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samedi 18 juin 2011

La timidité selon Ernst, 1875


TIMIDITÉ. — Qualité ou défaut suivant sa modération ou son excès. La timidité qui est le résultat d'une faiblesse de caractère, est une infirmité qui ne diminue qu'avec l'âge et l'expérience du monde, elle paralyse toutes les facultés de l'esprit et du cœur, rend gauches ou raides tous les mouvements et cause parfois de vives souffrances; la timidité qui, au contraire, est l'expression d'un cœur simple et modeste, s'effaçant par déférence ou estime pour les autres, est une charmante qualité qui embellit la jeunesse et fait encore mieux apprécier les mérites d'un savoir distingué et d'une haute position.

Quelle humiliation est celle que l'ignorance du monde et la timidité infligent aux grands enfants de vingt à trente ans, si gauches dans un salon, si étonnés de tout, si empruntés en tant de choses ! 

Le sentiment qu'on a de sa valeur atténue heureusement cette timidité excessive qui a par trop l'apparence de l'humilité et même de la niaiserie...

Entrer dans le monde avec trop de timidité et de défiance de soi-même, c'est accepter une partie inégale et s'exposer à des échecs. Ces travers entraînent presque toujours un jeune homme dans des relations au-dessous de lui, et c'est là un grand écueil ! Lorsqu'on craint de ne pas plaire on peut être à peu près certain que cette crainte sera justifiée, tandis qu'avec plus de confiance en soi. on sera presque sûr de réussir et de dominer.

La timidité est un ennemi intraitable et secret, paralysant toutes nos facultés, étouffant notre intelligence et nous faisant dire et faire le contraire de ce que nous voulions faire et dire. La timidité transforme et amortit l'homme, elle a cependant cela de particulier qu'elle est souvent un charme de plus dans la femme lorsqu'elle se maintient dans des bornes raisonnables.

Rien n'est si craintif et si facilement intimidable qu'une jeune fille : un regard la trouble, un rien la déroute, un mot la bouleverse, un geste l'effraie ! C'est surtout à l'âge heureux de l'amour que son cœur est impressionnable, tremblant et faible.

Ce qui nuit à beaucoup de jeunes gens c'est la timidité; ce qui leur manque c'est plus d'assurance et de confiance dans leurs propres moyens; tout cela est indispensable pour constituer l'homme sérieux et résolu, pouvant causer sans embarras et sans se laisser intimider, et troubler; toutes les carrières commandent plus ou moins d'assurance et nous ne connaissons pas de meilleur moyen que les lectures publiques d'abord, puis les exercices du théâtre en petit comité. Ces exercices qui sont des jeux ou des amusements, débarrasseront les jeunes gens de cette timidité qui paralyse leurs mouvements, rend gauche leur maintien, les fait balbutier et obscurcit leur intelligence; mais il faut en même temps les prémunir contre une assurance excessive et ridicule, car l'excès contraire à la timidité serait l'audace ou cet aplomb provoquant qui aliène au lieu d'attirer et de séduire.

Un examen curieux et persistant est toujours une souffrance pour celui qui le subit, c'est un martyr pour une personne timide.

La timidité et la modestie sont de nos jours choses très-rares chez les jeunes filles du monde dont l'assurance et l'aplomb sont parfois poussés trop loin; c'est là un grand défaut de nos éducations modernes et imprévoyantes !

Il ne faut pas être trop timide et trop modeste, ni chercher à se faire petit, à échapper aux regards, à se faire oublier; on serait bien vite pris au mot, et ce jeu naïf et enfantin conduirait sûrement au ridicule.

Poussée dans ses derniers retranchements la timidité la plus grande peut s'élever jusqu'à la plus grande assurance et même jusqu'à l'audace !

La timidité peut être la crainte du blâme, la honte en est la conviction.

La timidité est un défaut qu'on pourrait augmenter en voulant le guérir.

Il ne faut pas fuir la société par timidité de peur de faire des fautes ou des balourdises ! La plus grande de toutes est de se priver de l'assurance et de l'expérience qu'on ne trouve et qu'on n'acquiert que dans le monde.

Les esprits pacifiques sont timides et évitent d'émettre des opinions contraires à celles des autres, pour ne pas être obligés à les soutenir; certains qu'ils sont de faiblir ou de céder dans une discussion, ils. croient sage de ne pas l'engager et ils ont raison !

Le plus grand ennemi des personnes timides est leur propre timidité, car elles s'embarrassent dans les efforts qu'elles font pour la vaincre et la dominer et arrivent ainsi à une confusion humiliante.

La timidité ne fait tort qu'à nous-même, elle est une qualité vis-à-vis des autres, aussi conquiert-elle l'indulgence de tous.

Jamais femme déjà éprise ne s'est plaint de la timidité farouche d'un jeune et joli garçon, car cette timidité est déjà un aveu et même une déclaration passionnelle; l'indifférence n'est pas timide, elle est égoïste, elle va droit et audacieusement à son but. 

Ernst, Dictionnaire universel d'idées, A. Picard, Paris, 1875, p. 278-280


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