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mardi 28 juin 2011

La sodomie, selon Voltaire, 1777.

 
[Orthographe modernisée.]



De la Sodomie.

Les empereurs Constantin II et Constance son frère, sont les premiers qui aient porté peine de mort contre cette turpitude qui déshonore la nature humaine. (code, liv. 9. tit. 9, ) La novelle 141 de Justinien est le premier rescrit impérial dans lequel on ait employé le mot sodomie. Cette expression ne fut connue que longtemps après les traductions grecques et latines des livres juifs. La turpitude qu'elle désigne était auparavant spécifiée par le terme pedicatio tiré du grec.

L'empereur Justinien dans sa novelle ne décerne aucune peine. II se borne à inspirer l’horreur que mérite une telle infamie. II ne faut pas croire que ce vice devenu trop commun dans la ville des Fabricius, des Catons, et des Scipions, n'eut pas été réprimé par les lois. Il le fut par la loi Scantinia qui chassait les coupables de Rome, et leur faisait payer une amende. Mais cette loi fut bientôt oubliée, surtout quand César vainqueur de Rome corrompue, plaça la débauche sur la chaire du dictateur, et quand Adrien la divinisa.

Constantin second et Constance étant consuls ensemble, furent donc les premiers qui s'armèrent contre le vice trop honoré par César. Leur loi Si vìr nubit ne spécifie pas la peine ; mais elle dit, que la justice doit s'armer de glaive ; Jubemus armari jure gladio ultore ; et qu'il faut des supplices recherchés : exquisitis poenis. Il paraît qu'on fut toujours plus sévère contre les corrupteurs des enfants, que contre les enfants mêmes ; et on devait l’être.

Lorsque ces délits aussi secrets que l'adultère, et aussi difficiles à prouver, sont portés aux tribunaux qu’ils scandalisent, lorsque ces tribunaux sont obligés d'en connaître, ne doivent-ils pas soigneusement distinguer entre l'homme fait, et l’âge innocent qui est entre l’enfance et la jeunesse ?

Ce vice indigne de l’homme n'est pas connu dans nos rudes climats. Il n'y eut point de loi en France pour sa recherche et pour son châtiment, On s'imagina en trouver une dans les établissements de Saint Louis, Si aucun est soupçonneux de bulgarie, justice laïc li doit prendre, et l’enyoyer à l’évêque ; et se il en est prouvé, l'en doit ardoir, et tui li meuble sont nu baron. Le mot bulgarie, qui ne signifie qu'hérésie fut pris pour le péché contre nature. Et c'est sur ce texte qu'on s'est fondé pour brûler vifs le peu de malheureux convaincus de cette ordure, plus faite pour être ensevelie dans les ténèbres de l’oubli, que pour être éclairée par les flammes des bûchers aux yeux de la multitude.

Le misérable ex-jésuite aussi infâme par ses feuilles contre tant d'honnêtes gens, que par le crime public d'avoir débauché dans Paris jusqu'à des ramoneurs de cheminée, ne fut pourtant condamné qu'à la fustigation secrète dans la prison des gueux de Bissêtre. On a déja remarqué que les peines sont souvent arbitraires, et qu'elles ne devraient pas l’être ; que c'est la loi, et non pas l'homme qui doit punir.

La peine imposée à cet homme était suffisante ; mais elle ne pouvait être de l’utilité que nous désirons parce que n'étant pas publique, elle n'était pas exemplaire. 

Voltaire, Prix de la justice et de l'humanité, Londres, 1777, p. 76-79.

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