragés par les maîtres et lisent en classe, à haute voix, ce qui les a le plus intéressés ; chacun donne librement son opinion.

Lorsqu'il y a une affaire un peu compliquée : vol, faux, escroquerie, assassinat, etc., le maître les engage à la suivre, on la discute en classe.

Les Américains prétendent que c'est excellent pour former le jugement, que les meilleures discussions sont celles qui s'appuient sur le fait, au moment où il s'accomplit.

L'enseignement lui-même est aussi concret que possible : la botanique par exemple est enseignée d'une façon bien intéressante. On ne parle pas du tout de classification aux commençants (enfants de treize à quatorze ans) ; on les envoie observer à la campagne, ou dans les parcs, la plante, l'arbre que l'on se propose d'étudier. A la leçon, chacun fait part de ses observations que le professeur rectifie ou complète ; lui-même apporte des fragments, divers spécimens, explique ce qui n'a pas été compris ou complètement omis. Les élèves rédigent alors un devoir qu'ils illustrent de nombreux croquis, détaillant les différentes parties de la plante. Autant que possible, on n'explique la leçon qu'après une première récitation qui, en somme, est plutôt une discussion.

Ce matin, miss D*** a parlé de l'événement qui passionne en ce moment tous les Américains, petits et grands : l'élection du président. En quelques questions très simples et très concises, elle a fait faire aux élèves la biographie des deux candidats les plus importants : Parker et Roosevelt : leur état social, leurs opinions politiques, le parti qu'ils représentent, la différence entre les démocrates et les républicains. Les premiers veulent l'abolition des droits d'entrée, la liberté du commerce, les autres la continuation du système protectionniste. Miss D*** a ajouté quelques mots sur le beau caractère de Roosevelt : le type de l'Américain accompli. Elle semblait très émue ; sur la demande des maîtresses, elle a proposé une sorte de vote. Les partisans de Roosevelt devaient se lever — tous se levèrent, sauf une fillette de dix ans, qui resta bravement assise.

Dans les écoles publiques, le vote s'est fait exactement comme il devra s'effectuer légalement lors de l'élection, afin que les enfants en comprennent tous les détails.

La politique fait le sujet de toutes les conversations de ces dames, mais la politique américaine n'est qu'une question de recettes et de dépenses, de bonne organisation budgétaire. L'administration du pays semble être celle d'une vaste famille, d'un grand home que la maîtresse de maison conduit avec économie et intelligence. Point de grandes idées obscures auxquelles on sacrifie aveuglément toutes sortes de libertés et de principes, mais de véritables questions de ménage. Qu'est-ce qui coûtera le moins cher? Qu'est-ce qui sera le plus profitable? Qu'est-ce qui rapportera le plus? Tout cela est si clair et si simple que je ne m'étonne plus autant que tout le monde tienne à y prendre part, femmes et enfants. Chacun doit connaître la valeur des plus petites choses et, en appréciant ainsi dans ses moindres détails tout ce qui aide à entretenir la vie, apprend à vivre. Mettre le plus possible l'enfant en contact avec ce qui se passe autour de lui, tel est le but constamment poursuivi par les éducateurs. Il ne faut pas que l'école nourrisse l'élève d'idées abstraites et de théories, qu'elle lui enseigne seulement l'histoire qui s'est faite. Il faut qu'elle l'aide à pratiquer, et dès maintenant, ces théories, à les construire même ou à les rénover, à former ses idées, à se créer un jugement bien personnel : une individualité. L'école américaine cherche surtout à intéresser l'enfant a l'histoire du jour, celle qui se fait et dans laquelle il peut avoir un rôle à jouer. Voici maintenant quelques extraits relatifs à l'éducation familiale. On verra comment s'exerce, l'influence de la famille en Amérique :

Il me semble tout à fait impossible que les parents abandonnent jamais au hasard l'éducation de leurs enfants. Tout en leur laissant beaucoup de liberté, ils surveillent de très près leur développement physique, intellectuel et moral. Ils étudient sans cesse les méthodes et les théories nouvelles, ne laissant rien à l'instinct. Chaque ville a au moins une association, un club de mères de famille où on discute depuis l'espèce de bouillie la plus saine à donner aux bébés, jusqu'aux moyens les plus ingénieux de faire comprendre l'existence de Dieu à un enfant de trois ans. Les mères s'occupent tout spécialement de l'éducation. Dans la classe moyenne, le mari ne permet jamais à sa femme de travailler en dehors de la maison, lui seul suffit à subvenir aux frais du ménage.

La vie de famille en Amérique ressemble fort peu à la nôtre; chacun va, vient à sa guise, choisit des amis appropriés à son caractère et à son âge, prend ses plaisirs et ses distractions comme il l'entend. Mais il est d'autres moments que ceux des repas où toute la famille se trouve réunie. Les parents américains font plus peut-être que tous autres pour donner le plus de joie possible à leurs enfants; les fêtes sont nombreuses qui sont entièrement dévouées à l'amusement des petits.

Depuis les chansons de la mère l'Oie, délices de bébés, jusqu'aux campements dans les forêts du Maine où l'on envoie les jeunes gens, dans tous les plaisirs, dans les innombrables jouissances d'une vie de jeune Américain, se traduit l'effort des parents pour le rendre heureux.

Ils acceptent tout cela comme tout naturel et en profitent sans arrière-pensée. Les Américains tiennent essentiellement à ce que leurs enfants soient vrais et naturels dans tout ce qu'ils font et disent. Aussi se gardent-ils de prodiguer les observations. Je ne crois pas qu'une maman américaine recommande jamais à sa fille d'être aimable. Elle le lui suggérera par son exemple ou l'amènera par d'adroits petits stratagèmes à l'obligation de l'être : offrir – comme maman — le thé à ses amies, voire même à de grandes personnes, envoyer des fleurs, faire de petites visites, etc. – Tout cela sans l'intervention de maman qui laisse à sa fille l'entière responsabilité de ses actes.

Selon leurs caractères, les enfants se « civilisent » plus ou moins tôt ; mais lorsque les petits sauvageons découvrent qu'il est d'usage, pour les grandes personnes et surtout les personnes bien élevées, de. dire : « bonjour » et « merci », ils le font d'une façon exquise et non par crainte d'une punition. (…)

« Lettres d'Amérique », in La Science sociale suivant la méthode de F. Le Play, 21e année, 2e série, 31e fascicule, 1906, p. 77 et suivantes.

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