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vendredi 17 juin 2011

Conscience, responsabilité, liberté et dignité.

La conscience, dans ses éléments les plus simples, est le sentiment de l'obligation et de la responsabilité. Nous nous sentons obligés à une certaine manière d'être et de faire; nous nous imputons à nous-mêmes nos propres actions, et lorsque ces actions n'ont pas été déterminées entièrement par la loi qui est en nous, cette imputation est accompagnée d'un sentiment de culpabilité.
La conscience renferme ainsi l'affirmation la plus décisive de la personnalité de l'individu. Il n'y a que la personne qui puisse être obligée. La personnalité réside en effet dans la volonté; or, toute obligation suppose une volonté à laquelle elle s'impose ou plutôt se propose. Si l'individu ne pouvait vouloir, on ne lui ordonnerait point de vouloir ou de ne vouloir pas; on se contenterait de le laisser agir en vertu de la seule nécessité de sa nature, ou on le contraindrait violemment par une action extérieure.
Le sentiment de la responsabilité ne suppose pas moins la personnalité. Il n'y a que la personne qui puisse être responsable. Celui seul qui a dit je veux, peut être regardé comme l'auteur d'une action. Celui-là seul qui agit en vertu de sa détermination propre peut être tenu de rendre compte. Si l'homme n'était pas une volonté, une personne, il est évident que le sentiment de la responsabilité lui serait inconnu. La présence de cette idée dans l'esprit humain serait elle-même inexplicable; car l'idée renfermée dans le mot de responsabilité n'est pas seulement celle d'un fait rattaché à sa cause: on ne pense pas à dire que l'électricité soit responsable de tous les désastres de la foudre; on n'appelle pas en justice l'enfant qui, maniant sans le savoir une arme meurtrière, tue en riant son petit frère. C'est que l'idée de cause n'épuise pas celle de responsabilité; il faut de plus une cause volontaire, c'est-à-dire personnelle. C'est parce que l'homme veut des actions qu'il est libre de ne pas vouloir que cette action lui est imputée et qu'on lui en demande compte.
La personnalité de l'homme est surtout affirmée par la forme habituelle que le sentiment de la responsabilité revêt en nous; je veux dire le sentiment de la culpabilité. Quand l'homme a violé l'obligation morale, non-seulement il se reconnaît auteur de la faute, mais encore il sent qu'une punition méritée l'attend. L'idée de la rétribution est dans toutes les consciences; l'ordre violé demande à être vengé; et il ne le sera que par le châtiment de l'auteur du désordre. Ce fait moral est la marque indestructible d'une personnalité permanente et identique.
En affirmant la personnalité de l'homme, la conscience affirme sa haute dignité. Nous en dirons rapidement quelques traits.
C'est parce qu'il est une personne que l'homme ne peut être rangé parmi les produits de la nature impersonnelle; son origine est plus haut ; il précède cette nature; c'est elle qui est faite pour lui, et il exerce en droit sur elle un pouvoir souverain.
C'est par cette dignité de personne qu'en droit l'individu ne dépend que de lui-même dans son développement, et tire de son propre sein toutes ses déterminations.
C'est parce qu'il est une personne que l'individu a de la valeur, non pas seulement vis-à-vis de l'univers entier, mais même devant Dieu. Comme tel, l'individu se sent tout seul quelque chose devant l'être absolu; il sent qu'il peut être à lui seul un objet direct et un but pour le créateur éternel des mondes. L'individu est appelé à soutenir des rapports directs avec Dieu. Dieu l'aime
Ainsi supérieur à la création entière, qui ne peut s'unir véritablement à Dieu, l'homme a le sentiment de sa survivance, et tandis que tout change et périt autour de lui, il entend en lui-même la prophétie certaine de son immortalité. Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants.
Si la conscience est niée, toutes ces grandeurs sont ensemble compromises.
L'individu n'est pas une personne; de quel droit le prétendrait-on ? quelle preuve en fournirait-on ? Du moment qu'il n'a plus de conscience, il a perdu ses titres les plus sûrs à cette dignité. Il est confondu avec le reste de la création, dont il n'est que le degré le plus élevé et le produit le plus parfait; les lois qui la gouvernent sont aussi ses lois; son développement dépend essentiellement du milieu sous l'influence duquel il s'opère et qui le façonne à son image. L'individu n'a plus rien de lui-même qui le recommande à Dieu; il fait partie d'un vaste ensemble dont rien ne le sort; tout seul, devant Dieu, qu'est-il ? Un chiffre d'un nombre immense, une partie microscopique d'un grand tout, un atome imperceptible et insignifiant, perdu dans la masse. Comment pourrait-il être l'objet des desseins de l’Être infini? quel rapport saurait-on établir entre cet être chétif, éphémère, et celui dont la parole éternelle soutient les mondes? Devant Dieu, l'individu dépouillé de sa conscience se sent trop petit; il faut qu'il se voie agrandi; il faut qu'il s'entoure d'une foule innombrable, afin de former devant lui un tout qui ait quelque apparence. C'est alors l'espèce, non plus l'individu seulement qui se présente devant Dieu et avec assurance. À le bien comprendre, c'est l'espèce, non plus l'individu que Dieu a créée; elle seule a une valeur devant lui, est un objet et un but pour lui; elle seule a une destinée. Quelle est dès lors la valeur de l'individu? Il n'est rien que par l'espèce et pour l'espèce; loin de songer à se faire à lui-même sa destinée, il doit tout entier s'employer à l'accomplissement de celle de l'espèce. L'humanité se manifeste, se développe, se perfectionne en lui. Le but, c'est l'espèce; l'individu est moyen.
Nous sommes en plein socialisme.
Mais on va plus loin; on est forcé d'aller plus loin, et ce n'est qu'en faisant un pas encore, que les affirmations précédentes recevront leur pleine logique.
La conscience ne suppose pas seulement la personnalité de l'homme, elle oblige aussi à affirmer celle de Dieu. Sans un Dieu personnel, la conscience est un non-sens, et nous défions qu'on l'explique. L'autorité de la conscience est inconcevable, si l'homme n'y saisit la parole d'un Dieu qui le voit et le juge, d'un Dieu vivant et personnel. La conscience est l'expression de la volonté divine, ou elle n'est rien. (…)
Donc, pour qu'il soit bien certain qu'il n'y a pas de conscience, établissons qu'il n'y a pas de Dieu personnel. On pourrait nier purement et simplement Dieu. Mais ce siècle veut quelque chose de plus vivant que le glacial athéisme; la philosophie est trop avancée pour se satisfaire de cette négation pure et simple. Il existe un principe universel; on l'accorde, mais quel est-il ? — Le Dieu du socialisme est le Dieu du panthéisme. C'est l'être absolu qui se manifeste dans le monde, et y revêt les diverses formes de la vie. Il trouve dans l'espèce humaine son expression la plus élevée et presque la conscience de lui-même, c'est-à-dire, en langage vulgaire, la multitude, c'est Dieu; vox populi, vox Dei. On a absorbé l'individu dans l'espèce. On fait subir ce même traitement à Dieu. L'homme et le Dieu personnels se perdent tous deux dans la majorité.
Nous sommes de nouveau en plein socialisme.

Charles Bois, Du socialisme, envisagé comme conséquence nécessaire de la négation de la chute, Thèse présentée à la faculté de théologie protestante de Strasbourg, Veuve Berger-Levrault, 1849, p. 27-28.

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